lundi, juin 09, 2008

1940, l'effondrement (H. de Wailly)

FF

J'ai lu ce livre pour avoir apprécié De Gaulle sous le casque.

Comme l'auteur s'éloigne de la région de la Somme qui est sa spécialité, il est moins intéressant.

Cependant, son insistance sur l'effondrement administratif durant les mois de mai et juin 1940 est fort louable.

On est frappé que les traces en aient été effacées des archives (par qui ? Sur l'ordre de qui ?) après-guerre. Les seuls rapports de préfet qui nous restent, signe qu'il y a eu un tri, sont ceux, devinez, de Jean Moulin, préfet d'Eure-et-Loir.

Presque tous les préfets, sauf bien entendu celui de Chartres, et beaucoup des maires et adjoints ont fui, malgré des ordres expressément contraires, mais les ordres et les rapports s'étant évanouis, impossible d'analyser le pourquoi et le comment.

De même, les archives de la Croix-Rouge ont été vidées de cette période de l'exode après guerre.

L'ordre donné aux gendarmes de se replier a disparu. Pourtant, on est sûr par recoupements de témoignages qu'il a existé. Or, cet ordre était absolument désastreux, monstrueux d'incompétence, presque criminel.

Car en empêchant que l'exode se déroule avec un rien d'ordre, en laissant à l'anarchie libre cours, on a contribué non seulement à la défaite militaire mais aussi à une démoralisation des Français comme il n'y en eut jamais dans l'histoire : tous les témoins et acteurs de l'exode, c'est-à-dire plus de la moitié de la France, en furent durablement traumatisés. Et ce traumatisme explique beaucoup des décisions politiques qui ont suivi.

Conséquence logique, Henri de Wailly insiste sur la médiocrité croissante du personnel politique (1) dans l'entre-deux guerres.

Pierre Lazareff raconte que, début mai 1940, les parlementaires s'écharpaient sur la définition du poulet plumé, vous avez bien lu (2).

Après cette lecture, vous pourrez vous remonter le moral en lisant Les mémoires d'un agent secret de la France libre.

(1) : je reviendrai dans un autre article sur l'actuelle médiocrité du personnel politique.

(2) : de nos jours, les députés se mobilisent pour cette grande cause nationale qu'est la conservation des numéros de département sur la plaques minéralogiques. Et après, ils s'étonneront du discrédit qui atteint la politique ...

12 commentaires:

  1. Désolé de poster ici, mais je vous livre en copier/coller les réflexions qu'inspirent à Delanoë et Royal la flambée du prix du pétrole :

    "... Bertrand Delanoë a accusé Total de se goinfrer….
    Ségolène Royal a qualifié les profits de Total de « biens collectifs » : « Non seulement ces profits proviennent du portefeuille des consommateurs qui subissent la hausse vertigineuse des prix à la pompe, mais ils sont dus aussi au concours très actif de la diplomatie française dans de nombreux pays. C'est d'ailleurs pour cette raison que Total est lié à la France et ne peut se délocaliser », a-t-elle affirmé..."

    Cela illustre, je pense, le propos de F. Boizard sur la médiocrité de notre personnel politique actuel.

    Et l'un des deux sinistres sires a l'audace de se prétendre libéral ! Quel farce...

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  2. Que je sache, Total ne vole pas son argent contrairement à l'Etat qui dispose de la force de coercition légale.

    En France, on respecte si peu la liberté individuelle (la seule vraie liberté) et le droit de propriété, qui est son garant, que je me demande quelquefois si il ne convient pas de préparer une fuite dans un pays moins liberticide.

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  3. Médiocrité n'est pas le terme que j'utiliserais. Etymologiquement, il signifie moyen. Mais les hommes politiques français sont bien en dessous de la moyenne, plutôt proches de la nullité la plus crasse. Se rendent-ils compte des énormités qu'ils profèrent ou sont-ils stupides à ce point ?

    Pour revenir au sujet, les Français de 1940 ont pu voir comment "la meilleure armée du monde" les a défendus pendant ces semaines d'une tragédie nationale sans commune mesure avec les défaites du passé. Pendant que le Front Populaire distribuait les congés payés et refusait d'aider les républicains espagnols, Hitler faisait tourner les usines d'armement à plein régime, signaient des alliances avec tous les dictateurs du monde pour le résultat que l'on sait.

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  4. Finalement, j'ai peut-être été un peu sévère avec de Wailly : son livre est une bonne introduction à l'histoire du désastre de 1940.

    Je vous numériserai quelques pages qui me semblent avoir des échos contemporains demain soir.

    Par contre, il est injuste d'accuser seulement le Front Popu : si l'effondrement fut traumatisant, c'est qu'il impliquait la société française jusqu'au plus profond.

    Alfred Sauvy a largement démontré la responsabilité du Front Pou, mais, la responsabilité de la droite, les militaires, les patrons est elle aussi engagée.

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  5. De Wailly explique très bien ce que l'effondrement de 40 a eu de traumatisant : des défaites militaires, la France en avait connues, des écroulements de la société jamais depuis Jeanne d'Arc.

    Dans ce traumatisme, l'exode compte encore plus que la défaite elle-même : une des images qui revient le plus souvent dans les témoignages est celle des pompiers fuyant avec leur camion-échelle au milieu des réfugiés.

    Comment mieux signifier que la population a été abandonnée par ceux-là même qui étaient censés la protéger et la guider ?

    Toutes les autorités ont couru sur les routes comme des lapins affolés : préfets, évêques, médecins, généraux, députés, ministres ...

    Bien sûr, dans chaque catégorie, il y a eu des héros, mais ce qui reste, c'est un abandon général.

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  6. Petite anecdote : de nombreux soldats se sont coupés l'index pour ne pas à avoir à obéir aux ordres de leurs supérieurs. Et quand Pétain a dit qu'il fallait cesser le combat, beaucoup l'ont pris au mot et ont abattu les officiers qui leur demandaient de poursuivre le combat.

    Ce qui est symptomatique de cette époque, c'est que pour éviter un nouveau conflit, tous les abandons, tous les reniements politiques, de valeurs étaient possibles. Tout mais pas la guerre. Pas un nouveau 1914. Il fallait vraiment être aveugle pour ne pas voir que Staline et Hitler allaient de toute façon mettre l'Europe à feu et à sang pour réaliser leurs utopies. Quand Daladier revient au Bourget après avoir signé les accords de Munich (magnifique exemple du carpettisme des démocraties devant les dictateurs), 500 000 personnes viennent l'acclamer. Et il a cette réaction qu'on lui connaît : "ah, les cons". Il venait de comprendre qu'Hitler, après avoir mangé la main avec le remilitarisation de la Rhénanie, était en train de manger le bras des démocraties libérales. On comprend qu'il n'ait eu aucun mal à mettre le pays à genoux en à peine 6 semaines, malgré des poches de résistance héroïque.

    Mais vous avez raison, la responsabilité de la défaite est collective.

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  7. Je trouve une minute pour intervenir sur ce sujet qui est un peu dans mes cordes.

    Les recherches historiques des 30 dernières années, et pas seulement lorsqu'elles sont signées de votre serviteur, ont tendance à conclure que le moral des troupes n'était pas plus mauvais en 40 qu'en 14 et que cette notion de "décadence" doit beaucoup au résultat des courses.

    Donc, gare au néo-pétainisme qui fait que, souvent encore, des publicistes médiocrement formés en histoire nous resservent cette scie.

    En 40, la France ne s'est pas effondrée d'elle-même, elle a été dynamitée par un maître du genre, sachant ce qu'il voulait, acharné à faire mieux que le pachyderme Guillaume II et y réussissant assez nettement.

    Attention à ne pas traiter trop vite Federer de star déclinante sous prétexte que sur terre battue il a trouvé son maître en la personne du petit prodige Nadal.

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  8. De Wailly insiste plus sur l'effondrement administratif que sur l'effondrement militaire et il donne des exemples assez frappants.

    Par comparaison, on n'a pas assisté à l'été 14 à un semblable effondrement général malgré des défaillances locales.

    Pourtant, il me semble que, début juin 1940, les Allemands étaient plus loin de Paris qu'ils ne l'étaient au début septembre 1914. Bien sûr, cette remarque géographique est anecdotique, mais c'est pour signifier que la France avait déjà connu des périls militaires et des défaites et que ce n'est pas ce qui fait la particularité du printemps 40.

    Ce que le printemps 1940 a d'exceptionnel, c'est la ruine soudaine des structures de la société, on la retrouve dans tous les récits de l'exode : les gendarmes invisibles, les maires disparus ou désemparés, les préfets volatilisés, les députés prenant la poudre d'escampette, les ministres (avec leurs maitresses) au triple galop etc ...

    Qu'une bonne part soit imputable à Hitler et au doute qu'il a su instiller dans l'esprit des Français, ça n'est pas douteux.

    Mais les Français ont aussi leur part de responsabilité : l'exode s'est déroulé en plusieurs temps, il y avait quelques précédents historiques d'une moindre ampleur qui auraient pu servir d'avertissement. Les autorités n'ont pourtant pas anticipé.

    Une bataille se joue toujours (au moins) à deux. Nous avons tendance à oublier Hitler, c'est ce que vous appelez le néo-pétainisme, il ne faudrait pas tomber dans l'excès inverse d'oublier les causes proprement françaises. L'histoire de la France Libre (et des gouvernements en exil à Londres) prouve assez qu'une autre analyse et qu'une autre réaction étaient possibles.

    A titre d'amusement, je renvoie vers ce site :

    http://1940lafrancecontinue.org/

    qui élabore une histoire-fiction collaborative essayant de coller au mieux aux données réelles. Le point de départ du scénario : le 6 juin 1940, la comtesse des Portes (la «mégèrie» comme disait De Gaulle) meurt dans un accident de voiture. Villelume, jugé responsable, est disgracié par Reynaud.

    L'influence (néfaste) de la comtesse des Portes a été débattue et peut-être exagéré. Mais il n'empêche : elle n'a pas aidé Reynaud à s'extraire des bases manœuvres politiciennes. C'est un point de départ comme un autre qui a le mérite de ne pas bousculer les données de la grande histoire.

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  9. ***
    Qu'une bonne part soit imputable à Hitler et au doute qu'il a su instiller dans l'esprit des Français, ça n'est pas douteux.***

    mais il s'agit de bien autre chose que du doute !

    Il s'agit en particulier de l'effet de surprise, multiforme : efficacité et vitesse des divisions blindées, effet d'endormissement, planétaire, de la victoire de 1918, réveil de l'Allemagne après son apparente passivité craintive de la drôle de guerre...

    Mais il est bien vrai que l'équation personnelle de Reynaud joue un rôle immense, par la raison même qu'il s'était donné un personnage surfait de jusqu'auboutiste, éclipsant Mandel qui était le vrai dur et auquel il ne laissait que le hochet du ministère de l'Intérieur, très secondaire en cas d'invasion.

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  10. Je remarque d'ailleurs que vous argumentez essentiellement à partir des impressions des réfugiés. Or on sait que les bobards y circulaient bon train sur les paras déguisés en bonnes soeurs, les avions italiens, les trahisons en tout genre... Une brigade de pompiers avec ses échelles était facilement généralisée à la France et à la Navarre, etc. D'ailleurs cette brigade ne fuyait pas nécessairement sans ordres et en désordre.

    Je n'ai pas personnellement travaillé sur les archives administratives, seules habilitées à donner une vision d'ensemble, mais en revanche j'ai, en éditant les papiers Doumenc, pu montrer que le grand maître de la logistique des armées tenait parfaitement son monde et, précisément, était capable de canaliser l'exode sur des voies où il ne gênait pas l'évolution des troupes.

    Non, la débâcle, la vraie, est celle induite par le criminel "il faut cesser le combat" proféré sur les ondes par Pétain le 17 juin à 12h 30, avant qu'il ait la moindre assurance sur la possibilité d'un armistice ni la moindre idée du temps que cela allait demander. Et il est inadmissible, aujourd'hui, de noyer ce crime précis dans la confusion d'un abandon général qui aurait duré depuis des semaines.

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  11. e suis globalement d'accord avec vous, il est difficile de m'accuser de néo, d'archéo ou de nostalgo pétainisme.

    Cependant, j'ai quelques nuances (mot qui vous est cher !) à apporter :

    > l'exode a profondément marqué la population française, d'autant plus qu'il a concerné presque tous les Français d'une manière ou d'une autre. Un homme aussi peu suspect de pétainisme que Léon Werth en témoigne.

    Pour beaucoup, l'exode a révélé que la civilisation n'était qu'un vernis et que la bête sauvage qui est en l'homme n'était jamais loin. Cette révélation à grande échelle n'est pas anodine.

    Elle explique que beaucoup aient été soulagés par l'arrivée des Allemands : c'était l'ordre ennemi mais l'ordre quand même. De même pour l'arrivée au pouvoir de Pétain.

    L'exode a donc bien eu de nettes conséquences politiques : il a préparé les esprits à accepter le premier dirigeant venu.

    > Le désarroi de la population a aussi servi d'argument à teinture humaniste à ceux qui voulaient arrêter le combat. De Villume qui dès la mi-mai pousse Reynaud à négocier ne s'est pas privé de l'employer sous une forme ou sous une autre, «Arrêtons les frais avant que la facture ne soit trop élevée et tant que nous avons encore quelques arguments.»

    > L'exode a rendu De Gaulle physiquement inaudible (qui a entendu l'appel du 18 juin ?) mais aussi psychologiquement : comment convaincre le peuple que la guerre sera gagnée quand celui-ci vient de voir s'écrouler un monde ?

    Tout cela pour dire que le fait que l'exode fut ressenti comme un effondrement de la société ne doit pas être négligé.

    Enfin, il semble que beaucoup d'archives administratives aient été détruites, et pas seulement par la guerre.

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  12. Je confirme ce que des enseignants en histoire contemporaine m'ont dit à plusieurs reprises, à savoir que beaucoup d'archives n'ont pas disparu avec la guerre.

    A ce propos, j'ai commencé la lecture (que je recommande) du très remarqué livre de Götz Aly, Comment Hitler a acheté les Allemands. Il affirme que bon nombre d'archives concernant le pillage économique de l'Europe ont été volontairement détruites et que beaucoup de services d'archives lui ont carrément refusé l'accès aux documents. L'idée que Hitler fût un authentique socialiste (ce qu'il fut bien évidemment), quelle horreur pour nos prétendus antifascistes !

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