mardi, septembre 21, 2021

L'illégitimité de la République (F. Bouthillon)

C'est le premier livre d'une série de trois, que j'ai malencontreusement commencée par la fin (Nazisme et révolution, histoire théologique du national-socialisme 1789-1989).

La thèse de Bouthillon est simple et puisante :

1) L'homme est à la fois chair (le local) et esprit (l'universel).

2) La légitimité (improprement baptisée contrat social) est ce qui fait que le pouvoir va de soi, que personne ne songe à contester son droit à décider. On conteste éventuellement ses décisions mais pas que c'est lui qui doit les prendre.

3) Le contrat social a été rompu en 1789, quand l'assemblée nationale s'est proclamée constituante, divisant la politique entre partisans du local (la droite) et partisans de l'universel (la gauche).

Cela créa une rupture définitive : il est impossible de revenir à l'ancien contrat brisé (désir de la droite) et impossible d'en créer un nouveau ex nihilo (désir de la gauche).

4) Pendant tout le XIXème siècle, les tentatives s'accumulent pour recréer la légitimité perdue en réconciliant droite et gauche, soit par un centrisme excluant les extrêmes, soit par un centrisme fusionnant les extrêmes. Gambetta, Ferry, Boulanger ...

Et chaque tentative échoue parce qu'il n'est pas plus possible de recréer la légitimité perdue que de refaire une porcelaine cassée.

Bouthillon a des mots très durs pour Zola et Clemenceau, qui, en politisant l'affaire Dreyfus au profit de la gauche, ont empêché que l'innocence du capitaine soit pleinement reconnue.

L'Union Sacrée de 1914 a permis de redonner un contrat social par une exaltation patriotique unanime et sublime. La victoire a scellé ce nouveau contrat social, mais cela le rendait aussi fragile que la victoire. Selon Bouthillon, cette victoire seule explique l'absence de pouvoir fasciste en France.

Bouthillon ne le dit pas (mais c'est sous-entendu dans sa conclusion), la montée des fascismes étrangers et la défaite de 1940 ont brisé, une fois encore, le contrat social.


dimanche, septembre 19, 2021

Nazisme et révolution, histoire théologique du national-socialisme 1789-1989 (F.Bouthillon)

Fabrice Bouthillon est l'auteur de l'excellent Et le bunker était vide ... .

Il conclut ses remerciements : aux  « syndicalistes étudiants minables » qui, par leurs blocages d'université, « m'ont presque tout appris du totalitarisme » (y compris la lâcheté des autorités et l'apathie de la foule). Pour vous dire combien l'homme est sympathique.

Il commence très fort : « Le nazisme est la réponse que l"histoire allemande a donné à la question que lui a posée la révolution française ».

Le centrisme extrémiste

Sa thèse, qu'il répète et affine de livre en livre, est que le nazisme est un centrisme, non par refus des extrêmes, mais par alliance des extrêmes (quiconque connaît l'histoire sait qu'il est idiot, ou malhonnête, de classer le nazisme exclusivement à l'extrême-droite).

Dans la même veine, il écrit sur l'illégitimité fondamentale de la république française et sur Napoléon en précurseur d'Hitler (Napoléon n'étant pas, de très loin, mon personnage historique préféré, ça ne me traumatise pas que Bouthillon en écrive du mal).

Pour Bouthillon, La fracture entre la gauche et la droite est irréconciliable : la création (impossible) d'un nouveau contrat social ou le retour (impossible) à l'ancien régime.

Depuis 1789, la politique oscille entre deux centrismes. Le centrisme par exclusion des extrêmes (orléanisme, IIIème république), le centrisme par conciliation des extrêmes (Napoléon, Hitler).

L' « hommage » aux AG étudiantes n'est pas gratuit, puisque Bouthillon considère que le nazisme est une AG à l'échelle d'un pays :

>  constitution d'un faux corps politique par intimidation des opposants.

> fausse démocratie par le vote à main levée (là encore, intimidation des opposants).

A la suite de quoi, on obtient un faux unanimisme, puisqu'on a exclu les opposants, réconciliant les extrêmes sur le dos de boucs-émissaires communs (la gauche est au moins aussi judéophobe que la droite).

Toute ressemblance avec le covidisme n'est pas fortuite. Je vous laisse faire la transposition.

Les juifs : boucs-émissaires depuis 1789.

Les juifs ne veulent pas le voir parce qu’ils croient (à tort) que leur émancipation commence avec notre révolution mais c’est 1789 qui a ouvert la possibilité de leur génocide.

Avant, leur persécution était limitée par la présence surplombante du bouc-émissaire ultime, le juif Jésus. A telle enseigne que le roi, lieutenant de Dieu, était souvent celui qui ordonnait les persécutions mais aussi qui les arrêtait.

Après 1789, cette barrière saute. La persécution peut être absolue et industrielle.

L'Union Sacré

La rupture du contrat social scinde l'homme, qui est à la fois chair (local) et esprit (universel), entre partisans du local (la droite) et partisans de l'universel (la gauche).

La création ex nihilo d'un nouveau contrat social est impossible, comme de créer ex nihilo une nouvelle langue ou une nouvelle culture. Et la France pose ce problème à toute l'Europe.

Un nouveau contrat social n'est pas rationnel, il ne peut venir que d'une fusion et du sublime (anciennement, de Dieu). C'est ce qui se passe dans tous les pays européens en 1914, très bien rendu par l'excellente expression Union Sacrée.

Seulement voilà, la France gagne la guerre, légitimant le nouveau contrat social et le régime, pour la première fois depuis 1789. Mais l'Allemagne perd la guerre, rendant le contrat social encore plus impossible.

Bouthillon est très clair : si l'Allemagne avait gagné la guerre, c'est elle qui serait devenue une démocratie libérale et la France un régime fasciste.

Monsieur Tout Le Monde

Hitler est le type même du chef charismatique : il n'hérite pas du pouvoir comme le roi, il ne le doit pas à ses exploits comme Napoléon ou de Gaulle. Le pouvoir lui vient de nulle part, d'etre Monsieur Tout Le Monde.

Hitler est Monsieur Tout Le Monde : à la fois un homme comme les autres, pris au hasard dans la foule et un monsieur, très au-dessus des autres. Le chef charismatique a du mal à garder cet équilibre mystérieux, soit il est trop banal, trop comme tout le monde, soit il est trop détaché, trop hautain.

Pour le plus grand malheur du monde, à commencer par l'Allemagne, Hitler sut garder cet équilibre jusqu'au bout, se voyant, sans le dire explicitement aux foules, comme le fondateur d'une nouvelle religion, l'anti-Christ.


Le diable sur la montagne (T. Lentz)

La vie d’Hitler dans son refuge alpin. Anecdotique mais écrit  avec humour.

Le sujet méritait cependant un analyste plus fin que Thierry Lentz, qui est un gros bourrin.

Il prend Hitler pour un imbécile, ce qu’il n’était pas. L’auteur ne comprend pas ce qui a été analysé finement par François Delpla : le mode d’action d’Hitler, qui trompe même ses subordonnés, fait qu’il a besoin de ces longues périodes de retraite pour méditer ses coups machiavéliques, comme un joueur d’échecs.

Lentz prend cela pour de la paresse !

On a droit à une réflexion idiote sur Hitler qui s’intéresse sincèrement à la souffrance animale. Comme si privilégier les bêtes était contradictoire avec la torture des humains !

Bref, une lecture d’été. Sans plus.

Les schèmes qu'on abat, à propos du gaullisme (F. Bouthillon)

Ce petit fascicule est le premier livre de Fabrice Bouthillon (1995) mais on y retrouve le thème qui lui est cher : notre révolution a créé une coupure irréparable.

Analyse proche de Burke.

Le contrat social n'est pas abstrait, il est le dépôt des siècles. A partir du moment où l'assemblée des Etats généraux s'institue en assemblée nationale, elle brise l'ancien contrat social et la France se retrouve dans un entre-deux irréconciliable : impossible de revenir à ancien contrat brisé, impossible d'en fabriquer un nouveau abstraitement.

Depuis deux siècles et demi, la France est sans contrat social, sauf en des moments d'effusion passagers (Union Sacrée en 1914).

Ceci explique la réussite et l'échec de de Gaulle.

Comme la monarchie française, le gaullisme est d'une logique profondément chrétienne : le roi (1) et de Gaulle sont l'incarnation de la France comme Jésus est l'incarnation de Dieu.

Bouthillon s'est amusé à recenser les allusions aux épitres de Saint Paul dans les discours gaulliens.

Au fond, je pense que la séparation entre anti-gaullistes et gaullistes est simple : les  uns reprochent à de Gaulle de se prendre moitié pour Jeanne d'Arc moitié pour le roi, les autres l'en félicitent.

Comme de Gaulle, grâce à son comportement en 1940, était plus légitime qu'aucun dirigeant depuis Napoléon (Louis-Philippe, par exemple, doutait de sa légitimité), il a pu faire illusion pendant vingt ans, mais il a juste subi le fait fondamental de l'histoire de France depuis 250 ans : il n'y a plus de contrat social.


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(1) : Louis XV, 3 mars 1766, Parlement de Paris, séance dite de la flagellation :

«  C'est en ma personne seule que réside la puissance souveraine, dont le caractère propre est l'esprit de conseil, de justice et de raison (...) c'est à moi seul qu'appartient le pouvoir législatif sans dépendance et sans partage (...) l'ordre public tout entier émane de moi et les droits et les intérêts de la nation dont on ose faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu'en mes mains. »