dimanche, mai 13, 2018

Pour ne pas oublier un certain mois de mai

13 mai 1958 : comment De Gaulle a orchestré son retour ?

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La situation est, en effet, assez folle. Le pouvoir est détenu à Paris par le nouveau président du Conseil, le centriste alsacien Pierre Pflimlin, investi au petit matin du 14 mai sous le coup de l'émotion. Mais il ne s'exerce plus de l'autre côté de la Méditerranée. Là où Salan et l'armée, dotés de pouvoir accrus par le vote de l'état d'urgence pour tout le territoire national, départements d'Algérie inclus, jouent les arbitres. Un état d'urgence qui n'empêche en rien les gaullistes Delbecque ou Neuwirth de tenir le terrain algérois. En métropole s'activent parallèlement avec la même désinvolture leurs compagnons du groupe dit «des six»: Foccart, Frey, Guichard, La Malène, Lefranc, Ribière, Debré…

Les gaullistes peuvent naturellement compter sur l'Association des Français libres, dont le congrès, réuni à Toulouse le 20 avril 1958, a lancé un appel public en faveur de De Gaulle. Mais aussi sur l'Amicale des réseaux Action de la France combattante, sur le Comité des chefs de réseaux (environ 1200 membres), sur l'infatigable Marie-Madeleine Fourcade, vice-présidente de l'Union internationale de la Résistance et de la Déportation, coresponsable depuis mars 1958, avec André Astoux, d'une grande campagne publique pour le retour de l'homme du 18 juin. Un continent enfoui de groupes, d'organisations, de cercles, d'agents d'influence, de vecteurs d'opinions, qui, en demi-sommeil jusque-là, bourgeonnent soudain. Sans oublier deux sympathisants de poids, Roger Wybot, l'ex-Français libre qui dirige la Surveillance du territoire, la DGSI de l'époque, et l'ancien résistant Michel Hacq, patron de la PJ. Signe des temps, la police a déjà manifesté en civil dès mars devant l'Assemblée contre le terrorisme FLN et pour de meilleurs salaires. Elle est en train de se détacher du pouvoir.

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Lors de sa conférence de presse du 19 mai à l'hôtel d'Orsay, De Gaulle a présenté la «crise nationale extrêmement grave» que traverse le pays depuis six jours comme le début possible «d'une sorte de résurrection». Le coup de force militaire que Miquel est chargé de planifier portera ce nom de code. Contactés, d'autres hauts officiers supérieurs se déclarent prêts à soutenir l'opération, tels le général Descour, chef de la région militaire lyonnaise, ou le colonel Gribius, qui commande les blindés de Rambouillet.

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Et qui, ce même 28 mai vers 10 heures du matin, a reçu le général Dulac, chef de cabinet de Salan venu lui exposer à Colombey les détails du plan « Résurrection »? De Gaulle a marqué son intérêt par quelques remarques d'ordre technique, avant de conclure: « Vous direz au général Salan que ce qu'il a fait et ce qu'il fera, c'est pour le bien de la France. » L'art du poker menteur porté au zénith.

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Cette République, que plus personne ne veut défendre, finit par mettre les pouces. Le 1er juin, De Gaulle est investi président du Conseil, le dernier d'un régime dont il s'apprête à orchestrer la disparition. Dès les 2 et 3 juin, les premières passes d'armes interviennent à l'Assemblée nationale à propos des modalités d'élaboration du projet de réforme constitutionnelle. La thèse gaulliste, qui ne soumet pas ce texte à une censure préalable du Parlement, l'emporte par 350 voix contre 161, tandis que les pleins pouvoirs, dont celui de légiférer par ordonnances, sont accordés pour six mois au nouveau président du Conseil. Paraît d'ailleurs dès le 11 juin, au Journal officiel, le texte de la première des 335 ordonnances que prendra le gouvernement De Gaulle jusqu'au 7 janvier 1959 !

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En trois semaines, les planètes se sont toutes disposées en forme de croix de Lorraine. D'abord parce que les gaullistes se trouvaient en permanence au bon endroit et au bon moment: à Alger dans les coulisses du 13 mai avec Delbecque ou Neuwirth, mais aussi en métropole pour récupérer le mouvement insurrectionnel, tout en maintenant le contact avec De Gaulle via Foccart, Lefranc et Guichard. Dans l'armée, la police, la fonction publique, le Parlement, la rue. Partout.

Unissant leurs efforts, ces fidèles ont mené une stratégie globale: contribuer à l'explosion de la chaudière algérienne, puis se servir du spectre du coup d'État et de la guerre civile pour imposer le retour de De Gaulle. Les activistes de l'Algérie française, au contraire, n'avaient pas une mais dix stratégies, pas un mais dix chefs. Même sortie de son silence, la «grande muette», sur laquelle ils comptaient tant, n'avait en outre rien d'une armée de coup d'État à la sud-américaine. De leur côté, les partis de droite, tous «Algérie française», n'étaient pas prêts à accepter un pouvoir militaire. La solution De Gaulle - le changement dans l'ordre, sous l'autorité d'une grande figure historique - avait tout pour lever leurs réticences.

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Formidable joueur de poker doté d'un prestige personnel considérable chez les métropolitains comme chez les musulmans d'Algérie, le général De Gaulle sut abattre ses cartes l'une après l'autre avec une rare maîtrise. D'échec, la IVe République était mat.
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On voit tout ce qui sépare cette époque du souverainiste contemporain : une nation encore patriote, un chef exceptionnellement intelligent et doté d'une légitimité historique, des réseaux forts, omniprésents et souvent soudés par la guerre et une armée dont les supérieurs n'étaient pas tous des technocrates en uniforme.


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De même que la Révolution se fit dans la solitude face à toute l'Europe coalisée et que ce furent des va-nu-pieds en haillons qui défirent à Valmy l'oligarchie dominante, de même, celui qui, en 1945, avait lancé aux représentants des patrons « On ne vous a pas beaucoup vus, Messieurs … », s'est battu contre toutes les forces qui auraient préféré voir la France en nation moyenne, bien au chaud dans le camp américain, enferrée dans des traités qui devaient la museler. Lui veut l'Europe de l'Atlantique à l'Oural, quand la démocratie chrétienne française, les sociaux-démocrates et les libéraux- sociaux qui déjà se ressemblent si fort, acceptent l'Europe de la Vistule aux montagnes Rocheuses.

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En 1958, de Gaulle est traité de « factieux », de complotiste, de tyran, au même titre que les véritables républicains d'aujourd'hui sont traités de « souverainistes réacs ». 2018 n'est pas seulement le cinquantième anniversaire d'un 1968 triomphant sur le plan culturel, parfois pour le meilleur, un peu trop souvent pour le pire. C'est surtout la trahison absolue de l'esprit de 1958, sur des enjeux parfaitement semblables.
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Et deux versions du retour du général :

Le retour du général (G. Ayache)

Le retour du général (B. Duteurtre)

Je préfère le second mais je ne crois pas que le premier m'en voudra !

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