mercredi, décembre 21, 2022

Dowding & Churchill: The Dark Side of the Battle of Britain (Jack Dixon)

S'il y a un vainqueur de la Bataille d'Angleterre, c'est lui, HCT Dowding.

En tant que directeur scientifique de la Royal Air Force, il a développé la chaîne de radars et de postes de commandement et l'équipement radio des avions. Il a aussi préparé les radars embarqués pour la chasse de nuit.

En tant que chef du Fighter Command, il a supervisé son organisation et la formation des pilotes.

Il a aussi pris les décisions stratégiques de la bataille.

Il est aujourd'hui considéré comme un des plus grands (le plus grand ?) généraux d'aviation de l'histoire.

Et pourtant, à l'issue de la bataille,  il a été sacqué comme un malpropre. Pourquoi ? Parce que, pendant que les grouillots meurent, les généraux continuent à intriguer pour leur carrière. C'est le déshonneur de Churchill d'avoir prêté la main à ces intrigues de bas étage.

C'est instructif d'y revenir plus en détails.

Leigh-Mallory et Sholto Douglas sont aujourd'hui considérés comme des commandants médiocres (d'une manière générale, les Anglo-Saxons ont souffert de la médiocrité de leurs généraux. Dans ces nations peu bellicistes,  les meilleurs d'une génération ne faisaient pas carrière dans l'armée) : pendant qu'ils gaspillaient des pilotes au-dessus de la France en offensives couteuses et inefficaces (les Grands Cirques décrits par Clostermann), d'autres remportaient avec peu de moyens des victoires aériennes stratégiques à Malte et au Moyen-Orient.

La création d'un homme

La Royal Air Force, en tant que première armée aérienne indépendante de l'histoire, est la création d'un homme : Hugh Trenchard. C'est sa volonté, son intelligence, ses manœuvres, qui aboutirent à la création de la RAF en avril 1918.

En 1916 (comme quoi la crise de 1940 remonte à loin), Dowding et Trenchard se sont déjà violemment opposés.

Fallait-il envoyer les pilotes au front dès leur sortie de l'école, quitte à provoquer une boucherie, ou adopter une attitude moins offensive et permettre aux jeunes pilotes de s'aguerrir ? Trenchard était pour la première solution, Dowding pour la seconde. Dowding fut renvoyé en Angleterre. La question se posera à nouveau lors du Bloody April de 1917 (un ratio de pertes de 1 à 4 en faveur des Allemands !) avec la même réponse sanguinaire (voir La patrouille de l'aube de 1930 avec Douglas Fairbanks ou le 'remake' de 1938 avec Erroll Flynn et David Niven ).

Le problème du fait d'être née de la volonté d'un homme à forte personnalité fut que le commandement de la RAF fonctionnait comme une secte autour de son gourou et non comme une machinerie militaire où on peut examiner librement les options avant de décider. Les Anglais auront le problème avec Trenchard puis son fils spirituel Bomber Harris, les Américains avec Hap Arnold puis Curtis Le May, à peine (hélas) caricaturé  dans Docteur Folamour :

 


A l'inverse, Dowding fut très ouvert aux faits. Il avait du mal à s'insérer dans le cirque Trenchard. C'était une pièce rapportée. Il s'imposa à force de compétence. C'est impressionnant. Un peu comme de Gaulle, il dérangeait mais ses qualités étaient si évidentes qu'on se sentait obligé de le promouvoir.

De plus, Dowding était un grand diplomate : il avait publié un livre dont un chapitre s'intitule Why are senior officers so stupid? (ça se passe de traduction !). Je me demande toujours ce que ce genre de personne penserait de nos officiers actuels.

Le fonctionnement idéologique du commandement (par « commandement », j'entends l'Air Ministry et l'état-major de la RAF) a de nombreuses conséquences, dont une qui se fait sentir dans toute l'organisation : la coupure entre le haut et le bas, par la fuite des grands penseurs devant les triviales réalités.

Fuite favorisée par un phénomène bien connu de ce genre de fonctionnement, l'irresponsabilité. Plus exactement : la seule responsabilité des petits chefs et des moyens chefs, c'est de plaire au grand chef.

On se retrouvait donc avec une l'organisation ayant une forte culture de la responsabilité (le mécano signe sa form, le pilote signe sa form ...) dont les grands chefs vivaient dans les nuages de leurs idées fixes. Ce fut tout un psychodrame de distraire quelques bombardiers pour la décisive bataille de l'Atlantique alors que des dizaines étaient sacrifiés inutilement toutes les nuits au-dessus de l'Allemagne.

Le bordel

Du fait de cet esprit sectaire du commandement, la RAF des années 30/40 était gravement dysfonctionnelle. Elle attribuait des moyens énormes (125 000 aviateurs avec 73% !!! de pertes -tués, blessés, prisonniers, 1 million d'hommes au total) au Bomber Command, à peu près inutile (les Soviétiques s'en sont très bien passés. L'effet reconnu des bombardements stratégiques sur l'Allemagne fut d'empêcher l'accélération de la production, pas de la faire chuter, sauf fin 1944, quand la guerre était déjà perdue. Tout ça pour ça), tandis que les services vraiment décisifs Fighter Command, Coastal Command et Transport Command étaient négligés presque jusqu'au point de rupture.

Ce qui sauve ce genre d'organisation, c'est le bordel, la liberté qu'ont les grouillots à leur petite échelle de corriger les erreurs des chefs. La cruciale Bataille de l'Atlantique (puisque c'est l'exemple que j'ai pris) fut sauvée, entre autres, par quelques bombardiers « égarés » au Coastal Command.

Ne pas se fier aux politiciens

Dowding a appris dans sa carrière, par diverses péripéties, que la parole des politiciens ne vaut rien et que seuls les fous s'y fient. En 1940, il eut l'occasion de le vérifier.

Il y a pourtant un politicien qui a bien travaillé pour lui, Lord Inskip. Chargé de réfléchir à la stratégie de la Grande-Bretagne dans les années cruciales 1936-1939, il a convaincu le Cabinet de son raisonnement limpide (à la grande rage des idéologues du bombardement stratégique) :

1) La Grande-Bretagne n'a pas les moyens économiques de bâtir en temps de paix une force aérienne d'attaque (bombardement) et une force aérienne de défense (chasse) et n'a pas les moyens d'arriver à la parité de bombardiers avec l'Allemagne.

2) La stratégie gagnante pour la Grande-Bretagne est (comme toujours) une guerre longue.

3) La priorité doit donc être donnée à une force aérienne de défense, pour permettre à la Grande-Bretagne de tenir, le temps de se mobiliser industriellement.

Dowding eut peu de soutien des politiciens (sauf celui, défaillant, de Churchill, qui manquait, bizarrement, de constance), mais certains hauts fonctionnaires avaient bien compris que l'obsession du commandement de la RAF pour le bombardement stratégique était fumeuse.

La cabale

Une fois que vous avez compris le fonctionnement sectaire et idéologique du commandement de la RAF, il n'est pas difficile de comprendre la cabale contre Dowding, elle coule de source,

Travaillez au corps quelques députés et hauts fonctionnaires qui vous serviront de paravents, briefez les d'une manière très orientée, faites croire par leur intermédiaire qu'un mouvement de contestation vient de la base (un précurseur de la célèbre méthode de manipulation astroturfing), savonnez consciencieusement la planche de Dowding dans les couloirs auprès des ministres pendant qu'il est occupé par la bataille, et le tour est joué. Ces procédés déshonorants sont de toutes les machinations.

L'attaque de la Big Wing échoue.

Douglas Bader, le pilote cul-de-jatte, était très courageux, très combatif et obstiné, mais aussi con comme un balai. Il croyait qu'il valait mieux opposer aux Allemands des masses d'avion (les fameuses Big Wings) plutôt que des escadrilles au détail comme préconisé par Dowding.

Pour des raisons techniques (temps perdu à rassembler les Big Wings, difficultés à les contrôler), cette idée ne tenait pas la route. Tous les squadron leaders bien plus expérimentés que Bader (son accident l'a éloigné de la RAF pendant 8 ans) en ont témoigné. La RAF a fini par le reconnaître dans son histoire officielle en ... 1990.

On peut s'interroger sur les qualités d'un officier subalterne inexpérimenté, qui critique avec entêtement son commandant en chef en public, en des termes proches de l'insulte. Dowding a admis bien plus tard qu'il avait peut-être eu tort de ne pas le sanctionner.

Pour finir, Bader a été abattu et fait prisonnier en août 1941, au grand soulagement de ses subordonnés (témoignages sans ambiguïtés) qui commençaient à trouver que la recherche de score du patron, c'est-à-dire de gloire personnelle, leur coutait très cher. Ca éclaire la querelle précédente.

Toujours est-il que cette polémique inutile a affaibli Dowding. Les journalopes d'aujourd'hui lui colleraient l'étiquette infamante de « personnage controversé ».

Tirer la chasse de nuit

Puisque la bataille d'Angleterre se termina sur une victoire qu'il est impossible de ne pas attribuer à Dowding, ses ennemis choisirent un autre angle : « Il a réussi de jour, mais il n'a pas bien préparé la chasse de nuit ».

Factuellement, c'est faux, Dowding a poussé à fond le développement des radars embarqués. Mais, comme le reste, ce n'était qu'un prétexte.

L'essentiel était que Dowding ne devînt pas Air Chief of Staff comme c'est son destin naturel. Ca aurait été un désaveu terrible pour les idéologues du bombardement stratégique qui, comme tous les idéologues, étaient des gens obstinés et sans scrupules.

La faiblesse de Churchill

Pourquoi Churchill, grand défenseur de Dowding, a-t-il fini par le lâcher ?

Au bout du bout, ce n'est pas très flatteur pour Churchill : il a lâché Dowding parce que celui-ci était un froid calculateur et qu'il refusait les sacrifices qu'il jugeait inutiles alors que Churchill ne rechignait pas aux gesticulations sanglantes.

il semblerait cependant qu'il ait eu quelques remords de sa mauvaise action (elle n'était pas seulement mauvaise en termes moraux, elle était mauvaise en termes d'efficacité opérationnelle).

Une pauvre justice et une punition

La justice a progressivement été rendue à Dowding par les historiens.

La punition, ce fut pour les jeunes aviateurs anglais tués inutilement (lire Clostermann), Douglas et Leigh-Mallory  (les successeurs de Dowding et de Park, sacqué en même temps que son chef) étant nettement moins bons que ceux contre qui ils ont comploté (moins imaginatifs, moins rigoureux, moins économes du sang de leurs hommes).

Par comparaison, ce que peut l'imagination : Basil (futur Sir Basil) Embry, commandant une escadrille de chasse de nuit, ayant compris que le point clé était la formation des opérateurs du radar embarqué a fait une descente à Cambridge un week-end, a recruté de façon pirate quelques étudiants en science, les a formés et mis dans les avions pour voir ce que ça donnait. A la première sortie, un ennemi a été abattu.

Les petits hommes

Dowding a été victime de petits hommes, supérieurs à lui hiérarchiquement mais très inférieurs humainement : jaloux, mesquins, égoïstes, dogmatiques et méchants.

Cela ne devrait pas étonner : les grosses bureaucraties sont propices à l'ascension de ce genre de profils. Et la coalition des médiocres contre l'homme de qualité est aussi vieille que le monde.

C'est la carrière de Dowding, avec toutes ses qualités évidentes et donc gênantes, qui est étonnante. Il est étrange qu'il n'ait pas été éliminé avant d'accéder au commandement du Fighter Command.

Les généraux anglo-saxons étaient pour la plupart médiocres, mais cela n'a pas favorisé la carrière des quelques bons, bien au contraire. Par exemple, Slim en Asie n'a vraiment pas eu un chemin semé de roses.

Dowding fut le seul des grands généraux de la RAF à ne pas être fait Air Marshal à la fin de la guerre.

Dans la RAF, Dowding n'est pas un cas isolé : Ludlow-Hewitt, Cotton, Embry, Malan, Park ont tous été sanctionnés alors que leur supériorité ne fait aujourd'hui aucun doute, notamment leur imagination et leur sens de l'initiative. Mais ce sont justement ces qualités qui les rendaient insupportables à une organisation bureaucratique.

Il faut revenir à ce que j'écris au début de ce billet : la RAF des années 40 était une machine gravement dysfonctionnelle : elle gaspillait, pour son obsession (approuvée par un Churchill très mal conseillé) de l'area bombing, la transformation des villes allemandes en parkings de supermarché, des ressources considérables et atteignait un résultat douteux, à la fois moralement et militairement.

On ne peut qu'imaginer l'efficacité diabolique d'une RAF moins dogmatique, constituée de Mosquitos, moins couteux en matériels et en hommes (2 aviateurs au lieu de 10), quasi-indétectables au radar (ils étaient en bois) et pouvant transporter jusqu'à Berlin la charge de bombes d'un B17. Le Mosquito était insaisissable, il a fini la guerre avec le ratio de pertes le plus bas de la RAF.



Je n'évoque pas le Mosquito par hasard. Cet avion remarquable en bois moulé, ancêtre des composites, était l'un des très rares appareils étrangers a avoir été utilisé par les Américains, c'est dire. La timidité de la RAF à l'exploiter (produit à 7800 exemplaires, juste 500 de plus que les Lancaster, il aurait du l'être 3 à 4 fois plus) est souvent citée comme exemple d'aveuglement.

Mais il y a pire, jusqu'au début de 1943 !!!!,  la RAF refusait obstinément de développer les chasseurs d'escorte à long rayon alors que :

1) dès 1941, Sidney Cotton, l'inventeur de la reconnaissance stratégique (qui, bien sûr, a été sacqué), a fait voler un Spitfire, modifié avec l'aide de Supermarine, de 3000 km d'autonomie (4 fois l'autonomie nominale).

2) les Américains prouvaient avec le P51 équipé d'un moteur Merlin (donc anglais) que c'était tout à fait possible.
 
La RAF n'a remporté que deux victoires nettes et sans bavures, la Bataille d'Angleterre et Malte, à rebours de sa doctrine et par des hommes, Dowding et Park, dont elle a entravé la carrière.

Après la guerre, ce dogmatisme, issu de la création de la RAF en 1918, est devenu obsolète et s'est estompé avec le changement de génération et le changement de conditions matérielles (avions à réaction et bombe atomique).

Enfin, on notera que le roi George VI a bien compris l'offense faite à Dowding et qu'il a insisté pour qu'il soit fait baron. Ca ne répare pas l'injustice, mais ça parle en faveur de la monarchie !

L'inaptitude criminelle du commandement de la Royal Air Force est le fruit d'une histoire. Elle ne doit pas faire oublier le courage des jeunes hommes qui montaient dans leurs avions et allaient à la guerre.


4 commentaires:

  1. "Dans ces nations peu bellicistes, les meilleurs d'une génération ne faisaient pas carrière dans l'armée"
    L'Angleterre peu belliciste, il ne faut pas pousser non plus... le "two-power standard", l'empire ou le soleil ne se couchait jamais.... sans parler de l'occupation de leurs voisins irlandais.

    Sinon, merci pour toutes ces recensions de qualité. Quel travail !

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    1. La population anglaise après la première guerre mondiale était fort peu belliciste.

      Une des motivations d'Hitler pour hâter la guerre était sa crainte que les Allemands s'américanisent, c'est-à-dire s'amollissent.

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  2. est-il question du différend entre Dowding et Churchill début juin 40, quand Dowding veut limiter l'aide anglaise à la France pour des raisons militaires et Churchill limiter la limitation pour des raisons politiques ?

    Il se pourrait qu'il y ait un clivage du même ordre quand Churchill privilégie le bombardement de l'Allemagne : montrer aux Soviétiques qu'on fait quelque chose pour les soulager, prouver aux civils allemands que l'idolâtrie envers le Führer a un prix.

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    1. 1) Oui.

      2) Je comprends les raisons de Churchill de bombarder les villes allemandes. Mais je reste persuadé que ce fut une très mauvaise décision (ne serait-ce qu'à cause du coût humain énorme de cette politique pour les Anglais : plus d'officiers aviateurs y ont été tués que d'officiers d'infanterie entre 1914 et 1918).

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