Alain Prost: «Je n'aurais jamais pu piloter en Formule 1 aujourd'hui»
INTERVIEW - Le quadruple champion du monde évoque pour Le Figaro la saison à venir, qui débute ce week-end en Australie, et l'évolution du métier de pilote.
Mardi dernier à Genève. À deux jours de l'ouverture au public du Salon de l'automobile, les allées de Palexpo sont encore clairsemées. Au stand Renault, la nouvelle Clio 5 attire déjà les regards. Comme une autre star française, Alain Prost, très sollicité par les fans en quête de selfies entre deux rendez-vous en tant qu'ambassadeur du losange. Avant le coup d'envoi de la saison à Melbourne, dimanche, le «Professeur» passe en revue l'actualité de la F1. Sans concession, comme à son habitude…
LE FIGARO. - Renault peut-il viser les podiums en F1 cette saison?
Alain PROST. - Notre objectif est de nous rapprocher des tops teams (Mercedes, Ferrari, Red Bull) mais nous restons humbles. Énormément de moyens ont été mis en œuvre depuis deux ans, que ce soit dans les installations à Enstone et à Viry-Châtillon mais aussi sur le plan humain. Nous sommes aujourd'hui 1 200 personnes. À titre de comparaison, quand j'ai débuté avec mon écurie (Prost GP en 1997, NDLR), nous étions 65… Aujourd'hui, Renault est entré dans une nouvelle dimension, mais nous ne sommes pas encore à 100 % de notre potentiel. On en saura plus dimanche à Melbourne.
Quelles impressions vous fait Daniel Ricciardo, la recrue phare de Renault durant l'intersaison?
On est ravis de l'avoir avec nous. C'est un pilote qui a gagné des courses (7 victoires en GP). Il doit nous aider à monter de niveau. Question travail avec l'équipe, c'est juste parfait jusque-là. Daniel est une vraie personnalité. Certains pilotes galvanisent une équipe de manière naturelle. J'étais peut-être un peu comme ça aussi (sourire). Maintenant, sa venue chez nous est un step back dans sa carrière, il faut être réaliste. Il va falloir qu'il l'assume et qu'il le gère. Nous attendons aussi beaucoup de Nico (Hülkenberg). Les deux pilotes seront sur le même plan. Qu'ils se battent sur la piste, c'est normal. Mais il faudra le faire dans le meilleur esprit possible. C'est nécessaire pour aider l'équipe à progresser.
» LIRE AUSSI - Formule 1: Renault à un nouveau virage
Vous reconnaissez-vous dans l'un de ces deux pilotes ou un autre du paddock?
J'en suis bien incapable. Ce n'est pas le fait de vouloir être unique, mais c'est impossible de nous comparer, tout simplement car leur travail de pilote est totalement différent du mien, tout comme leur parcours. Par exemple, j'ai commencé la compétition auto à 19 ans, parce qu'il fallait un an de permis de conduire. Au même âge, Max Verstappen aurait presque pu être champion du monde. À mon époque, quand on commençait à 23 ou 25 ans en F1, c'était déjà pas mal.
Les pilotes arrivent plus vite à maturité aujourd'hui?
Ils commencent surtout beaucoup plus jeunes. À 4 ou 5 ans, leurs parents les mettent dans un karting puis ils intègrent les filières. D'ailleurs, cela conduit à une uniformisation des pilotes. On leur dit très tôt ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire. Il est ensuite difficile pour ces très jeunes pilotes de démontrer autant de personnalité ou de charisme que leurs aînés. Dire cela, ce n'est pas être négatif, c'est un constat. La F1, ce n'est pas seulement un coup de volant et bien respecter ce que disent les ingénieurs. C'est aussi une histoire d'hommes. On aimerait donc voir plus de personnalités. Mais est-ce possible dans ce format de F1 aseptisé et peut-être un peu trop techno? Nous, on inventait, on choisissait et on gérait. Les pilotes ne gèrent plus rien à part un peu les pneus. On leur demande surtout d'être extrêmement précis dans l'exécution.
Certains, comme Max Verstappen, font quand même preuve de beaucoup caractère…
Max a apporté de la fraîcheur. C'est le type de pilote qui ne fera jamais l'unanimité, mais que moi j'aime bien. Il peut faire peur à ses adversaires par moments sur la piste, mais il amène quelque chose. Malgré tout, pour faire des résultats avec des voitures aussi fiables, il faut se canaliser. Le Max que l'on verra dans les années à venir sera peut-être un peu plus formaté. Il n'était déjà plus tout à fait le même entre le milieu et la fin de saison dernière.
Et Lewis Hamilton?
Il évolue un peu en dehors du sérail et de la sphère F1 tout en étant l'un des meilleurs pilotes de sa génération. C'est son mode de fonctionnement, et ça ne me dérange pas du tout. Tant que les gens n'essaient pas de faire croire qu'ils ont la science infuse, il peut y avoir dix modes de fonctionnement différents. Je ne porte aucun jugement. Je dis même tant mieux.
Vous aimeriez être à la place de ces pilotes aujourd'hui?
Oui, parce que je reste passionné, notamment de technologie. Mais la manière de travailler ne me donne pas envie. J'aimais décider moi-même de ce que je faisais sur la piste, des réglages de ma voiture. Aujourd'hui, le pilote est l'élément final, celui qui termine le travail avec énormément de directives et de conseils donnés par les ingénieurs. Il doit comprendre les systèmes, fruits de toute cette technologie embarquée. À un moment, on parlait de «génération PlayStation» en rigolant. Mais c'est la vérité. On y arrive.
Aujourd'hui, un pilote à cinq, six, sept infos par tour transmises en direct par un ingénieur. Il faut les digérer. «Tu devrais te mettre position 5 à l'entrée du virage 4, etc.» A notre époque, ça n'existait pas. On n'était pas programmé pour ça. On décidait nous-mêmes quand s'arrêter pour les pneus. Aujourd'hui, ce sont les computers, en fonction du trafic. J'ai essayé de faire du simulateur de F1. Je n'étais pas bien, j'étais malade. C'était aussi le cas pour la génération de Schumacher, alors que mon fils (Nicolas Prost, 37ans) en a fait pendant quatre ans chez Lotus. Il adorait ça.
La technologie dénature-t-elle la course?
C'est un peu moins plaisant. Le samedi soir, en fonction de tous les éléments qu'on a après les qualifications et de ce que l'on voit des autres équipes, on sait plus ou moins où l'on doit finir la course le dimanche si d'autres paramètres annexes ne rentrent pas en compte. Il y a moins d'incertitude. Après, j'aurais aussi aimé conduire aujourd'hui, une période où il y a moins d'accidents - même s'il y en a encore - et où les pilotes sont payés dix fois plus (rires). Tout ça pour dire que je ne regrette pas du tout mon époque.
Voir des pilotes payer pour rouler en F1, l'élite des sports auto, n'est-ce pas incongru?
Cela a toujours existé, mais c'était marginal. Cela durait un an, c'était un non-événement. Aujourd'hui, le problème vient des formules de promotion. Il y a de plus en plus de disciplines qui coûtent de plus en plus cher et il y a de moins en moins de sponsors pour suivre. La Formule 2, c'est presque 2 millions d'euros la saison et il faut y passer deux ou trois ans. Les plus fortunés ont donc plus de chances et peuvent prendre la place de gens plus talentueux. Ça, c'est gênant.
Vous veniez d'un milieu modeste. Alain Prost aurait-il pu faire carrière en F1 aujourd'hui?
Je pense que je ne pourrais plus du tout accéder à la F1. J'ai pu faire l'école de pilotage parce que j'avais été champion de France de karting et que j'avais obtenu une bourse. À partir de ce moment-là, je n'ai plus jamais dépensé un centime. Mais quand j'étais dans la filière Elf, je n'avais du budget pour la saison suivante que si je gagnais le championnat. Si je ne le gagne pas en 1976, on ne parle plus d'Alain Prost. En 1979, je finis premier, mais je n'ai plus rien. Je suis alors pris à l'essai par Marlboro au Castellet. J'avais l'impression d'avoir une chance sur un million de réussir! Aujourd'hui, il faut faire au moins deux ou trois saisons dans chaque discipline. Je n'aurais jamais eu le budget pour ça, et donc aucune chance de devenir pilote de F1.
La nouvelle réglementation aérodynamique est censée favoriser les dépassements et donc le spectacle. La F1 va-t-elle dans le bon sens?
Je suis sceptique et j'attends de voir les premières courses. En revanche, je suis inquiet concernant les futurs règlements (entrée en vigueur en 2021). De mon point de vue, il faudrait donner un peu plus de chance aux équipes de moyen et bas de tableau. Quand je dis chance, je parle d'avoir une opportunité à un moment ou un autre de la saison de faire un coup. Aujourd'hui, si vous avez énormément d'argent, vous avez des structures énormes où la majorité du travail concerne l'aérodynamique et la production du plus de pièces possibles pour pouvoir développer encore et encore. C'est toujours à l'avantage des plus riches.
Moi, je milite pour beaucoup moins d'aéro et la suppression des souffleries. Je mettrais un aéro minimum avec des voitures les plus simples possible dotées de moteurs un peu plus puissants, ce qui est facile à faire. Avec un pilote malin ou un ingénieur qui a la bonne idée, vous avez alors une chance de faire un résultat ponctuellement. Avec moins d'aéro, vous pouvez aussi avoir des pneus différents, plus tendres. J'instaurerais trois catégories de gommes et je laisserais les équipes se débrouiller avec une quantité imposée. J'espère qu'on ira dans ce sens-là. Ce n'est pas impossible. J'ai déjà été pas mal écouté.
Comment avez-vous vécu le retour de la F1 au Castellet l'été dernier?
Ce fut une belle réussite malgré le couac des embouteillages qui a terni l'image de l'événement. Des mesures ont été annoncées pour améliorer l'accès au circuit cette année, c'est bien. Les gens sont fiers de voir la F1 de retour dans l'Hexagone. On espère désormais voir les pilotes français briller. Avec Red Bull, Pierre Gasly a une vraie chance cette année…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire