lundi, janvier 01, 2018

Ponce Pilate (A. Schiavone)

Deuxième livre tout à fait remarquable que je lis cette année  2017 (in extremis - j'ai fini de le lire ce matin) concernant les Evangiles et venant d'Italie (après le Selon Saint Marc de S. Veronesi).

Aldo Schiavone n'est pas un fantaisiste. C'est un spécialiste du droit romain.

Par exemple, il nous explique que la scène du lavement des mains de Pilate est invraisemblable : un préfet romain, dont tout le reste indique qu'il se comporte en romain, accomplissant un geste rituel juif ? Ca ne tient pas la route.

En revanche, Schiavone utilise un critère bien connu des exégètes : ce qui, dans les Evangiles, est original, ce qui dérange, est probablement authentique. L'exemple le plus fondamental est la crucifixion : vu que les chrétiens ont mis plusieurs siècles avant d'oser la représenter tellement elle les choquait, les premiers chrétiens ne l'auraient pas inventée, elle est probablement authentique.

Or, Schiavone met bien en valeur l'originalité du dialogue entre Pilate et Jésus (1), ce qu'il a d'inédit, cette musique qui sonne vrai.

Schiavone n'écrit pas en universitaire abscons et imbitable (ce fameux style universitaire qui me fait considérer que fusiller quelques universitaires pour l'exemple serait un gros service rendu à l'humanité), il parle clair et net.

Il sait que son sujet est important :

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Cette scène [du dialogue entre Jésus et Pilate] est d'une puissance symbolique sans égale : dans la sobriété des moyens expressifs qui caractérisent le récit de Jean se concentre une force évocatrice irrépressible. Le nombre incalculable de théories et de faits que cette courte scène d'images et de réflexions n'a cessé de produire depuis deux millénaires rétroagit sur sa lumière et rend son éclat presque insoutenable. C'est une scène historiquement convaincante, comme le laisse apparaître sa description.
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Le dialogue entre Pilate et Jésus n'a guère d'équivalent dans l'histoire. Créon et Antigone ? C'est de la fiction. Le procès de Socrate ? Le récit n'en est pas aussi puissant. Bien sûr, il y a le procès de Jeanne d'Arc à Rouen, mais il n'en a pas la concision.




Ce livre, pour plaisant qu'il soit, a cependant un défaut : il est mal à l'aise sur le terrain de la théologie.

Vous me direz que c'est normal, que l'auteur est historien et fait oeuvre d'historien.

D'accord, mais alors son livre perd tout intérêt : si Jésus n'est pas celui dont les chrétiens croient depuis deux mille ans qu'il est Dieu fait homme, il n'est plus qu'un prophète juif parmi d'autres. Je vais le dire autrement : le personnage historique de Jésus, seulement historique, si on le déshabille de la théologie, n'a guère d'intérêt, c'est une querelle pour historiens spécialisés.

Schiavone est probablement conscient du problème, puisqu'il s'aventure de temps en temps sur le terrain de la théologie, par exemple lorsqu'il écrit que la confrontation de Jésus et de Pilate met face à face Dieu et César, mais il n'y reste guère.

C'est dommage puisque sa thèse est que Pilate a été troublé par le charisme de Jésus (charisme indéniable, pas besoin d'être chrétien pour le constater) au point de céder malgré ses doutes à l'accomplissement du destin christique, en le condamnant à mort.

Le trouble de Pilate est évident : on comprend bien que, alors qu'il était parti, à la demande des juifs, pour le condamner à mort, il fait flageller Jésus en espérant que cette peine suffira aux grands prêtres et qu'il le sauvera.

Il finit cependant par le condamner à mort avec réticence.

Je me permets de vous copier la courte recension du magazine La vie (dérangeant qu'ils aient laissé tomber le « chrétienne ») :

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Tyran, lâche ou rallié de dernière minute ? Un étrange brouillard flotte autour de Ponce Pilate, préfet romain de Judée, et protagoniste des dernières heures du Christ. L'historien italien Aldo Schiavone remonte le temps et propulse son lecteur aux côtés de Jésus pour cet ultime et décisif face-à-face avec le représentant de César. Que s'est-il réellement joué lors de ce procès ? Selon la thèse de Schiavone, un tournant se serait produit dans la relation entre Pilate et Jésus, lors de cet entretien, Pilate cherchant à sauver Jésus face à ses accusateurs, les grands prêtres, avant de se soumettre. À qui ? « À la puissance de la prophétie de Jésus sur lui-même », répond l'historien. La thèse est audacieuse et l'analyse historique, fondée sur une connaissance fine du droit romain, passionnante.
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Pilate fait placer un écriteau Roi des juifs sur la croix. Les grands prêtres, qui ont compris, lui demandent de corriger en Il se dit le roi des juifs. Pilate refuse (il n'y a pas de raison d'en douter : c'est dans le ton de ce qui précède). Cela n'en fait pas un chrétien pour autant mais il est clair qu'il a été marqué par cet étrange prophète juif.

Il est donc tout à fait invraisemblable que, comme l'écrit l'anti-chrétien Anatole France, Pilate à la retraite ait oublié Jésus.

Pour conclure, la thèse de Schiavone est simple : Pilate s'est fait complice de Jésus en l'aidant à accomplir son destin, le sacrifice sur la croix. Mais comme cette situation était difficile à expliquer, les premiers auteurs chrétiens ont préféré passer cette subtilité sous silence. Ceci aide à comprendre pourquoi il semble y avoir un trou logique, un non sequitur, dans les Evangiles entre le passage où Pilate essaie de sauver Jésus et celui où il le condamne à mort.

Mais ce hiatus reste à l'état de trace, comme dans la credo, avec la formulation étrange « crucifié pour nous sous Ponce Pilate ». Pourquoi pas la formulation au premier abord plus exacte « crucifié pour nous sous Tibère par ordre de Ponce Pilate » ? La formule canonique semble dédouaner Pilate tout en lui faisant une place particulière. Ou encore dans le fait que Tertullien affirme que Pilate est un chrétien primitif. Il y a une inclination discrète des premiers chrétiens à l'indulgence pour Pilate qui devient naturelle s'il on accepte la thèse de Schiavone.

Un dernier mot : contrairement, par exemple, à la thèse des frères de Jésus, la thèse de Schiavone ne me semble pas (si vous avez des raisons de penser le contraire, dites le moi) être incorrecte théologiquement. Bien sûr, on pourrait glisser à l'idée que Jésus, en se laissant mettre à mort sans trop se défendre, s'est suicidé.

Mais ce n'est pas ce qu'écrit Schiavone : Jésus, « en rendant témoignage de la Vérité », refuse les perches tendues par Pilate pour le sauver, qui auraient été autant de compromissions. Pilate réussit à faire dire aux grands prêtres qu'ils veulent sa mort parce qu'il se dit fils de Dieu. Puisque Jésus ne veut pas renoncer à cette prétention, si Pilate l'avait fait libérer, il aurait jugé que celle-ci était ridicule, venait d'un fou. En le condamnant à mort, Pilate refuse de juger que la prétention de Jésus est folle. Il ne dit pas non plus qu'elle est vraie (c'est tirer trop loin le texte que de faire de Pilate un chrétien).

Bref, Jésus accomplit son destin et Pilate l'y aide.



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(1) : Julien Gracq, qui était athée mais grand styliste, a poussé une gueulante contre un auteur prétendant l'inexistence de Jésus. Il était choqué qu'on soit aveugle, qu'on manque de goût, au point de ne pas voir qu'il y a un style Jésus original révélant l'existence d'une personnalité originale. Ce n'est pas le lot des prophètes du commun de verser dans le calembour du genre « Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise » (n'oubliez pas Chesterton : le secret de Jésus, c'est sa joie. Je pense même qu'il a hésité à écrire « son humour ») .



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