mercredi, avril 28, 2021

La liberté guidait nos pas (J. Baumel)

 Jacques Baumel était un baron du gaullisme, maire de Rueil-Malmaison pendant 30 ans.

Mais, avant cela, jeune interne en médecine (il est né en 1918), il a été le secrétaire général des MUR (Mouvements Unis de Résistance) chargé de la sécurité.

Comme son ami Bingen, il décrit le grand bonheur d'être Résistant.

Il raconte cette scène digne d'un film, où Bingen (délégué pour la zone nord, il avalera sa pilule de cyanure dans les locaux de la Gestapo de Chamallières), Serreulles (successeur de Jean Moulin) et lui se rendent à un meeting de la Milice au Vel d'Hiv par curiosité, pour entendre ce qui s'y dit. Le torrent d'insultes déversé sur les gaullistes les met en joie.

Baumel est persuadé que, s'il avait été responsable de la sécurité de la réunion de Caluire, Moulin n'aurait pas été arrêté si facilement (et moi, je suis persuadé que certains ont été bien contents de se débarrasser de cette personnalité trop forte). Il peste contre la négligence de beaucoup de Résistants, l'absence trop fréquente de précautions élémentaires.

C'est Baumel qui eut à gérer les conséquences de la trahison de Multon (celui-ci a sans doute joué un rôle dans l'arrestation de Moulin, mais, comme le traitre a été fusillé à la va-vite, la question ne lui a pas été posée).

Il est sans pitié pour les fonctionnaires français qui ont participé à la Rafle du Vel d'Hiv (on ne peut pas l'accuser de juger de son fauteuil), il est particulièrement choqué par la rafle des enfants. Ces fonctionnaires auraient au moins pu s'abstenir. Quant au régime de Vichy et à ses hauts fonctionnaires qui ont légitimé la lâcheté de ces petits fonctionnaires, il n'a pas de mots assez durs. René Bousquet, le grand ami de Mitterrand, est traité pour ce qu'il est, un ignoble salaud.

Par contre, Baumel explique que les Résistants ont compris assez tard que les juifs n'étaient pas seulement maltraités en Allemagne mais exterminés.

La querelle Moulin-Brossolette

Jean Moulin et Pierre Brossolette ont beaucoup en commun : quadragénaires, socialistes, fortes personnalités, le coup de foudre pour de Gaulle.

Pourtant, leur querelle inexpiable trace le destin de la France jusqu'en 1958.

Jacques Baumel a eu la chance de recueillir les versions des deux acteurs.

De Gaulle a ordonné à Moulin de réveiller les vieux partis pour assoir sa légitimité face à cet abruti de Giraud, la marionnette des Américains. Brossolette veut se débarrasser des vieux partis, dans une optique qui annonce la Vème République.

Brossolette, aidé par Passy (le chef des services secrets de la France Libre) qui, bien qu'étant en théorie son chef, se montre faible, savonne la planche de Moulin auprès des mouvements de la zone nord.

Leur rencontre, d'une violence inouïe, est entrée dans l'histoire de France. Dans un immeuble plein d'officiers allemands, les deux hommes, qui vont mourir en martyrs à quelques mois d'intervalle (la Gestapo laisse Brossolette agoniser des heures sans soins. Expliquez moi qu'il faut être copains avec les Allemands), se hurlent dessus, s'invectivent. Moulin explique à Brossolette, en termes cassants, pour ne pas dire insultants, que son devoir est d'obéir,  pas de faire son petit caprice politique dans son coin. Il engueule Passy, lui donnant au une leçon de commandement : « Vous étiez son chef, vous deviez le faire obéir ».

Moulin, tout de même secoué, confie en sortant à Daniel Cordier : « Vous êtes un idéaliste, vous ne connaissez pas la politique : ces gens là ne respectent que la force ».

Bien sûr, c'est Moulin qui gagne. Il a légitimité d'un ordre direct de de Gaulle, il a l'argent et il a la meilleure analyse : la suite des événements prouve que les Français ne sont pas mûrs pour un changement de régime et que les mouvements de Résistance n'ont aucune consistance politique.

Portraits

Baumel dessine le portrait des Résistants qu'il a pu connaître en tant que secrétaire général des MUR : d'Astier, Frenay, Serreulles, Bertie Albrecht, Lucie Aubrac, Rémy, Bénouville, Renouvin, Delestraint ...

Au dessus de tous, par la lumineuse personnalité : Jacques Bingen. Beau-frère d'André Citroën, riche, centralien, mondain, il pouvait passer une Occupation paisible. Il est allé à Londres, où son talent lui vaut une place importante.

Pourquoi a-t-il demandé à être parachuté en France ? Le courage, le patriotisme, le besoin de payer de sa personne (Saint-Exupéry : « Je ne crois que les témoins qui se font égorger »). Ceux qui l'ont rencontré à cette époque le décrivent comme rayonnant. Dans une lettre à sa mère, il explique que filet se resserre autour de lui, qu'il y a peu de chances qu'il survive mais qu'il n'a jamais été aussi heureux.

Manquant son évasion de peu (Baumel pense que la Française qui l'a dénoncé dans sa fuite le prenait pour un voleur), il avale sa pilule de cyanure. Serreulles, décédé en 2000, ne s'est jamais totalement remis de la perte de son ami.

Bien sûr, il y a aussi la personnalité exceptionnelle de Jean Moulin, sa supériorité est manifeste : il suffit de comparer avec Emile Bollaert, lui aussi préfet, qui fut incapable, avec toute sa bonne volonté, de combiner les exigences de la politique, de l'administration et de la clandestinité. Ou Serreulles, grand bourgeois complexé par les communistes, qui se montre beaucoup trop complaisant avec leur noyautage. Ou Bidault (« un pion qui se comporte comme un pion »), qui se croyait l'égal de de Gaulle (!!!) et ne cessait d'essayer de le contrecarrer en douce.

Moulin, lui, en deux heures de conversation en tête-à-tête avec de Gaulle a tout compris.

En revanche, portrait aigre-doux d'Albert Camus, certes Résistant, mais beaucoup plus préoccupé par ses conquêtes féminines.

Pareil pour Malraux : timide Résistant, mais mythomane audacieux, il a beaucoup gonflé ses états de services. En revanche, il n'a pas volé sa médaille de Compagnon de la Libération : à la tête de la brigade Alsace-Lorraine à partir de septembre 1944, il a montré dans les Vosges en Alsace un courage qui est reconnu par les témoins.

Il parle aussi de Cavailles, le mathématicien, deux fois évadé, fusillé en avril 44, à la stature intellectuelle impressionnante (ses oeuvres ont inspiré les titres abscons des livres que lit Lino Ventura dans L'armée des ombres, comme Transfini et continu) et Michelet, le saint de Dachau, peut-être le seul ministre honnête du XXème siècle.

Le drame de Caluire

Le 21 juin 1943, Jean Moulin est arrêté dans la banlieue de Lyon, à Caluire, dans la maison du docteur Dugoujon.

Le mauvais destin s'en est mêlé : Moulin est en retard, la Gestapo aussi. Si Moulin avait été à l'heure, la réunion aurait été terminée à l'arrivée de la Gestapo. Si la Gestapo était arrivée à l'heure, Moulin aurait vu les Tractions en arrivant en retard.

Pour Baumel, il n'y a pas de mystère sur l'essentiel.

Si certains ont pu considérer qu'il y en avait un, c'est que René Hardy a eu après la guerre de bons avocats et l'appui du parti communiste, lors de ces deux procès ,et que les documents sont partiels.

Bénouville, adjoint de Frenay, est un intrigant (comme par hasard, un ami de Mitterrand) et déteste Moulin. Pour appuyer Aubry, le représentant de Combat à cette réunion fatale, il invite René Hardy sans prévenir Moulin, ce qui est contraire à toutes les règles de sécurité.

Or, il sait que Hardy a été arrêté deux semaines auparavant et que son évasion est plus que suspecte.

En effet, Hardy (responsable du plan de sabotage des voies verrées qui dépasse de beaucoup ses capacités) s'est pris d'un amour de collégien pour Lydie Bastien, qu'il emmène à tous ses rendez-vous (là encore, à faire se dresser les cheveux sur la tête d'un responsable de la sécurité). Celle-ci n'inspire aucune confiance (après guerre, elle avouera avoir fréquenté ce nigaud d'Hardy pour complaire à son amant allemand - quand je vous dis qu'il n'y a guère de mystère).

Le minimum pour Bénouville aurait été de lui ordonner de se mettre au vert, certainement pas de lui faire tenir le rôle d'invité surprise dans une réunion avec le grand chef.

Bénouville (qui fera une belle carrière comme homme d'influence de Dassault) et Aubry ont été d'une négligence coupable, voire bien pire. Moulin n'a pas été victime seulement de l'habileté de la police allemande mais des divisions et des haines de la Résistance.

Cela fait la puissance symbolique, presque psychanalytique, de cette arrestation. Rex était le pseudonyme de Moulin (pas un hasard je suppose). Comme si Louis XVI avait été guillotinée une deuxième fois.

Après-guerre

Baumel est tellement déçu par l’après-guerre qu’il se demande si de Gaulle n’aurait pas dû écouter Brossolette et liquider les vieux partis.

Cette réflexion est à mettre en parallèle avec la plainte récurrente de de Gaulle qu’il lui a manqué dix ans. Si les réformes de 1958 avaient été faites en 1945, la France d’aujourd’hui serait bien différente.

Je pense que cette hypothèse est illusoire : les Français étaient trop épuisés pour supporter un bouleversement politique qui aurait retardé la remise en route et les douze ans perdus de traversée du désert ont maturé les esprits.

vendredi, avril 23, 2021

La liberté souffre violence (E. de Miribel)

 Elisabeth de Miribel est de ces caractères en acier trempé qui manquent tant à la jeunesse française d'aujourd'hui (je peux aussi citer, au hasard, Brigitte Friang ou Jeanne Bohec).

Elle est connue pour avoir dactylographié l'Appel du 18 juin, mais elle vaut mieux que ça.

Issue d'une famille de militaires, descendante directe de Mac Mahon, à 22 ans (née en 1915), elle part en Suisse s'occuper d'enfants handicapés mentaux après que sa famille lui eut expliqué qu'une jeune fille de bonne famille ne fait pas ces choses là (les Résistants de 1940 sont souvent des rebelles dans l'âme).

Elle randonne et varappe en Autriche et découvre les joies du nazisme.

Comme elle demande à faire oeuvre utile en 1939, on l'envoie à la mission française de Londres et c'est naturellement, alors que tous les autres commencent à se débiner, qu'elle se retrouve à taper l'Appel.

A 27 ans, elle  est nommée représentante de la France Libre au Québec, très pétainiste. Elle reçoit une lettre de reproches de sa mère (une jeune fille de bonne famille, etc). Elle fait quelques tournées de propagande aux Etats-Unis.

C'est trop calme, elle demande à être envoyée comme correspondante de guerre en Italie. Puis à suivre Leclerc. Qui lui répond qu'il ne veut pas s'encombrer de journalistes et encore moins de femmes, mais que, si elle arrive à le rejoindre, il la gardera. Qu'à cela ne tienne, elle saute dans le bureau de de Gaulle et en ressort avec une lettre de recommandation, puis c'est la course poursuite dans la France en guerre qui lui permet d'arriver juste à temps pour la libération de Paris. Elle assiste à la bataille de la Croix de Berny, de Fresnes et d'Antony.

Dans Paris en folie, elle a un accident de voiture avec un convoi de la garde républicaine. Ce qui lui vaudra par la suite de toujours connaître au moins un garde républicain lors des réceptions officielles !

Elle est ami avec Malraux, à qui elle en bouche un coin. De Gaulle la tenait en haute estime, ce qui est suffisamment rare pour être signalé.

En 1949, elle entre au Carmel. Elle en ressort en 1954, officiellement pour raisons de santé. En réalité, elle s'est trouvée sous la coupe d'une prieure manquant singulièrement de finesse, qui l'a épuisée, au physique et au moral.

Elle reprend son poste au ministère des affaires étrangères.

L'administration du Quai d'Orsay mettra 17 ans à reconnaître ses services pendant la guerre (les bureaucrates attentistes et pétainistes se vengent des gaullistes). C'est bien entendu le retour au pouvoir de de Gaulle qui débloquera la situation : les bureaucrates sont mesquins et méchants, mais pas très courageux.

Elle finit sa vie en écrivant quelques livres.

vendredi, avril 16, 2021

L'énigme Pompidou-De Gaulle (A. Teyssier)

 J'apprécie les bouquins d'Arnaud Teyssier, bien qu'il écrive « de Gaulle », avec une minuscule.

Il a été maintes fois démontré que le « De » de « De Gaulle » est d'origine hollandaise comme « De Vries » avec une majuscule et non pas le signe français de noblesse comme « de monte-là-dessus-et-tu-verras-mon-cul » de n'importe quel connard mal baisé fin de race dégénéré du XVIème arrondissement, dont l'ancêtre est allé se faire chier aux croisades (s'il avait su que ses descendants tarés deviendraient des bourgeois parvenus en pire, il se serait directement empalé sur son épée plutôt que de s'emmerder à crapahuter jusqu'à Jerusalem sous un soleil de plomb). Ignorer cela en 2021, ça la fout mal.

Addendum : je ne retire pas un mot de ce que j'ai écrit ci-dessus mais il apparaît que Charles De Gaulle signait avec une minuscule. Ce qui prouve juste qu'il ne connaissant pas l'origine de son nom.

Attaquons.

L'énigme

L'énigme de la relation Pompidou / De Gaulle est non pas la séparation de la fin des années 60 mais leur réunion préalable.

Qu'est ce qui pouvait bien réunir l'homme du nord et l'homme du sud, le soldat et le paysan, le saint-cyrien et le normalien, le connétable et le jouisseur, le Résistant et l'attentiste, l'homme du destin et le grand bourgeois ?

Leur séparation est avant tout affaire de génération : par son vécu (la Revanche, la guerre de 14, celle de 40), De Gaulle avait toutes les raisons de ne pas composer avec le monde (au sens religieux), alors que Pompidou a fait une carrière honorable et n'avait aucune raison de s'opposer au monde.

Pompidou savait en théorie que l'histoire est tragique (ce qui creuse déjà un abime avec nos politiciens contemporains qui ne savent rien de rien), De Gaulle l'avait éprouvé en pratique.

De Gaulle a dit avoir pensé au suicide en septembre 1940, après l'échec de Dakar.

Ce qui distingue De Gaulle est l'effrayante solitude. Pompidou n'a jamais pu s'y résigner, il avait le grand défaut de tous les politiciens contemporains : il voulait être aimé. De Gaulle n'a jamais eu ce genre de préoccupations. Il traçait sa route, seul ou presque.

René Cassin, juriste, ancien combattant, grand mutilé de guerre, raconte ce dialogue à l'été 1940, au moment de négocier avec les Anglais le statut de la France Libre :

Cassin : Nous sommes bien d'accord. Nous ne sommes pas une légion française.

De Gaulle : ...

Cassin : Nous sommes la France.

De Gaulle : Bien sûr.

Et Cassin de conclure avec humour  : « Quiconque nous aurait écoutés par le trou de la serrure en aurait déduit que nous étions bons pour le cabanon ».

A ce moment, De Gaulle rechignait aux engagements de militaires (été 1940 !!!!) pour ne pas apparaître comme le chef d'une légion.

Face à ce moine-soldat, le discret Pompidou fait figure de fêtard exubérant.

L'intelligence

Pompidou était d'une intelligence supérieure, lumineuse. Tous, même ses ennemis, le reconnaissent.

Ses écrits sont un délice : droit à l'essentiel, nets, sans fioritures. On est à des années-lumière de la verbosité creuse d'un Macron.

Sa célèbre lettre sur les arbres aux bords des routes montre bien son style (quand on lit combien il est énervé par l'abattage de quelques arbres, on n'imagine pas sa colère face à nos horribles éoliennes).

Son intelligence lui a permis, contrairement à beaucoup d'autres, de trouver la bonne distance par rapport à De Gaulle : ni servile, ni indépendant (« Je ne respecte que ceux qui me résistent. Malheureusement, je ne les supporte pas. » Charles De Gaulle).

A la question « Qu'est-ce qui réunissait Pompidou et De Gaulle malgré leurs différences ? », la réponse est là : l'intelligence. De Gaulle, comme tous les grands chefs, savait attirer les talents (ce critère juge à lui seul nos derniers présidents) mais il en avait peu du calibre de Pompidou.

L'attentisme de Pompidou est une autre énigme. Il explique qu'il avait des sympathies pour la Résistance mais que l'occasion de s'engager concrètement ne s'est pas présentée. Venant d'un homme comme lui, c'est du foutage de gueule.

L'intelligence de Pompidou était aussi sa limite : elle l'empêchait souvent de passer à l'action (sans doute l'explication de sa non-Résistance). Pour qui voit loin et de haut, à la manière boudddhique, toutes les actions humaines tiennent toujours un peu de la vaine agitation. Il gardera un côté professeur de lettres.

Il manquait parfois d'intuition. Il ne croyait pas au retour au pouvoir du Général car il jugeait cet événement trop irrationnel.

Une des raisons de De Gaulle de s'attacher Pompidou est sa non-Résistance : les héros au sale caractère, bardés de titres de gloire, sont encombrants. Leur indépendance d'esprit est contradictoire avec l'obéissance, même si bien des Résistants se seraient faits tuer pour lui (à commencer par ses gardes du corps, tous anciens Résistants).

De Gaulle détestait ces Résistants qui croyaient avoir des droits sur lui. Avec Pompidou, il était tranquille.

La séparation

Dans une lettre à De Gaulle de 1959, quand il retourne dans le privé pour la dernière fois, Pompidou pointe sa différence avec lui : il n'est pas un homme du destin.

Pompidou n'est que supérieurement intelligent. De Gaulle est un visionnaire.

Comme les deux hommes ne sont pas médiocres, leur séparation se fera sur l'essentiel.

Pompidou voulait faire de la politique ordinaire, car il estimait que le temps des aventures épiques était passé. De Gaulle pensait que la France roulait vers la médiocrité (il avait assez bien anticipé l'esprit de notre époque) et que le temps lui était compté pour créer les derniers outils qui permissent aux Français de contrôler leur destin, s'ils le souhaitaient.

De Gaulle a plusieurs fois regretté qu'il lui manquât dix ans, c'était assez bien vu.

Pour De Gaulle, l'ordinaire n'était qu'une modalité de l'extraordinaire.

Beaucoup (à commencer par Pompidou et par les Français) ont cru que la participation était une lubie du Vieux. La participation gaullienne ne devait pas être une simple distribution d'actions mais « changer la condition sociale des ouvriers ». 

Pompidou a freiné des quatre fers.

Pompidou avait pourtant aussi bien compris que De Gaulle le potentiel inédit d'asservissement de la déchristianisation et de la société de consommation. Il a des pages très noires dans Le noeud gordien (malgré ses accès de dépression, De Gaulle est plus un guerrier, plus optimiste, que Pompidou).

Mais le lien de la participation avec cette idée générale de la décadence à arrêter quand il en était encore temps lui paraissait fumeux.

Il faut dire que De Gaulle n'a pas aidé. Il avait sur la participation les idées moins claires que sur d'autres sujets.

Mai 68

Les « zévénements » (comme disait Coluche) cristallisent ce désaccord de plus en plus marqué.

De Gaulle veut faire tirer dans les jambes des manifestants (flinguer Cohn-Bendit, qui peut penser que ce fût une mauvaise idée ?), les « raisonnables » l'en dissuadent.

Rappelons que, dans la philosophie politique gaullienne « raisonnable » signifie « faux intelligent, mou du genou, petit arrangeur, trop lâche pour peser sur les événements profonds -ceux qui comptent, centriste (l'insulte suprême) ».

Avec le recul, il est facile de voir que De Gaulle avait raison. Mai 68 était bien une crise de civilisation.

Mais, sans voir si loin, comprenons bien que le « raisonnable » Pompidou ne se sortait pas de cette crise qui n'en finissait pas de finir, et c'est le coup de majesté, en apparence fou, de De Gaulle disparaissant à Baden-Baden (Pompidou lui en voudra de ne pas l'avoir prévenu) qui a sauvé la situation.

C'est impossible que De Gaulle n'ait pas pensé à cela : le coup de majesté, comme on l'appelait sous l'Ancien Régime. L'assassinat du duc de Guise, l'assassinat de Concini, l'arrestation de Fouquet, l'exil des parlements : tous les moyens par lesquels le roi reprend par surprise son pouvoir menacé. Ce que, hélas, Louis XVI n'a pas su faire.

Rappelons les événements : le 28 mai, De Gaulle annonce qu'il annule le conseil des ministres du lendemain et part se reposer à Colombey. Le 29 mai au matin, les deux hélicoptères partent de Villacoublay mais personne ne les voit arriver à la Boisserie. On sait qu'ils se sont arrêtés, pour se ravitailler, puis plus rien De Gaulle a disparu.

A Paris, c'est la panique, courent les rumeurs les plus folles : De Gaulle s'est suicidé, il est parti chercher l'armée, etc. Mitterrand fait une conférence de presse, qui le discréditera pour longtemps, pour dire qu'il est prêt à assumer le pouvoir.

A 18h15, De Gaulle réapparaît à Colombey, on apprend qu'il est allé voir Massu à Baden-Baden.

Le lendemain, il fait une allocution à la radio, une de ses meilleures.

La suite est connue : manifestation monstre de soutien sur les Champs-Elysées, élections législatives écrasant l'opposition.

Le révolutionnaire et le banquier

Un jour, De Gaulle lança aux communistes « Le seul révolutionnaire, ici, c'est moi ! ».

Pompidou prend cette boutade au pied de la lettre. Selon lui, la principale qualité de De Gaulle et son principal défaut sont qu'il n'est pas pragmatique (contrairement à une vulgate répandue chez beaucoup de gaullistes disant que De Gaulle n'a pas de théorie, qu'il est un pur pragmatique. C'est un contresens absolu - bien pratique pour trahir le gaullisme, d'où sa popularité chez les pseudo-gaullistes) il ne se laisse pas plier par l'événement. Autant  qu'il peut, c'est lui qui plie l'événement à son but.

On n'est pas sûr que De Gaulle a lu Le Guépard mais on est sûr qu'il a vu le film (comme je n'ai pas trouvé la scène que je voulais vous montrer de « Il faut que tout change pour que rien ne change  »,  je vous mets le bal. C'est évidemment hors sujet) : 



De Gaulle a une capacité à saisir la bonne occasion extraordinaire. Pompidou le décrit comme un acteur qui attend en coulisses et bondit sur la scène quand il sent que son heure est venue, prenant tout le monde de court.

C'est pourquoi De Gaulle a toujours contre lui tout ce qui a peur du changement : les grands bourgeois,  les petits bourgeois, les corps constitués, les institutions, les syndicats, les églises, les patrons, les banquiers, les rentiers, les militaires, les juges, les avocats, les fonctionnaires, les sapeurs-pompiers, les gardiens de phare, les cheminots, les bouilleurs de cru, les comices agricoles, les fanfares municipales, les clubs de bridge, les sociétés de danse etc. Alors qu'est-ce qui lui reste ? Cette petite chose, le peuple.

Non seulement De Gaulle, mais le gaullisme : De Gaulle et Pompidou sont d'accord pour considérer qu'il y a dans la bourgeoisie français une veine violemment anti-nationale. En 2021, le macronisme en est une preuve éclatante (les gens qui ont voté Macron -premier ou second tour, c'est égal- et qui me disent « Mais tu sais, je me fais du souci pour la France », j'en connais une dizaine, me font éclater de rire. J'en profite, les occasions de rire sont peu nombreuses) mais le macronide n'est que le dernier clou du cercueil, les candidats de la bourgeoisie Giscard, Chirac, Sarkozy et Hollande ont fait leur part pour détruire le gaullisme, c'est-à-dire la France.

Bien que faisant cette analyse, Pompidou ne peut s'empêcher de se laisser plier par l'événement, de tomber du coté de ceux qui ont peur du changement.

C'est cruel de le réduire à son passage à la banque Rotschild mais il y a tout de même de ça.

L'essentiel, c'est que de Gaulle donnait à la politique une dimension religieuse (pas étonnant que le Testament politique de Richelieu ait été réédité pour la première fois depuis un siècle et demi sous son premier septennat) selon un modèle évident : le roi de France. D'où la solitude.

Il aurait pu reprendre le mots de Louis XV, lors de la séance dite de la flagellation (3 mars 1766), où il ramène (momentanément, hélas) les parlements rebelles (putain de juges de merde) à l'obéissance :

« Comme s’il était permis d’oublier que c’est en ma personne seule que réside la puissance souveraine dont le caractère propre est l'esprit de conseil, de justice et de raison. Que c’est de moi seul que les Cours tiennent leur existence et leur autorité. Que la plénitude de cette autorité qu’elles n’exercent qu’en mon nom, demeure toujours en moi et que l’usage n’en peut jamais être tourné contre moi. »

Evidemment, Pompidou était un politicien ordinaire, même s'il était de qualité supérieure.

L'affaire Markovic en rajoute.

A l'été 1969, le cadavre d'un garde du corps d'Alain Delon est découvert dans un bois. De fil en aiguille, nait la rumeur de la participation de Mme Pompidou à des partouses, avec des photos grossièrement truquées à l'appui. Tout Paris s'en gausse. Pompidou est blessé jusqu'à l'âme. D'autant qu'il estime que De Gaulle ne le défend pas comme il devrait.

Pour autant qu'on le devine, l'opinion de De Gaulle tient en deux points :

1) Un homme d'Etat doit être indifférent à ces bassesses.

2) Pompidou paye ses mauvaises fréquentations (Saint Tropez, l'art contemporain, le cinéma ...). Il est vrai qu'on imagine mal Mme De Gaulle dans des parties de jambes en l'air ! Il se dit d'ailleurs que Mme De Gaulle a pesé sur son époux pour qu'il soutienne plus fermement son ancien collaborateur.

Le reférendum-suicide ?

Le sujet du référendum de 1969 est compliqué.

De Gaulle veut préserver l'unité nationale dans une société qu'il sent devenir individualiste (ce n'est pas nous, en 2021, alors que la nation a disparu et que le peuple français est en voie de disparition, qui le contredirons).

Son projet :

1) suppression du Sénat et transformation du conseil économique et social en deuxième chambre pour faire remonter les revendications de la base.

2) régionalisation sous l'autorité des préfets (pour ne pas créer de féodalités). Ce n'est pas la décentralisation mitterrandienne.

On a beaucoup dit que c'était un référendum-suicide. Mais, en réalité, De Gaulle aurait pu gagner si Pompidou ne lui avait pas subtilement savonné la planche.

Jean d'Ormesson, toujours beaucoup plus grand bourgeois hypocrite qu'aristocrate (voir ma tirade sur les aristos dégénérés fin de race au début de ce billet), a décrit son lâche soulagement à l'annonce de la défaite au référendum : enfin, avec « Georges et Claude », la belle vie bourgeoise, pleine de sales magouilles anti-nationales, allait pouvoir reprendre, comme si ce trublion de De Gaulle n'avait pas existé.

La conclusion ? Elle vient en 1976, lors d'un colloque rassemblant les protagonistes (Michel Jobert, conseiller de Pompidou, Bernard Tricot, secrétaire général de l'Elysée, etc.), ils tombent d'accord pour dire que « le projet du référendum était révolutionnaire ».

Au fond

Chateaubriand a écrit (repris par De Gaulle dans les Mémoires de guerre) qu'on mène les Français par les songes.

Pompidou avait bien des qualités, mais il n'a jamais pensé que sa mission était de mener les Français par les songes.

Or, il y a dans la pure raison un fond destructeur par assèchement, par étroitesse. Le rêve est, en politique, ce qui permet de voir plus loin que le bout de son nez.

C'est une manière d'envisager la vie : De Gaulle se vit comme un pasteur biblique, qui protège son troupeau des loups, le roi David menant les tribus d'Israël au combat, pas une gentille élégie pastorale au son de la flute avec banquets électoraux.

De Gaulle était un guerrier, pas Pompidou.

On a comparé les bibliothèques : beaucoup d'histoire chez De Gaulle, beaucoup de littérature chez Pompidou.

La trahison, c'est après.

Quelles que fussent les fractures entre De Gaulle et Pompidou, la vraie trahison vint après eux.

Giscard était une taupe de l'OAS dans l'entourage de De Gaulle et son âme damnée Poniatowski détestait le gaullisme.

Mitterrand, pas la peine d'en parler.

Quant à Chirac, Teyssier écrit sobrement qu'il n'avait rien de gaulliste en lui (n'oublions pas que le fameux « Arrêtez d'emmerder les Français ! » de Pompidou s'adressait à son jeune secrétaire d'Etat à l'emploi, nommé Jacques Chirac).

Après Chirac, il n'est même pas utile de retenir les noms.

Réconciliés par delà la mort

Sous le poing de pierre de la maladie, Pompidou a fini par comprendre, personnellement, que le pouvoir est un sacrifice et non une jouissance (Richelieu toujours) et, politiquement, que la France est toujours menacée de chute.

De Gaulle et Pompidou se rejoignent dans l'esprit du discours de Soljenitsyne, de 1976, Le déclin du courage : l'Occident, et spécialement la France, est toujours menacé de disparition quand il renonce au courage d'être conquérant.

Nos trois derniers présidents sont des psychopathes qui sont arrivés au pouvoir par esprit de jouissance, parce qu'ils n'ont jamais surmonté leur frustration de ne pas pouvoir coucher avec leur mère (même si le dernier est allé plus loin que les autres dans sa tentative d'accomplir ce fantasme).

Le sauveur, si nous le trouvons,  refusera le pouvoir, nous irons le chercher sous son lit comme Charrette.

En attendant, il faut pas lâcher prise, comme répétait De Gaulle.


vendredi, avril 09, 2021

Le seigneur des anneaux (DVD)

 J'ai regardé la trilogie du Seigneur des anneaux en DVD, version longue.

Bof, bof.

Les effets spéciaux sont impressionnants mais ce n'est pas spécialement ce que je recherche dans un film.

Le premier épisode, ça va.

Les deux autres, ça tourne en rond.

C'est toujours le même cirque : des gentils en nette infériorité numérique se font péter la gueule par de très nombreux méchants, qui ont une tête à avoir mangé du poisson vraiment pas frais (je serais Orc, je vérifierais mon congélo. A mon avis, il déconne grave).

Je soupçonne d'ailleurs les Orcs d'avoir très mauvaise haleine (à aucun moment dans le film, on évoque Hollywood chewing-gum chlorophylle).

Puis, la cavalerie arrive in extremis et sauve les gentils. Répétez 3 ou 4 fois et vous avez 10 heures de film.

Bref, je me suis bien fait chier. Surtout dans les 8 dernières heures.

A part un adolescent inculte en quête de sensations faciles (certes, les choses étant ce qu'elles sont, cette description correspond aux 3/4 de la population française), je ne vois pas qui ça peut intéresser.

samedi, avril 03, 2021

Le Petit théâtre des opérations - tome 01: Faits d'armes impensables mais bien réels... (Monsieur Le Chien, L'Odieux Connard)

 Je suis perplexe.

Je vous esqueplique. Cette bande dessinée m'a été conseillée par un djeun's (rien que les pseudonymes des auteurs signent le crime générationnel).

Il s'agit de raconter des exploits guerriers (Dixmude et compagnie) sur un ton humoristique, avec des blagues anachroniques. C'est bien fait et ça évite les fautes de goût (c'était loin d'être gagné d'avance).

Mais je n'accroche pas, ce n'est pas ma génération, c'est là que je sens que je vieillis.

Faut-il le lire ? Oui, Plutôt.

Je ne connaissais pas Mad Jack Churchill, qui est allé à la guerre (la seconde mondiale) l'épée à la main (comme il sied à tout noble écossais), et aussi avec son long bow, pour descendre les sentinelles allemandes.  On le voit archer dans le film Ivanhoe, parce qu'il était copain avec la vedette, Robert Taylor. A 50 ans, il se mit au surf (!!!) et accomplit plusieurs premières en Grande-Bretagne (où, c'est bien connu, il fait presque aussi chaud qu'en Californie).