
La particularité de Philippe Nemo est de démontrer en termes limpides, ouvrage après ouvrage, en quoi le gauchisme est une religion. C'est pourquoi en cadeau et pour vous inciter à lire ce livre, je vous offre le passage sur la religion de gauche.
"Il faut limer et frotter sa cervelle à celle d'autrui" (Montaigne)
LE FIGARO. - Peut-on dire que la France est en partie malade de l'euro?
Jean-Jacques ROSA. - Oui, car vous ne pouvez pas appliquer la même politique monétaire, c'est-à-dire le même taux de change et le même taux d'intérêt, à des économies dont les trajectoires et les structures sont différentes. Notre économie n'évolue pas de la même façon que celle de la Grèce ou de l'Allemagne: les taux d'inflation divergent, les phases conjoncturelles ne coïncident pas, et il n'y a pas de taux de change idéal et unique, globalement applicable.
Le taux de change détermine vos exportations et vos importations, il est lui-même lié aux taux d'intérêt, et si vous n'avez pas le bon change par rapport aux conditions de votre économie, cela pénalise votre croissance. Tel est le point fondamental. La monnaie unique est un fiasco pour les économies nationales qu'elle a privées d'un amortisseur de crise essentiel dans les remous de la grande récession. Les eurosceptiques ont donc eu raison sur toute la ligne en cernant les nuisances à venir de la monnaie unique, mais la victoire de la raison a quelque chose d'amer.
Déplorez-vous qu'une politique d'intégration de l'Europe n'ait pas précédé sa construction économique ?
La politique peut corriger les inconvénients d'une même monnaie appliquée à des économies différentes. Aux Etats-Unis, par exemple, où le Massachusetts ne fonctionne pas comme le Texas, l'appareil étatique fédéral et l'impôt fédéral font que, lorsque le Texas est en plein boom, les rentrées fiscales provenant de cet Etat permettent de subventionner le Massachusetts qui est en récession. Les Etats-Unis peuvent donc supporter une monnaie commune qui, idéalement, ne convient pas à la fois au Texas et au Massachusetts, mais les transferts fiscaux permettent d'amortir le choc. Nous n'avons pas cela en Europe.
Faut-il des Etats-Unis d'Europe? C'était l'objectif des fédéralistes, mais une telle construction n'est pas possible pour des raisons de fond. Les Etats-Unis se sont constitués au XIXe siècle, dans un contexte d'impérialisme et d'extension territoriale des nations. Un siècle et demi plus tard, et particulièrement depuis la révolution de l'information des années 1970-1980, nous observons l'exacte tendance inverse. L'Empire soviétique a éclaté. Les nations se fragmentent, on l'a vu en Europe de l'Est, et les nations qui ne comportent que quelques millions d'habitants sont le plus souvent prospères. Ainsi des pays nordiques, de la Suisse, du Canada ou de la Nouvelle-Zélande. Grâce à l'ouverture des marchés mondiaux et à la révolution de l'information, au lieu d'être un handicap, la petite dimension est devenue un avantage. Et les plus petits pays sont nécessairement plus ouverts au commerce extérieur. Dans un monde de libre circulation, même si elle vient d'un tout petit pays, une entreprise peut se développer et vendre sur tous les marchés de forts volumes à faible coût.
Une Europe fédérale aboutirait donc, selon vous, à une régression ?
Regardez l'Histoire: après la Première Guerre mondiale, dans une économie où les marchés étaient fragmentés et le protectionnisme de règle, le calcul économique consistait à dire: puisqu'il n'y a plus d'accès à un marché mondial, nous devons avoir notre grand marché impérial. Telles ont été les politiques de la Grande-Bretagne et de la France. Ces temps-là sont révolus. Il vaut mieux vendre partout dans le monde plutôt que de se limiter à un sous-ensemble régional.
À qui profite l'euro ?
Je me suis posé cette question dès l'écriture de L'Erreur européenne, en 1998, alors que la monnaie unique n'était encore qu'à l'état de projet. C'était un tel contresens économique! Pourquoi tous ces gens de gouvernement, fort intelligents, ont-ils choisi de s'engouffrer dans cette nasse? Il s'agissait à l'époque d'obliger les Européens réticents à construire un super-Etat, par l'artifice technique de l'union monétaire qui les contraindrait tôt ou tard à accepter aussi l'union budgétaire, et donc un Etat fédéral. Certains milieux patronaux ne sont pas demeurés en reste. L'euro a été soutenu de bout en bout par une coalition de dirigeants politiques, d'élites administratives, de responsables du grand patronat, parce que toutes nos industries européennes sont le plus souvent cartellisées.
L'intérêt d'un cartel est de fixer les prix ensemble, pour supprimer ainsi la concurrence, hausser les tarifs et dégager des profits plus importants. Le mouvement, élargi à l'Europe, est clair: un cartel national fonctionnera sans grand problème dans un espace fermé, sous la houlette d'autorités professionnelles adéquates. Mais dès que l'on ouvre les frontières, on se trouve aux prises avec des concurrents qui ne jouent pas le même jeu. D'où la tentation de reconstituer un cartel dans une zone plus large, avec ces nouveaux concurrents. Se pose alors le problème du contrôle des prix convenus. Si le taux de change bouge chaque jour, la tâche devient complexe. Il faut renégocier en permanence, alors que si vous supprimez les variations de change, tout redevient simple, comme à l'intérieur d'une seule économie nationale. La volonté de reconstituer le cartel industriel au niveau européen fonde la volonté de supprimer toute variation de change. Les Etats, finalement, considérés comme des entreprises, sont dans la même situation...
Cette simplification que vous reconnaissez n'a-t-elle pas des aspects positifs ?
Cela dépend pour qui ! Positifs assurément pour les cartels qui augmenteront leurs profits, mais certainement pas pour tous les autres joueurs: les cartels font monter les prix et contractent les volumes de production aux dépens des citoyens et des consommateurs. «Les gens d'une même profession, observe Adam Smith dans La Richesse des nations,ne se rencontrent que rarement, même pour s'amuser ou se distraire, sans que leur conversation n'aboutisse à quelque collusion au détriment du public...»
Manière élégante de faire du populisme...
Mais il arrive que le populisme ait raison. Il peut certes devenir outrancier et préconiser de fausses solutions, mais il reste qu'en démocratie écouter le peuple est le principe fondamental.
Le peuple va-t-il pour autant réclamer la suppression de l'euro ?
Je ne le pense pas dans l'immédiat, parce qu'il faut d'abord comprendre qu'une très large part de nos difficultés provient de cette erreur économique majeure, ce qui nécessite une assez bonne connaissance des mécanismes monétaires. Mais il n'est pas nécessaire d'être un expert pour sentir que quelque chose ne va pas et comprendre que nous faisons fausse route.
Que répondez-vous aux économistes qui voient dans l'abandon de l'euro une porte ouverte sur l'apocalypse ?
L'Etat et les entreprises ayant des dettes libellées en euros détenues à l'étranger, sortir de la monnaie unique et dévaluer le nouveau franc soutiendrait l'activité mais majorerait le poids de cette dette, exprimée désormais en francs. Les charges des contribuables et des entreprises en seraient alourdies, ce qui, en sens inverse, ralentirait la croissance. On pourrait alors envisager de ne rembourser ces dettes que pour partie (un défaut partiel de paiement), mais alors les créanciers internationaux ne nous feraient plus confiance, d'où difficulté accrue de trouver du crédit à l'étranger. Les taux d'intérêt augmenteraient, ce qui pénaliserait les finances publiques et l'activité des entreprises.
Tels sont les principaux arguments des tenants de la monnaie unique. À cela deux réponses: en abaissant le coût de nos produits à l'étranger, la dévaluation stimulera la croissance, et nous donnera par conséquent davantage de moyens pour le service de la dette.
La seconde réponse est conditionnelle: dévaluer l'euro préalablement à l'instauration d'un nouveau franc nous procurera tous les avantages de la dévaluation, mais sans majorer la dette extérieure. En effet, il ne sera plus nécessaire de dévaluer le nouveau franc après la sortie de l'euro, puisque la dépréciation de ce dernier aura déjà reconstitué notre compétitivité. Il n'y aura donc pas de nécessité de dévaluer le franc proprement dit, ni par conséquent de majoration de la dette extérieure.
La solution est là: dévaluer la monnaie unique pour en sortir ensuite sans dommages. Ce n'est nullement une utopie. Aujourd'hui, l'euro vaut à peu près 1,42 dollar. Lorsqu'il a été créé, c'était à parité: un dollar contre un euro. Il est même tombé à un moment à 0,85. Abaisser son prix en dollars n'est donc pas impossible à réaliser.
Comment expliquez-vous alors le dogme si souvent réitéré d'une monnaie forte ?
À quoi sert une monnaie forte sinon à abaisser le coût des emprunts à l'étranger? Avec une monnaie forte, les prêteurs se disent qu'ils ne seront pas volés au moment du remboursement, si bien qu'ils n'exigent pas de taux d'intérêt élevés. En revanche, avec une monnaie faible, les prêteurs exigeront des taux majorés pour compenser par avance une éventuelle perte de capital. La conclusion à en tirer est qu'une monnaie unique et forte est une redoutable machine à emprunter parce qu'elle abaisse le coût de l'emprunt. Le cas espagnol illustre parfaitement l'aspect pervers de cette facilité. Avec 6% d'inflation environ dans le pays et un taux d'intérêt fixé par la BCE à 2%, les ménages et investisseurs locaux empruntent au taux réel de -4%. D'où une frénésie d'investissement immobilier qui a provoqué un déséquilibre complet de l'activité nationale et de la position patrimoniale des emprunteurs. Ils sont allés beaucoup trop loin, puisqu'ils étaient subventionnés pour emprunter...
Globalement, au niveau européen, il ne faut pas non plus se cacher que ces facilités de financement ont exonéré certains gouvernements des efforts nécessaires en termes de réformes structurelles et de réduction des dépenses. Au lieu d'imposer une libéralisation de l'économie, l'euro a encouragé le statu quo et a paralysé les réformes véritables.
La France peut-elle concrètement retourner à une monnaie nationale ?
Tous les pays issus du démembrement de l'URSS l'ont fait. Du rouble, ils sont passés à des monnaies nationales. Dans les années 1990, après la scission de la République tchèque et de la Slovaquie, j'ai posé la question au président tchèque Vaclav Klaus de la difficulté de créer ainsi sa propre monnaie. Il m'a répondu en exactement deux mots: «Une semaine»... En une génération, une soixantaine de pays sont sortis d'une union monétaire. Aussi, lorsqu'on nous présente cette proposition comme une sorte d'horrible et exceptionnel fantasme, il faut bien prendre conscience qu'elle n'a rien que de très banal. Aujourd'hui, la monnaie est essentiellement scripturale, concrètement, des comptes en banque. Du jour au lendemain vous décrétez que votre compte de 3000 euros est désormais de 3000 francs...
À quoi correspondra exactement cette équivalence entre l'euro et le franc ?
Chez le boulanger, la baguette qui était à un euro, passera à un franc - à quoi cela sert-il? A restaurer la compétitivité internationale de nos entreprises. Cela se fera soit après une dévaluation de l'euro, comme je le préconise, avec de réels effets sur les importations, les exportations et la croissance, ou bien après la recréation du franc. Dans ce dernier cas, nous pourrons aussi en profiter pour rétablir notre compétitivité non seulement vis-à-vis des pays tiers, mais aussi vis-à-vis de l'Allemagne. Ce qui ouvrirait enfin de réelles perspectives de retour à une croissance soutenue dans un pays où l'exportation représente un tiers environ de l'acti vité totale. Le résultat de la sortie de l'euro ne peut qu'être positif, tant pour la croissance que pour notre capacité de remboursement de la dette, qui repose au bout du compte sur l'accroissement du revenu national.
Dans votre livre vous posez la question: comment tout cela va-t-il se terminer ?
Mal pour l'euro, j'imagine, mais les configurations potentielles des choix de chacun des 16 partenaires de la zone - entre sortie isolée et maintien dans un groupe restreint - sont trop nombreuses pour que l'on puisse deviner à l'avance le scénario le plus probable. Néanmoins, il y a urgence. L'euro étant surévalué par rapport au dollar, les industries françaises sont pénalisées par rapport à tous les pays dont la monnaie est liée au dollar. Nous sommes aussi surévalués par rapport à l'Allemagne, sans possibilité aucune de correction par le change. Cela fait beaucoup de handicaps pour nos exportateurs et nos industries concurrencées par les importations.
L'urgence n'est-elle pas plus pressante encore pour les PIGS ?
Avec des inflations plus élevées que la nôtre - et surtout que l'allemande -, une compétitivité fortement dégradée, des problèmes aigus de dette, certains de ces pays vont sortir très probablement de la zone euro. Je pense à la Grèce, mais aussi au Portugal, à l'Irlande, et peut-être même l'Espagne.
C'est une prédiction sérieuse ?
Pour les Grecs, assurément. Le pire est le problème du renouvellement de la dette qui arrive à terme. Il leur faudra réemprunter beaucoup entre 2012 et 2014. On multiplie donc les plans de prétendu sauvetage, alors qu'en vérité on alourdit encore leur dette en pourcentage du revenu national. Et les plans d'austérité contractent davantage l'activité écono mique, si bien que le rapport de la dette à la capacité de remboursement augmente au lieu de se réduire. Chaque prêt aggrave leur problème. D'où les réactions de rue à Athènes ou à Madrid. Pour s'en sortir, ils ne pourront que renoncer à rembourser une partie de la dette et dévaluer, c'est-à-dire sortir de l'euro.
Et nous ?
Seuls les pays les moins pénalisés par la monnaie forte pourraient rester dans l'euro: l'Allemagne et ses voisins, les Pays-Bas, l'Autriche. Si les moins bons débiteurs sortent, les marchés internationaux auront davantage confiance dans la monnaie unique. Je doute alors que l'on puisse obtenir une dévaluation importante de l'euro, comme je le souhaite. Or, à supposer que l'euro monte encore, la France devrait alors recourir à une dévaluation majeure qui augmenterait beaucoup sa dette externe. D'où la nécessité d'envisager une rapide sortie. Entre 2012 et 2014, nous allons vivre une phase critique. Si les pays du Sud sortent de la zone euro avant la France, ce sera mauvais pour nous.
Le cartel multinational de l'euro ne durera pas, la guerre de sécession a déjà commencé, dites-vous...
Oui, pour toutes les raisons évoquées précédemment: un ensemble de pays pour lesquels une monnaie unique n'est pas un élément positif peut malgré tout fonctionner s'il dispose d'un Etat central et de finances publiques fédérales, comme aux Etats-Unis. C'est ce qu'avaient en tête les partisans de l'euro qui voulaient construire un super-Etat continental. Malheureusement cette erreur de stratégie, historique, a produit des conséquences économiques désastreuses. On s'est engagé dans la voie conduisant à la centralisation pour s'apercevoir finalement qu'elle était impraticable du fait des disparités entre pays. La guerre de sécession a donc commencé.
Elle n'oppose pas uniquement des Etats entre eux, mais des populations soucieuses de leur niveau de vie, d'une part, et des Trésors publics, grandes banques et grandes entreprises, d'autre part, qui entendent défendre jusqu'au bout leur avantage d'emprunteurs et leurs cartels intra-européens. Cette guerre ne s'arrêtera qu'avec la dissolution de l'euro. Catastrophe économique oblige : le mouvement est amorcé.
Roselyne Bachelot propose d'étendre le congé paternité. C'est un petit pas de plus dans le sens, bien engagé, de transformer les hommes en femmes.
Cette volonté soviétique de changer les hommes me paraitrait seulement ridicule :
1) Si je n'étais pas un homme ! Je ne sais pas, je me serais peut-être trouvé bien d'être une femme, mais voilà, je suis un homme et j'estime plus que ridicule, navrant, de faire semblant d'être une femme.
2) Si l'homme n'avait pas des fonctions de défense et d'autorité. Peut-être que dans une société Bisounours idéale, ces fonctions n'auraient pas lieu d'être, et donc la virilité non plus, mais nous vivons dans le vrai monde, où la faiblesse ne suscite pas un surcroît d'applaudissements, mais un surcroît d'agressivité de la part des forts.
Paraît-il que les sexes n'existent plus, il ne resterait que des "genres", échangeables à volonté. Nous sommes plongés en pleine irréalité typique de la bien-pensance actuelle.
Ce qui est marrant, c'est que ce «progrès» est fait pour «la présence du père dans la famille». Encore une fois, la bien-pensance sirupeuse mélange tout, ne comprend rien : ce n'est pas la présence du père dans la famille qui est nécessaire, c'est son action, son exemple et son influence sur l'Èducation, en un mot (mot honni, horrible), son autorité, c'est totalement diffèrent. Ce n'est certainement pas en transformant l'homme en mère-bis qu'on renforcera son autorité.
Il vaut mieux un père travailleur peu présent qu'un père chomeur très présent.
Je crains que le réveil soit fort brutal. Les barbares sont à nos portes, comme de tous temps (certains les ont même déjà franchies), ils ne s'embarrassent pas de congés paternité.
Sartre avoue ne s'être jamais senti coupable de rien durant toute sa vie ; il confesse avoir été dépressif avant-guerre et s'être fait suivre par des crabes auxquels il parlait dans la rue ; l'expérience de la mescaline puis une consommation d'amphétamines aggraveront les choses ; de façon récurrente, il insulte le général de Gaulle tour à tour "maquereau réac", "merde", "crétin pompeux", "monstre", "foutu salaud", "porc". L'insulte est régulière, Malraux est lui aussi un "porc" et ses travaux sont "de la merde". Il utilise cinq fois le mot "trahison"pour caractériser le remariage de sa mère avec un beau-père haï, honni, et..."gaulliste jusqu'au bout des ongles" ; avant ce funeste jour dans sa vie, le philosophe couchait dans la chambre de sa mère. Il parle de l'insincérité de Beauvoir dans ses Mémoires (on y voit en effet un Sartre "évadé" du stalag, alors qu'il a été libéré, peut-être par intervention de Drieu la Rochelle). Elle signale qu'il n'a écrit qu'une fois en juin 1941 dans Comoedia, une revue collaborationniste, avant de comprendre son erreur, alors qu'il y publie un hommage funèbre à Giraudoux ("antisémite et défenseur de Hitler en 1939" - lire Pleins pouvoirs) le 5 février 1944, etc. Sur sa compagne nécessaire, il ajoute que son livre hagiographique de la Chine maoïste, La Longue Marche, a surtout été écrit en bibliothèque, plus à partir de livres et d'articles que de constats effectués sur place...
Politiquement : Sartre avoue n'avoir pas compris le nazisme en 1933, alors qu'il vivait en Allemagne ; il dit n'avoir pas voté en 1936 et regardé les défilés du Front populaire avec indifférence ; il signale qu'il a défendu l'intervention en Espagne, pourvu qu'on ne lui demande pas d'y participer concrètement ; il a justifié le pacte germano-soviétique ; il a été apolitique au stalag, précise qu'il n'a causé aucun désordre dans le camp, mais qu'il faisait de cette docilité... une "forme d'engagement" ; il dit qu'en 1947 il n'est toujours pas politisé. Il compagnonne ensuite avec les violences révolutionnaires du siècle : il soutient l'URSS, les pays de l'Est, la Chine de Mao, il minimise les victimes de la Révolution culturelle et doute qu'elle ait pu en entraîner ; il publie dix-huit articles favorables à Castro ; il réitère la légende d'une rupture avec le PCF après Prague, mais regrette que le Parti communiste français n'ait pas pris le pouvoir en mai 68 ; il prétend qu'en mai de Gaulle a demandé à Massu de prendre le pouvoir ; il écrit sur Daniel Cohn-Bendit : "Il était loin d'être brillant. Je ne l'aimais pas tellement" ; et sur Raymond Aron : "De toute évidence, il est totalement, complètement, systématiquement de deuxième ordre, fondamentalement c'est un con et un imbécile." Il célèbre l'illégalisme révolutionnaire et fait l'éloge du "bain de sang" pour des raisons politiques ; à propos de Cuba, il extrapole une théorie générale du gouvernement par la terreur : "Pour réussir, une révolution doit aller jusqu'au bout. Pas question de s'arrêter à mi-chemin. La droite utilisera toujours la terreur pour lui barrer la route, donc la révolution doit recourir à la terreur pour l'arrêter." Il légitime et justifie l'usage de la peine de mort pour des raisons politiques ; il soutient les attentats terroristes des Palestiniens en 1972 : "Les Palestiniens n'ont pas d'autre choix, faute d'armes, de défenseurs, que le recours au terrorisme. (...) L'acte de terreur commis à Munich, ai-je dit, se justifiait à deux niveaux : d'abord, parce que tous les athlètes israéliens aux Jeux olympiques étaient des soldats, et ensuite, parce qu'il s'agissait d'une action destinée à un échange de prisonniers."
Il défend la "bande à Baader" : "D'un point de vue moral et révolutionnaire, les enlèvements et les meurtres d'industriels allemands commis par le groupe sont absolument justifiés", et ceci : "Le groupe Baader-Meinhof se conduisait tout à fait bien. Ils n'ont jamais tué un seul innocent. Ils traquaient les porcs vicieux à l'intérieur de leur société, et les colonels américains qui rampaient devant eux" ; il fait de Claude Lanzmann "un bon bourgeois" qui "chante les louanges d'Israël"sans voir "ce qui arrive aux pauvres Palestiniens, chassés de leur terre, leurs maisons saisies sans indemnisation, leurs enfants chassés des écoles, harcelés du matin jusqu'au soir, battus par des étrangers armés jusqu'aux dents. Lanzmann voit les Israéliens comme des victimes de l'Holocauste. Et pour lui quiconque critique la politique israélienne est antisémite. Point". Il légitime le "revanchisme"comme fondement de la justice populaire : "L'idée de vengeance est une idée morale." Il défend Kim-Il-Sung, le dictateur nord-coréen ; il affirme que ne pas écrire contre la répression de la Commune, c'était se faire le complice des Versaillais puis, parlant de Goncourt et Flaubert, qu'"on aurait dû les abattre" - sans préciser qu'il n'écrivit pas contre l'occupation allemande et qu'on n'a pas intérêt à relire aujourd'hui Paris sous l'Occupation ("Situations", III), un texte de 1945 qui manifeste plus d'empathie pour les officiers allemands, tellement aimables qu'ils"offraient, dans le métro, leur place aux vieilles femmes, ils s'attendrissaient volontiers sur les enfants et leur caressaient la joue", que pour les aviateurs alliés qui mettaient la sécurité des civils en question. Le philosophe trouve qu'en entretenant leurs locomotives pour qu'elles soient en état de marche, d'une certaine manière, les cheminots collaboraient : "Le zèle qu'ils mettaient à défendre notre matériel servait la cause allemande"...
La conclusion de Gerassi à ce livre d'entretiens est la suivante : "Sartre n'est pas seulement le plus grand moraliste de ce siècle. C'est également son plus grand prophète." Sans commentaire...
Article paru dans l'édition du 05.06.11