L’archétype en est Albert Speer, condamné à vingt ans de prison alors que, en bonne justice, il aurait dû être pendu comme son subordonné Sauckel.
La défense de Speer est géniale : contrairement à Göring qui met plusieurs fois l’accusation en difficulté, Speer se couche et en fait des tonnes dans le sketch du technocrate qui découvre, épouvanté, les conséquences de ses décisions « techniques ».
Même un homme aussi fin qu’Edgar Faure, qui représente la France, s’y laisse prendre : bien sûr, ces magistrats expérimentés ne sont qu’à moitié dupes, mais ils ne comprennent pas bien que cette contrition surjouée permet plus subtilement à Speer, dans sa logorrhée, de définir à sa convenance le périmètre de ses responsabilités.
Le truc (comme il y des trucs de prestidigitateur) de Speer, c’est d’avoir été un technocrate gris et sans saveur (comme nous en voyons tant en notre époque de délire covidiste), dissimulant une férocité inhumaine, sadique, derrière la fiction d’une neutralité technicienne.
On sait aujourd’hui (documents non disponibles lors du procès) que Speer, loin d’être un technicien ignorant des atrocités, poussait ses subordonnés à lui fournir toujours plus de main-d’oeuvre esclave. Et qu’il avait amassé une fortune en œuvres volées à des juifs.
Il est très probable qu’il ait passé un accord avec les Anglo-Américains.La liste est longue.
Schellenberg, un des penseurs de la Shoah par balles, dont la retraite et les obsèques ont été payés par une célèbre informatrice : Coco Chanel.
Knochen, ponte de la Gestapo, volontiers tortionnaire, mort en 2003 dans son lit après une paisible carrière d’agent d’assurances.
Ernst Achenbach, organisateur du pillage de la France (avec l’aide de grossiums français. Comme dit un jour de Gaulle au patronat : « On ne vous a pas beaucoup vus, à Londres ») entre 1940 et 1944, serait devenu commissaire européen sans les énergiques protestations françaises de dernière minute (il y a beaucoup de continuité de mentalité entre le IIIéme Reich technocratique et l’UE).
Hjalmar et compagnie
La caricature de Chaplin (Hitler, grand amateur de cinema américain a probablement vu ce film. Pour son anniversaire de 1941, ses collaborateurs lui ont offert des caricatures françaises de lui, il en a ri.) ferait oublier qu’Hitler était un politicien de génie
Il rallie à sa cause Hjalmar Schacht, ex-président de la Bundesbank, très bien introduit à la City, à Wall Street et dans les milieux d’affaires allemands, sans exiger qu’il adhère au parti nazi. C’est vraiment une très grosse prise.
Arrivé au pouvoir, Hitler le nomme à nouveau président de la Reichsbank, ralliant ainsi les milieux financiers anglo-américains très anti-français (Norman Montagu, président de la banque centrale britannique disait qu’il y avait trois sortes de brebis galeuses « les juifs, les experts-comptables et les Français »), dans l’illusion criminelle que la menace d’hégémonie continentale était française.
Les États-Unis et la Grande-Bretagne sont, dans cet ordre chronologique , les premiers responsables de la seconde guerre mondiale. Le délire nazi de l’Allemagne ne vient qu’en troisième.
L’agent des Américains en Europe a toujours été l’Allemagne, bien plus que la Grande-Bretagne.
Sans le génie financier de Schacht, l’aventure d’Hitler aurait été beaucoup plus difficile.
Il a été acquitté au procès de Nuremberg mais, en 1951, son vol a atterri en Israël par accident, pour une escale technique. Heureusement pour lui, les autorités israéliennes n’ont appris sa présence à bord qu’après le décollage. Sinon, il n’aurait pas échappé à un procès à la Eichmann.
Personnellement, Schacht n’a aucun sang sur les mains, mais, sans lui, les atrocités des bourreaux n’auraient pas été possibles.
Hanna Reitsch
Hanna Reitsch, dans cette galerie de faux-jetons et de tordus, est un cas à part. Elle était franche comme l’or, hitlerienne (plus que nazie) convaincue.
Haute comme trois pommes, pilote d’élite, elle a multiplié les exploits : plusieurs records (40 au total ! Y compris après guerre, le dernier en 1977, à 65 ans), elle a piloté des bombes volantes V1 (!!!) pour les mettre au point, elle s'est crashé en Me 163 Komet lors du développement, elle a atterri sur une avenue de Berlin en flammes pilotant l’avion par dessus son amant évanoui suite à une blessure, le général von Greim …
Éric Brown et Pierre Clostermann l’admiraient. Contrairement à d'autres pilotes féminins, elle était supérieure, y compris aux hommes.
Après guerre, elle ne renie pas son nazisme et se convertit en instructrice de vol à voile (avoir Hanna Reitsch pour instructrice !).
En 1948, elle se lie d’amitié avec une Résistante française, déportée à Ravensbrück, qui sera même sa traductrice. Pourtant, elle dira jusqu’à sa mort en 1979 que la faute des nazis est d’avoir perdu la guerre.
Que se passe-t-il dans la tête d’une personne qui ne parait pas méchante ou vicieuse pour soutenir de telles atrocités ?
Mettons au crédit d’Hanna Reitsch qu’elle est la seule (avec Henriette von Schirah, l’épouse du chef des Jeunesses Hitleriennes) à avoir osé parler défavorablement à Hitler de la persécution des juifs.
Hitler n’a plus jamais adressé la parole à Henriette von Schirach, mais il n’a pas tenu rigueur à Hanna Reitsch de sa franchise.
Hitler était un envoyé de Satan comme il y en a rarement eu dans l’histoire mais il ne sortait pas de nulle part, il était le fruit d’une époque satanique, la modernité.
La continuité
Concluons :
1) Hitler était entouré de techniciens de haute qualité.
2) Alors que les figures de proue et quelques grouillots ont été sévèrement punis, ces techniciens ont échappé à la punition ou ont été punis très légèrement, au nom de l’utilité de leurs compétences dans la guerre froide.
3) La continuité en Allemagne et en Europe est plus grande que ce que l’on imagine.