A la suite d'une remarque de ma part sur son usage du mot «greed», Robert Marchenoir réagit dans un commentaire qui mérite d'être cité en billet :
"Vous vous foutez du monde, Bob ! Et l'avidité, et la cupidité, ce ne sont pas des mots français peut-être ?"
La traduction du mot "greed" figure dans le dictionnaire, vous vous imaginez bien que cela ne m'a pas échappé.
Mais ce sont les médias et les hommes politiques américains qui utilisent, depuis quelque temps, le mot "greed" sans arrêt, pour dénoncer le phénomène que je décris.
Ni "cupidité", ni "avidité", ni un autre équivalent ne sont rentrés dans l'usage médiatique et politique français dans ce contexte.
En France, c'est l'expression péjorative de "super-profits" qui fait partie des tics de langage. Vous noterez que ce n'est pas la même chose que "greed". Il s'agit d'une notion relative à une entreprise, pas à un individu. Et elle condamne le profit en tant que tel (ce que les Américains ne font pas), et non l'inéquité de sa répartition.
Si les médias, les politiciens et les intellectuels français devaient utiliser couramment, comme un mot-clé, le concept de "cupidité" ou d' "avidité", ils seraient forcés de reconnaître implicitement que cette accusation s'applique aussi bien aux fonctionnaires, aux syndicalistes et aux corporatistes de tout poil, qu'aux très grands patrons du privé et aux super-financiers mondialisés.
Ils devraient sortir de l'explication exclusive du monde par la grille marxiste (c'est la faute à l'exploitation capitaliste) ou la grille sociologique Degauche (c'est la faute à la société), pour prendre en compte la responsabilité individuelle de chacun, qu'il soit RMiste ou grand patron.
Ils devraient avoir une approche libérale.
Bob a raison d'être attentif aux mots : ils révèlent souvent plus que leurs utilisateurs souhaitent.
jeudi, mars 26, 2009
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A propos de faire attention aux mots: que pensez-vous de l'accusation de racisme visant C dans l'air et son journaliste fétiche?
RépondreSupprimerJe commence sincèrement à me poser beaucoup de questions...
Pas au courant. Expliquez svp.
RépondreSupprimerEncore un usage terroriste de l'antiracisme ?
de toutes façons (aucun rapport tant pis) notre magnifique parlement européen a voté une sorte de résolution pour condamner la suspension de l'accès à internet en cas de fraude et autre téléchargement.
RépondreSupprimerJe me demande si dans leur grande logique, il feront la même chose pour les suspensions de permis de conduire dans le cadre d'un autre viol de la loi, les limitations de vitesse....
Allez savoir pourquoi, j'ai comme un doute.....
Excellente contribution de Bob!
RépondreSupprimerC est tres bien vu!
j'ai lu cette information étonnante sur le site suivant:
RépondreSupprimerYves Calvi
P.S. j'ai oublié de préciser qu'il fallait regarder vers le bas de la page (datée de mercredi si j'ai bien compris)
RépondreSupprimerQuestion candide : à combien commence un super profit ?
RépondreSupprimer"Question candide : à combien commence un super profit ?"
RépondreSupprimerHahaha, bonne question, Théo, je l'attendais, celle-là. Je suppose qu'elle porte en réalité sur les salaires des gros capitalisses.
La réponse est : une rémunération excessive commmence là où les bornes sont franchies, et où par conséquent il n'y a plus de limites.
Frustré?
Je vais vous la faire autrement : elle commence au point où la populace enragée se dit que, décidement, on se fout par trop de sa gueule et que ça suffa comme ci.
Bref, je ne propose ni formule mathématique, ni intervention de l'Etat (sauf quand ce dernier injecte des fonds dans les entreprises : là, en tant que partie prenante, il a évidemment le droit, et même le devoir, de s'assurer que l'argent des contribuables sera utilisé à bon escient...).
C'est une question de mesure et d'équilibre, d'action individuelle responsable. Les chefs d'entreprise et les conseils d'administration doivent, dans leur propre intérêt, sentir l'opinion publique, et savoir s'auto-limiter.
C'est aux Etats-Unis que tel grand patron, à la tête d'une entreprise dans une mauvaise passe, a décidé de réduire temporairement son salaire à zéro. (Bon, il devait avoir une promesse de bonus ou des stock-options en plus, et il avait sûrement un peu d'argent sur son livret A...)
Mais vous voyez l'idée.
Si je reprends ma parabole des lames de rasoir au supermarché, leur prix honnête est celui à partir duquel il n'est plus nécessaire de les mettre dans une vitrine fermée à clé pour éviter qu'elles ne soient volées en masse.
Il est bien clair qu'il n'y a pas de formule mathématique pour le calculer.
Concernant les très hauts salaires, le bon niveau est celui en dessous duquel les citoyens s'abstiennent de faire la révolution.
Sachant qu'il vaut mieux ne pas se louper, parce que là, ce n'est pas comme avec les lames de rasoir : une fois que la cohésion sociale est à ce point déchirée, il n'est plus possible de revenir en arrière avant de longues et douloureuses épreuves, dont personne ne peut prévoir l'issue.
Personne n'a intérêt à la guerre civile.
Pour être tout à fait exact, la limite est nettement plus basse que ça : des rémunérations commencent à être excessives à partir du moment où leur simple niveau se met à détruire la confiance entre les citoyens, et la volonté de... vivre ensemble (désolé d'utiliser un gros mot socialiste, mais c'est ça).
Le problème en France, c'est que, vu le rôle pervers de l'Etat, nous vivons depuis longtemps dans une société de défiance, et cela avant même que la mode anglo-saxonne des salaires de PDG pharaoniques n'arrive chez nous...
Un exemple récent : une rémunération devient excessive quand, par exemple, les dirigeants d'une chaîne de télévision publique gagnent plus que Nicolas Sarkozy, Angela Merkel ou Barack Obama.
RépondreSupprimerhttp://www.fdesouche.com/articles/32083
Bonjour,
RépondreSupprimerD'abord, merci à Robert pour avoir brillamment signalé ce point. Effectivement, comme je crois que les mots ont un sens - depuis la lecture de 1984 j'en suis même plus que certain -, la différence entre greed et superprofit méritait d'être souligné.
Pour continuer sur la discussion avec Theo et pour suivre aussi le raisonnement de Robert, un indice économique : le coût d'un employé - donc quelque part son salaire - ne peut pas excéder sa productivité marginale. Dit autrement, en théorie, on ne peut pas payer quelqu'un plus qu'il ne rapporte.
Je transformerai donc la question de Theo en me demandant : est-ce que les salaires perçus par ces employés - car ce ne sont que ça - sont-ils en rapport avec les gains qu'ils procurent à leur entreprise ?
C'est à mon sens un premier indice qui explique pourquoi il est absolument délirant - pardon pour le mot - que d'aucun arrive à se faire payer des montagnes alors que les résultats de leur boîtes sont tellement mauvais qu'ils quémandent une aide publique.
Plus finement, et alors aussi de manière plus vague, car plus subjectif, la notion de superprofit - plutôt super salaire - arrive quand de plus en plus d'individus considèrent qu'il y a justement un décalage trop important entre le montant de celui qui reçoit le salaire avec sa contribution à l'activité de l'entreprise - à ses bénéfices, surtout -.
Si on reprend le terme superprofit, au sens donc qu'il y aurait un montant maximum de bénéfice au delà duquel le profit serait trop important, je proposerais une explication qui renvoie aux mécanismes cités par H. Schoeck dans l'Envie, une histoire du mal.
A savoir que la détention par un membre d'une communauté d'un bien qui est perçu par les autres comme devant être partagé pour le bien de tous, indépendamment du fait qu'ils n'ont rien fait pour l'avoir. Schoeck rajoute aussi - de mémoire - que cela se combine souvent avec le désir plus de voir l'autre ne plus avoir cet objet plutôt que de le partager.
A cela je rajouterais l'erreur de jugement : on se focalise sur un montant chiffré brut, sans le relativiser avec un chiffre d'affaire, une perspective historique ou autre.
Enfin, troisième piste, en filant la métaphore de Robert, il y a superprofit quand ceux qui sont clients de cette société estiment qu'il y a un hiatus trop important entre le coût qu'ils perçoivent et les profits qu'ils estiment.
A titre personnel, dans une économie libérale où je peux choisir mon fournisseur, il n'y a pas de superprofit.
Dire superprofit signifierait que le producteur arrive à imposer un prix plus élevé que celui qui devrait avoir lieu par le jeu de l'offre et de la demande, donc qu'il possède soit un pouvoir de marché, soit une rente, soit un monopole.
Un pouvoir de marché ne s'acquière généralement que si vous êtes en mesure de proposer des innovations - c'est une sorte de récompense, souvent temporaire, à votre prise de risque -.
Une rente ne dure généralement pas longtemps - quoique Bill Gates arrive à tenir depuis 15 ans , mais c'est de plus en plus dur -. Quand au monopole, il est généralement fourni par la puissance public - et là, on est hors de l'économie libérale -.
Comme à mon sens Total ne ressort à aucune de ses catégories, il n'y a pas de superprofits, il y a juste une société bien géré pour l'instant, et des publicistes ou politiciens qui s'amusent à exciter l'envie des autres.
Cordialement
Les média oublient que ces rémunérations furent décidées en des temps de relative prospérité économique et surtout sur contrat en bonne et due forme. Certes avec l’approbation d’un petit cercle de manager où la collusion est de mise dans une sorte de consanguinité de nantis. Estimer si son salaire est « indécent » est une affaire personnelle, strictement privée, morale. Estimer si il est dans les normes du marché (et il existe un marché des patrons) est une affaire de stratégie d’entreprise et de manager(s). Et là tous ne sont pas doués à cet exercice…
RépondreSupprimerL’état n’a pas a y mettre ne serait ce que le doigt… mais comme nous sommes désormais dans une civilisation de défiance rien ne fait plus plaisir à certain informateurs zélés que d’afficher en place publique, au nom de la transparence, des salaires importants qui selon eux ont forcement été injustement gagné… comme une sorte de « coming out » patrimonial imposé par des envieux.
«et il existe un marché des patrons»
RépondreSupprimerJustement, ce marché existe-t-il ? Je n'en suis pas si sûr. On peut compter sur une main de charpentier le nombre de PDGs français de boites étrangères.
L'Etat n'a pas y mettre le doigt... sauf quand il s'agit de patrons d'entreprises publiques, comme dans l'exemple de RFI que j'ai cité.
RépondreSupprimerEt la nation, elle, a bien entendu son mot à dire.
Si on s'intéresse aux salaires de certains patrons, il faudrait dénoncer aussi les salaires mirobolants de certains sportifs dont les clubs avec lesquels ils ont des contrats reçoivent de copieuses subventions de la part des collectivités locales.
RépondreSupprimerConcernant Total, il vrai que sur le papier, son bénéfice de l'an dernier est gros (13 ou 14 milliards), mais rapporté au chiffre d'affaires, il ne représente que 8 % environ, ce qui n'est pas excessif.
"Justement, ce marché existe-t-il ? Je n'en suis pas si sûr. On peut compter sur une main de charpentier le nombre de PDGs français de boites étrangères."
Il n'existe pas en effet. La plupart des dirigeants des grandes entreprises on fricoté de près ou de loin avec la fonction publique (ENA, IEP). Sachant que la plupart des grandes entreprises françaises fricotent de près (souvent même de très près) ou de loin avec l'Etat, on rejoint donc Denis, il y a surtout du copinage derrière ces postes. On est donc très loin de l'esprit du libéralisme.
Mmmoui. D'accord pour l'exception française de l'ENA. M'enfin, le même phénomène existe aux Etats-Unis, et plus généralement dans les pays développés, qui n'ont pas d'ENA.
RépondreSupprimerLa consanguinité public-privé joue donc en renforçant la tendance aux salaires délirants pour les grands patrons : si les conseils d'administration américains, en principe indépendants, valident des rémunérations excessives, leurs homologues français vont singer cette dérive à plus forte raison, puisque ces grands patrons français ont moins de comptes à rendre à leurs mandants que leurs homologues américains.
Encore un cas où, en France, on est affligé à la fois des inconvénients du capitalisme et de ceux du socialisme. L'exception française est un bien mauvais deal.