jeudi, avril 18, 2024

Joseph Caillaux (Jean-Denis Bredin)

De Joseph Caillaux, il nous reste des vignettes : l'inventeur (pour la France) de l'impôt sur le revenu, son épouse qui abat le directeur du Figaro (on devrait faire cela plus souvent), l'emprisonnement en 1917 et le procès en Haute Cour. Moins connu, le vote des pleins pouvoirs à Pétain en 1940.

Cet homme, qui avait de grandes qualités, dont de Gaulle disait qu'il était le premier homme d'Etat moderne, est passé à côté de son destin politique. Pourquoi ?

Il avait deux défauts rédhibitoires :

1) Une vanité impérieuse qui lui créait des ennemis inutiles.

Comparez avec Churchill, autre grand vaniteux : il avait toujours un trait d'humour contre lui-même qui lui évitait de trop blesser. Même ceux qui le méprisaient n'arrivaient pas vraiment à le détester (sauf Hitler).

Caillaux, c'est l'inverse : il parvient à s'aliéner même ses alliés naturels.

2) Une légèreté surprenante. Légèreté au sens péjoratif.

Pourquoi, au milieu de dix décisions ou comportements judicieux, glissait-il une décision ou un comportement stupide qui affligeait ses partisans ?

Qu'avait-il besoin d'écrire des lettres à ses maitresses parlant de politique en termes cyniques, que le Figaro publia en feuilleton ? Certes, Mme Caillaux y mit bon ordre à coups de Browning 1906 (une excellente arme de poche. Mme Caillaux était passée à un stand de tir s'exercer), mais tout de même ...

Dans le principe, je n'ai rien contre le fait que les victimes se vengent des journalistes, ce n'est que la juste contrepartie de leur pouvoir exorbitant de ruiner des vies, mais Caillaux a pris cette affaire bien trop à la légère sans se rendre compte des dégâts sur sa famille.

L'impôt sur le revenu

En 1907, Caillaux fait voter, avec beaucoup d'habileté et de ténacité, l'impôt sur le revenu, au taux qui laisse songeur de 3 %. Il ne sera effectif qu'en 1917, suite à des obstructions du sénat.

Caillaux n'a sans doute pas mesuré les rancœurs qu'il suscitait.

Les objections des opposants méritent réflexion.

Les imbéciles (y compris l'auteur de cette biographie, qui est tout de même un socialiste) y voient la défense étroite d'intérêts particuliers. Il y a certes de cela, mais il faut s'aveugler pour méconnaitre qu'un siècle plus tard, elles ont été entièrement validées par la suite de l'histoire.

Ces objections étaient : inquisition fiscale, abolition de la vie privée, extension indéfinie du pouvoir de l'Etat, possibilités infinies de clientélisme.

Depuis longtemps, l'Etat a quitté la fonction d'agent de la vie en société qui s'occupe de la guerre, de la diplomatie, de la police et de la justice pour devenir un dieu barbare qui dévore la société. Et l'institution de l'impôt sur le revenu est une étape importante de ce suicide des sociétés occidentales par le socialisme étatiste.

A la même époque dans les pays anglo-saxons, la théorie disant que les classes supérieures ont le devoir de manipuler la démocratie est à la mode.

Clemenceau (dont Caillaux est ministre des finances) se montre féroce. Son surnom « le Tigre » n'est pas forcément un compliment. Il fait tirer sur les viticulteurs du Midi, il fait tirer sur les ouvriers en grève, comme jamais un gouvernement de droite ne se serait permis. Il y gagne une réputation de sanguinaire, d'un homme qui aime le sang. Il est discrédité.

Caillaux, qui a des défauts mais n'a pas la goût du sang, est fort mal à l'aise.

1914 et 1917

En deux occasions dramatiques, Caillaux eut pu jouer un rôle décisif que sa légèreté (1914) et sa solitude (1917) ont empêché.

En 1914, il était pris par le procès de son épouse (acquittée !!!! le 28 juillet 1914). De toute façon, il n'aurait rien pu faire : l'Allemagne s'étant persuadée que le temps jouait contre elle, la guerre était inévitable.

Mais on peut toujours rêver du gouvernement Caillaux-Jaurès, un temps envisagé. Aurait-il pu quand même éviter la guerre ?

En 1917, il a été en but à l'acharnement de Poincaré (son « ami ») et de Clemenceau. Mais les négociations de paix de 1916 (bien plus avancées qu'on ne l'a dit par la suite) avaient déjà échoué sur le bellicisme allemand.

Je reproche par ailleurs à Clemenceau de ne pas avoir été assez belliciste en 1918 : si la guerre avait continué un mois de plus, l'Allemagne aurait été envahie et le XXème siècle changé ... ou pas. Poincaré envoie à Clemenceau une lettre le mettant en garde contre l'arrêt prématuré de la guerre tellement insultante que celui-ci exige qu'il la retire.

Comme beaucoup des ennemis de Clemenceau, Caillaux soupçonnait me Tigre d'être tenu par les Anglais, ce qui lui a permis un bon mot : « Je veux bien que son nom soit donné à des écoles, mais à condition que ce soit dans la classe d'anglais » (malgré l'américanomania qui sévissait en France, on ne se faisait guère d'illusions dans les hautes sphères sur la bienveillance des anglo-saxons à notre égard).

Caillaux, Poincaré et Clemenceau s'accusent mutuellement d'allégeances étrangères : Caillaux d'être l'homme des Allemands, Poincaré d'être l'homme des Russes et Clemenceau d'être l'homme des Anglais.

Devant l'effondrement du moral  après les désastres de 1917, quoi de mieux que de terroriser les politiciens en faisant un procès féroce et injuste au meilleur des opposants et de prévenir la recherche d'autres solutions que la continuation de la guerre ? Caillaux sera condamné par la Haute Cour en 1920, dans une ambiance déjà changée, et amnistié en 1925, mais Clemenceau avait atteint son but, faire taire les opposants.

Le dossier de Caillaux était vide. Plus exactement, il était plein d'insinuations risibles et inconsistantes suscitées par Poincaré et Clemenceau. La condamnation de Caillaux (en prison de 1917 à 1920) est totalement inique. 

Les ennemis de Caillaux apparaissent pour ce qu'ils sont : des minables, méchants et rancuniers. Ils ont l'un et l'autre laissé leurs noms à des places et à des rues, à des hôpitaux, mais ce n'est pas un hasard s'ils n'ont aucun héritage politique et sont peu à peu tombés dans l'oubli. Ils n'ont rien fait, à part des mots venimeux à la Audiard, qui méritât qu'on se souvînt d'eux. La guerre, ce n'est pas eux qui l'ont gagnée, mais des pauvres bougres magnifiques d'héroïsme.

La guerre et la paix

Caillaux est pacifique (évitant la guerre autant que possible), voire pacifiste (voulant la paix même quand la guerre est nécessaire). Il ne partage pas l'exaltation romantique belliqueuse de bien des intellectuels (BHL n'a rien inventé) et des politiciens de cette époque.

L'opposition à la guerre de Caillaux est singulière. Elle n'est pas une opposition de principe comme les pacifistes mais une analyse (juste et très rare à l'époque) que cette guerre là sera une catastrophe pour les belligérants, vainqueurs et vaincus.

Le portrait de Poincaré et de Clemenceau que trace le débat sur la guerre et la paix est au vitriol : ambitieux, arrivistes, sans scrupules, sanguinaires, se détestant mais se ressemblant.

Quand on décide à vingt ans de devenir président de la république et qu'on y parvient, comme Poincaré, on est forcément malsain. Poincaré est le type qui consacre plus de pages dans son journal à la mort de son chat qu'aux milliers de Français tués au front.

Caillaux aurait dit (c'est du moins ce qu'il raconte, 30 ans plus tard) après l'élection de Poincaré à la présidence de la république en 1913 « Nous aurons donc la guerre ». Je ne sais s'il l'a vraiment dit, mais qu'il ait eu un pressentiment de cet ordre est fort probable.

Caillaux était persuadé que Poincaré avait tout fait pour provoquer la guerre. C'est une exagération due à sa haine bien compréhensible. Que Poincaré n'ait rien fait pour éviter la guerre est déjà un crime assez lourd.

Du fond de sa cellule, à l'armistice, il prédit avec justesse (comme souvent) « La France deviendra une colonie américaine ».

Caillaux et la loi de 1973

Des mal-comprenants font une fixette sur la loi de 1973 (qui est passée à l'époque inaperçue, et pour cause : c'est une loi technique, en réalité sans importance ni politique ni économique) et qu'ils appellent, pour que leur intention judéophobe soit claire, « loi Pompidou-Rotschild ».

Leur thèse est la suivante : « Il y avait un arbre à argent gratuit au milieu de la cour de la Banque de France, l'Etat pouvait se financer sans problème et sans conséquences néfastes. Les méchants juifs ont coupé cet arbre magique en 1973 et, depuis, tout va de mal en pis ».

C'est bien entendu absolument idiot : d'une part, la loi de 1973 ne fait que répéter un interdit de 1936, d'autre part, il faut ne rien connaitre à l'histoire de France pour croire que les problèmes de dettes étatiques commencent en 1973. Quand la dette de l'Etat est financée par la planche à billets, cela crée une inflation catastrophique, c'est aussi vieux que le monde (il n'y a pas un bouton magique qui permet de régler l'inflation au « bon » niveau).

D'ailleurs, la BCE contourne depuis 2008 cette loi de 1973 et ses équivalents européens, à coups de LTRO et de quantitative easing, et je ne vois pas que la situation économique et financière de la France se soit améliorée. En revanche, je vois bien l'inflation.

La planche à billets crée de l'inflation et du communisme (l'Etat a, artificiellement, les moyens de s'immiscer partout). C'est simple : l'Etat devrait avoir zéro dette, ne jamais s'endetter, jamais, jamais, jamais. Cette saine politique enlèverait une des causes majeures de guerre : justifier l'endettement et la spoliation par la guerre (hé oui, cette très vilaine tentation existe depuis la nuit des temps).

Que vient faire Joseph Caillaux dans cette histoire ?

C'est que, en 1924, moins de trois mois après son amnistie, il est nommé (au grand scandale de la droite) ministre des finances du Cartel des Gauches.

A l'époque où l'arbre magique à argent gratuit existait encore dans la cour de la Banque de France, le parlement fixait le plafond des avances que notre banque centrale pouvait consentir à l'Etat. Rien de plus démocratique.

Or, Caillaux se trouve confronté à l'affaire des « avances occultes ». Devant la gabegie de l'Etat et la dette de guerre insolvable (« L'Allemagne paiera » pas), la Banque de France contourne le plafond fixé par le parlement : elle rachète en sous-main la dette étatique des banques privées de connivence (exactement le système mis en place par la BCE depuis 2011 ! En matière de magouilles, on n'invente jamais rien).

Mais Caillaux a été usé par les épreuves, il a tout de même subi trois ans de prison et un long procès. Il n'a plus le ressort nécessaire pour remettre en ordre les finances publiques et ses soutiens radicaux-socialistes n'ont pas les idées claires sur le sujet, ils débattent sans fin d'une taxation du capital (déjà).

Il laisse trainer l'histoire des avances occultes et tout le reste.

1940

Dans les années 30, Caillaux devient le parrain du sénat, pas de position officielle (à part la présidence de la commission des finances) mais son influence est considérable. Il se permet des allusions à son procès en Haute Cour qui font rire ses collègues. Il défait trois fois le gouvernement Blum (il était de l'ancienne gauche : social mais libéral, pas socialiste).

En 1939, comme beaucoup de politiciens, Caillaux est rongé d'inquiétude par la nullité de nos généraux. Il est vrai qu'il a toujours méprisé les militaires et ne s'en cachait pas.

Le 14 juin 1940 (le jour où les Allemands entrent dans Paris), Pierre Laval lui rend visite en Auvergne, où il prend les eaux avec son épouse.

Conversation étonnante : Caillaux, qui a pourtant tourné pacifiste idéologique plus que simple pacifique rationnel, explique à Laval que l'Angleterre ne peut être envahie (la Royal Navy est trop forte), qu'elle a les ressources de l'empire, qu'elle va continuer la guerre et qu'il serait bon que la France envisage de poursuivre la lutte à ses côtés. Une préfiguration du discours du 18 juin ! Comme quoi les idées de De Gaulle n'étaient pas si isolées. Pendant ce temps, ce crétin et ce traitre de Weygand expliquait à qui voulait l'entendre que l'Angleterre allait « avoir le cou tordu comme un poulet » (peut-on en vouloir à Cailleux de mépriser nos généraux ?).

Pourtant, un mois plus tard, Caillaux vote les pleins pouvoirs à Pétain. Il se justifie en disant que le moment de la lutte à outrance est passé. Justification bien faible. Plus vraisemblablement, les événements d'Oran l'ont influencé et son pacifisme a repris le dessus.

Puis il s'enferme dans son fief sarthois de Mamers. Le seul contact qu'il a avec le gouvernement de Vichy durant toute la guerre, malgré les sollicitations, c'est une lettre cinglante qu'il envoie pour prendre la défense d'une postière juive qu'il a connue quand il était aux armées en 1914. Il écoute religieusement la BBC.

Il meurt en novembre 1944, dans le quasi-anonymat.

La république des phraseurs

C'est un lieu commun de dire que le IIIème fut une république d'avocats, de journalistes et de professeurs. Bref de fatigants blablateurs qui adoraient s'écouter parler, à coup de références classiques. Et l'opposition à cette république ? Qu'a fait Maurras toute sa vie si ce n'est des phrases ?

Cela donne des envolées lyriques et des répliques d'anthologie. Pour quel résultat ? Une guerre atroce en forme de suicide collectif ? La France était vraiment loin de Richelieu et de Mazarin. On comparera l'engagement fou de la IIIème république dans la première guerre mondiale et l'habile louvoiement de Richelieu pour impliquer la France le moins possible dans la guerre de 30 ans.

Dans ce marigot ennuyeux et fort peu pragmatique, le réalisme d'acier d'un Caillaux avait de quoi séduire les âmes bien nées, les hommes d'action. D'où la fidélité de certains partisans du difficile Caillaux.

Toujours est-il qu'en deux occasions historiques, Caillaux avaient les bonnes idées, celles qui évitaient  la catastrophe, et qu'il a manqué à la France qu'il réussisse, il n'a même pas été près de tenter quoi que ce soit. C'est pourquoi son nom n'est qu'une note de bas de page dans notre histoire.

Peut-on dire que c'est la faute de son épouse ? En partie, oui. Mais il a manqué à Caillaux la chance, ce petit quelque chose en plus, qui ne fait pas forcément les grands hommes mais qui fait au moins les hommes qui arrivent au pouvoir au bon moment.


mardi, avril 02, 2024

La république des imposteurs (Eric Branca)

J'aime bien les livres d'Eric Branca.

Ce livre trouve son origine dans deux incidents de la vie de l'auteur :

1) La découverte d'une partie des archives de Jacques Foccart, le plus célèbre « baron du gaullisme ». Il tenait à jour des biographies de notables, notamment pour vérifier que le parti gaulliste, le RPF, n'était pas infiltré par d'anciens collabos

2) Le visionnage du film Un héros si discret, où un Français attentiste devient un faux héros de la Résistance. Je vous ai déjà parlé de l'histoire édifiante (et vraie) de Laure Dissard (n'en faisons pas une généralité : il y a eu aussi de très authentiques héros).

Compiler des biographies, suivre des parcours individuels, est souvent instructif et surprenant (voir le livre de référence de Simon Epstein, Un paradoxe français : les antiracistes dans la Collaboration, les antisémites dans la Résistance). Sous la Restauration, il y avait un Dictionnaire des girouettes.

Mille nuances de la trahison bourgeoise

Les mille nuances de la trahison de la bourgeoisie française ne surprennent pas l'amateur d'histoire de France, c'est une constante.

Cette trahison est d'ailleurs toujours justifiée par l'extrême-centrisme à la Macron Bayrou Minc Attali, les opinions « raisonnables », « le cercle de la raison ». En effet, à court terme, il est toujours « raisonnable » de déposer les armes et de pactiser avec l'ennemi. On présente aujourd'hui Pétain comme un extrémiste de droite, c'est absolument faux : Pétain était un général républicain « raisonnable ». C'est de Gaulle qui était « déraisonnable ».

Dans aucun pays, la bourgeoisie n'est la classe sociale la plus patriote. Ceci a déjà été analysé des millions de fois lors de l'émergence de la classe bourgeoise, entre le XVIIème et le XIXème siècles : le bourgeois n'a pas d'honneur, il n'a que des intérêts.

« Aristocrates et paysans acceptaient que leurs fils allassent à la mort. Le bourgeois, lui, “planque” ses enfants car le courage ou l’obéissance héroïque ne sont pas son lot.

Pour l'aristocrate : « Si mon fils est un lâche, mon nom est souillé ». Et pour le paysan : « Si je ne défends pas ma terre, l'ennemi l'annexera ». Pour le bourgeois : « Si mon fils est tué, qui héritera de mon or et prendra la succession de mon commerce ? » »

Jean Cau, Les Écuries de l’Occident (1973)

« Pour pouvoir continuer à dîner en ville, la bourgeoisie accepterait n’importe quel abaissement de la nation. Déjà en 40, elle était derrière Pétain, car il lui permettait de continuer à dîner en ville malgré le désastre national. Quel émerveillement ! Pétain était un grand homme. Pas besoin d’austérité ni d’effort ! Pétain avait trouvé l’arrangement. Tout allait se combiner à merveille avec les Allemands. Les bonnes affaires allaient reprendre ».

De Gaulle à Peyrefitte

Pour pouvoir continuer à diner en ville

Dans le peuple français, le moment pétainiste est très bref : entre le traumatisme du printemps 1940 et l'automne 1940, où l'on s'aperçoit que l'Angleterre ne va pas « avoir le cou tordu comme un poulet », comme le croyait ce traitre de Weygand.

A partir de l'entrevue de Montoire (24 octobre 1940), la popularité du régime ne cesse de décroitre jusqu'à atteindre le discrédit total au printemps 1944 (seuls quelques nostalgiques putrides entretiendront la mémoire de ce régime de trahison).

Mais, dans la bourgeoisie, chez les notables, ce fut une autre chanson.

Ce décor étant planté, allons au début de notre histoire de la république des imposteurs, c'est-à-dire à la Libération et à ses suites.

A la faveur du désordre

Le désordre de Libération et aussi les nécessités de la guerre froide favorisent les destins rocambolesques.

Le capitaine Lecoz, ardent chef de maquis dans le Cher, épurateur féroce, qui pille et qui viole, est en réalité Georges Dubosq, multi-condamné, sauvé de la guillotine par les Allemands et ayant travaillé pour la Gestapo. Fusillé en 1946.

Un malencontreux (et mortel) accident de voiture en 1952 permet de découvrir que l'honorable député de la IVème république Jacques Ducreux (du nom de sa mère), Résistant exemplaire, était en réalité Jacques Tacnet, Collabo tout aussi exemplaire.

Tel patron à fond pour les Allemands a une telle influence que c'est lui qui fait pression sur les autorités d'après-guerre pour l'attribution des médailles aux Résistants, à leur grande surprise !

Des milliers de cas comme ceux-là. Parce que l'épuration a été très légère.

La non-épuration

Dès 1944, la 1ère armée de de Lattre, où le traitre Giscard d'Estaing a fait son service (il sera ultérieurement la taupe de l'OAS dans l'entourage présidentiel, pourri un jour, pourri toujours), avait la réputation d'être une « savonnette à collabos ».

Il y a pourtant eu une épuration, notamment l'épuration sauvage dirigée par les communistes, mais ce sont surtout des lampistes qui ont trinqué. On lira au lien suivant la triste histoire de Marcelle Polge, la jeune fille au chevreau, à Nîmes.

Comme l'écrivait avec son ironie mordante Galtier-Boissière « Etant entendu qu'on ne collait pas au poteau un général, un patron ou un magistrat, ne restait plus qu'à fusiller les journalistes ».

Bien des fortunes du marché noir ont été recyclées dans les grandes surfaces naissantes.

La faute la plus lourde est de ne pas avoir épuré la magistrature.

Cas emblématique : le procureur Mornet, qui a requis contre Pétain.

De tous les témoignages, il apparait que c'était un sadique en manteau d'hermine, qu'il prenait plaisir à requérir les peines plus lourdes.

Il n'a pas prêté serment au Maréchal, et pour cause : il était à la retraite.

Mais il a fait partie des commissions de dénaturalisation des juifs et en fut un des membres les plus féroces. Fin 1943, coup de poker gagnant : il héberge plusieurs fois la réunion des juristes du Conseil National de la Résistance. Vrai risque mais qui a payé.

Un pied dans la Collaboration, un pied dans la Résistance. Elle est pas belle la vie ?

Se pose alors une question simple : avec des magistrats manquant à ce point de droiture, comment espérer que la justice rendue soit droite ? Dans cette question, tient une grande partie de l'histoire de la IVème république. Corruption, magouilles, passe-droits, petits et grands arrangements ... L'argent des Américains et (un peu) l'argent des Soviets alimentent la machine à pourrir tout ce qu'elle touche.

L'imposture du plan Marshall

Le plan Marshall, c'est environ 36 Md d'€ 2024 pour la France. Mais avec des contreparties léonines.

On cite souvent l'accord Byrnes-Blum (accord le couteau sous la gorge, façon mafia) : 9 films américains projetés en France pour 4 films français. Mais s'il n'y avait eu que cela ...

Une commission de contrôle américaine est installée au château de la Muette et elle s'autorise toutes les ingérences. Bien sûr, elle vérifie que les entreprises américaines sont favorisées, mais pourquoi demande-t-elle un droit de regard sur la Sécurité Sociale, par exemple ?

Dans la droite ligne des hommes de Vichy qui avaient pris des contacts à la fin de la guerre pour remplacer la soumission à l'Allemagne par la soumission à l'Amérique, les hommes de la IVème ne sont pas trop gênés (normal, ce sont souvent les mêmes) par cette immixtion permanente.

Il arrive que l’attaché militaire de l’ambassade des Etats-Unis participe, plus qu’en simple invité, à des réunions ministérielles.

Si, aujourd'hui, il n'y a plus de Français mais des Gallo-Ricains, ce n'est pas le hasard.

Les affres de la guerre froide

En septembre 1948, suite à une rixe dans l'autobus (ça ne s'invente pas), la DST découvre l'affaire la plus ahurissante de la IVème république (qui en compte pourtant de sévères) : le chef d'état-major de l'armée française (rien que ça), le général Revers, a acheté son poste avec de l'argent américain, en soudoyant des politiciens (sur fond de grenouillages francs-maçons) et par l'intermédiaire d'un Milicien recyclé, avec qui il est à tu et à toi. Celui-ci en profitait pour vendre les informations les plus confidentielles (il finira sa vie en Amérique du Sud avec son gros magot). Et le dossier est enterré sur ordre du président du conseil, Paul Ramadier !

On se croirait dans OSS117, sauf que c'est la vraie vie.

Il faut l'acharnement de la presse gaulliste pour que l'affaire éclate.

Puis le trafic des piastres (1 piastre =10 francs en Indochine, 17 francs en métropole, belle culbute) où toute la classe politique est mouillée, y compris le président Vincent Auriol et son fils.

Tout le monde sait que le syndicat Force Ouvrière a été fondé avec l'argent de la CIA pour concurrencer la CGT.

Dans la mouvance de la banque Worms, des Huiles Lesieur et de la Française des Pétroles (ancêtre de Total), il y avait des projets de transférer les propriétés industrielles confisquées par les Allemands directement aux ... Américains ! Il n'y a pas à dire, certains pontes français de l'industrie ont le patriotisme un peu spécial.

Car le patronat est touché au cœur. Au CNPF,  le syndicat patronal (je précise pour les plus jeunes), l'homme qui aiguille les enveloppes est un ancien préfet de Vichy reconverti dans l'anti-communisme le plus ardent, c'est-à-dire américain.

 Les socialistes, concurrents des communistes, sont les plus arrosés par l’argent américain. C’est une constante depuis 1945 que les socialistes (bien relayés depuis les années 2000 par les écologistes) sont les politiciens français les plus inféodés aux intérêts américains. Mais cette navrante compétition se joue dans un mouchoir de poche, ils sont tous corrompus et fascinés par l’empire washingtonien. C’est flagrant, surtout chez Sarkozy et chez Macron, qu’ils auraient préféré naitre au fin fond de l’Arkansas plutôt qu’en France. 

Il y a aussi la corruption d’origine soviétique, notamment dans les milieux culturels et des médias. Mais également des pressions de toutes sortes. Par exemple, le physicien Joliot-Curie est tenu d’une main de fer par le PCF, probablement par un chantage sur ses activités pendant l’Occup.

Dans les années 47-49, les Américains inaugurent en France l'ancêtre de la stratégie de la tension qui fonctionnera si bien en Italie dans les années 70 (l'assassinat d'Aldo Moro et l'attentat de la gare de Bologne, 85 morts, sont probablement liés à la CIA. Si on n'a pas de preuves formelles, les présomptions sont très fortes).

Les pieds nickelés du plan bleu, un fumeux projet de coup d'Etat d'extrême-droite  (impliquant une comtesse de 85 ans et un vicomte passé la Collaboration à la Résistance parce que les Allemands avaient installé un bunker dans son jardin), monté en épingle par le gouvernement, avaient le siège de leur association à l'étage au-dessus d'une commission américaine de lutte contre le communisme ! La presse s'est abstenue (« en responsabilité », comme disent les branquignols "manageriaux" d'aujourd'hui) d'informer les Français de cette étrange coïncidence. Mais nous, quelques décennies plus tard, pouvons en rire.

Jean-André Faucher, ancien du PPF, ancien Collaborateur de la Gestapo, est mêlé à l'affaire du plan bleu mais bizarrement cela semble le laver de ses autres condamnations. Son ami Charles Hernu fera de lui l'attaché de presse de la campagne présidentielle de François Mitterrand en 1965.

Stay Behind à la française

Les Stay Behind, Gladio en Italie, sont les réseaux dormants mis en place par la CIA en Europe en cas d'invasion soviétique. Ils ont recruté pas mal d'anciens nazis et de sympathisants du nazisme.

Mais il arrivait que les gladiateurs se lassent d'attendre la ruée des chars de l'Armée Rouge dans la trouée de Fulda et passent plus immédiatement à l'action.

Pierre Bertaux (1) est une forte personnalité : normalien, germaniste, spécialiste d'Hölderlin, Résistant, faisant ami avec des truands en prison, Commissaire de la République, Compagnon de la Libération, directeur de la Sûreté, sénateur. En 1949, il est mêlé, en tant que directeur de la sûreté, au vol des bijoux de la Begum : il sabote systématiquement l'enquête, au point que certains le soupçonnent d'être le commanditaire du vol.


Ca aurait pu être une énième affaire de connivence entre la police et la pègre. Mais, en 2012, coup de théâtre avec l'ouverture de certaines archives. On découvre qu'il s'agissait d'une affaire de financement de Stay Behind, dont le vol des bijoux n'était que la partie malencontreusement émergée.

La république du mensonge

Comme notre Vème république défigurée par les révisions constitutionnelles incessantes, la IVème république était la république du mensonge. Tout y était faux : les hommes, les paroles et les actes.

Certains, par haine de la Vème, arguent que la IVème a fait des choses. C'est un sophisme : les Français n'étant pas tous des traitres, le régime ne pouvait pas ne faire  que des choses mauvaises, mais il n'en demeure pas moins que ce fut le régime de l'imposture.

Nulle part, cette imposture n'est plus importante que sur « l'Europe ».

Contrairement à un mensonge tenace, « L'Europe » n'a pas « dérivé ». Ca n'a jamais été un beau projet qui aurait été subverti on ne sait trop quand on ne sait trop comment. Ca a toujours été une saloperie, dès le départ. Un plan de soumission américain de l'Europe avec l'aide des bureaucrates européens. Et toujours l'ignoble, l'infâme, le cauteleux Jean Monnet à la manœuvre.

Les politiciens français cachaient à leurs concitoyens l'ampleur des concessions, le but de cette entreprise maléfique et le fait que les ordres ne venaient pas de Paris mais de Washington.

Il y a toujours des Français pour considérer que la Suisse ou le Luxembourg peuvent être indépendants, mais, mystérieusement, pas la France, qu'elle doit absolument se trouver un maitre. 

Les gaullistes ont réussi à faire échouer la Communauté Européenne de Défense mais, hélas, pas la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier.

Comment les gaullistes ont ils réussi à faire échouer la CED ? Tout simplement en dévoilant les textes.

Un universitaire a calculé, à partir des archives disponibles, que 53 % des fonds des associations européistes des années 40/50 provenaient de la CIA.

La dette

A la lecture de ce livre, on comprend (je ne suis pas surpris) que certains Résistants aient vécu la chute de la IVème république comme une seconde Libération.

Dès 1946, l'affreux Jean Monnet et son ignoble sbire René Pleven écrivent dans des revues confidentielles qu'il faut endetter la France auprès des Etats-Unis pour qu'elle devienne dépendante et soit forcée d'abandonner sa souveraineté.

Tous ceux qui pensent que l'endettement public est neutre, sain, sans conséquence politique, sont (au mieux) des crétins. C'est l'exact contraire qui est vrai : la dette publique est hautement significative, elle manifeste une politique, une philosophie, une morale, et mène toujours à des conséquences dévastatrices.

La trahison post-référendum de 2005 est de la même nature : un pouvoir xénophile, pire, xénocratique, trahit sa mission fondamentale et sape la légitimité de l'Etat et des pouvoirs en général.

Bref, il se trouve toujours aujourd'hui comme hier, au sommet de l'Etat ou pas loin, des gens pour se rouler dans la fange.

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(1) : une video de Pierre Bertaux racontant la libération de Toulouse :