mercredi, décembre 21, 2022

Dowding & Churchill: The Dark Side of the Battle of Britain (Jack Dixon)

S'il y a un vainqueur de la Bataille d'Angleterre, c'est lui, HCT Dowding.

En tant que directeur scientifique de la Royal Air Force, il a développé la chaîne de radars et de postes de commandement et l'équipement radio des avions. Il a aussi préparé les radars embarqués pour la chasse de nuit.

En tant que chef du Fighter Command, il a supervisé son organisation et la formation des pilotes.

Il a aussi pris les décisions stratégiques de la bataille.

Il est aujourd'hui considéré comme un des plus grands (le plus grand ?) généraux d'aviation de l'histoire.

Et pourtant, à l'issue de la bataille,  il a été sacqué comme un malpropre. Pourquoi ? Parce que, pendant que les grouillots meurent, les généraux continuent à intriguer pour leur carrière. C'est le déshonneur de Churchill d'avoir prêté la main à ces intrigues de bas étage.

C'est instructif d'y revenir plus en détails.

Leigh-Mallory et Sholto Douglas sont aujourd'hui considérés comme des commandants médiocres (d'une manière générale, les Anglo-Saxons ont souffert de la médiocrité de leurs généraux. Dans ces nations peu bellicistes,  les meilleurs d'une génération ne faisaient pas carrière dans l'armée) : pendant qu'ils gaspillaient des pilotes au-dessus de la France en offensives couteuses et inefficaces (les Grands Cirques décrits par Clostermann), d'autres remportaient avec peu de moyens des victoires aériennes stratégiques à Malte et au Moyen-Orient.

La création d'un homme

La Royal Air Force, en tant que première armée aérienne indépendante de l'histoire, est la création d'un homme : Hugh Trenchard. C'est sa volonté, son intelligence, ses manœuvres, qui aboutirent à la création de la RAF en avril 1918.

En 1916 (comme quoi la crise de 1940 remonte à loin), Dowding et Trenchard se sont déjà violemment opposés.

Fallait-il envoyer les pilotes au front dès leur sortie de l'école, quitte à provoquer une boucherie, ou adopter une attitude moins offensive et permettre aux jeunes pilotes de s'aguerrir ? Trenchard était pour la première solution, Dowding pour la seconde. Dowding fut renvoyé en Angleterre. La question se posera à nouveau lors du Bloody April de 1917 (un ratio de pertes de 1 à 4 en faveur des Allemands !) avec la même réponse sanguinaire (voir La patrouille de l'aube de 1930 avec Douglas Fairbanks ou le 'remake' de 1938 avec Erroll Flynn et David Niven ).

Le problème du fait d'être née de la volonté d'un homme à forte personnalité fut que le commandement de la RAF fonctionnait comme une secte autour de son gourou et non comme une machinerie militaire où on peut examiner librement les options avant de décider. Les Anglais auront le problème avec Trenchard puis son fils spirituel Bomber Harris, les Américains avec Hap Arnold puis Curtis Le May, à peine (hélas) caricaturé  dans Docteur Folamour :

 


A l'inverse, Dowding fut très ouvert aux faits. Il avait du mal à s'insérer dans le cirque Trenchard. C'était une pièce rapportée. Il s'imposa à force de compétence. C'est impressionnant. Un peu comme de Gaulle, il dérangeait mais ses qualités étaient si évidentes qu'on se sentait obligé de le promouvoir.

De plus, Dowding était un grand diplomate : il avait publié un livre dont un chapitre s'intitule Why are senior officers so stupid? (ça se passe de traduction !). Je me demande toujours ce que ce genre de personne penserait de nos officiers actuels.

Le fonctionnement idéologique du commandement (par « commandement », j'entends l'Air Ministry et l'état-major de la RAF) a de nombreuses conséquences, dont une qui se fait sentir dans toute l'organisation : la coupure entre le haut et le bas, par la fuite des grands penseurs devant les triviales réalités.

Fuite favorisée par un phénomène bien connu de ce genre de fonctionnement, l'irresponsabilité. Plus exactement : la seule responsabilité des petits chefs et des moyens chefs, c'est de plaire au grand chef.

On se retrouvait donc avec une l'organisation ayant une forte culture de la responsabilité (le mécano signe sa form, le pilote signe sa form ...) dont les grands chefs vivaient dans les nuages de leurs idées fixes. Ce fut tout un psychodrame de distraire quelques bombardiers pour la décisive bataille de l'Atlantique alors que des dizaines étaient sacrifiés inutilement toutes les nuits au-dessus de l'Allemagne.

Le bordel

Du fait de cet esprit sectaire du commandement, la RAF des années 30/40 était gravement dysfonctionnelle. Elle attribuait des moyens énormes (125 000 aviateurs avec 73% !!! de pertes -tués, blessés, prisonniers, 1 million d'hommes au total) au Bomber Command, à peu près inutile (les Soviétiques s'en sont très bien passés. L'effet reconnu des bombardements stratégiques sur l'Allemagne fut d'empêcher l'accélération de la production, pas de la faire chuter, sauf fin 1944, quand la guerre était déjà perdue. Tout ça pour ça), tandis que les services vraiment décisifs Fighter Command, Coastal Command et Transport Command étaient négligés presque jusqu'au point de rupture.

Ce qui sauve ce genre d'organisation, c'est le bordel, la liberté qu'ont les grouillots à leur petite échelle de corriger les erreurs des chefs. La cruciale Bataille de l'Atlantique (puisque c'est l'exemple que j'ai pris) fut sauvée, entre autres, par quelques bombardiers « égarés » au Coastal Command.

Ne pas se fier aux politiciens

Dowding a appris dans sa carrière, par diverses péripéties, que la parole des politiciens ne vaut rien et que seuls les fous s'y fient. En 1940, il eut l'occasion de le vérifier.

Il y a pourtant un politicien qui a bien travaillé pour lui, Lord Inskip. Chargé de réfléchir à la stratégie de la Grande-Bretagne dans les années cruciale 1936-1939, il a convaincu le Cabinet de son raisonnement limpide (à la grande rage des idéologues du bombardement stratégique) :

1) La Grande-Bretagne n'a pas les moyens économiques de bâtir en temps de paix une force aérienne d'attaque (bombardement) et une force aérienne de défense (chasse) et n'a pas les moyens d'arriver à la parité de bombardiers avec l'Allemagne.

2) La stratégie gagnante pour la Grande-Bretagne est (comme toujours) une guerre longue.

3) La priorité doit donc être donnée à une force aérienne de défense, pour permettre à la Grande-Bretagne de tenir, le temps de se mobiliser industriellement.

Dowding eut peu de soutien des politiciens (sauf celui, défaillant, de Churchill, qui manquait, bizarrement, de constance), mais certains hauts fonctionnaires avaient bien compris que l'obsession du commandement de la RAF pour le bombardement stratégique était fumeuse.

La cabale

Une fois que vous avez compris le fonctionnement sectaire et idéologique du commandement de la RAF, il n'est pas difficile de comprendre la cabale contre Dowding, elle coule de source,

Travaillez au corps quelques députés et hauts fonctionnaires qui vous serviront de paravents, briefez les d'une manière très orientée, faites croire par leur intermédiaire qu'un mouvement de contestation vient de la base (un précurseur de la célèbre méthode de manipulation astroturfing), savonnez consciencieusement la planche de Dowding dans les couloirs auprès des ministres pendant qu'il est occupé par la bataille, et le tour est joué. Ces procédés déshonorants sont de toutes les machinations.

L'attaque de la Big Wing échoue.

Douglas Bader, le pilote cul-de-jatte, était très courageux, très combatif et obstiné, mais aussi con comme un balai. Il croyait qu'il valait mieux opposer aux Allemands des masses d'avion (les fameuses Big Wings) plutôt que des escadrilles au détail comme préconisé par Dowding.

Pour des raisons techniques (temps perdu à rassembler les Big Wings, difficultés à les contrôler), cette idée ne tenait pas la route. Tous les squadron leaders bien plus expérimentés que Bader (son accident l'a éloigné de la RAF pendant 8 ans) en ont témoigné. La RAF a fini par le reconnaître dans son histoire officielle en ... 1990.

On peut s'interroger sur les qualités d'un officier subalterne inexpérimenté, qui critique avec entêtement son commandant en chef en public, en des termes proches de l'insulte. Dowding a admis bien plus tard qu'il avait peut-être eu tort de ne pas le sanctionner.

Pour finir, Bader a été abattu et fait prisonnier en août 1941, au grand soulagement de ses subordonnés (témoignages sans ambiguïtés) qui commençaient à trouver que la recherche de score du patron, c'est-à-dire de gloire personnelle, leur coutait très cher. Ca éclaire la querelle précédente.

Toujours est-il que cette polémique inutile a affaibli Dowding. Les journalopes d'aujourd'hui lui colleraient l'étiquette infamante de « personnage controversé ».

Tirer la chasse de nuit

Puisque la bataille d'Angleterre se termina sur une victoire qu'il est impossible de ne pas attribuer à Dowding, ses ennemis choisirent un autre angle : « Il a réussi de jour, mais il n'a pas bien préparé la chasse de nuit ».

Factuellement, c'est faux, Dowding a poussé à fond le développement des radars embarqués. Mais, comme le reste, ce n'était qu'un prétexte.

L'essentiel était que Dowding ne devînt pas Air Chief of Staff comme c'est son destin naturel. Ca aurait été un désaveu terrible pour les idéologues du bombardement stratégique qui, comme tous les idéologues, étaient des gens obstinés et sans scrupules.

La faiblesse de Churchill

Pourquoi Churchill, grand défenseur de Dowding, a-t-il fini par le lâcher ?

Au bout du bout, ce n'est pas très flatteur pour Churchill : il a lâché Dowding parce que celui-ci était un froid calculateur et qu'il refusait les sacrifices qu'il jugeait inutiles alors que Churchill ne rechignait pas aux gesticulations sanglantes.

il semblerait cependant qu'il ait eu quelques remords de sa mauvaise action (elle n'était pas seulement mauvaise en termes moraux, elle était mauvaise en termes d'efficacité opérationnelle).

Une pauvre justice et une punition

La justice a progressivement été rendue à Dowding par les historiens.

La punition, ce fut pour les jeunes aviateurs anglais tués inutilement (lire Clostermann), Douglas et Leigh-Mallory  (les successeurs de Dowding et de Park, sacqué en même temps que son chef) étant nettement moins bons que ceux contre qui ils ont comploté (moins imaginatifs, moins rigoureux, moins économes du sang de leurs hommes).

Par comparaison, ce que peut l'imagination : Basil (futur Sir Basil) Embry, commandant une escadrille de chasse de nuit, ayant compris que le point clé était la formation des opérateurs du radar embarqué a fait une descente à Cambridge un week-end, a recruté de façon pirate quelques étudiants en science, les a formés et mis dans les avions pour voir ce que ça donnait. A la première sortie, un ennemi a été abattu.

Les petits hommes

Dowding a été victime de petits hommes, supérieurs à lui hiérarchiquement mais très inférieurs humainement : jaloux, mesquins, égoïstes, dogmatiques et méchants.

Cela ne devrait pas étonner : les grosses bureaucraties sont propices à l'ascension de ce genre de profils. Et la coalition des médiocres contre l'homme de qualité est aussi vieille que le monde.

C'est la carrière de Dowding, avec toutes ses qualités évidentes et donc gênantes, qui est étonnante. Il est étrange qu'il n'ait pas été éliminé avant d'accéder au commandement du Fighter Command.

Les généraux anglo-saxons étaient pour la plupart médiocres, mais cela n'a pas favorisé la carrière des quelques bons, bien au contraire. Par exemple, Slim en Asie n'a vraiment pas eu un chemin semé de roses.

Dowding fut le seul des grands généraux de la RAF à ne pas être fait Air Marshal à la fin de la guerre.

Dans la RAF, Dowding n'est pas un cas isolé : Ludlow-Hewitt, Cotton, Embry, Malan, Park ont tous été sanctionnés alors que leur supériorité ne fait aujourd'hui aucun doute, notamment leur imagination et leur sens de l'initiative. Mais ce sont justement ces qualités qui les rendaient insupportables à une organisation bureaucratique.

Il faut revenir à ce que j'écris au début de ce billet : la RAF des années 40 était une machine gravement dysfonctionnelle : elle gaspillait, pour son obsession (approuvée par un Churchill très mal conseillé) de l'area bombing, la transformation des villes allemandes en parkings de supermarché, des ressources considérables et atteignait un résultat douteux, à la fois moralement et militairement.

On ne peut qu'imaginer l'efficacité diabolique d'une RAF moins dogmatique, constituée de Mosquitos, moins couteux en matériels et en hommes (2 aviateurs au lieu de 10), quasi-indétectables au radar (ils étaient en bois) et pouvant transporter jusqu'à Berlin la charge de bombes d'un B17. Le Mosquito était insaisissable, il a fini la guerre avec le ratio de pertes le plus bas de la RAF.



Je n'évoque pas le Mosquito par hasard. Cet avion remarquable en bois moulé, ancêtre des composites, était l'un des très rares appareils étrangers a avoir été utilisé par les Américains, c'est dire. La timidité de la RAF à l'exploiter (produit à 7800 exemplaires, juste 500 de plus que les Lancaster, il aurait du l'être 3 à 4 fois plus) est souvent citée comme exemple d'aveuglement.

Mais il y a pire, jusqu'au début de 1943 !!!!,  la RAF refusait obstinément de développer les chasseurs d'escorte à long rayon alors que :

1) dès 1941, Sidney Cotton, l'inventeur de la reconnaissance stratégique (qui, bien sûr, a été sacqué), a fait voler un Spitfire, modifié avec l'aide de Supermarine, de 3000 km d'autonomie (4 fois l'autonomie nominale).

2) les Américains prouvaient avec le P51 équipé d'un moteur Merlin (donc anglais) que c'était tout à fait possible.
 
La RAF n'a remporté que deux victoires nettes et sans bavures, la Bataille d'Angleterre et Malte, à rebours de sa doctrine et par des hommes, Dowding et Park, dont elle a entravé la carrière.

Après la guerre, ce dogmatisme, issu de la création de la RAF en 1918, est devenu obsolète et s'est estompé avec le changement de génération et le changement de conditions matérielles (avions à réaction et bombe atomique).

Enfin, on notera que le roi George VI a bien compris l'offense faite à Dowding et qu'il a insisté pour qu'il soit fait baron. Ca ne répare pas l'injustice, mais ça parle en faveur de la monarchie !

L'inaptitude criminelle du commandement de la Royal Air Force est le fruit d'une histoire. Elle ne doit pas faire oublier le courage des jeunes hommes qui montaient dans leurs avions et allaient à la guerre.


dimanche, décembre 18, 2022

Il y a encore des imbéciles séduits par ce vieux nazi d'Heidegger.

Heidegger et le grand refus de l’agriculture motorisée, par Nicolas Bonnal

 Ca n'a, hélas, plus guère d'importance puisque la pensée historiciste nazie d'Heidegger a quitté le domaine des discussions philosophiques et est devenue la pensée de notre temps.

J'ai déjà écrit ce que j'en pensais :

La renaissance de l'occident (P. Herlin)

Pour ceux que ça intéresse :

Strauss on Heidegger: 5 crucial texts

Je me permets de recopier mes commentaires :

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Ca me dérange (pour ne pas dire plus) que le Courrier des Stratèges se réfère à un authentique nazi. Que voulez vous ? On est sensible, parfois. 

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Votre commentaire est malhonnête.

Heidegger a vécu à l’époque du nazisme, a adhéré au parti nazi et il nous a délibérément fait savoir, par la publication post-mortem de ses cahiers noirs, que sa pensée était nazie. Bref, Heidegger est un penseur nazi revendiqué.

Si ça ne vous suffit pas pour le juger infréquentable, vous avez un grave problème de discernement moral. 

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Comme tous ceux qui défendent l’indéfendable Heidegger, vous passez sous silence le fait essentiel : il a lui-même fait en sorte que nous sachions que sa pensée était nazie. A partir de là, défendre l’œuvre d’Heidegger (ah, séparer l’œuvre de l’auteur, cette tarte à la crème), c’est soit défendre le nazisme soit trahir Heidegger.

Aucun brouillard de mots pédants ne pourra effacer ce dilemme puisque c’est l’auteur qui l’a volontairement (et de manière fort retorse) lui-même posé.

Que vous défendiez le nazisme à travers l’œuvre d’Heidegger ne m’étonne pas puisque cela confirme ma vision du monde actuel : beaucoup d’idées nazies s’y ébattent joyeusement parce qu’il y a aujourd’hui des passeurs d’idées nazies comme il y a des passeurs de drogue.

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Quelqu’un qui, contrairement à Arendt, n’a jamais eu aucune complaisance d’aucune sorte pour Heidegger : Leo Strauss (qui fut aussi, comme Arendt, son élève). Que le vieux nazi réussisse encore à tromper des imbéciles 50 ans après sa mort ne l’étonnerait guère.

jeudi, décembre 15, 2022

The fall of Forteresses (Elmer Bendiner)

 Récit du raid du 17 août 1943 contre Schweinfurt, publié en 1980, par un navigateur de B17, devenu journaliste.

D'abord un peu de contexte.

Dans les années 20/30, l'Américain Mitchell et l'Italien Douhet popularisent le concept de bombardement stratégique à travers deux idées idiotes (il y avait les moyens à l'époque de savoir qu'elles étaient idiotes, c'est pourquoi ni la Russie, ni l'Allemagne, ni la France ne s'y sont engagées) :

1) Le bombardement des installations essentielles d'un ennemi peut mettre son économie à genoux et le forcer à la capitulation.

2) Des raids de bombardiers lourdement armés percent toujours les défenses.

Le bombardement stratégique a un peu fonctionné sur le Japon, à la géographie et à l'économie particulières (mais les sous-marins à long rayon d'action, qui ont coulé des millions de tonnes de premières premières, ont été plus efficaces. Un peu les parents pauvres du récit canonique, même si Hollywood leur a consacré quelques films). Sur l'Allemagne, pas du tout.

Les missiles intercontinenteaux et la bombe atomique remettront le bombardement stratégique à la mode, mais c'est une autre histoire.

Le rapport d'après-guerre sur ce sujet conclut que les bombardements stratégiques ont empêché l'Allemagne d'augmenter encore plus sa production de guerre qui a triplé en 3 ans. Piètre résultat, tout ça pour ça.

En 1941, Churchill autorise un programme de bombardement stratégique de nuit, concrètement, raser les villes allemandes (c'est tout ce que la précision de l'époque permet).

Il est très dubitatif (il a du bons sens), mais il est politiquement coincé : pour ne pas risquer que Staline cherche une paix séparée avec Hitler, il doit absolument montrer que la Grande-Bretagne « fait quelque chose » et bombarder les villes allemandes, c'est tout qu'elle peut faire.

Cette campagne de bombardement stratégique de nuit est un désastre humain, militaire et économique.

Désastre humain : bombarder les civils allemands n'était pas très éthique, même s'ils l'avaient bien cherché. Et les Britanniques ont eu plus d'officiers aviateurs tués pendant la seconde guerre mondiale que d'officiers d'infanterie pendant la première.

Désastre militaire : le résultat militaire de cette orgie de destruction a été à peu près nul.

Désastre économique : vu le coût astronomique des bombardiers lourds, cet argent aurait probablement été mieux employé ailleurs, dans la logistique par exemple (l'offensive alliée en Europe est tombée en panne d'essence en septembre 1944. Pour le prix d'un Lancaster, on avait 2 voire 3 DC3).

Les Américains se la jouent comme d'habitude, méprisants : on va voir ce qu'on va voir. Avec leurs bombardements de jour « de précision », ils vont donner une leçon à ses arriérés d'Anglais. Sauf que ... pas vraiment.

Printemps 1943

Au printemps 1943,  ça craint pour les idéologues américains du bombardement stratégique de jour. Ca fait un an et demi que l'Amérique est en guerre et, malgré les moyens énormes mis à leur disposition, ils n'ont rien démontré.

Quelques raids sur la France, escortés par des Spitfires et des P47 Thunderbolt. Mais les escorteurs à long rayon d'action (P51 Mustang, P38 Lightning) et les réservoirs largables ne sont pas encore là.

Qu'importe : périssent les troufions pourvu que vivent les idées grandioses des généraux. On enverra donc les braves aviateurs se faire descendre sans escorte au-dessus de l'Allemagne.

C'est ce que raconte Bendiner. Mais aussi le film (que je vous conseille) Twelve o'clock high (ensuite transformé en série télévisée) avec Gregory Peck :

 

 Le 17 août 1943 et le 14 octobre 1943 (black Thursday)

Le raid sur Schweinfurt est l'exemple de la fausse bonne idée : les roulements à bille sont indispensables à l'économie de guerre, détruisons les usines de roulements à bille et l'économie allemande sera paralysée.

Sauf que les usines de roulements à bille sont facilement dispersables et diversifiables. Le raid sur Schweinfurt n'a pas retardé l'économie allemande d'une minute.

Voilà ce qu'un historien écrit :

As soon as the reconnaissance photographs were received on the evening of the 17th, Generals Eaker and Anderson knew that the Schweinfurt raid had been a failure. The excellent results at Regensburg were small consolation for the loss of 60 B-17s. The results of the bombing were exaggerated, and the high losses were well disguised in after-mission reports. Everyone who flew the mission stressed the importance of the escorts in reducing losses; the planners grasped only that Schweinfurt would have to be bombed again, soon, in another deep-penetration, unescorted mission.— Donald Caldwell

Dès le soir du 17 août, à la réception des photos de reconnaissance, les généraux Eaker et Anderson ont su que le raid sur Schweinfurt était un échec. Les excellents résultats sur Regenburg étaient une maigre consolation pour la perte de 60 B-17. Les résultats du bombardement furent exagérés et les fortes pertes minimisées dans les compte-rendus de mission. Tous ceux qui avaient participé à la mission insistaient sur l'importance de l'escorte pour réduire les pertes. Les planificateurs en ont juste conclu qu'il faudrait un autre raid sur Schweinfurt. Sans escorte. Donald Caldwell

Ce raid est un échec (plus de 5 % de pertes pour un résultat nul). Que fait-on ? Évidemment, plus de ce qui ne marche pas. Le 14 octobre 1943, le raid est recommencé.

Là, c'est un désastre complet : 20 % de pertes (pour vous donner un ordre de grandeur, le premier jour de l'offensive de la Somme, le 1er juillet 1916, considéré comme un des plus grands échecs militaires de tous les temps, c'est 18 % de pertes) pour un résultat toujours nul.

Les Allemands ont joué particulièrement fin, ils ont organisé les décollages et les atterrissages pour que les chasseurs puissent maximiser leur temps de chasse et réarmer pour intercepter une seconde fois les Américains au retour (les réarmements n'ayant pas forcément lieu sur le terrain de départ, là est l'astuce).

Bendiner raconte qu'ils passaient 2 à 3 heures à tourner au-dessus de la Manche pour constituer les boxes. un tel préavis facilite grandement les choses pour les défenseurs, c'est presque criminel.

Un triomphe de propagande

Il faut bien comprendre le mécanisme : les généraux de l'Army Air Corps au pouvoir en Angleterre et à Washington ont misé toute leur carrière sur cette idée de bombardement stratégique et ils ont les moyens d'arranger à leur sauce l'information qui remonte.

Leurs supérieurs ne sont pas totalement dupes mais tout ce beau monde est d'accord sur un point : cacher la vérité au grand public.

Il est intéressant de rappeler que, lorsque les théoriciens soviétiques rejettent le bombardement stratégique, c'est avec le motif qu'une nation industrielle a les ressources de s'adapter à moindre coût (c'est exactement ce qu'Albert Speer a organisé).

Les Américains mirent un an de tâtonnements (la préparation du débarquement en Normandie a retardé les choses) pour comprendre que la seule production stratégique vulnérable aux moyens de l'époque était le pétrole, les raffineries étant étendues, vulnérables et impossibles à dissimuler.

La peau de Luftwaffe

Le bombardement stratégique a fini par avoir la peau de la Luftwaffe, mais pas  du tout de la manière anticipée par ses promoteurs.

Ce ne sont pas des bombardements bien choisis par des bombardiers armés se défendant seuls qui ont mis à genoux la Luftwaffe. Ce sont les avions d'escorte toujours plus nombreux et mieux organisés. A la limite, les bombardements n'étaient qu'un prétexte à forcer la Luftwaffe à prendre l'air, perdant peu à peu son bien le plus difficile à produire, les pilotes.

C'est ce qu'avait tenté Goering en 1940 contre la RAF et qui a échoué grâce à la remarquable stratégie de Dowding. L'Air Chief Marshal estimait, à raison, qu'il valait mieux prendre le risque que les bombardiers passent que prendre le risque de perdre trop de pilotes. Cette sagesse était trop intelligente pour les autres : à l'issue de la bataille d'Angleterre, il fut viré comme un malpropre avec une ingratitude scandaleuse qui n'est pas à l'honneur de Churchill. Mais les historiens lui ont rendu justice : il est aujourd'hui considéré comme le plus remarquable général d'aviation de l'histoire.

L'ironie est que Dowding a été saqué par les partisans du bombardement stratégique (que son succès défensif faisait paraitre un peu cons), au premier rang des desquels son ennemi intime (ils s'étaient déjà violemment opposés en 1916 : voir La patrouille de l'aube de 1930 avec Douglas Fairbanks ou le 'remake' de 1938 avec Erroll Flynn et David Niven), le fondateur de la Royal Air Force, Hugh Trenchard.

Mais je ferai un billet spécifique sur la difficile et édifiante carrière de Dowding.

Le récit d'Elmer Bendiner

Tout ceci étant posé, le récit de Bendiner, 35 ans après les faits, est très amer, très ironique.

Il a beaucoup d'indulgence pour les déserteurs, comme ces deux mitrailleurs de sabord qui ont sauté en parachute au-dessus de l'Allemagne. Ou ce mitrailleur qui a demandé à être muté en cuisine. Son chef lui a répondu « Tu sais, moi aussi j'ai peur » et il a rétorqué « D'accord. Mais moi, je vais rester en cuisine ». Et il est allé en cuisine.

Le pilote de Bendiner a rétrogradé à co-pilote à cause de sa propension à saisir tous les prétextes pour interrompre les missions.

Bendiner, lui, a traversé tout cela avec une insouciance qu'il décrit comme de la bêtise, comme s'il n'avait pas mérité ses médailles. Je vois dans cette façon grinçante de présenter les choses une coquetterie assez désagréable Mais bon, c'est un journaliste, donc un gauchiste. Il ne faut pas trop attendre de ces gens là.

Bref, je suis mi-figue mi-raisin vis-à-vis de ce livre : c'est un témoignage intéressant mais son ton me déplait.


J'ai en stock un autre livre sur le sujet. Je le lirai plus tard.


lundi, décembre 05, 2022

Une énigme française (Jacques Semelin avec Laurent Larcher)

L'auteur est un gauchiste Sciences Po, ce qui donne quelques débilités, dont le fameux « ne pas faire le jeu d'Eric Zemmour ».

Le sujet est passionnant : 75 % des juifs en France (et 90 % des juifs français), soit environ 200 000 personnes, n'ont pas été déportés. Cette proportion est l'inverse de celle des Pays-Bas et de la Belgique. Elle est unique en Europe (sauf le Danemark).

Semelin a publié une somme sur le sujet en 2013 et ce livre ci est à la fois une synthèse et un récit de la réception du précédent.

L'auteur est frappé, dans les témoignages qu'il recueille, dans les années 2010 (donc des jeunes en 1940), que beaucoup lui disent que, malgré la peur, ce furent parmi les plus belles années de leur vie.

Les hypothèses connues

L'auteur écarte deux hypothèses :

1) Les Justes reconnus. Ils ne sont pas assez nombreux pour expliquer ce taux de survie. Environ 90 % ds non-déportés se sont débrouillés sans l'aide de réseaux constitués (ce qui ne signifie pas « sans aide du tout »).

2) Par idéologie, l'auteur écarte la thèse de Zemmour : la complaisance du gouvernement de Vichy pour les juifs français au détriment des juifs étrangers. Mais cette thèse a quelque consistance même si elle n'explique pas tout.

Et pourtant, Vichy

L'auteur est rapidement obligé de reconnaitre, « sans faire le jeu d'Eric Zemmour », que le gouvernement de Vichy est schizophrène vis-à-vis des juifs : il les persécute réellement mais, simultanément, cette persécution a des « oublis » tout à fait étonnants. Les juifs continuent à avoir droit aux aides sociales et ils ne sont pas interdits de travaux agricoles, ce qui permet à bon nombre de se réfugier à la campagne.

Les secrétaires de mairie, qui authentifiaient de faux actes de naissance, ont aussi eu un rôle utile.

Robert Paxton, cet Américain francophobe, a réussi l'exploit d'écrire un livre, La France de Vichy, en considérant comme négligeables la défaite et la présence (suivant les époques) de 600 000 à un million de militaires allemands sur le territoire français et donc en considérant comme libre et représentant la France le gouvernement de Vichy.

Bien sûr, comme tout ce qui salit la France, Paxton a déclenché l'enthousiasme de l'intelligentsia (et, en plus, si ça vient d'Amérique, c'est l'orgasme). Le paxtonisme est devenu la doctrine officielle de l'Etat Français, qui est aujourd'hui le pire ennemi de la France. Les traitres Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron en ont fait des tonnes sur « Vichy, c'était la France, la France est coupable ».

Bien que gauchiste, et « sans réhabiliter Vichy », Semelin a l'honnêteté de constater que le gouvernement de Vichy a tenté de finasser avec une situation contrainte (mais que les collabos avaient choisie en demandant l'armistice).

Beaucoup de fonctionnaires plus ou moins hauts ne pouvaient ignorer que leurs subordonnés faisaient des faux papiers à la chaine et ont laissé faire.

La campagne, l'exode, la zone libre, la SNCF.

L'exode a « naturellement » poussé des juifs vers la campagne, et plutôt au sud, en zone qui restera libre jusqu'à la fin 1942. S'ils n'y sont pas restés, des contacts ont souvent été pris. Et comme le réseau de la SNCF était très ramifié, ils ont pu atteindre des trous du cul du monde.

C'est là qu'intervient un facteur primordial : les Français. Une famille juive qui débarque au fin fond de la Drôme à Trifouillis-les-Calbutes ne peut passer inaperçue. Pourtant, contrairement à la légende « délation, sport national », il y a eu très peu de dénonciations.

Les Français

La délation est dissymétrique : le silence de centaines de personnes est nécessaire pour protéger une famille juive mais une seule dénonciation suffit à l'exposer.

Or, contrairement à la légende de millions de lettres de délations, on n'a identifié à Paris que 3000 lettres de dénonciations de juifs. C'est trop, certes, mais c'est à comparer au 30 % de lettres de dénonciation de juifs, c'est-à-dire des centaines de milliers, de la Pologne. C'est corroboré par de nombreux témoignages « Ils savaient et ils n'ont rien dit ».

Paxton, encore lui, nous raconte qu'il y a chez les Français un antisémitisme viscéral. Peut-être, mais il ne se retrouve pas dans les chiffres.

C'est toujours la différence entre la théorie et la pratique : des Français militants politiques, antisémites en théorie, ont sauvé des juifs, en pratique.

Le contexte économique aide : quand il y a deux millions d'hommes prisonniers en Allemagne, voir arriver au village un ouvrier agricole, un tailleur ou un médecin, c'est une bonne nouvelle.

Le contexte politique aussi : en 1942, au moment des grandes rafles, l'entrée en guerre des Etats-Unis et l'échec allemand devant Moscou ont marqué les esprits. Les Français, dans leur grande majorité, savent que les Alliés vont gagner la guerre.

Semelin identifie cinq fonctions parmi les Français qui aident les juifs : l'ange-gardien, l'hôte, le nourricier, le faussaire, le passeur.

Un élément très important : les catholiques. On a beaucoup mis l'accent sur les protestants, comme à Chambon-sur-Lignon, mais les catholiques étaient bien plus nombreux.

Notre époque manichéenne a beaucoup de mal à comprendre la complexité. Les évêques étaient pétainistes pour la plupart, mais encourageaient en sous-main et aidaient leurs ouailles à sauver des juifs. Mgr Rémond à Nice organise le sauvetage de milliers de juifs (l'historien René Rémond ignorait l'action de son oncle).

La lettre pastorale de Mgr Saliège est un tournant politique. Elle se répand comme une trainée de poudre. Elle est lue à la BBC (de Gaulle fera de Saliège l'unique évêque Compagnon de la Libération). Surtout, elle a un effet politique : Laval s'en sert auprès des Allemands pour expliquer que, devant l'opinion publique qui se cabre, il ne peut accélérer les déportations.


Si le sujet n'était pas si grave, on pourrait dire qu'il y a en 1942-1944 un championnat de France du sauvetage de juifs entre les couvents.

Serge Klarsfeld conclut : « Les juifs ont envers les catholiques une dette immense ».

Pourquoi cette ignorance du grand public du rôle salvateur des catholiques ? L'explication la plus simple est la meilleure : à cause de l'anti-catholicisme militant de ceux qui causent dans le poste.

Dans le film Un sac de billes, le rôle du prêtre est négatif alors que dans le roman autobiographique qui a servi de base au film, il est positif. Dans la série télévisée Un village français, on ne voit pas un curé, ce qui est totalement invraisemblable pour un village français de cette période.

Heureusement, dans Papy fait de la Résistance, Michel Blanc sauve l'honneur, en curé qui attend avec impatience le parachutage de la nouvelle lune et qui a autre chose à faire que de s'occuper de Michel Taupin-Christian Clavier.

Défier Paxton

Le livre de Semelin est bien reçu ... sauf par les paxtoniens. C'est tout naturel puisque le rôle officieux mais bien réel des paxtoniens est de salir les Français (je ne serai vraiment pas étonné si on découvre un jour que Paxton était financé, comme Jean Monnet, par une de ces fondations américaines qui nous veulent tant de bien).

Mais les chiffres entravent le raisonnement paxtonien et Semelin est soutenu par les juifs.

Cet enculé de Chirac

En bon gauchiste, l'auteur a apprécié en 1995 le discours du Vel d'Hiv « La France commettait l'irréparable ... ». Aujourd'hui, à la lumière de ses recherches, il trouve ce discours fautif.

Il est plus que fautif, il est ignoble, bien raccord avec ce triste sire qu'était Chirac. Philippe Seguin a dit en quelques phrases cinglantes tout le mal qu'il faut en penser.

En 1997, repentance des évêques (mais pas tous) fort peu judicieuse. Une caractéristique des évêques contemporains est, qu'ayant perdu la Foi, il ne sont plus éclairés par sa lumière et ont fort peu de discernement.

Le halo protecteur ?

Enfin, un mot personnel : le comportement lâche, voire activement méchant, de 90 % Français à l'occasion du délire covidiste (qui n'est pas fini, puisque la justice n'est pas passée) ôte tout droit à notre génération d'émettre un jugement moral sur d'autres générations.

En juin 1940, le choc explique beaucoup. Mais, en avril 2020, au choc de la première assignation à résidence (baptisée « confinement » par les menteurs professionnels), je n'ai pas souvenir que nous fussions très nombreux à dénoncer cette folie totalitaire dont nous commençons à peine à subir les conséquences.

Je peux témoigner que les non-'vaccinés' n'ont pas senti ce halo protecteur dont parlent nombre de Résistants et de juifs. Sauf deux restaurants qui ont « oublié » à répétition de nous demander notre paSS, sur la grosse dizaine que nous avons tentés. Si les restaurateurs crèvent aujourd'hui, je ne verserai pas une larme.

Nous sommes presque en 2023 et on ne peut pas dire que le récit délirant (« Nous avons fait, et faisons, au mieux dans une terrible épidémie ») soit remis en cause par la contrition (« Nous avons été cons comme des bites, pris de panique par un rhume et nous avons eu un comportement ignoble et ridicule, que nous regrettons ») dans la masse de la population.

jeudi, décembre 01, 2022

Huit heures à Berlin (Blake et Mortimer)

Les scénarios des derniers Blake et Mortimer sont inégaux, mais celui-ci est pas mal.

Blake et Mortimer vivent leur vie et leurs aventures qui convergent vers la visite de Kennedy à Berlin (« Ich bin ein Berliner »).

Et les dessins sont très bien.