vendredi, décembre 14, 2018

Trump, Brexit, Gilets jaunes : comment les observateurs traditionnels sont devenus incapables de prédire les étapes suivantes

Gilets jaunes : comment les observateurs traditionnels sont devenus incapables de prédire les étapes suivantes

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L’histoire occidentale obéit à un mouvement de balancier : il est des moments où l’individu est au centre; et d’autres où c’est la société. Si l’on va plus avant dans l’analyse, en fait il s’agit de deux attitudes philosophiques fondamentales : l’individualisme est fils du nominalisme, né au XIVè siècle, pour qui les mots ne sont que des mots, les concepts ne sont que des constructions humaines, ils ne renvoient pas à la réalité; tandis pour les réalistes, au contraire, les concepts renvoient à une réalité qui existe en-dehors de l’esprit humain.

Pour de Gaulle en 1947, lancer le “rassemblement du peuple français” impliquait qu’il existe un peuple français indépendamment des choix politiques que nous pouvons formuler. Au fond, tout le débat sur l’immigration se comprend par rapport à cet affrontement philosophique: si pour vous le peuple français n’est pas simplement une invention du discours politique mais une réalité, ancrée dans le présent et dans l’histoire, alors il ne vous est pas indifférent de savoir combien de personnes entrent dans le pays et qui elles sont : de Gaulle ne croyait pas que l’on devînt français simplement par convention ou par contrat; c’est pourquoi, même si on ne le dit jamais, il était très méfiant concernant l’immigration de main d’oeuvre telle que l’imaginait le patronat. Au contraire, si vous êtes Angela Merkel, vous ne parlez jamais “des Allemands” mais “des gens de ce pays”: vous ne voyez pas d’inconvénient ni de risque à laisser venir des personnes dont la culture et l’histoire sont solubles dans l’individualisme. Le libéralisme, au fond, c’est le triomphe de l’individualisme dans tous les domaines. Il exalte la différence individuelle et donc considère le lien social comme subordonné, comme une convention, comme un artefact.

A force de ne plus envisager que lui-même, l’individu émancipé en oublie la réalité sociale. Il ne comprend pas quand surgit un philosophe ou un politique qui lui réaffirme la réalité du lien social; le caractère organique d’une solidarité nationale.

C’est là que nous en sommes.

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Ne perdons pas trop de temps à parler de Laurent Wauquiez sinon pour souligner son individualisme forcené, sa fascination pour l’écrasement de tous ses camarades de parti, qui le rendent incapable d’être un chef politique, d’emmener un groupe à la bataille. En fait, quand vous regardez bien, Wauquiez est, comme Macron, à l’extrême individualiste du spectre. Mais la classe politique française est au fond profondément partagée depuis une quinzaine d’années, en fait depuis que Jean-Marie Le Pen s’est qualifié pour le second tour de la présidentielle en 2002. Prenez les trois candidats qui arrivent en tête à la présidentielle suivante, en 2007: chacun d’eux s’est demandé comment rétablir le lien social. Ségolène Royal parlait « d’ordre juste » ; François Bayrou a cherché un rassemblement au centre mais plus concret, mieux enraciné dans la société française que celui d’Emmanuel Macron en 2017; quant à Nicolas Sarkozy, il a gagné la présidentielle en réhabilitant la nation.

Ce qui est très curieux, c’est la manière dont, depuis lors, le débat politique français a régressé. Alors que la crise financière et monétaire aurait dû confirmer la validité des options proposées en 2007, la mise en place réussie de mécanismes supranationaux pour éviter que la crise dégénère comme dans les années 1930, a fait perdre de vue que le meilleur moyen de combattre ce type de crises à long terme était de de redécouvrir la nation, la protection, la solidarité entre les élites et le peuple, l’isocratie (c’est-à-dire le souci de faire de la démocratie un gouvernement s’appuyant sur une forte classe moyenne d’individus égaux par le revenu). 2012 a été une régression: même si Nicolas Sarkozy reste fidèle au thème de la « France forte », il n’a pas tenu les promesses de 2007; quant à François Hollande, il est élu sans ligne claire. 2017 pousse encore plus loin la régression puisque la droite modérée se désintègre, tout comme le PS, et Emmanuel Macron réaffirme de façon anachronique le libéralisme déjà mis en cause depuis plusieurs années.

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Emmanuel Macron arrivera-t-il à stabiliser son navire bien secoué par la tempête? Il a compris qu’il fallait lâcher du lest en annonçant un certain nombre de dépenses budgétaires en faveur des couches les plus fragiles et les plus pauvres. Il a lui-même senti qu’on ne pouvait pas interdir aux Gilets Jaunes qui le souhaitent de poser la question du contrôle de l’immigration. Mais il va falloir aller beaucoup plus loin. Il va bien falloir qu’il se produise, d’une manière ou d’une autre, un électrochoc au sein des milieux dirigeants pour qu’ils assument les intérêts de la nation. Une façon superficielle de le présenter insiste sur le potentiel d’un rassemblement à droite. Il vaut sans doute mieux dire qu’il s’agit de rassembler tous les « réalistes » au sens de la philosophie médiévale, c’est-à-dire tous ceux qui savent que la nation est une réalité héritée, qu’on ne doit ni manipuler ni brusquer mais au contraire protéger, et mettre en situation de libérer ses forces entrepreneuriales et, plus important encore, son aspiration à une forte démocratie locale. La difficulté, c’est qu’il va falloir le faire comme on mène une bataille et non selon des schémas de communiquant. Sans doute, le modèle le moins éloigné de ce qui nous attend, c’est le travail effectué par Nicolas Sarkozy entre 2004 et 2007. Une préparation qui a porté quelques fruits une fois au pouvoir même si le goût de la com a en partie annulé l’effet de la volonté politique une fois au gouvernement.
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Jacques de Saint Victor : « Ce que furent vraiment les cahiers de doléances de 1789 »

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Même les cahiers des ordres privilégiés, en particulier ceux de la noblesse, acceptent majoritairement de sacrifier leurs privilèges fiscaux (de ce point de vue, les élites honnies de l'Ancien Régime se montrèrent plus généreuses, comme l'a rappelé Tocqueville, que les notables du XIXe siècle, pour ne pas parler des défenseurs actuels de toutes les acrobaties en matière « d'optimisation fiscale »).

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Au total, toutes ces doléances évoquaient le profond désir d'une réforme de la monarchie absolue en une «monarchie limitée», avec un droit national de consentir l'impôt, mais en aucun cas une révolution. Toutefois,et la remarque présente son intérêt aujourd'hui, certains historiens soulignent que c'est au moment même de la rédaction de ces cahiers, durant l'hiver 1788-1789, que la prise de parole va jouer le rôle d'une «prise de conscience»: la bourgeoisie «nationale» sent monter en elle un fort sentiment de frustration sociale qui la pousse vers la radicalité. Il aurait fallu toute l'habileté d'un Richelieu ou d'un Mazarin pour gérer cette poudrière qui échappe complètement à la compréhension d'un banquier comme Necker ; or le roi a eu la maladresse de le choisir durant l'été 1788 comme «premier ministre». Louis XVI va alors accumuler les erreurs avant même la réunion des états généraux le 5 mai 1789. Il finira par proposer une réforme de la monarchie dans son discours du 23 juin, mais il était trop tard. La question était passée d'un désir de réforme (résoudre la question financière) à un débat politico-philosophique: mettre fin à la société d'ordres et assurer le passage de la souveraineté royale à la souveraineté nationale. En cela, les députés élus en 1789 sont allés sciemment bien au-delà de leurs cahiers de doléances. C'est ce qui s'appelle une révolution juridique qui aura été en partie le fruit des atermoiements du pouvoir.

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Voilà pourquoi le débat sur l'immigration n'aura pas lieu

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Le débat proposé par Emmanuel Macron mais déjà rogné aux entournures par Édouard Philippe donne le sentiment de reproduire la même cacophonie. Pour une raison simple: la majorité de la population française est hostile à l'immigration. La majorité des gouvernements - et l'actuel y compris - est favorable à l'immigration. Il est à craindre que toute tentative de ces derniers de faire changer d'avis les Français n'aboutira qu'à plus de colère et de frustration.
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Voilà le fond du problème : eux, la classe dirigeante, de droite et gauche, ils SAVENT. Et si le peuple souverain (en théorie) n'est pas de leur avis, c'est qu'il se trompe et il ne faut surtout pas le consulter. Mieux, il faut le bâillonner par tous les moyens. C'est vrai sur l'immigration, mais aussi sur l'Europe, sur la justice, sur l'école, en fait sur à peu près tout.













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