Ce n'est pas tout. Le 1er janvier 2012, François Bayrou fait un discours à Clermont-Ferrand, et il y dit : "Eh bien, excusez-moi de le dire, nous avons fait la Révolution, nous avons inventé la République et la démocratie, pour une raison toute simple, c'est que nous ne voulons plus que l'on nous dicte nos choix !"
Robespierre lui-même affirmait que la France était animée par "cette ambition généreuse de fonder sur la terre la première République du monde" (discours du 8 thermidor an II, 26 juillet 1794). Parmi les auteurs qui citent le passage dont j'extrais cette phrase (passage qu'on trouvera facilement, il est typique de la sentimentalité de Robespierre), figure l'écrivain communiste André Stil, chez qui on la trouve dans un livre intitulé sobrement Quand Robespierre et Danton inventaient la France (Grasset, 1988).
On rencontre facilement ici et là un complexe vague d'idées selon lequel la France est véritablement apparue sous sa forme plénière et lumineuse à la fin du XVIIIe siècle. Elle est vue comme le résultat d'une création, d'une invention, d'une construction. Ainsi le journaliste Michel Faure, alors grand reporter à L'Express (au cours de sa carrière, il a travaillé à l'AFP, à Libération, au Monde, etc.), écrit en 1993 : "Comment, alors, recoudre le tissu social, retrouver des repères? Comment y voir clair? En allumant nos lumières, peut-être, comme lors du siècle du même nom, lorsque les hommes, libérés des interdits et des peurs d'un long Moyen Age, ont inventé la France et trouvé les chemins de la modernité." Cette idée est d'autant plus frappante que Michel Faure est, avec François Clauss, l'auteur du livre "Georges Duby, An 1000, an 2000, sur les traces de nos peurs" (1999).
Un petit glissement de plus, et "la France" est assimilée à un bouquet d'institutions politiques et administratives, d'où cet ouvrage : "Quand Napoléon inventait la France, Dictionnaire des institutions politiques, administratives et de cour du Consulat et de l'Empire" (2008). Je sais que c'est une formule, un titre qui claque, mais n'empêche, c'est un peu gros.
Il est vrai que les Français ont été dûment chapitrés : c'est l'Etat qui a fait la France. Pour ceux qui ont une vision de l'histoire légèrement plus profonde temporellement que François Hollande, ça commence avec les rois. Mais, de toute façon, ça justifie l'adulation dont l'Etat (c'est-à-dire, de fait, ceux qui l'occupent) doit faire l'objet. Un seul exemple, dans un grand discours à Tours de Sarkozy (et, je suppose, Henri Guaino), en 2007 : "Servir la France, servir la République, c'est d'abord servir l'État. Parce que c'est l'État qui a fait la France. C'est l'État qui a forgé la nation et qui en a maintenu l'unité. L'effondrement de l'État a toujours coïncidé en France avec l'effondrement de la nation."
J'aimerais assez connaître qui a forgé cette théorie de l'Etat qui a fait la France, aux implications nettement autoritaires, et historiographiquement discutable. D'ailleurs on peut tout aussi facilement dire, dans cette perspective, que c'est l'Etat qui a fait l'Italie, c'est l'Etat qui a fait l'Allemagne, et même que c'est l'Etat qui a fait l'Angleterre, parce que quand Æthelstan, roi du Wessex, a conquis le royaume Viking de York en 927, il est devenu le premier "roi des Anglais".
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Ce commentaire de Curmu est important car 90 % des Français et 100 % de la classe jacassante sont persuadés de cette légende : c'est l'Etat qui a fait la France et servir la France, c'est servir l'Etat c'est-à-dire servir les hommes de l'Etat (Guaino est un connard de compétition : c'est l'exemple-type de l'homme de l'Etat qui pense que cette qualité suffit à lui le donner le droit d'exiger que les Français soient à ses pieds).
C'est ce que leur répètent l'école «républicaine», c'est-à-dire gauchiste et étatiste, depuis un siècle et, avec une unanimité touchante, toute la classe jacassante (c'est une scie du discours zemmourien). Cette théorie était soutenue par un certain Charles De Gaulle dans tous ses écrits. Heureusement, il s'est empressé de ne pas la mettre en application le 17 juin 1940 (notons bien qu'à cette date le gouvernement français est encore parfaitement légal et que, si la France c'est l'Etat, et vice-versa, il aurait du rester à Bordeaux).
En réalité, ce sont les Français qui ont fait la France et l'Etat a suivi. Quand il a mis la France bien dans la merde, Louis XIV n'a pas lancé un appel dans toutes les administrations pour que les fonctionnaires se mobilisent, il a fait lire une lettre dans toutes les paroisses et c'est aux Français qu'il a fait appel. La France n'a jamais été si prospère et si enviée que les rares fois où l'Etat lui a lâché la grappe.
On peut même écrire l'histoire de France comme celle des efforts des Français pour réparer les conneries des hommes de l'Etat.
Les Anglais, qui adorent se moquer de nous, l'ont compris, eux, puisqu'ils disent souvent : «Les Français sont très forts : ils arrivent à survivre à leur Etat».
J'ajoute du Bruno Bertez :
Bruno Bertez : Sur le fascisme…et ses variantes |
Le blog à Lupus, Bruno Bertez, 10/01/2013 (en Français ) |
→ lien |
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