vendredi, mars 31, 2006

Effets d'une politique du mensonge

Ivan Rioufol dans le Figaro (mes commentaires entre [] mes surlignements en rougge)

L'actuelle crise politique et sociale a une vertu : elle révèle l'anachronisme d'une société abusée par des décennies de mensonges. Ils ont fait croire que le libéralisme était une calamité, l'accès aux diplômes pour tous un progrès, l'immigration du tiers-monde une chance. Ces falsifications s'entrechoquent autour du contrat première embauche, brandi comme un épouvantail par une gauche passéiste cornaquant des jeunes en révolte et cibles, dans leurs défilés, du racisme antiblanc.

C'est une France anticapitaliste et fonctionnarisée qui a manifesté mardi, avec le soutien d'une partie de l'opinion. Il est vrai que seuls 36 % des Français feraient confiance à la libre entreprise, contre 74 % des Chinois, 71 % des Américains, 67 % des Britanniques (Le Figaro, 25-26 mars) : un sondage à rapprocher du fait que le quart des salariés travaille dans le secteur public et que le fonctionnaire, largement représenté au Parlement, reste l'idéal des 15-30 ans.

Cette peur de la concurrence est au coeur de la tension. Le patron est vu comme l'homme des turpitudes, et le Code du travail comme le livre sacré. Les anti-CPE se comportent comme s'ils redoutaient que ce contrat, en créant des emplois, ébranle leur croyance. Mais cette France immobile ne peut plus se contenter d'épousseter la momie du modèle socialiste. Même les anciens pays de l'Est, Biélorussie à part, se sont convertis au marché et au risque.

Depuis le non au référendum sur la Constitution, une perestroïka libère l'esprit critique. Si ces voix discordantes ont encore du mal à se faire entendre, la brutalité des réalités se charge de bousculer les conservatismes et le prêt-à-penser. Aussi l'intransigeance de la gauche, qui ne propose qu'un retour en arrière, peut-elle contribuer à la prise de conscience d'une rupture nécessaire avec un système caricatural, qui fait de la France un cas clinique.

D'autant que ce conflit dévoile aussi, avec ces diplômes sans valeur, la tromperie d'un enseignement ayant renoncé à la sélection. Quant aux agressions de manifestants par des voyous des banlieues, elles rappellent cette remarque d'Andreï Makine, dans son dernier livre (Cette France qu'on oublie d'aimer, Flammarion) : «La France est haïe car les Français l'ont laissée se vider de sa substance, se transformer en simple territoire de peuplement, en un petit bout d'Eurasie mondialisée.»

Le temps des barbares

A dire vrai, la France se laisse voir dans un état inquiétant. L'archevêque de Paris, Mgr André Vingt-Trois, a fait un bon diagnostic, dimanche : «Le blocage des institutions démocratiques, l'intimidation, le vote forcé, les décisions enlevées à l'arraché, la destruction des outils intellectuels, livres et instruments de travail, tout cela a fonctionné en Europe au XXe siècle, en Allemagne et en Russie. Notre démocratie devrait avoir honte de voir resurgir en son sein les fantômes du totalitarisme.» [une certaine gauche encensait ces pratique sous le nom de démocratie populaire, aujourd'hui, on appelle cela "démocratie directe" ou "mouvement citoyen", mais toujours pratiqué par le même type de violents, se donnant la mission de guider le peuple qui ne n'en demande pas tant.]

Il y a de quoi être effrayé par le vandalisme des extrémistes qui ont mis à sac la Sorbonne, l'Ecole des chartes, l'Institut des hautes études en sciences sociales, et qui ont incendié une librairie à Saint-Germain. [Ah non, ça c'est bien, c'est "citoyen", puisque ça vient de la gauche, il faut les comprendre ces pauvres petits traumatisés par l'affreux libéralisme.] Effrayé aussi par les razzias de nazillons venus des cités et par leurs violences, y compris contre des femmes. [Il faut les comprendre ces pauvres petits traumatisés par l'affreux libéralisme, (bis repetita ...)]

L'école, apparemment, ne sait plus faire respecter les hommes, la culture, les livres. Faillite étourdissante.

Voilà à quoi joue l'Education nationale : A Grasse (Alpes-Maritimes), au centre loisirs, éducation, culture des Aspres, un millier d'enfants d'une dizaine d'années sont invités à travailler sur le thème de la revendication (information fournie par SOS-Education). Il leur est demandé d'imaginer des slogans et de confectionner des banderoles, en vue d'une manifestation fictive, prévue le 4 avril. [Le pire, le plus navrant, c'est que ça ne m'étonne même pas]. Ainsi se forme une génération de quémandeurs. Il y avait des 12-14 ans dans les défilés.

Le dressage «citoyen» éveille-t-il au moins les consciences ? Après la mise à mort de Sohane Benziane, 17 ans, brûlée vive en octobre 2002, les indignations ont vite oublié la lapidation de Ghofrane Haddaoui à Marseille, l'agression au couteau contre l'enseignante Karen Moutet-Toutain, Chahrazad Belayni transformée en torche vivante, Jean-Claude Irvoas lynché devant sa famille, la femme handicapée aspergée d'essence dans un bus, les insultes contre le gendarme Raphaël Clin agonisant, le martyre d'Ilan Halimi, etc. Oui, le temps des barbares. [A lire dans Le Monde, l'effrayante absence d'empathie pour leur victime des "appats" d'Ilan Halimi]

Contre-manifestations ?

C'est cette société à l'abandon qu'il faut changer. Or cette préoccupation semble étrangère aux milliers de manifestants, qui font trembler aujourd'hui l'UMP. Les opposants au CPE, fonctionnaires pour une large part, n'ont d'autre ambition que de préserver des mécanismes dont ils sont les bénéficiaires. Aussi la jeunesse en colère est-elle mal inspirée de joindre sa cause à ceux qui la victimisent pour défendre un système en panne. Pour ces raisons, Dominique de Villepin donne un bon exemple de résistance, en s'affranchissant de la tyrannie du consensus. [Le consensus est fusionnel, d'essence totalitaire. Ce qui est démocratique, c'est la discussion, le débat, grand absent des dernières semaines]

Ces prochains jours diront si Jacques Chirac lui permettra d'aller au bout de sa «thatchérisation». [si seulement ça pouvait être vrai] Si la rue devait avoir gain de cause, d'autres Français pourraient bien y descendre à leur tour (certains manifestent déjà chaque dimanche après-midi devant l'Hôtel de Ville, à Paris) pour réclamer les indispensables réformes.
«Ici, chez nous»

Dans Libération, hier : Le café La Mer à Boire (XXe) a vu son exposition de caricatures sur les religions saccagée par des «jeunes». Les «grands frères» ont prévenu les responsables du bistrot : «Vous êtes ici chez nous, vous devez faire ce qu'on veut. On va aller chercher les Frères musulmans de Belleville.» Les loups sont entrés dans Paris. [Phrase sans doute excessive, mais je partage l'intention]

irioufol@lefigaro.fr

"Le système français de l'emploi est porteur de précarité"

Cet entretien est assez long et ne ramènera à la raison que ceux qui n'en ont pas quitté le chemin. Les autres, tout à leurs fantasmes, continueront à se délecter d'images morbides de périls extérieurs qui justifient au fond de ne pas se prendre en mains : le patron buveur de sang, la mondialisation dévorant les humains, un premier ministre ne rêvant que d'écraser l'opposition sous sa botte libérale, la précarité purulente s'abattant comme la peste sur le travailleur de bonne volonté.

Elie Cohen, à l'émission C dans l'air, a piqué une grosse colère face à une étudiante de l'UNEF qui geignait pour un salaire étudiant : les études sont la période intellectuellement la plus sitimulante de la vie, voir des étudiants qui criaillent après l'assistanat a de quoi, effectivement, mettre les nerfs en pelote, c'est la "couch potatoes génération".

Mais allons, je me laisse emporter par la colère et je généralise hativement : si l'UNEF est aussi peu représentatif que les autres syndicats français, il n'y apas lieu d'accorder trop d'mportance à ses dires.

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Jean-Philippe Cotis, chef économiste à l'OCDE

M. Cotis : "Le système français de l'emploi est porteur de précarité"

LE MONDE 30.03.06 13h52 • Mis à jour le 30.03.06 16h53

Quelle est la place de la France dans le monde en matière de chômage ?

La France a un des taux de chômage les plus élevés de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Certains pays d'Europe centrale ont des taux supérieurs, mais sont en situation de rattrapage et réorganisent en profondeur leur marché du travail.

L'Espagne et la Grèce ont des niveaux équivalents à celui de la France, mais ils partent de plus haut et voient leur chômage baisser. En Espagne, le taux de chômage a été divisé par deux en dix ans. La France fait même un peu bien moins bien que l'Italie, qui a réformé son marché du travail, ou encore que l'Allemagne, pourtant pénalisée par la réunification et les difficultés rencontrées dans l'est du pays.

En France, le taux de chômage structurel, c'est-à-dire indépendant de la conjoncture, est stable depuis vingt ans, compris entre 9 % et 10 %. Le chômage conjoncturel, dit "keynésien", s'élève à près d'un point aujourd'hui. Une reprise économique dynamique permettrait à la France de faire reculer le chômage, mais une fois la conjoncture restaurée, l'essentiel du chemin resterait à parcourir.

Le niveau de chômage d'un pays est-il lié à sa taille ou à son degré d'ouverture à la mondialisation ?

Non. Les petites économies les plus "touchées" par la mondialisation, les plus ouvertes à la concurrence internationale, au commerce, aux investissements directs étrangers - comme l'Autriche, l'Irlande ou les pays scandinaves - ont des taux de chômage très bas. De très grands pays, comme les Etats-Unis, le Japon ou le Royaume-Uni ont aussi un chômage faible. Les causes du chômage français sont donc à rechercher du côté du fonctionnement du marché du travail.

Alors, quel est le problème français ?

La France est, avec l'Allemagne, la Norvège et les Pays-Bas, le pays de l'OCDE où le nombre d'heures travaillées par salarié est le plus faible et aussi où le taux de non-participation au marché du travail, qui regroupe les chômeurs et les inactifs, est parmi les plus élevés : environ 30 %. Les politiques malthusiennes, telles que les préretraites subventionnées, n'ont pas permis de réduire le chômage. Le problème français n'est pas la surabondance de main-d'oeuvre, mais la difficulté à créer suffisamment d'emplois.

Notamment d'emplois peu qualifiés ?

L'une des défaillances les plus notables en France est la faible création d'emplois en faveur des travailleurs peu qualifiés, dont la proportion est élevée, notamment chez les jeunes. Nos travaux concluent que le coût du travail peu qualifié - c'est-à-dire le cumul du salaire minimum et des charges patronales - peut constituer une barrière insurmontable à l'emploi pour certains.

Parmi les vingt pays de l'OCDE où la comparaison a été faite, la France est celui où le coût du travail peu qualifié reste le plus élevé en proportion du salaire médian. Il a même progressé plus vite que le salaire médian depuis 1998, en dépit des baisses de charges patronales. La France cumule à la fois plus de jeunes travailleurs peu qualifiés qu'un grand nombre de pays industrialisés et un coût du travail pour ce type d'emplois extrêmement élevé.

Des économistes évoquent aussi l'inefficacité du service public de l'emploi.

Deux modèles fonctionnent. Le modèle à l'américaine, où les indemnités de chômage et la protection de l'emploi sont faibles, les politiques de reclassement des chômeurs peu actives mais où les retours à l'emploi sont spontanément rapides. Le modèle nordique, où les indemnités sont généreuses et les politiques de reclassement actives et efficaces. Ces deux modèles sont économiquement acceptables. C'est un choix de société.

La France partage avec l'Europe du Nord un niveau d'indemnisation important mais son service public de l'emploi est loin d'avoir l'efficacité des pays nordiques. Un système où l'on indemnise les chômeurs de façon substantielle ne peut fonctionner qu'accompagné d'incitations adéquates et d'une capacité de reclassement importante. En France, ce service public est lourd et fragmenté, avec la séparation entre l'ANPE gestionnaire et l'Unedic payeur. Dans plus en plus de pays, les deux entités sont fusionnées. Le gestionnaire a ainsi des moyens d'incitation, de motivation mais aussi de sanction financière.

Le patronat dénonce le manque de flexibilité du marché de l'emploi en France.

Le risque, en matière de protection de l'emploi, c'est que le système soit mal calibré. Ce qui peut aggraver le chômage mais surtout créer un marché de l'emploi à deux vitesses avec des conséquences assez délétères en matière de cohésion sociale. Certaines populations comme les jeunes sont mal protégées, tandis que ceux âgés de 35-55 ans le sont très bien. Ce système est porteur de précarité.

Au-delà des clivages politiques, les économistes constatent que le système de protection de l'emploi français fait porter une trop grande responsabilité aux entreprises dans la gestion du licenciement. Tout se passe comme si les entreprises étaient appelées à suppléer le service public pour gérer le reclassement des salariés.

Dans d'autres pays comme le Danemark, c'est le service public de l'emploi qui se charge du reclassement des chômeurs. En France, une entreprise en difficulté qui souhaite licencier pour rester viable est détournée de cet objectif. Elle est confrontée à de longues procédures administratives et doit faire appel à des cabinets de conseil juridique...

Cela crée une incertitude pénalisante quant au coût du licenciement. Celui-ci peut donc être bien supérieur en pratique à ce qu'il devrait être en théorie. D'autant que la France est l'un des pays de l'OCDE où les recours judiciaires en cas de licenciement sont parmi les plus fréquents.

Cette "cogestion" forcée à la française - dans laquelle l'entreprise et le service public s'occupent du reclassement des personnes licenciées - crée beaucoup d'incertitude pour l'entreprise, ce qui la conduit en réponse à altérer de manière considérable la façon dont elle recrute.

Elle détourne alors les contrats de travail, tels que les CDD, qui avaient été conçus pour des besoins spécifiques comme les emplois saisonniers. A la fin des années 1990, 70 % des recrutements se sont faits avec des contrats alternatifs. Cette confusion des responsabilités a largement contribué à développer la précarité.

Si on réduit l'incertitude sur le coût des licenciements des CDI, on incite les entreprises à embaucher davantage sous ce type de contrat. Et on réduit la précarité.

Que préconisez-vous alors ?

Réduire l'incertitude pour les employeurs ne signifie pas paupériser les salariés. Bien au contraire, on peut concevoir à terme un contrat de travail avec un barème d'indemnisation connu d'avance et croissant avec l'ancienneté du salarié. Dès lors que son montant est connu à l'avance, l'indemnité de licenciement peut éventuellement être élevée. Le CPE, qui offre des indemnités et des garanties supérieures à celles d'un CDD, trouve alors son sens en tant qu'étape vers une unification des contrats.

Propos recueillis par Pierre-Antoine Delhommais, Eric Le Boucher et Virginie Malingre
Article paru dans l'édition du 31.03.06

Quand la pouvoir a oublié la République...

Quand la pouvoir a oublié la République...

PAUL FABRA dans Les Echos

«A lire les auteurs, dont la pensée représentait en quelque sorte l'idéologie officielle de la Troisième République, on s'aperçoit qu'ils sont rien moins que «jacobins» dans le mauvais sens du terme : ils savent... qu'il ne suffit pas de s'en emparer [de l'Etat] et de tout régir par son intermédiaire au nom de l'intérêt général pour fonder une république. » Dans l'indicible confusion des idées et des réflexes dans laquelle la France se débat, cette phrase offre une clef d'explication. Elle est extraite d'un livre tonique, fruit d'un travail capital. Sa publication date de l'automne dernier. Son titre : « Le Moment républicain en France ». Son auteur : Jean-Fabien Spitz, professeur de philosophie politique à l'université Paris-I-Sorbonne (1).

Mettre la main sur l'appareil d'Etat au moment où des officiers factieux défiaient la IVe République (2), c'est bien ce que le fondateur de la Ve a fait en mai-juin 1958 avec, il est vrai, un large soutien du peuple. Redonner à la France son « rang » impliquait, dans son esprit, de reléguer dans l'ombre les partis politiques, et donc le Parlement. Le général de Gaulle se donna quelques semaines pour la doter de « vraies institutions » et les faire approuver par le peuple. Cette hâte explique peut-être les pires absurdités qu'autorise la Constitution en vigueur depuis 1958. Par exemple, le fait que le chef de la majorité parlementaire ne soit pas le chef du gouvernement. Il aura fallu la récente « sortie » de Bernard Accoyer pour que certains « découvrent » cette anomalie. Les constituants de 1958 ont tourné le dos à deux siècles de maturation parlementaire en Europe. La même expérience avait enseigné ceci : ne pas placer sur une même tête les honneurs dus au chef de l'Etat et le pouvoir politique effectif !

Opposer aux déboires de la Ve les accomplissements de la IIIe pour ne pas parler de la IVe choquera sans doute plus d'un lecteur. Et pourtant ! C'est pour le moins rapide d'imputer au régime parlementaire l'effondrement de juin 1940. On en oublie que la même IIIe République avait supporté sans sourciller le choc terrible de la Première Guerre mondiale. Le régime autoritaire et bonapartiste précédent avait lamentablement succombé à la guerre de 1870. Le drame de 1940 se produit dans un monde frappé par une crise générale. On a du mal à en imaginer la profondeur abyssale. In extremis, la France républicaine, encore meurtrie par la boucherie de 1914-1918, reprend les armes aux côtés du Royaume-Uni. Les Alliés se posent ainsi en défenseurs de la cause de la démocratie libérale, presque partout délogée d'Europe (Madrid est tombé en mars 1939...), universellement contestée dans ses principes mêmes par les fascistes, par les marxistes, par beaucoup d'esprits tièdes. Nous sommes envahis par l'armée allemande, d'une puissance inouïe. La propagande nous avait persuadés du contraire !

A l'inverse, il est trop facile d'idéaliser la stabilité consécutive à la reprise en main de 1958. Dix ans jour pour jour après ce tournant, le premier président de la nouvelle République voit s'ouvrir devant lui le vide étatique et administratif (à l'exception notable de la police) qu'il redoutait tant depuis l'effondrement de juin 1940. La France officielle est en juin 1968 comme paralysée par une révolte d'étudiants rejoints par les syndicats. La restauration de l'Etat avait été entreprise en quelque sorte pour elle-même. C'est une démarche inverse que décrit Jean-Fabien Spitz. De 1880 à 1910, le régime cherche à se mettre en place. L'affaire Dreyfus, l'honneur de la France républicaine, n'est pas pour rien dans cette genèse. « Pour les républicains, écrit Spitz, l'Etat n'est jamais l'objet d'une attention sui generis, il n'est jamais un but en soi, et il n'a pas d'intérêt distinct de celui des individus, dont sa tâche est d'assurer la franchise contre toute domination. »

Signe des temps, le chercheur français a retrouvé le fil de la construction des consciencieux penseurs de la jeune République à travers les travaux non moins honnêtes d'historiens anglophones. Parmi eux, et traduit en français, l'Irlandais Philip Pettit (le maître, soit dit en passant, auquel Zapatero aime se référer), mais aussi Quentin Skinner, J.G.A. Pocock. Ces auteurs et d'autres ont redécouvert ce qu'ils appellent l'Atlantic Republican Tradition ou Thought (pensée). Ainsi la tradition républicaine est-elle replacée dans le fil d'un courant de pensée « euro-atlantique » qui remonte au milieu du XIXe siècle et, bien sûr, à l'époque des Lumières. Du coup apparaît assez artificiel le positionnement vis-à-vis du monde anglo-saxon d'un modèle français passablement insaisissable.

Ce n'est pas à dire que des différences, et même des oppositions, n'apparaissent pas déjà à l'époque où s'expriment les auteurs français, dont certains sont ressuscités (ils en valaient la peine !) par Spitz, après l'avoir été par des étrangers. Qui, en dehors des spécialistes, connaît encore Alfred Fouillée, « considéré comme le parrain intellectuel de la IIIe République » ? Un concept domine parmi tous les « républicains », américains, anglais, italiens ou français : une « République » a pour mission essentielle d'assurer l'égalité des chances entre ses citoyens. Ce principe est bafoué si le marché de l'emploi ne fonctionne plus !

Reste à déterminer si la « société », laissée à elle-même, ou plus précisément les « libres forces du marché » sont capables de créer par elles-mêmes les conditions de cette égalité. Un sous-courant de la tradition anglaise (devenu dominant de nos jours) estime que oui. Un Fouillée pensait aussi que l'Etat a pour fonction de garantir la propriété et l'exécution des libres engagements contractuels, mais qu'il fallait aussi des « lois sociales » pour ceux qui n'ont pas de propriété. Un Tony Blair dirait-il le contraire ?

(1)Gallimard, collection NRF Essais, 2005, 523 pages.(2) J'invite les lecteurs qui estimeraient trop polémique cet inévitable raccourci de se reporter au tout début de l'ouvrage « La Constitution » (Editions du Seuil, 1996) où le professeur Guy Carcassonne, très favorable à la Ve République, y analyse point par point le texte de base. Il en présente comme suit le préambule : « Le général de Gaulle a parcouru, dans une légalité de circonstance, le chemin de Colombey-les-Deux-Eglises à Paris. (...) Il n'était donc pas superflu (...) de réaffirmer les principes bafoués quelques semaines auparavant. »

jeudi, mars 30, 2006

La France souffre du mythe révolutionnaire

Peut-être sont ce les conséquences de ma lecture assidue de François Furet ? Il se trouve que je pense que la France souffre du mythe révolutionnaire.

Moins que jamais, dans un monde ouvert et multiple, la révolution violente me paraît un bon mode de changement politique.

C'est pourquoi voir les étudiants et les lycéens jouer aux révolutionnaires de paccotille (et que je te bloque les facs, et que je te bouche le périf, et que je monte des barricades, etc.) m'inspire beaucoup de pitié, plus encore que de la colère : ils paraissent si bêtes, si immatures (1), si déplacés.

Ils agissent sous pression du mimétisme et non sous celle de la nécessité. Nous sommes en démocratie, le gouverment change tous les cinq ans, il n'y a nulle nécessité de manifester pour se faire entendre : il suffit de convaincre un nombre suffisant de citoyens de la justese de sa cause.

Je ne perds pas de vue que distribuer des tracts et argumenter sur les marchés est nettement moins jouissif que de défiler tous ensemble en hurlant des slogans à la con, surtout qu'à la fin, clou de la journée, on peut balancer des trucs -pavés, oeuvres complètes de J. Chirac, etc.-sur les CRS ou regarder d'autres le faire. On se donne ainsi l'impression de faire l'histoire alors qu'on ne fait que quelques gesticulations ridicules.

Tout ceci prêterait à sourire, si il ne s'agissait pas de comportements violents qui peuvent à tout instant dégénérer en drame, si une minorité ne monopolisait pas la parole (2), si le dialogue politique n'en était pas interrompu.

(1) : j'ai moi aussi manifesté à 16 ans. Avec le recul, je ne suis pas persuadé que c'est ce que j'ai fait de plus intelligent !

(2) : Alain Besançon fait la remarque dans le Commentaire de ce mois-ci que, quand on a ouvert les yeux sur un fragment du totalitarisme, un voile se déchire et on le comprend en son entier. Il cite Ronald Reagan et les syndicats d'acteurs de 1950, le futur Benoit XVI et la Fraction Armée Rouge dans les années 70.

Je suis bien prêt à parier que certains étudiants, excédés par le blocage des facs, auront appris à cette occasion un respect de la liberté et un dégoût des atteintes à celle-ci, d'où qu'elles viennent, qui leur restera encore quand ces histoires de CPE seront depuis longtemps oubliées. Il ne suffira plus de se draper dans les pseudo bons sentiments pour leur faire prendre les vessies pour des lanternes.

Y a-t-il une bonne méthode pour réformer la France ?

Comme d'hab, mes commaentaires entre [], mes surlignements en rouge.

Y a-t-il une bonne méthode pour réformer la France ?

L'analyse de Guillaume Tabard * (Rédacteur en chef adjoint au service politique du Figaro)

30 mars 2006, (Rubrique Opinions)

Au pays de Descartes, le «discours de la méthode» reste la pierre philosophale recherchée par tous les gouvernements. Tant il vrai qu'un premier ministre est jugé plus souvent sur son style que sur sa politique, davantage sur sa conduite de l'action que sur ses résultats. Dominique de Villepin en fait aujourd'hui l'expérience avec la contestation du CPE.

Une loi débouche-t-elle sur une contestation d'envergure ? On invoque des erreurs de méthode ou de communication plutôt que d'admettre que le contenu même d'une mesure peut être en cause.

Qu'est-il reproché au chef du gouvernement ? D'avoir commis une triple erreur : sociale, économique et politique. Sociale en n'associant pas les partenaires sociaux à la définition de son projet de CPE, en contradiction avec la loi du 4 mai 2004 sur le dialogue social. Économique en refusant l'option d'une extension du CNE à toutes les entreprises. Politique enfin en donnant le sentiment de court-circuiter à la fois ses ministres, réservés pour plusieurs d'entre eux, et sa majorité, par l'usage du 49-3.

Mais la méthode de Dominique de Villepin eut-elle été autre, l'accueil du CPE aurait-il été différent ? On peut en douter. Si les organisations syndicales ne veulent pas du CPE, ce n'est pas d'abord parce qu'elles n'ont pas été consultées au préalable, mais surtout parce qu'elles sont en majorité hostiles à ce que l'on défriche le maquis du droit du travail français.

L'histoire économique, sociale, politique et «sociétale» de la France de ces trente dernières années le prouve : il n'est pas de réforme en profondeur qui ne bouscule des situations acquises et donc qui ne doivent subir l'épreuve de la contestation. Croire qu'il existe une méthode rendant la réforme acceptable est une vue de l'esprit. [J'en suis entièrement d'accord : on ne consulte pas, on est accusé d'autisme ; on consulte, on est accusé d'autisme parce qu'on ne cède pas aux voeux des syndicats.]

Main de fer ou gant de velours ? En 1995, Alain Juppé avait choisi la «méthode globale» pour sortir la sécurité sociale du gouffre des déficits, en prévoyant une mise en cause des régimes spéciaux de retraite des cheminots et un alignement des fonctionnaires sur la durée de cotisation des salariés du privé. Avec le succès que l'on sait. Mais de quoi Juppé a-t-il été victime ? De sa «rigidité», comme on le lui reproche aujourd'hui ? Non, tout simplement d'avoir voulu s'en prendre au corporatisme disposant de l'arme de pression la plus redoutable : le blocage des transports publics. [c'est la fameuse "heure thatcherienne" que j'appelle de mes voeux qui a été ratée]

Sept ans plus tard, Jean-Pierre Raffarin s'est attaqué à de lourds chantiers (les retraites, l'assurance-maladie) en espérant déminer le climat social par ce qu'il a appelé un «diagnostic partagé» de la situation. Cela lui a permis de gagner le soutien de la CFDT sur les retraites. Ce n'est pas rien. Mais il n'empêche : lorsqu'il a fallu dire clairement que le financement des retraites passerait par un allongement de la durée de cotisation pour tous et par le retour à l'équité entre la fonction publique et le privé, deux millions de personnes sont descendues dans la rue. Si la réforme est passée, c'est parce que le tandem Raffarin-Fillon a tenu face à la rue, pas parce qu'il a bien communiqué.

Inversement, le même Raffarin a expérimenté à son détriment qu'un espace trop large accordé au dialogue permettait aux égoïsmes de reprendre l'avantage sur l'attente de solidarité exprimée lors de la canicule, jusqu'à tuer une idée novatrice et courageuse : la transformation d'un jour férié en jour travaillé.

L'échec systématique de toute réforme de l'enseignement supérieur, voulue par la droite comme par la gauche, confirme que l'impossibilité à réformer tient parfois plus à la résistance d'un corps social [à mon avis, à part la SNCF, et encore, il n'y a pas corps social plus conservateur en france que le corps enseignant] qu'aux maladresses d'un gouvernement.

S'il n'y a donc pas de bonne méthode pour réformer en paix, il y a en revanche trois tentations dont un premier ministre doit se garder :

– la tentation du camouflage, d'abord. Si un gouvernement est prêt à moderniser la France en adaptant les thérapies libérales qui ont réussi partout ailleurs en Europe, il doit le dire clairement. Et marteler une pédagogie préalable en ce sens. Le paradoxe de Dominique de Villepin est de s'être attelé, courageusement, à cette tâche, tout en se posant en défenseur du «modèle social français» et en brandissant sa fidélité à un président qui avait proclamé un an plus tôt un «tournant social».

– La tentation de la globalisation, ensuite. C'est une tradition française : ça commence par une mesure simple et concrète pour l'emploi ; ça finit par un grand débat de fond sur la place des jeunes dans la société qui ne sert en général à rien d'autre qu'à habiller un recul. Qu'on se souvienne du risible autant qu'inutile questionnaire sur la jeunesse lancé en 1994 au lendemain du retrait du CIP. L'efficacité de l'action se conjugue mieux avec une batterie de mesures concrètes qu'avec la recherche d'un accord de fond avec des acteurs ayant des conceptions de l'économie ou du marché du travail trop éloignées. La seule question à se poser aujourd'hui devrait être celle de savoir si le CPE permet ou non à des jeunes de moins de vingt-six ans d'entrer sur le marché du travail ? Ouvrir le dialogue avec des syndicats organisant le blocage des facultés est peut-être un passage obligé pour sortir de la crise actuelle. Faire de l'Unef et de la CGT des experts qualifiés pour offrir des perspectives d'avenir aux jeunes serait un choix périlleux.

– La tentation de la reconnaissance, enfin. Parce qu'une réforme difficile est par nature impopulaire, un ministre ou un premier ministre est tenté de ne mettre en avant que ses aspects les plus «gratifiants», comme le disait Jean-Pierre Raffarin. Démarche compréhensible mais recélant deux aspects pervers : éluder ses aspérités, d'une part, ne prépare pas l'opinion à accepter des évolutions nécessaires ou inéluctables ; promettre des garanties auxquelles l'opinion ne croit pas plus contribue à ruiner le crédit de la parole politique.

Assumer et porter jusqu'au bout des réformes bousculant les conservatismes suppose soit une capacité de résistance inoxydable : c'est la volonté, à ce jour, de Dominique de Villepin ; soit une légitimité populaire renouvelée : c'est le pari de Nicolas Sarkozy pour 2007.

Remettons en une couche avec le CPE

Toujours extrait du même site (lien en cliquant sur le titre).

Remettons en une couche avec le CPE

Où l'auteur, sous couvert de défendre le CPE, l'enterre peut être pour de bon.

Bon, je craque, je refais une note sur le CPE, parce que là, je crois que je vais surprendre.

Un débat est né dans la blogosphère juridique sur la constitutionnalité du CPE.
François de droit administratif (oui, c'est une particule) a fait un billet académique en deux parties deux sous parties, qui n'a pas emporté ma conviction (je lui réponds en commentaires).
En substance, pour lui, il y aurait rupture de l'égalité car ce contrat ne s'appliquerait qu'aux "jeunes de moins de vingt six ans" et pas par exemple aux jeunes de cinquante six ans ou ceux de cent deux ans (l'exemple est de moi, François est austère comme un janséniste et ne se permettrait pas ce genre de piètre humour).

Je ne le pense pas car le Conseil constitutionnel ne prohibe pas toute différence de traitement dès lors qu'elle repose sur un critère objectif (ici, l'âge, c'est parfaitement objectif), licite (pas de critère de race ou de sexe, par exemple), et fondé (ici, on invoque le fort taux de chômage des jeunes). Ca me semble conforme.

Mais le critère de la rupture de l'égalité pourrait parfaitement fonder une censure totale du CPE, sous un angle totalement inattendu, si les Sages ont eu la curiosité de sortir leur calculette.
Imaginons une entreprise qui embauche trois jeunes de moins de 26 ans : Alain, Bernard et Charles. Elle les embauche le même jour et les paye au SMIC soit 1350 euros brut pour arrondir (1357,07 exactement pour 169 heures mensuelles).

Alain est embauché en CPE, Bernard en CDI, Charles en CPE (en effet, la loi ne substitue pas le CPE au CDI, elle crée cette possibilité, l'employeur peut choisir, le salarié exprimer une préférence).

Alain est licencié le 23e mois, Bernard pour cause réelle et sérieuse le 21e mois, Charles le 25e mois.

Alain a un mois de préavis, qu'il effectue. Il touchera l'indemnité de rupture de 8% soit 2592 euros (8% de 1350 euros brut X 24 mois travaillés).

Bernard, en CDI, a deux mois de préavis qu'il effectue et quittera son emploi le 23e mois, le même jour qu'Alain : il touchera zéro euro d'indemnité. En effet, l'indemnité légale de licenciement n'est dû qu'après deux ans d'ancienneté, seuil non atteint ici. A ancienneté égale, on passe de 2592 euros à zéro.

Charles est quant à lui en CDI de droit commun, la période de consolidation étant terminée. Il effectue deux mois de préavis, et touche l'indemnité légale de licenciement. Soit 270 euros, en supposant qu'il a pris tous ses congés payés : un dixième de mois par année d'ancienneté soit 20% de 1350 euros.
Moralité : Employeurs, vous voulez licencier des jeunes ? Prenez les en CDI, ça coûte moins cher. Etudiants, vous voulez être protégés ? Demandez que le CPE dure dix ans ! [Je ne crois pas les troupeaux anti-CPE assez intelligents pour le comprendre, quant aux individus anti-CPE encore faudrait il pour leur causer dans le calme]

Nous avons donc des personnes issues de la même population, les moins de 26 ans, celle visée par le CPE, qui dans des situations identiques, ont un traitement non pas seulement différent, mais carrément opposé. Là, le Conseil constitutionnel tient un moyen d'inconstitutionnalité très fort, en espérant que ça ne leur échappe pas, puisqu'il y a gros à parier que le recours déposé par l'opposition n'aborde pas l'angle de la rupture d'égalité au détriment des jeunes en CDI, mais se contente de l'angle inverse, qui me paraît moins solide.

Bon, les anti-CPE arc-boutés sur le thème de la précarité et du CPE complot libéral seront sceptiques : le CPE serait-il en fait un piège à patron ?

Non, mais sans doute un miroir aux alouettes (qui est un appât, pas un piège).

En effet, il y a un point qui est passé sous silence dans mon exemple et qui est la clef de l'attrait que peut avoir le CPE pour les employeurs, mais il relève plus de la théorie économique et de la psychoéconomie que du droit (comme quoi les accusations de monomanie à mon encontre sont infondées).

Licencier un CDI crée un risque, celui du contentieux prud'homal, risque qui pèse sur l'employeur.

En effet, Bernard et Charles pourraient saisir le conseil de prud'hommes pour contester la cause réelle et sérieuse de leur licenciement. C'est à l'employeur de l'établir, de fournir au CPH les preuves de son caractère réel et sérieux. Cela a d'ores et déjà un coût fixe : frais d'avocat, salaire de la DRH pour suivre ce dossier et réunir les preuves, et en principe, deux demi journées de présence au CPH, la comparution des parties en personne étant le principe.

S'il ne parvient pas à établir la cause réelle et sérieuse, il doit indemniser l'employé de la rupture. Pour Bernard, c'est le montant exact de son préjudice, qui peut être conséquent : par exemple, fixé au salaire qu'il aurait dû percevoir entre le licenciement et le moment où il a trouvé un nouvel emploi s'il justifie avoir activement cherché. Vous imaginez si le chômage a duré deux ans... Pour Charles, cette indemnité ne peut en tout état de cause être inférieure à six mois de salaire, même s'il a retrouvé du travail tout de suite, du fait de son ancienneté de deux ans, c'est le code du travail.[1]

Or, en économie, on connaît la force de l'aversion au risque. A ce sujet, je vous recommande la lecture de cette passionnante note d'Econoclaste sur le sujet.

C'est précisément ce sur quoi table le CPE : supposer que pour convaincre l'employeur d'embaucher un jeune de moins de 26 ans, et vaincre l'aversion au risque d'un procès aux prud'hommes s'il doit le licencier, il préférera la certitude d'une perte de 3240 euros dans le cas d'Alain (l'indemnité totale payée par l'employeur est de 10% dont 8% pour le salarié et 2% aux ASSEDIC) que la crainte d'une perte indéterminable dans le cas de Bernard. Car gagner un procès aux prud'hommes lui coûterait sans doute moins cher que ces 3240 euros, et il n'est même pas certain que Bernard porte l'affaire en justice. Et c'est pourquoi le gouvernement s'arc-boute sur la non-motivation de la rupture, car si les motifs pouvaient aisément être discutés devant le CPH, le CPE perdrait cet avantage psychologique (parce qu'économiquement, on l'a vu, il est ruineux par rapport à un CDI).

Voici la fort étonnante conclusion du jour : le CPE n'est pas la jeunesse livrée en cadeau au patronat, mais une sacrée protection offerte à celle-ci en jouant sur les crainte de celui-là.
Et si le CPE est sans doute contraire à la constitution, c'est parce qu'il protège trop les jeunes qui en seront titulaires au détriment des jeunes qui ne se seront vu proposer qu'un CDI.

PS : le droit social n'est pas mon activité dominante, je saurai gré à quiconque pourra me signaler mes erreurs.
Notes
[1] Au passage, vous remarquerez que le seuil de deux ans retenu dans le CPE correspond à un seuil important en droit du travail, il y a cohérence : seuil de l'indemnité de licenciement, seuil de l'indemnité minimale de rupture abusive… Réduire la période de consolidation à un an créerait un hiatus dans la protection du salarié puisque pendant la 2e année, il pourrait être licencié sans indemnité.

C'est amusant, le droit, hein ?

mercredi, mars 29, 2006

Faisons le point sur le CPE

Certes ce message est long mais je crois qu'il est nécessaire, néanmoins pour les paresseux, j'ai rougi quelques phrases essentielles. J'en ai marre de tous ces petits rigolos qui font d'autant plus de bruit que leur pensée est plus courte et leur réflexion plus absente.

Pour résumer, mais ça fait longtemps que j'en suis convaincu : CPE, beaucoup d'agitation pour rien, gouvernement pas doué et opposants malhonnêtes ou manipulés.



Faisons le point sur le CPE

Par Eolas, samedi 25 mars 2006 à 23:38

Où l'auteur règle ses comptes suite à un traumatisme de jeunesse.

Le CPE occupe une grande partie de l'actualité et entraîne "grèves" et "blocages" en série dans les établissement d'enseignement. Je reviens dans un instant sur la présence de guillemets.

Le feu a été mis aux poudres par la création du CPE par la loi de lutte contre les discriminations, adoptée par le parlement et en cours d'examen par le Conseil constitutionnel. Notons au passage que cette loi est bien la seule qui soit en train de passer un examen en ce moment (rires enregistrés). Ce contrat ne figurait pas dans le projet de loi initial, il a été ajouté par un amendement gouvernemental.

Commençons par quelques considérations politiques : bien sûr que l'ampleur du mouvement actuel n'est pas dû à ce qu'est le CPE lui même, mais par ce qu'il représente : une sorte de symbole de capitulation devant la précarité, une mesure ressentie comme libérale, ce qu'elle n'est pas, de même que les sondages qui montrent qu'une majorité de français sont pour un "retrait" du CPE ne montre pas une désapprobation de l'opinion sur cet article de loi, mais une volonté du retour à l'ordre. Ajoutons à cela l'opportunité saisie par l'opposition de se refaire une unité à bon compte sur le dos du gouvernement, et un mécontentement plus légitime des syndicats représentatifs, et voici la recette de l'indigeste ratatouille que nous a concocté le premier ministre et qui met le feu à une librairie, quelques voitures, et voit le parc informatique de l'EHESS inopinément réduit. Bref, un gâchis.

Avant de nous intéresser à l'aspect strictement juridique du CPE, quelques précisions sur les propos que je viens de tenir :

Je mets des Guillemets à "grève" et "blocage" parce que je n'aime pas que des mots impropres soient employés pour cacher une réalité autre et parfois moins flatteuse.

Comme je le répétais régulièrement à mes camarades de faculté à chaque fois que les bouillants délégués de l'UNEF et UNEF-ID jouaient les Jaurès des futurs Bac+5, la notion de grève de lycéens ou d'étudiants est absurde. Las, mes explications devaient généralement s'arrêter là, couverts par les lazzis démocratiques et contrecarrées par cette explication lumineuse : dès lors que l'assemblée générale avait voté la grève, affirmer qu'elle était absurde était du fascisme. Maintenant que je suis roi chez moi, je vais enfin pouvoir rappeler cette évidence sans être interrompu : la grève est la cessation concertée du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles. Or je n'ai jamais été payé pour étudier, c'était même plutôt le contraire. De plus, être étudiant n'est pas un métier, sauf chez les meneurs les plus enragés, qui étaient triplants et semblaient en avoir fait un plan de carrière ; d'ailleurs, une de leurs revendications était l'annulation des examens et l'attribution à tous du passage dans l'année supérieure.

Cesser de travailler pour un étudiant, outre que cela suppose d'avoir commencé, ce qui n'était pas le cas de tout le monde, revient à se mettre lui même en péril et à s'infliger des lacunes difficiles à rattraper. C'est une démarche suicidaire et en tant que telle, malsaine.

De même que le "blocage" des facultés porte un autre nom : entrave concertée aux libertés par voies de faits et violences, article 431-1 du code pénal, 3 ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende. Rappelons que certains, qui ne font rien, se prennent trois mois fermes juste parce qu'ils sont là.

Le terme "retrait" est lui aussi entre guillemets, parce qu'un détail semble avoir échappé aux organisations étudiantes et lycéennes qui posent comme préalable à toute négociation une capitulation sans condition (rappelons que c'est sur ce principe là qu'a fonctionné la première guerre mondiale). En démocratie, le gouvernement n'a aucun moyen de "retirer" une loi votée par le parlement. Ça s'appelle la séparation des pouvoirs, et à cause des élucubrations d'un obscur magistrat bordelais, on en a fait un principe constitutionnel. Donc exiger le retrait de ce texte est demander la violation de la constitution, ou de faire voter une loi abrogeant cette loi, qui prend du temps en démocratie. Répondre à l'autisme du gouvernement par un autisme dans la revendication ne me paraît pas une saine base de départ.

Bon, mais alors, le CPE, c'est quoi au juste ?

C'est un article de loi, l'article 8 de la loi adoptée définitivement le 9 mars 2005 par le Sénat. Il n'est pas d'abord facile car comme c'est souvent le cas, il renvoie par citation à d'autres articles de loi qu'il faut lire pour comprendre (sachant que certains de ces articles renvoient eux même à d'autres). Le Code de procédure pénale en est une illustration caricaturale mais faisant pâle figure à côté du code général des impôts.

En voici donc une transcription en français intelligible par les mortels n'ayant pas perdu les plus belles années de leur vie à lire le journal officiel (je garde la division en chiffres romains de l'article de loi) :

I. - Le CPE s'applique à toutes les entreprises du secteur privé sauf celles de travail à domicile, de plus de 20 salariés, pour l'embauche d'un "jeune âgé de moins de vingt-six ans" (sic). La loi ne précise pas quand les jeunes de plus de vingt six ans cessent d'être des jeunes.

Il ne doit pas être conclu pour un poste correspondant aux cas relevant des CDD[1]. La raison en est simple : la protection d'un salarié sous CDD est plus forte que celle d'un salarié sous CDI ou CPE. Oui, même qu'un salarié sous CDI, car un CDD ne peut être rompu que pour faute grave ou lourde, et donne droit à une indemnité de précarité de 10% des salaires perçus.

II. - Le CPE est un contrat à durée indéterminée. Il est établi par écrit, le seul contrat de travail verbal étant le CDI. Donc si un CPE n'est pas conclu par écrit, c'est automatiquement un CDI.

La procédure de licenciement de droit commun pour faute personnelle ou motif économique ne s'applique pas durant les deux premières années, sauf les garanties en cas de faillite de l'employeur.

Si le salarié a effectué des stages ou des missions d'intérim dans l'entreprise, ces durées sont prises en compte pour le calcul de la période de deux ans.

Le CPE peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié par lettre recommandée avec avis de réception. Si le salarié était présent dans l'entreprise depuis plus d'un mois, il y a un préavis à respecter de deux semaines, qui passe à un mois au-delà de six mois de présence. En cas de faute grave, il n'y a pas de préavis, comme pour un CDI ou un CDD.

Sauf faute grave, l'employeur doit verser une indemnité au salarié licencié égale à 8% de la rémunération totale brute qu'il a perçue. En outre, l'employeur paye une taxe de 2% versée aux ASSEDIC. Le total est donc de 10% pour l'employeur, soit l'indemnité de précarité versée en cas de non renouvellement d'un CDD (sauf que celle-ci est intégralement versée au salarié).

Le salarié a un délai d'un an pour contester cette rupture devant le conseil de prud'hommes, contre cinq ans pour un contrat ordinaire. Ce délai doit être mentionné dans la lettre de rupture pour s'appliquer, sinon, la forclusion est de cinq ans.

L'employeur qui envisage de rompre un CPE doit informer préalablement les institutions représentatives du personnel comme pour un licenciement économique, ce qui n'est pas le cas d'un licenciement de droit commun. Il est passible de prison s'il ne le fait pas (délit d'entrave).
Un salarié titulaire d'un CPE candidat ou élu à une élection sociale (représentant du personnel, membre du comité d'entreprise, conseiller prud'homme...) a la même protection que tout autre salarié (autorisation de l'inspection du travail pour procéder au licenciement).

En cas de rupture du CPE, l'employeur ne peut conclure un nouveau CPE avec ce même salarié avant trois mois (pour éviter la succession de CPE par rupture / embauche).

Le titulaire d'un CPE a droit au congé de formation et au droit individuel de formation comme tout salarié.

III. - Un salarié ayant travaillé quatre mois sous CPE a droit à une prise en charge des ASSEDIC en cas de rupture, au lieu de six mois pour un contrat ordinaire ; mais ses droits sont plus limités dans le temps (sept mois au lieu de douze).

IV. - Le CPE fera l'objet d'une évaluation au 31 décembre 2008 pour qu'une réforme soit envisagée. Ne vous faites aucune illusion : ce genre de promesses n'est jamais tenue par le parlement ni par le gouvernement.

Les critiques à l'encontre de ce texte sont nombreuses, et comme souvent, ce ne sont pas celles les plus rabâchées qui sont les plus pertinentes. Commençons par évacuer les critiques infondées :

"Le CPE a une période d'essai de deux ans".

Non, la période initiale de deux ans n'est pas une période d'essai. Le CPE peut avoir une période d'essai comme tout contrat : l'article L.122-3-2 du code du travail qui prévoit cette période ne fait pas partie des articles du code du travail exclu pour le CPE. Le CPE est même incidemment plus protecteur qu'un CDI car un préavis est dû au bout d'un mois, même si la période d'essai fait deux mois. Je ne suis pas sûr que cette subtilité ait été voulue par le gouvernement : c'est le risque des lois qui renvoient à des articles d'une autre loi, le législateur ne vérifie pas toujours toutes les conséquences que cela peut avoir. Si une période d'essai a été stipulée (ce n'est pas automatique), la période qui s'étend du troisième au vingt-quatrième mois n'est pas une période d'essai : on parle de "période de consolidation" bien que ce terme ne figure pas dans la loi.

Quelle est la différence ? Pour le salarié, elle est de taille. Pendant la période d'essai, le contrat est rompu à la réception de la lettre recommandée, sans préavis ni indemnité de rupture : seuls sont dus les salaires pour les heures effectuées et non encore payées. Pendant la période de consolidation, un préavis doit être respecté, de quinze jours ou un mois, et une indemnité de 8% du salaire brut est perçue par le salarié. Rappelons que pour un CDI, le préavis est de deux mois. Surtout, l'indemnité légale de licenciement dans le cadre d'un CDI n'est due que pour les salariés ayant plus de deux ans d'ancienneté (article L.122-9 du Code du travail) et elle est de deux dixièmes de mois par année d'ancienneté.

Vous voyez la logique du dispositif : Période d'essai, premier mois : aucune protection, du 2e mois au 3e mois : 15 jours de préavis ; du troisième au sixième mois : 15 jours de préavis, indemnité de 8% ; du sixième au vingt-quatrième mois : un mois de préavis, indemnité de 8% ; au delà du vingt-quatrième mois, procédure de licenciement, préavis de deux mois, indemnité de deux dixièmes de mois par année d'ancienneté (qui est incidemment est inférieure aux 8% prévu en cas de rupture du CPE). Il y a une mise en place progressive du dispositif de protection du salarié.

"Les employeurs peuvent licencier sans motif".

Celle là mérite le pompon de la bêtise ou de la mauvaise foi, selon que celui qui tient ces propos y croit ou non.

D'abord, au risque de surprendre, un employeur qui n'a pas de motif de licencier un salarié ne le licencie pas (murmures étonnés). En fait, la critique qu'on pourrait raisonnablement exprimer est que l'employeur pourrait licencier pour de mauvais motifs, ou des motifs inavouables ; mais on ne provoque pas des manifs en faisant des critiques raisonnables.

Quand un employeur décide de rompre un contrat de travail, il a nécessairement une raison pour ce faire. En droit du travail, hors la période d'essai, il doit l'indiquer au salarié en lui permettant de fournir ses explication, et lui notifier ces raisons par un écrit, la lettre de licenciement, que le salarié peut contester en justice devant le conseil de prud'hommes, où il appartient à l'employeur de prouver la réalité des motifs invoqués, ce qui est un renversement de la charge de la preuve, le principe étant que c'est au demandeur de prouver le bien fondé de sa demande.

La différence essentielle entre un CPE et un CDI est là : l'employeur n'a pas à donner ses motifs. Mais cela n'interdit nullement au salarié de contester son licenciement en justice.

Simplement, il sera dans la situation du demandeur habituel : à lui de prouver que son licenciement ne repose pas sur un motif légitime.

Je prévois aisément les objections qui seront soulevées : d'où diable sors-je ce motif légitime ?
De l'article L.120-4 du Code du travail et de l'article 1134 du Code civil dont il est le fils légitime.
Et oui, comme le rappelait très justement Paxatagore, le CPE n'est pas exorbitant du droit commun.

En dehors des dispositions strictement dérogatoires contenues à l'article 8 de la loi du 9 mars 2006 (date provisoire, seule compte la date de sa signature par le président de la République), ce sont les règles générales qui s'appliquent. Et le CPE, qui est un contrat de travail, doit être exécuté de bonne foi. Un employeur qui licencie un salarié de mauvaise foi viole ses obligations contractuelles et s'offre aux justes foudres de la justice prud'homale. Et rappelons que devant cette juridiction, la moitié des juges sont des élus syndicaux, les motifs d'un licenciement les intéresse toujours énormément, ils sont d'une curiosité maladive là dessus.

Je sens encore des sceptiques. Bon. Prenons la période d'essai. La loi dit clairement que chaque partie peut mettre fin au contrat par simple lettre sans donner quelque raison que ce soit. Les Conseils de prud'hommes admettent qu'on mette fin à une période d'essai parce que le feeling ne passe pas. Le contrat de travail est un contrat intuitu personae, c'est à dire que la prise en considération de la personne du salarié est un élement essentiel du contrat. Peu importe que le salarié recruté soit parfaitement compétent s'il est désagréable sans être malpoli, s'il sent de sous les aisselles, qui ne sont pas des motifs de licenciement mais peuvent ruiner une ambiance de travail.

Mais les conseils de prud'hommes ont néanmoins jugé qu'on peut rompre abusivement une période d'essai. Ils acceptent donc d'examiner les éléments apportés par le salarié et le cas échéant de condamner l'employeur. Un exemple que j'ai vu juger est l'employeur qui reconduit la période d'essai 48 heures avant d'envoyer la lettre y mettant fin. Ce renouvellement n'ayant manifestement pour objet que de permettre de licencier le salarié sans procédure, préavis ni indemnité, la rupture a été déclarée abusive.

Il y aura un contentieux de la rupture du CPE, si ce contrat entre en vigueur. Que sera-t-elle ?

Je l'ignore, mais elle ne laissera pas la salarié pieds et poings liés à la merci de l'employeur, c'est certain.

D'autres objections sont soulevées, mais aucune ne justifie les "grèves" des étudiants et lycéens et sont d'ailleurs absentes des mots d'ordre et slogans des manifestations. Examinons les quand même, car ce sont les plus sérieuses.

Le CPE violerait la convention C158 de l'Organisation Internationale du Travail (OIT).

C'est un argument soulevé par les députés de l'opposition ayant exercé un recours devant le conseil constitutionnel. Les conventions internationales ont en effet une force supérieure à celle des lois nationales (article 55 de la constitution).

Or l'article 4 de cette convention stipule que :

Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service.

Cet argument n'a à mon sens aucune chance de prospérer, pour deux raisons :

Le conseil constitutionnel refuse d'examiner la conformité de lois à des traités internationaux, car l'article 55 exige une condition de réciprocité, c'est à dire que les autres États signataires appliquent également ce traité. Il s'agit d'une condition pouvant évoluer d'un jour sur l'autre or le conseil juge de la conformité d'une loi à la constitution, et ne peut statuer en prenant en compte des éléments qui peuvent changer à peine sa décision prise.

De plus, comme je l'ai démontré ci-dessus, il y aura bien un contrôle de l'existence d'un motif, et la convention de l'OIT n'exige nullement que ce motif soit porté à la connaissance du salarié. Elle n'exige que deux choses : qu'il existe et soit valable. Le CPE ne contrevient pas à ces principes.

L'article 2 de cette convention exige qu'une période d'essai soit de durée raisonnable : je vous renvoie là dessus à mes explications sur la période de consolidation.

Le CPE violerait l'égalité entre salariés car il serait réservé aux moins de 26 ans.

Là encore, je ne pense pas que cet argument soit fondé. La constitution n'interdit pas toute différence de traitement entre salariés. Sinon, mieux rémunérer un salarié de 35 ans avec 5 ans d'expérience qu'un jeune diplômé sans expérience serait une discrimination prohibée. Puisque le CPE est ouvert à TOUS les moins de 26 ans, où est la discrimination ? Vis à vis des 26 ans et plus ? Mais le but avoué de la loi est de favoriser l'embauche de cette tranche d'âge, tout comme les aides publiques à l'embauche des jeunes ou les exonérations de charges accordées régulièrement, qui n'ont jamais été jugées discriminatoires.

Ce billet est déjà fort long, et je ne doute pas que des lecteurs auront d'autres objections à formuler. Je vous donne donc la parole, mais soyez averti : tout commentaire qui se contenterait d'être une reprise de slogans sera effacé. C'est pas la Sorbonne, ici.

Notes

[1] remplacement d'un salarié absent temporairement - maladie, grossesse…- ; accroissement temporaire d'activité ; emplois saisonniers ; remplacement d'un chef d'entreprise.

Deuxième note de l'auteur :

Il n'y a pas de transfert du risque économique sur le salarié, car le risque économique d'une embauche est nul pour celui-ci, l'alternative étant de ne pas avoir d'emploi donc pas de salaire.

Et la rupture d'un CPE est coûteuse pour l'employeur, à période égale bien plus coûteuse qu'un CDI. Prenons l'exemple d'un salarié au SMIC, soit 1350 euros brut par mois. Le contrat est rompu le 8e mois. Le préavis est effectué, il est d'un mois. Coût d'un CPE : 1215 euros dont 972 pour le salarié. Coût d'un CDI : 135 euros d'indemnité compensatrice de congés payés. Aucune indemnité de licenciement n'est due. Et c'est le salarié qui supporte le rique économique ?

La volonté de ne pas révéler le motif est aisé à comprendre : imposer de le révéler, c'est ouvrir la porte dans laquelle s'engouffreront les conseils de prud'hommes pour vérifier la légitimité de ce motif, ce qui serait la mort du CPE. Et votre suspicion a priori relève du préjugé. On peut démontrer qu'un motif inconnu est abusif, j'en cite un exemple. Et le débat est assez aisé à ouvrir. Le salarié licencié n'a qu'à apporter des preuves ou des indces crédibles qu'un motif inavouable est derrière ce licenciement, et le CPH demander à l'employeur ce qu'il a à répondre.

Si l'employeur se contente de se réfugier derrière la loi, il risque fort de succomber, car la loi n'interdit pas d'apporter la preuve contraire.

Il est relativement aisé de provoquer ce débat sur le motif de licenciement. Rappelons uqe les institutions représentatives doivent obligatoirement être consultées (et il y en a forcément, puisque le CPE s'applique uniquement aux entreprises de plus de 20 salariés). Le débat sur le motif aura lieu, j'en prends le pari.

Que penser de l'argument disant qu'un salarié sous CPE aurait plus de mal à obtenir un crédit ou un appartement ?

J'aurais tendance à répondre : mal fondé. Un CDI est aussi un contrat précaire, il peut être résilié à tout moment, sauf durant une grossesse. Ceux qui croient qu'il suffit d'un CDI pour obtenir crédits et appartements vivent dans une illusion béate.

Le CPE est-il du vent ?

Non, le CPE n'est pas du vent. C'est un texte de loi, applicable dès sa promulgation au JO. Je n'appelle pas ça du vent.

Les réactions peuvent être justifiées, c'est leur forme que je conteste. Le blocage des facs n'a aucune excuse ni justification à mes yeux.

Je suis d'accord avec vos critiques sur la méthode.

Quant à l'usage de l'expression "jeune de moins de 26 ans", elle est ridicule mais n'est pas l'élément essentiel de cette loi.

Vient un commentaire d'un lecteur :

Je trouve personnellement que le CPE est une mauvaise solution à un problème mal posé :- le problème est mal posé car ce n'est pas l'âge qui entraîne le chômage mais le manque d'expérience et le coût associé au risque. On peut avoir 27 ans et galérer...- ça me semble être une mauvaise solution car elle ajoute encore un cas particulier à un droit du travail qui me semble déjà fort complexe. Qui plus est, il ajoute une discontinuité (au sens mathématique) entre <26>26 ans [toujours l'injustice de l'effet de seuil des mesures discrminatoires ... positives ou non] . Donc en dehors des risque évoqués par les manifestants (précarisation) qui ne me semblent malgré tout pas totalement infondés (3 mois entre deux CPE consécutifs ça reste assez faible) même s'ils sont un peu exagérés, je pense que ça va poser plusieurs problèmes :- le plus grave : un >26 ans ne pourra conclure de CPE, ce qui signifie que les plus précaires ou faiblement qualifiés, ceux qui se reconvertissent par exemple risquent de se retrouver encore plus exclus car les entreprises embauchant des débutants préfèreront probablement des CPEs pour bénéficier non seulement de la "période de consolidation" mais surtout des allègements de charges afférentes.- Accessoirement, en dehors des X, beaucoup d'ingénieurs n'ont pas forcément de quoi "imposer leurs conditions", ce qui fait que des contrats qui auraient pu être des CDI seront probablement transformés en CPE dans des grosses sociétés comme ALTEN, ATOS... Autant le CNE se justifiait pour aider les petites entreprises (pour qui le risque constitue vraiment un frein à l'embauche), autant le CPE s'apparente davantage à un cadeau aux grandes entreprises, et ne changera à mon avis pas grand chose à l'emploi car elles auraient de toutes façons embauché.Une proposition plus astucieuse aurait été à mon avis de proposer dans le CDI un allègement de charge de la même durée ou proportionnelle à la période de chômage de l'individu, et décroissant progressivement (donc un individu resté 10 mois au chômage coûterait moins cher pendant 10 mois à son employeur, avec un coût se rapprochant progressivement de la "normale") : pas de discontinuité brutale, pas de discrimination sur l'âge, pas de nouveau contrat particulier...

Merci. Un commentaire non dogmatique, qui ne donne pas dans la caricature, qui donne une critique raisonnée. Merci de revenir aux standards de ce blog. Et vous aurez noté qu'à aucun moment je ne dis que le CPE est une bonne mesure ou fera reculer le chômage. Je critique la forme qu'a pris son opposition.

A un lecteur qui parle sempiternellement "des patrons" :

Quand vous dites "les patrons", vous parlez de l'hydre à mille têtes qui ne parle que d'une seule voix ou de la société secrète qui complote pour plonger l'humanité dans la misère ? Et si vous ne saisissez pas les sarcasmes : merci de citer votre source.

Les perdants

François-Xavier Pietri dans La Tribune

À n'en pas douter, la mobilisation d'hier - même si les cris de victoire des organisations syndicales sont à nuancer - vient fragiliser un peu Dominique de Villepin. Le Premier ministre, plus que jamais solitaire dans son exercice malgré l'appui affiché de son gouvernement, voit désormais le sort du CPE - et, qui sait, le sien - entre les mains de l'Élysée. Au passage, et sauf miracle, l'aspirant à la fonction suprême a probablement perdu une grande partie de ses chances, pour ne pas dire presque toutes, de concourir en 2007 à l'élection présidentielle. C'est d'autant plus vrai qu'au sein même de sa majorité, et sans parler de la voix naturellement discordante de Nicolas Sarkozy, des grincements de dents se font de plus en plus entendre à l'UMP. Grincements qui, souvent, précèdent de peu la morsure, tant il est vrai que des élus de terrain, qui craignent d'être pris à partie dans leurs circonscriptions, hésitent rarement longtemps avant de faire connaître à Paris l'ire de leurs administrés. À l'évidence, la droite n'aura rien gagné dans ce dossier.

Mais la grande perdante, ce sera probablement la France. D'abord parce que cette affaire n'est pas bonne pour la marche de l'économie, surtout quand celle-ci repose essentiellement sur la consommation des ménages. Ensuite, comme l'a d'ailleurs souligné la patronne des patrons, Laurence Parisot, parce que l'image du pays, déjà fragile à l'international, va en prendre encore un coup. Il y a quelques jours, le Figaro rapportait une intéressante étude commandée par l'université du Maryland démontrant que la France est le seul - bien lire le seul ! - grand pays au monde dans lequel la majorité de la population se déclare hostile à l'économie de marché. Les Chinois, pour des raisons qu'on comprend facilement, sont 74 % à la considérer meilleure pour l'avenir. L'étude vaut ce qu'elle vaut. Mais les événements des dernières semaines tendent à prouver que les Français ne sont pas encore prêts, alors qu'il serait temps, à se réconcilier avec l'économie. Et que notre classe politique, de droite comme de gauche, ne fait pas grand-chose, c'est le moins qu'on puisse dire, pour leur rendre le service de les y aider.

La "pensée" de café du commerce : entendu à la radio

J'entends le "philosophe" de bazar Michel Onfray déclarer :

"Je ne conteste pas le capitalisme, qui est une manière de créer des richesses. Je conteste le libéralisme qui est une manière de les répartir."

Mieux vaut entendre ça que d'être sourd ! Si c'est ça la rigeur philosophique, on n'est pas sorti de l'auberge.

> Le fait de séparer libéralisme et capitalisme est déjà en soi fort étrange.

> De plus, séparer la fonction de création de richesses et la fonction de répartition est complètement idiot : les deux sont étroitement interdépendants, les opposer est spécieux. La façon de créer les richesses est une répartition.

CPE : toute la France dans la rue ?

J'entends dire que que toute la France est dans la rue. Il ne faut pas exagérer. Qui y-a-t-il dans la rue ?

> le monde de l'éducation nationale, profs et étudiants, dont la profonde connaissance de l'économie est de notoriété publique.

> les salariés du secteur public.

Certes, ça fait du monde mais, je suis désolé, c'est loin d'être toute la France, ce n'est même pas la majorité.

Alors, on va me dire "Et les sondages ?". Je n'y accorde guère de valeur (voir Grève par procuration)

Au fait pour le CPE, que faire :

> suspendre l'application. Je pense que viendra en France une "heure thatcherienne" où les conservatismes et les corporatismes syndicaux devront être brisés par un gouvernement démocratiquement élu. Mais je pense que le CPE, qui est anecdotique dans le code du travail, soit le bon sujet de confrontation.

> attendre 2007 et espérer (car l'espoir fait vivre) que la campagne électorale ne sera pas qu'une bataille de mots mais aussi d'idées, par exemple j'aimerais qu'on dise chaque fois qu'on prononce "solidarité" on dise comment on finance.

Au fait, vive l'Allemagne !

mardi, mars 28, 2006

Le grand Charles


Une fois n'est pas coutume, j'ai regardé hier soir à la télévision sur France 2 le demi-film à propos de Charles de Gaulle.

J'avais préparé ma mitrailleuse à critiques mais j'ai été agréablement surpris. Bien sûr, il y a un coté apologétique, mais dans l'ensemble, ce film n'en fait pas trop.

Il est marqué d'un souci historique. C'est l'appel du 22 juin 1940 qui est diffusé parce qu'il n'existe pas d'enregistrement de celui du 18. Détail infime : l'avion montré dans le film est assez
proche du De Havilland Flamingo qui transportait De Gaulle (mis à part la couleur peut-être).

Il faut dire qu'il est servi par d'excellents acteurs.

Deuxième épisode ce soir.

Le grand Charles

Nota : le grand Charles était aussi le nom de l'avion de Pierre Clostermann.

L'antiracisme ordinaire

L'article qui suit ce message m'intéresse car il rejoint deux de mes lectures récentes :

> A. Finkielkraut pense que l'antiracisme est le communisme du XXIème siècle (je précise pour les attardés et les nostalgiques que ce n'est pas un compliment).

> un article anglais sur Sir Isiah Berlin publié dans City Journal explique que le relativisme intellectuel et la tolérance systématique ont été poussés au point de devenir un nouvel esprit dominant tout aussi intolérant que les anciens esprits dominants.

J'ajoute deux réflexions personnelles :

> je suis athée, je suis pourtant choqué des critiques médiatiques systématiques qu'encourent les catholiques à cause de leurs positions sur l'avortement et l'homosexualité, que je ne partage pas (ou pas entièrement concernant l'homosexualité). Je comprends cependant qu'on puisse tracer une ligne disant "Sur ce point, sur ces moeurs, je ne suis pas d'accord." et je trouve les critiques au nom de la tolérance obligatoire mal venues.

En effet, si l'on admet la liberté de penser, il faut que puissent advenir des désaccords irréconciliables, sinon "la liberté de penser" se limite à "la liberté de penser comme moi", ce qui n'est pas très surprenant venant d'une certaine gauche qui n'a jamais porté la pluralité des opinions dans son coeur. Je m'oppose au respect des différences, des communautés et des croyances, ce sont les hommes différents, les hommes d'autres communautés et les croyants que je respecte, et cette nuance n'est pas un simple jeu sur les mots, elle est fondamentale.

> la tolérance et l'ouverture sont par essence fluides, mouvantes et délicates. Elles sont donc menacées dès qu'une organisation en fait profession (1), ce qui est le cas des divers "mouvements" anti-racistes ; et la menace est d'autant plus grande que la récupération politique n'est jamais loin (d'ailleurs, ce mot "mouvements" appartient actuellement au vocabulaire de gauche, alors que par exemple "association" est plus neutre.).

Je comprends tout à fait le raisonnement d'AG Slama : les anti-racismes centrés sur des racismes particuliers deviennent des communautarismes et renforcent l'intolérance tout en déformant les relations sociales et la hiérachie des valeurs.

Que penser du petit noir de huit ans, décrit par Marc Le Bris, qui accuse son institutrice de racisme parce qu'elle le punit d'être turbulent ?

Faire de l'opposition racisme / anti-racisme la pierre de touche des relations individuelles est absurde et dangereux : cela renforce les antagonismes au lieu de les réduire, on est toujours le raciste de quelqu'un (moi-même, je me demande si on ne devrait pas limiter les migrations de Bretons). De plus, cela déplace les oppositions sur le terrain délicat de l'identité au lieu de les garder sur le terrains des actions : on attaque ce que je suis plutôt que ce que je fais. C'est le voleur qui traite le policier qui l'arrête de raciste : tu m'arrêtes pour ce que je suis et non pour ce que j'ai fait. Evidemment, ça pourrit et ça envenime la discussion.

Enfin, mettre l'accusation de racisme à toutes les sauces lui enlève sa gravité (à trop crier au loup ...).

Cette injonction officielle et médiatique à l'angélisme anti-raciste, intrusion inopportune de la collectivité, de la pression sociale et de l'opinion imposée dans les relations individuelles, est mal ressentie et finit par susciter une réaction en retour de banalisation du racisme : si le racisme est l'explication de tout et si chacun est le raciste de quelqu'un, pourquoi ne m'avouerai-je pas raciste, comme tout le monde ?

Alors que faire contre le racisme ? Rien. Le racisme n'est pas un sujet en soi. Le sujet, c'est la liberté individuelle et l'appartenance à une communauté : le destin d'un individu est-il déterminé par sa communauté d'origine ? En France, à cause d'une société figée, la réponse est de plus en plus positive. Libérez les destins et la communauté d'origine comptera moins.

Si mon raisonnement déroute, revenons aux faits: vingt ans d'actions judiciaires, de discours et de défilés anti-racistes ont ils été efficaces pour réduire le racisme en France ? Il est aisé de voir que non. A cette situation, deux réponses :

> l'habituelle fuite en avant : on n'a pas assez défilé, on n'a pas assez condamné

> la remise en cause : et si le racisme n'était pas le problème fondamental, mais le symptôme de problèmes qu'on a soigneusement contournés et occultés depuis vingt ans ? A savoir qu'il ne fait peut-être pas si bon vivre en France ? Que l'immigration n'est peut-être pas bénéfique pour les Français ? Et d'autres questions identitaires qui font mal ?

(1) : Simon Leys faisait la remarque que la Chine maoïste était très forte pour promouvoir l'amitié entre les peuples, mais beaucoup moins s'agissant de l'amitié entre les individus !


L'antiracisme ordinaire
Alain-Gérard Slama
27 mars 2006, (Rubrique Opinions Le Figaro)

Le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, remis mardi dernier au premier ministre, stigmatise, non sans raison, la progression en France d'un racisme ordinaire. On peut se demander pourtant, en lisant ce rapport, s'il ne faut pas s'inquiéter davantage encore de la banalisation de l'antiracisme ordinaire pour comprendre la poussée d'intolérance dont souffre notre société.

Les avancées du racisme ordinaire sont un fait indéniable. Selon une enquête CSA, 24% des Français se déclarent «un peu» racistes, et 9% «plutôt» racistes, ce qui fait beaucoup ; même si ce sondage est contemporain de la crise des banlieues qui a marqué la fin de l'année 2005, il y a lieu de s'interroger. On se doute que cet aveu n'a pas été arraché à des militants du Front national, ni aux partisans de M. Dieudonné ou de M. Ramadan, tous formés et entraînés à l'usage du double discours. Le rapport tire de l'enquête la conclusion, vérifiée et vérifiable, d'une «libération de la parole raciste».

Si l'on regarde, parallèlement, le nombre d'actes et de menaces racistes et antisémites avérés, le chiffre de 974 semble bien dérisoire. Tout se passe comme si le débridement des propos racistes remplissait une fonction d'exutoire et dispensait du passage à l'acte. Or si l'on se fie non plus aux chiffres mais aux témoignages, le climat des zones dominées par les minorités est marqué par une violence interethnique et inter-religieuse qui, à tous les niveaux, fait peur. Même le ministère de l'Education, bien connu pour chercher à minimiser autant que possible le phénomène dans l'espoir de calmer le jeu, donne une proportion d'actes racistes nettement supérieure aux actes recensés sur la base des plaintes recueillies par la police et la gendarmerie.

Entre les données quantitatives et les réalités qualitatives, la contradiction est patente et il est deux manières de la résoudre. La première, largement majoritaire à gauche et chez les militants des droits de l'homme, consiste à attribuer les violences émanant des minorités à leur exclusion sociale et non à leurs préjugés racistes, mais à imputer en revanche au racisme supposé latent dans le pays, et à lui seul, la responsabilité de l'exclusion. La seconde, représentée surtout à droite, retient une explication symétrique, justifiant par le racisme de minorités travaillées par le fondamentalisme religieux la montée de l'intolérance au sein de la société.

Entre ces deux thèses aussi chargées d'idéologie l'une que l'autre, il serait vain de vouloir trancher, ou de chercher un compromis. Mais, parce qu'il est pluraliste, et qu'il reflète fidèlement l'humeur du temps, le rapport de la CNCDH contient nombre d'éléments qui orientent vers une autre interprétation : la responsabilité dans la montée de l'intolérance d'un antiracisme ordinaire, qui, à force de banaliser l'incrimination de racisme, aboutit à l'inverse du but qu'il poursuit.

Non certes que cet antiracisme fabrique le racisme, mais son excès de vigilance radicalise le climat d'intolérance et de soupçon dont le racisme ordinaire se nourrit ; davantage, il tend à fixer, par l'abus du recours au droit et à la loi, voire à la délation, des comportements liés, pour la plupart, à la situation internationale et à la conjoncture économique et sociale.

Les annexes du rapport, consacrées aux contributions des principaux acteurs, sont particulièrement instructives à cet égard. Chacun voit midi à porte : le Mrap retient surtout le racisme islamophobe et la Licra privilégie l'antisémitisme. Leurs efforts devraient se conjuguer, et il leur arrive souvent de se rapprocher. Mais leurs campagnes les entraînent dans une escalade concurrentielle qui donne à l'islamophobie d'un côté et à l'antisémitisme de l'autre une centralité que tous les sondages, par ailleurs, démentent.

C'est ainsi que, en opposant un groupe à l'autre, et chacun de ces groupes à tous, la généralisation par plaques des campagnes antiracistes en arrive à fabriquer de toutes pièces une société multiculturelle. L'écolier juif des banlieues qui a toutes les chances de s'en sortir, mais qui redoute, tous les matins, de subir une violence réelle, impute à l'antisémitisme la timidité des sanctions frappant ceux qui le briment, et tend à se replier sur une communauté imaginaire. L'écolier musulman qui n'a pas à craindre cette violence, mais qui se sent rejeté, se laisse enfermer dans une identité religieuse plus ou moins imposée. Le politique, voyant le soutien qu'il peut retirer de ces clientèles, jure que la France est multiculturelle et qu'il faut en tirer les conséquences, comme cet obscur député du Var soudain porté devant les caméras de télévision après avoir soutenu une proposition de loi contre le blasphème.

Le mal français par excellence, qui ressort en particulier de la contribution de la Halde, est l'acharnement législatif et judiciaire d'une bureaucratie qui rêve de transformer par des interdits, une surveillance de chaque instant, des procès d'intention et des incriminations pénales chaque jour plus inventifs des mentalités que seuls l'école, les médias, la justice de droit commun et l'action sur l'environnement matériel peuvent faire progresser.

Vu d'ailleurs : "La France marche à reculons"

"La France marche à reculons"

LEMONDE.FR 28.03.06 11h38 • Mis à jour le 28.03.06 11h46

La même police anti-émeute, les mêmes gaz lacrymogènes, les mêmes jeunes "déchaînés"... Pour l'éditorialiste du New York Times, on pourrait s'y tromper : qu'il est tentant de dresser un parallèle entre les émeutes de l'automne et les manifestations du printemps ! Mais les différences sont là : en novembre, ceux qui se révoltaient étaient "les fils des immigrés d'Afrique du Nord", sans emploi ni avenir, et "il était difficile de ne pas éprouver de sympathie pour leur cause". En mars, ce sont "les étudiants privilégiés" qui descendent dans la rue, pour dénoncer un projet de loi "nécessaire", et qui se voulait "une réponse partielle aux mouvements des banlieues". Le quotidien américain l'affirme : les manifestants en France sont "bien mal avisés", "les étudiants devraient cesser de ne penser qu'à leurs privilèges et tenir compte de l'appel lancé par Jacques Chirac, pour un dialogue créatif afin de résoudre les vrais problèmes auxquels sont confrontés leur génération".

"UNE HAINE CARICATURALE DE L'ENTREPRISE"

Les quotidiens étrangers peinent à comprendre pourquoi la France tarde tant à mener des réformes qui s'imposent. "Le pays marche à reculons vers l'avenir", ironise le Boston Globe. "Les Français refusent de se rendre à l'évidence", et d'affronter les défis qui sont les leurs, renchérit Robert J. Samuelson, chroniqueur au Washington Post.

Le Temps de Genève, lui, dénonce "le divorce" grandissant "entre une rue qui condamne sans savoir et des milieux économiques qui expliquent sans convaincre". Comme beaucoup d'autres titres, il juge que la création du contrat de première embauche (CPE), certes mal expliquée, constituait un pas dans le bon sens. "Le CPE était une tentative, peut-être maladroite mais sincère", de faciliter l'entrée des jeunes sur le marché du travail, commente son éditorialiste. "Le voici rejeté, vomi de toutes parts. On n'a pas assez souligné ce que révèle ce rejet : une haine viscérale, caricaturale de l'entreprise, symbole de toutes les exploitations (...) Que la grande majorité des chefs d'entreprise aient simplement besoin d'un petit peu d'air pour équilibrer leurs comptes à la fin de l'année, voilà qui n'effleure pas l'esprit des opposants" au CPE.

LA TENTATION DU NON

Dans ces conditions, quoi qu'on dise, avec une France réfractaire au changement, "la révolution" n'est pas pour demain, estime le magazine américain Newsweek, dans son édition internationale. Mais à qui la faute ? L'hebdomadaire ne montre aucune complaisance pour la classe politique française. Le Parti socialiste, quelques mois après les émeutes des banlieues, se déchire pour savoir combien de femmes seront candidates aux prochaines élections. Et Dominique de Villepin ? Il est "un pur représentant de l'élite technocrate et statique du pays (...) Au lieu d'une réforme qui s'inspirerait de ce qui marche en Espagne, en Suède ou en Grande-Bretagne, pour ne pas parler des Etats-Unis ou de l'Australie, il a imposé une mini-mesure, une réformette." Newsweek résume ainsi la situation : "Des étudiants qui protestent contre le changement, des leaders syndicaux qui refusent la modernité, et des politiques qui ne savent que dire non." Le problème est "qu'à force de dire non, ils ne savent plus dire oui"...

George Melloan, chroniqueur au Wall Street Journal (accès payant) a une autre explication, face au blocage actuel : "La jeunesse, naïve, est exploitée par les syndicats qui savent exactement ce qu'ils font – défendre un système qui protège les salariés syndicalisés au détriment des chômeurs. Les manifestations sont le moyen utilisé par les syndicats pour montrer au gouvernement qui est le patron."

Peggy Hollinger, dans le Financial Times de Londres (accès payant), affine un peu le trait. Le problème des syndicats français est qu'ils ne peuvent que rester unis contre le CPE. S'ils cèdent, "cela encouragera le gouvernement à revenir sur le code du travail", et amoindrira "leur chance de séduire une nouvelle génération de travailleurs", alors que beaucoup des syndiqués actuels approchent de la retraite. Le quotidien financier n'oublie pas non plus que Bernard Thibault, à la tête de la CGT, et François Chérèque, à la tête de la CFDT, déjà chahutés par leurs troupes, briguent tous deux un nouveau mandat dans les semaines qui viennent : céder au gouvernement serait pour eux suicidaire. Inversement, leur victoire "risque de renforcer la valeur de la confrontation par rapport à la négociation", regrette-t-il par avance.

"UN PAYS PRÉCAIRE... POUR LES INVESTISSEURS"

L'image de la France à l'étranger en prend un coup. Nombreux sont les journaux à disserter sur "le malaise" ou "la crise" que traverse la France, à l'instar d'ABC de Madrid. Quoi de plus normal, dans un pays qui vient de faire un triomphe à une exposition du Grand Palais, à Paris, consacrée à la mélancolie, remarque le Washington Post : "La psyché française souffre de la peur."

Le milieu des affaires ne reste pas insensible à la situation. La France est déjà "précaire... pour l'investisseur", titre Le Temps. Et de détailler : "Le pays des Lumières se referme sur lui-même, multiplie les barrières au commerce. A l'indice de la liberté économique, il est 44e. Un rang derrière l'Italie. Préoccupée, plus par les présidentielles que par sa jeunesse sous-occupée, la France n'a pas fini de souffrir de sous-investissement." Le Financial Times nourrit le même constat en "une" : la crise actuelle fait peser une menace sur l'économie. Pour L'Agefi, quotidien financier suisse, ce problème est européen. Grève des fonctionnaires britanniques contre l'élévation de l'âge de la retraite, médecins qui manifestent outre-Rhin, appel à la grève lancé par le syndicat allemand IG Metall, grève des médias italiens... "Un peu partout en Europe, le climat est déliquescent et les tensions sociales particulièrement lourdes." Aucune réforme ne peut être mise en œuvre ? "Les marchés financiers vont bien finir par s'en apercevoir"...

Les joueurs de flûte

Pascal Aubert dans La tribune

Encore une fois des centaines de milliers de Français, jeunes et moins jeunes, vont descendre dans les rues des grandes villes de France au son des joueurs de flûte syndicaux et politiques. Encore une fois, ces centaines de milliers de Français sincèrement convaincus de la justesse de leur combat contre la précarité ne se rendent pas compte que les joueurs de flûte les conduisent à la noyade. L'ignorance des lois de l'économie n'explique pas tout. On flaire aussi, hélas, des relents de basse cuisine chez certains chefs politiques et syndicaux confrontés à des échéances personnelles décisives. Car depuis quelques semaines, on voit bien que, si les manifestants s'époumonent à reprendre en choeur les slogans anti-CPE -en proférant au passage d'énormes contre-vérités qui attestent de leur faible connaissance du dispositif proposé-, l'objectif principal des organisateurs de défilés n'est plus le chômage des jeunes mais de faire plier un chef de gouvernement qui a commis l'outrage suprême, celui de ne pas les avoir traité avec les égards qu'ils estiment leur être dûs. Ainsi la France doit-elle d'être mise sens dessus dessous à une blessure d'amour propre. Car demain, la tête de Villepin le téméraire peut bien rouler dans la sciure avec son CPE et les adversaires du Premier ministre en tirer matière à gloriole personnelle, rien ne sera résolu. Surtout pas la question du chômage des jeunes. Or, si imparfait soit-il, si maladroite qu'ait été l'attitude du Premier ministre, ce CPE mal ficelé a au moins un mérite, celui d'exister. Et une "qualité", celle d'être perfectible. En face, les propositions alternatives sont rares et rarement sérieuses. Et lorsqu'elles existent, elles se parent des atours trompeurs mais séduisants auprès de l'opinion d'une omnipotence de l'argent public qui appartient au passé. Ou bien on s'extasie sur la "flexécurité" à la danoise érigée ici et là en modèle à cloner. Malheureusement on en regarde les avantages sans s'attarder sur le contrat social fort qui en est le corollaire. Lequel n'est transposable en France qu'en rêve. Alors libre à nous de continuer à nous regarder le nombril, mais prenons conscience que le monde autour de nous ne va pas s'arrêter de tourner. Et que faute de fluidité suffisante du marché du travail, les emplois de demain ne se crééront pas en France mais ailleurs.

C'est si bon d'être un anti-libéral primaire ...

La tentation simplificatrice et manichéenne de se situer dans le camp des gentils, des généreux, des soucieux des affligés de la terre, bref des opposants aux méchants libéraux égoïstes, mondialisateurs, cosmopolites et buveurs de sang peut entrainer quelques erreurs d'analyse dans des situations complexes, mais si en plus on devait se soucier de pertinence sans même parler d'honnêteté, où y irait-on ?

"Darwin" ou le malentendu documentaire, par Michel Guerrin et Jacques Mandelbaum

LE MONDE 27.03.06 13h42 • Mis à jour le 27.03.06 13h42

Le Cauchemar de Darwin, film documentaire de l'Autrichien Hubert Sauper, a été un des jolis succès de l'année écoulée, avec 400 000 entrées dans les salles de cinéma. Gros succès critique aussi pour un film qui a obtenu un César et était nominé aux Oscars d'Hollywood. Il est vrai que le sujet est attractif : montrer comment l'Occident a tout à gagner de l'exploitation de la perche du Nil, poisson du lac Victoria, en Tanzanie, et comment la région où a été tourné ce film a tout à perdre. Rarement un film aurait aussi bien démonté, à travers un fait local, les mécanismes de la mondialisation et ses méfaits. De nombreux spectateurs ont vu se vérifier sur grand écran des convictions profondes quant à la façon dont l'Occident capitaliste exploite ce qu'on appelait le tiers-monde [L'Occident adore se culpabiliser, se flageller. Pour quiconque connaît les pays africains, vouloir expliquer leurs difficultés par des causes essentiellement extérieures est dérisoire. Singapour avait un niveau de vie inférieur au Nigeria en 1950. Comparez les destins de ces deux pays et essayez d'expliquer les différences par des causes extérieures, bon courage !]. Sans doute est-ce la raison principale du succès du Cauchemar de Darwin, film qui existe en DVD et que l'on pourra revoir, le 24 avril, sur Arte.

C'est aussi parce que le film a beaucoup été vu qu'il est devenu objet de polémique. Dans la revue Les Temps Modernes (n° 635-636), l'historien François Garçon a contesté la réalité des faits alignés par Hubert Sauper. Pour se faire sa propre idée, un journaliste du Monde s'est rendu dans la ville de Mwanza, au bord du lac Victoria, où a eu lieu le tournage (Le Monde du 4 mars). Selon notre enquête, trois aspects du film posent problème : après dépeçage des poissons, les carcasses ne seraient pas destinées à la population, mais aux poulets et aux porcs ; cette activité économique participe au développement de la population locale et non à son appauvrissement ; il n'y a aucune preuve du lien entre le transport du poisson et un trafic d'armes, alors que ce lien, suggéré dans le film, figure sur l'affiche et en assurait la promotion.
Pour sa défense, Sauper livre un argument brandi par un nombre toujours plus grand de documentaristes : "Mon langage à moi, c'est celui du cinéma." Sous-entendu, il faut juger le film au regard de la subjectivité du cinéaste. Sauper a sans doute intellectuellement raison. Pratiquement, ce n'est pas si simple. Le Cauchemar de Darwin participe de l'arrivée en force, dans les salles de cinéma, de films qui se situent sur le terrain de l'actualité et de l'information, plongent dans la politique et l'économie mondiales, décortiquent les pouvoirs en place. On pense aux brûlots de Michael Moore, notamment Fahrenheit 9/11, qui dresse un portrait au vitriol de George Bush, ou Mondovino, de Jonathan Nossiter, qui montre comment la mondialisation formate les exploitations viticoles. Leurs auteurs se placent sur le terrain du journalisme avec d'autres armes, au sens où ils réalisent des enquêtes à charge au nom d'une profession de foi explicite. Mais on voit bien l'ambiguïté de tels sujets au cinéma : si les partis pris ne sont pas clairement affichés sur l'écran, ce qui se veut un projet allégorique peut être perçu par le public comme une accumulation de faits irréfutables.

On peut reprocher à Hubert Sauper d'avoir insuffisamment manifesté cette subjectivité en jouant sur les seules apparences du reportage et du témoignage filmé. Sauper avance "masqué" dans un film-essai qui se présente comme une enquête froide. C'est sans doute ce qui a nourri la polémique, à l'inverse d'autres films qui pourraient être pareillement contestés. Au-delà, les grands cinéastes dits documentaires - Jean Rouch, Johan Van der Keuken, Robert Kramer ou Raymond Depardon - ont montré que le cinéma moderne a depuis longtemps fait sauter les frontières qui séparent le documentaire de la fiction, affirmant ici et là la primauté subjective du point de vue et l'ambiguïté qui lui est liée.

MANIPULATION OU TRAHISON

L'histoire du documentaire, en raison du malentendu qu'entraîne sa définition, est semée de
polémiques récurrentes sur la manipulation ou la trahison de la réalité. Rappelons deux exemples célèbres. Nanouk l'Esquimau (1921), de Robert Flaherty, filme la vie quotidienne de Nanouk et de sa famille dans le Grand Nord canadien. La sortie triomphale du film suscite une polémique sur la "mise en scène" de Flaherty, qui aurait reconstitué une scène de pêche fictive, bricolé un igloo aux dimensions extravagantes, fait fabriquer des vêtements pour les acteurs du film, réinventé une réalité dont beaucoup d'éléments étaient au mieux caducs au moment du tournage, au pire inexistants. Cette approche idéologique du réalisateur, sous laquelle se devine une attitude hostile aux mutations de la modernité, n'empêche pas le film d'être un magnifique témoignage, fût-il reconstitué et idéalisé, sur la culture traditionnelle des esquimaux.

Terre sans pain (1933), de Luis Buñuel, est un film de dénonciation poussé au noir de la misère de la population des Hurdes, en Espagne. Le cinéaste et critique Jean-Louis Comolli découvre, en 1996, les rushes du film à la Cinémathèque de Toulouse. Révélant ce que Buñuel a délibérément rejeté (des manifestations de solidarité communautaire, de tendresse, d'enthousiasme...), ceux-ci confirment le parti pris de mise en scène du film, qui consiste à priver cette population de son humanité : "Choix de montage, c'est-à-dire choix de sens et de ton. Noircir le trait. Forcer la note. (...) La misère est insupportable ? Que son spectacle lui aussi le devienne. Car la question du cinéaste est toujours la même (c'est une question politique) : comment réveiller en chaque spectateur les doutes et les crises que le spectacle a plutôt pour mission de refouler et d'éloigner ?", écrit Comolli.

Ces exemples montrent que tout film est d'abord une représentation, une reconstitution de la réalité, un état non pas du monde, mais du rapport du cinéaste au monde qu'il filme, rapport qui ne s'exempte pas des enjeux idéologiques, moraux et culturels de l'époque dans laquelle le film s'inscrit. Tout film, y compris documentaire, est à ce titre un mensonge dont on peut au mieux espérer qu'il soit mis au service d'une vérité. [Pourquoi ne pas dire ce qu'on sait : certains films, tout en étant excellents, peuvent être des films de pure propagande. Et alors ? Tant qu'on le sait ...]

Avec le film de Sauper, on n'est pas loin du principe selon lequel "la fin justifie les moyens"[principe totalitaire, notamment communiste puisque nous évoquons une dérive gauchiste, par excellence]. Pour certains, ceux qui considèrent sa lecture de l'usine de poissons comme un contresens ou que tout n'est pas à jeter au lac dans la mondialisation, le cinéaste est allé trop loin. D'autres salueront la tonalité allégorique et pamphlétaire d'un film remarquable sur l'exploitation séculaire de l'Afrique. On entre ici dans un débat politique qui dépasse l'objet du litige. Au plan du cinéma, Johan Van der Keuken confessait avant sa mort : "Peu importe la tricherie, le fond doit être sain." Il ajoutait : "La peste du documentaire, c'est de vouloir expliquer le monde sans cet énorme trou du doute, du non-savoir."