Il y a une question que je me suis souvent posée et je crois avoir enfin trouvé la réponse.
Quiconque connaît l'histoire de la Scuderia Ferrari (1) sait que son fondateur l'a plusieurs fois amenée au bord du gouffre par des décisions malencontreuses. Or, contrairement à nombre de ses concurrents artisans automobiles, il s'en est toujours sorti. Pourquoi ?
La réponse semble être la suivante. Il avait un talent particulier pour manipuler les individus à l'ego surdimensionné : pilotes de course, grands financiers, clients fortunés, ingénieurs de talent, voire politiciens. Bref, exactement les outils humains pour construire et, au besoin, sauver, une écurie de course automobile.
Dans l'expression «course automobile», le mot important est «course». Il ne semble pas que, à l'inverse de Bugatti, il ait eu un amour des belles mécaniques. Il n'hésitait pas à envoyer à la casse les modèles obsolètes (les collectionneurs sont fous en pensant à toutes les machines ferraillées qui vaudraient aujourd'hui des millions) et Ferrari n'est pas réputé pour ses innovations (à part le V12 à faible déplacement/haut régime, l'aileron arrière (2) et la boite de vitesse séquentielle - cette dernière innovation après le décès de Ferrari, je ne vois aucune innovation apportée par l'entreprise Ferrari malgré bientôt cent ans de présence dans cette industrie (3)).
L'automobile n'était qu'un faire-valoir de son esprit de compétition. S'il avait été bon en patins à roulettes, il aurait monté une écurie de patineurs. Les machines et les hommes étaient subordonnés à ce but unique, la victoire. Niki Lauda, qui en connaissait un rayon puisque c'est un des rares pilotes à avoir réussi à mettre la Scuderia à son service, a dit un jour : «Chez Ferrari, tant que tu gagnes, tu fais partie de la famille. Mais si tu ne gagnes plus, plus de famille, tu n'existes plus».
Ferrari a expliqué ainsi son «secret» : «Je trouve le ressort qui fait agir un homme et j'appuie dessus à fond». Et «à fond» voulait vraiment dire «à fond» : par exemple, il envoyait sur le circuit avec un retard très calculé les voitures des pilotes dont il sentait faiblir la motivation, histoire de leur faire comprendre qu'ils n'étaient plus sa priorité et de les mettre en rage. Monter ses pilotes les uns contre les autres ne lui faisait pas peur.
Avec ses méthodes, le nombre de pilotes Ferrari morts au volant est élevé. On a beaucoup glosé des rapports de Ferrari avec la mort, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agissait de la mort des autres.
Enzo Ferrari était un Italien de caricature. Charmeur, débrouillard, tenace, retors, menteur, politicien et pas souvent au bon sens du terme, et aussi, parfois, minable magouilleur. L'histoire de la 250 GTO est bien connue : pour la faire homologuer par la FIA, il a promis qu'il produirait la série minimale prévue par le règlement sans jamais avoir eu l'intention de tenir sa promesse. Quand il a essayé de refaire le même coup trois ans plus tard avec la 250 LM, la FIA l'a envoyé sur les roses et il s'est retrouvé le bec dans l'eau.
Au bilan, Ferrari, malgré toute sa chaleur méridionale, apparaît comme un personnage peu sympathique. Mais les gens sympathiques sont-ils des bâtisseurs d'empire ? La politique française est pleine de gens «sympââââs». La France n'a jamais été si mal dirigée.
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(1) : la Scuderia, l'écurie, est le coeur de Ferrari. Elle a été fondée pour faire courir des Alfa Romeo bien avant que Ferrari produise ses propres voitures. Pour Enzo Ferrari, la construction de voitures de série n'était qu'un moyen de soulager de riches pigeons (il ne paraît pas qu'il ait eu beaucoup d'estime pour ses clients) de leur argent afin de financer la course.
(2) : un déflecteur fut installé pour empêcher les fumées du moteur d'intoxiquer le pilote et un pilote particulièrement doué dans la mise au point remarqua que la tenue de route s'améliorait légèrement. La seule innovation en course de Ferrari est due au hasard !
(3) : un historien anglais a écrit : «S'il y a une certitude dans l'histoire de l'automobile, c'est que jamais, jamais, jamais, Ferrari n'a apporté la moindre innovation.» Mais bon, il était anglais.
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Août 2025 : lecture de la traduction en français. Très mauvaise : américanismes traduits littéralement, fautes de français, contresens, erreurs factuelles ... bref, lisez la version originale si vous pouvez.
Cette re-lecture m'a remis en mémoire qu'Enzo Ferrari était un petit mec, un patron de PME colérique et retors, pas très intelligent. Certainement pas un bâtisseur d'empire (contrairement à ce que je laisse entendre dans le billet original). Un faiseur de coups, pas un visionnaire. Sa société est sortie de l'artisanat quand FIAT l'a prise en mains dans les années 70 (mais il a gardé la gestione sportiva, l'écurie, avec le succès mitigé que l'on sait).
Il négligeait les voitures de route, alors qu'elle faisait vivre l'entreprise, notamment grâce à la crédulité des Américains (tout le monde ne s'y laissait pas prendre : Ferrucio Lamborghini s'est mis à construire des voitures parce que, en tant que client de Ferrari, il était exaspéré par son comportement d'escroc, le mot n'est pas trop fort : il lui arrivait de vendre comme voitures neuves des voitures d'occasion). Il ne faut pas oublier que les Ferrari des années 50 et 60 que nous admirons aujourd'hui étaient quasiment inutilisables : elles démarraient une fois sur deux, elles cassaient souvent et elles rouillaient. Et, quand elles roulaient, elles étaient inconduisibles.
Il manageait par le mensonge, la terreur et le charme à deux balles.
La veuve de Portago l'a surnommé « l'assassin », mais il faut reconnaitre qu'il ne fournissait pas à ses pilotes des voitures fragiles, comme Colin Chapman chez Lotus, qui a tué quelques pilotes en cherchant à économiser du poids.
Il savait attirer les talents, mais encore mieux les faire fuir en se fâchant pour des futilités (en réalité, toujours la peur d'être dépossédé de la vedette).
Il n'avait aucune chance face à des gens méthodiques, comme les Américains, les Anglais et les Allemands.
Sa seule qualité réelle, louable, était la ténacité. Il persévérait quand les autres laissaient tomber. C'est sa longévité qui a fait l'aura de Ferrari : il était le seul à avoir été là aussi longtemps.
L'ère Todt-Brawn-Schumacher aurait été impossible du vivant d'Enzo Ferrari : il se serait fâché avec un ou deux, voire les trois, comme il a fait avec Niki Lauda (qui était insensible au personnage d'Enzo Ferrari et à sa commedia).
C'est un point illustrant la bêtise d'Enzo Ferrari : malgré des décennies dans le sport automobile, il n'a jamais vraiment compris la relation subtile entre le succès de l'écurie et les pilotes. Pour lui, les pilotes étaient interchangeables. Or, un pilote d'exception, comme Fangio (avec lequel il s'est fâché) ou Lauda (avec lequel ...) faisaient des retours techniques qui aidaient grandement les ingénieurs en cette époque d'avant la télémétrie. Il a licencié Ginther et Tambay pour défaut de performances alors qu'il aurait du les garder comme pilotes d'essai (c'est Ginther qui a senti que le déflecteur de fumée fournissait un appui aérodynamique).
Jody Scheckter, le dernier champion du monde du vivant de Ferrari, disait : « Quand j'ai vu leurs installations, je me suis demandé comment ils ne gagnaient pas toutes les courses. Quand j'ai vu comment ils travaillaient, je me suis demandé comment ils en gagnaient une seule ».
Steve Nichols et Alain Prost ont fait le même genre de commentaires sur la Scuderia Ferrari de 1990-1991 (c'est la vraie raison du licenciement de Prost). La video de Steve Nichols est passionnante (l'histoire des ressorts de suspension et celle de l'aileron avant sont édifiantes).
Todt et Brawn ont apporté un ordre et une rigueur que la Scuderia Ferrari n'avait jamais connus, avec l'appui sans faille du nouveau patron Luca di Montezemolo.
Depuis son départ, c'est de nouveau le bordel à l'italienne. Machiavel, c'est bien gentil, mais il ne faut pas oublier que le Florentin causait de cités et de micro-Etats, bref de tempêtes dans un verre d'eau. Dès qu'il fallait voir un peu plus loin et un peu plus large, plus personne. Si la France et l'Angleterre avaient été gérées selon les recommandations de Machiavel, elles auraient sombré dans le chaos avant d'avoir conquis le monde.
Il semble que Ferrari soit en 2025 repris par les mêmes démons : la politicaillerie à deux balles et l'instabilité, d'où la difficulté à recruter des ingénieurs de talent. Un ingénieur moyen ira parce que Ferrari, ça fait bien sur un CV, mais un type vraiment bon, qui a fouletitude de propositions, comme Adrian Newey, ne voudra pas s'emmerder dans cet environnement pénible.
Enzo Ferrari a laissé à la Scuderia Ferrari une tradition qui est une malédiction : une hyper-sensibilité aux commentaires de la presse italienne, il épluchait tous les matins les journaux pour lire ce qu'on disait de lui. Todt, Brawn et Schumacher, n'étant pas Italiens, s'en foutaient complètement et cela leur a réussi.
En ce moment, Ferrari gagne en endurance ... parce que cette partie est sous-traitée.
En ce moment, Ferrari gagne en endurance ... parce que cette partie est sous-traitée.

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