lundi, août 29, 2022

The power of habit (Charles Duhigg)

 Le motif de cette lecture est une discussion sur les régimes amaigrissants.

J'avais prétendu que la clé était dans la tête (jusque là, peu de contestation) et que n'importe qui pouvait s'auto-persuader de n'importe quoi et donc adopter n'importe quel régime (et là, on m'avait pris pour un con - je ne dirais pas qui était « on »).

Hé bien, c'est à peu près ce que raconte ce livre. Mais pas à n'importe quelles conditions. Et pas vraiment n'importe qui.

Lisa Allen est obèse, fumeuse, surendettée, au chômage et en instance de divorce. Trois ans plus tard, elle a arrêté de fumer, perdu 30 kg, repris ses études, elle court des marathons et elle est en couple. Son cas passionne les spécialistes des habitudes et des addictions (qui ne sont que des super-habitudes).

Allez, une photo :

Les habitudes sont une façon pour notre cerveau d'économiser des ressources. Elles sont ancrés dans les parties les plus profondes du cerveau (la glande basale) alors que la pensée complexe est dans les couches superficielles.

Les habitudes peuvent être positives ou négatives.

Les habitudes ont toujours trois phases :

1) L'indice, ou déclencheur. Ca peut être n'importe quoi : le réveil qui sonne, le soleil qui se lève, un mot, une odeur, une image, un sentiment etc.

2) L'exécution de l'habitude.

3) La récompense : savourer son petit-déjeuner, arriver sain et sauf au travail, etc.

La première utilisation consciente de ce tryptique par les publicitaires, c'est Pepsodent :

1) L'indice déclencheur : le film désagréable qu'on a sur les dents si on ne se les lave pas. La publicité incitait à se passer la langue sur les dents.

2) L'exécution : se brosser les dents avec Pepsodent.

3) La récompense : un sourire de star (et non pas des dents sans carie ou autre argument).

Créer une habitude étant le jackpot des publicitaires, ils essaient beaucoup de nous influencer avec ce tryptique. Regardez les publicités et essayez de détecter l'indice déclencheur et la récompense (l'exécution est évidente, c'est l'utilisation de leur produit). La récompense est en général assez facile à trouver, l'indice pas toujours.

C'est pour cela que Mac Donald's fait de gros efforts pour que ses restaurants soient identiques partout dans le monde. Pour que l'indice-déclencheur (passer devant le Mac Do) soit identique partout, au maximum de son efficacité. Même le langage de ses serveurs est standardisé à dessein.

Pour Mac Donald's, ses clients sont des chiens de Pavlov à peine plus perfectionnés. Et ça fonctionne du tonnerre : d'après les enquêtes, les clients de Mac Do déclarent deux fois moins d'envie que de nombre de fois où ils y vont. Autrement dit, la moitié du temps, ils y vont par habitude plus que par envie.

C'est à cause de ce mécanisme ternaire des habitudes (indice-exécution-récompense) que les méthodes progressives pour changer d'habitude (arrêter de fumer, par exemple) ne fonctionnent pas : l'indice et la récompense sont entretenus, même si c'est à un niveau plus bas, prêts à être réactivés plus fort à la moindre occasion. Tous ceux que je connais qui ont arrêté de fumer l'ont fait d'un coup.

Comme je dis toujours, si vous croyez que les milliards dépensés pour nous manipuler sont perdus, vous n'avez pas bien compris le monde dans lequel vous vivez. Autre manière de le dire : « Moi, je fais gaffe, la manipulation, ça ne marche pas sur moi » est juste une déclaration publique de stupidité. Chacun est vulnérable à la manipulation à un certain degré.

La quatrième phase de l'habitude

Il y a une quatrième phase à l'habitude : la sensation de satisfaction.

On a donc : indice déclencheur-exécution-récompense-sensation de satisfaction.

La sensation de satisfaction est ce qui boucle l'habitude, la rend répétitive. Vous n'êtes plus passif face à l'indice déclencheur, vous le recherchez. C'est le fumeur qui s'invente des prétextes pour faire une pause cigarette.

Et cela explique le succès de Pepsodent : en plus du tryptique initial indice-exécution-récompense, une petite sensation de piquant (pas particulièrement agréable) a été ajoutée. Elle n'a aucun effet sur la propreté des dents, mais elle ponctue le brossage des dents, elle est le point final, le « c'est fini, tu peux te laisser aller à la sensation de satisfaction ». 

Mieux (ou pire ?) : quand une habitude est établie, le cerveau anticipe la sensation de satisfaction. Indice-anticipation de satisfaction-exécution-récompense.

Que se passe-t-il quand, après l'indice et l'anticipation de satisfaction, l'exécution de l'habitude n'a pas lieu, pour une raison ou pour pour une autre ? Une frustration focalise le cerveau sur l'accomplissement de l'habitude, reléguant au second plan toute autre considération.

C'est typiquement le « bip » (indice déclencheur) de la messagerie : si vous êtes en réunion, vous êtes mal à l'aise tant que vous n'avez pas lu le message (qui, dans 99, 9 % des cas pouvait attendre la fin de la réunion et vous le saviez), alors vous le lisez en douce sous la table. Le « bip » a activé une habitude et vous êtes en suspens tant que vous n'avez pas acquittée cette tache (comme on dit en automatisme). D'où l'importance d'éteindre son téléphone en réunion : pas de « bip » attendu, pas de frustration, pas de déconcentration. Et pas d'impolitesse.

Procter & Gamble a des milliers d'heures d'enregistrement de gens en train de faire le ménage,  analysés par des psys, des ergonomes etc. Ils savent mieux que vous (vous, parce que moi, le ménage ...) pourquoi vous procédez comme vous procédez.

Par exemple, ils ont compris que la petite tape pour remettre les oreillers en place à la fin du ménage était le signal pour le cerveau « Le ménage est fini ». Ils sont alors réussi à vendre un de leurs produits comme cette ponctuation de la fin du ménage, le truc qu'on passe à la fin du ménage et qui signale « C'est fini » et que, si on ne le fait pas, il manque quelque chose, frustration (alors que le produit ne sert en réalité pas à grand'chose, c'est ça qui est génial).

Vous créer une nouvelle habitude

Ca, c'est super facile. Vous vous inventez un indice déclencheur et une récompense et vous vous y tenez le temps que l'habitude s'installe.

Vous voulez faire du jogging tous les matins ? Vous sautez dans vos chaussures quand le réveil sonne et vous ne déjeunez (récompense) qu'après.

Changer une habitude

Là, c'est plus difficile.

Le jeu, c'est de garder l'indice et la récompense mais de changer l'exécution entre les deux.

Exemple : à la pause cigarette, boire un café plutôt que de fumer.

Les Alcooliques Anonymes ont longtemps été critiqués par les médecins-qui-savent-tout (je ne vous fais pas un dessin, l'espèce prolifère comme le chiendent) et, ô surprise, depuis quelques années, on s'aperçoit que leur méthodologie élaborée à l'intuition est cohérente avec les dernières découvertes.

Le truc des AA est de substituer à l'alcool une spiritualité de pacotille. Dans le parcours, on fait recenser aux alcooliques les indices et les récompenses (pas sous ce nom, mais c'est bien ce qui se passe) et on substitue les rituels sociaux de cette spiritualité avec des récompenses proches de celles de l'alcool (consolation, abstraction des soucis, etc.).

La méthodologie de changement d'habitude : recenser consciemment les indices déclencheurs (ce n'est pas toujours évident : qu'est-ce qui déclenche votre envie d'aller dans le frigo prendre un chocolat ?), substituer une action (se gratter au lieu de se ronger les ongles) et travailler sur les récompenses.

Une étude sur les obèses qui ont perdu 30 kg ou plus montre qu'ils sont particulièrement efficaces pour se projeter dans la récompense qu'ils s'imaginent à la fin du régime, au point d'en faire une obsession.

Dieu et le groupe

Mais il y a besoin d'un étage supplémentaire pour changer d'habitude : y croire et être soutenu.

Les scientifiques se sont aperçus que le truc qu'ils décriaient si fort, la spiritualité de pacotille, était en réalité indispensable à la réussite de l'entreprise. Cela décharge l'alcoolique de sa responsabilité, le déculpabilise (« Si Dieu a voulu que je sois alcoolique, il peut aussi m'aider à ne plus l'être »). Bref, les AA ont redécouvert le proverbe « Aide toi et le Ciel t'aidera ».

Jung, excellent thérapeute, disait qu'il y a au cœur des alcooliques un vide existentiel.

Ensuite, le soutien d'un groupe (famille, amis anciens fumeurs, etc). Ca fonctionne en miroir : se préoccuper des autres plutôt que de soi fait sortir du nombrilisme de l'addiction.

Digression : les fidèles lecteurs d'Ariane Bilheran sont en terrain familier, puisqu'elle explique que le délire totalitaire covidiste est rendu possible par l'existence d'une population sans transcendance et désocialisée. A cette aune, pas étonnant que les « cathos » soient les plus covidisés : ce sont les plus paumés dans leurs croyances. (ils ont perdu la Foi mais, contrairement au reste de la population, ils en ressentent un malaise), ça fait peine à voir. Comme par hasard, les « tradis » résistent beaucoup mieux au délire covidiste.

En résumé, on ne tue pas une habitude, on lui substitue une autre habitude, en travaillant à deux niveaux :

1) En manipulant le tryptique : indice-action-récompense.

2) En y croyant, en jouant sur la transcendance et sur l'appui social.

Changer les habitudes des organisations

Quand Paul O’Neill est nommé PDG d’Alcoa (Aluminum company of America) en 1987, la société va très mal. Il met la sécurité en priorité obsessionnelle, au point d’indiquer les issues de secours aux journalistes lors de sa première conférence de presse. Les investisseurs fuient en courant et les salariés sont sceptiques.

L’idée est géniale.

Les salariés commencent à le prendre au sérieux quand ce PDG de 130 000 personnes passe trois jours de son temps pour mener lui-même l’enquête d’un accident mortel.

Dans les années 90, Alcoa est une des toutes premières entreprises où chaque employé est équipé d’une messagerie électronique, d’abord pour communiquer les incidents de sécurité, mais ensuite elle sert à plein d’autres choses.

Comme la procédure exige que tout incident grave partout dans le monde soit communiqué au PDG en moins de 24 h, la chaîne hiérarchique est réformée.

Et ainsi de suite. Alcoa devient très prospère.

Pourquoi ça fonctionne ? Parce que le problème est réel, important et consensuel.

Si vous devenez obsédé de la sécurité dans un travail de bureau où ce n’est pas un vrai problème, vous paralysez la société par excès de précaution.

Si O’Neill avait parlé de Return On Investment et autres fadaises de financiers, il serait retombé dans les situations conflictuelles habituelles et rien n’aurait avancé.

C’est à chaque chef de trouver le levier réel, important et consensuel pour réformer son organisation (non, ce n’est pas « faire plus de profits »). La plupart en sont complètement incapables.

Big Data

Au fait, à quoi servent les cartes de fidélité ? Pas à vous fidéliser mais à vous identifier à chaque achat pour que la grande machine puisse tracer vos habitudes et les exploiter à son profit. Exemple basique : si vous achetez souvent des céréales sans jamais acheter de lait, c’est que vous en achetez ailleurs et l’ordinateur vous enverra des promotions sur le lait pour que vous achetiez chez eux.

Big Data des supermarchés sait détecter les femmes enceintes, deviner approximativement leur date d’accouchement et leur faire des offres ciblées (et aussi des offres sur les tondeuses pour ne pas leur donner l’impression d’avoir été espionnées).

Si vous divorcez, votre supermarché le devinera. Et ainsi du reste. Votre vie n’a guère de secrets pour lui.

(Tout cela est probabiliste, mais ça marche dans 90 % des cas : un père se plaint que sa fille reçoive des publicités pour femme enceinte. Elle était enceinte et lui ne le savait pas, mais l'ordinateur du supermarché le savait.)

La volonté et les habitudes

La réussite de Starbucks est de doter ses employés d’une volonté de fer.

En effet, pour vendre à un prix indécent un café de merde, il faut que les employés ne perdent jamais leur sang-froid face aux clients capricieux.

La volonté est un muscle : quelquefois elle se fatigue, ce jour-là vous ne faites pas votre jogging, mais aussi elle s’exerce.

Ainsi, ceux qui se disciplinent dans un domaine deviennent plus disciplinés dans les autres domaines. C’est une  technique pour arrêter de fumer : apprendre à se discipliner ailleurs (faire du sport, des économies, de la broderie etc.).

Il y a des athlètes de haut niveau de la volonté pour qui elle est une habitude.

C’est ce que Starbucks inculque à ses employés par des techniques proches de celles de la formation des pilotes : simulation et répétition.

Le rôle d’un manager Starbucks est de travailler « les cas de panne » : un client arrive en hurlant, que fait-on ? Un client se brûle ? La cafetière explose ? Une erreur de caisse ?

Comme pour les pilotes, la maîtrise et le sang-froid deviennent des habitudes.

C'est pourquoi il faut faire faire du piano ou du cheval aux enfants. Pas pour qu'ils deviennent bons pianistes ou bons cavaliers, mais qu'ils acquièrent l'habitude de la discipline personnelle. Le contraire des jeux videos.

Un mien commentaire : l’éducation permissive actuelle est aux antipodes de cette formation au sang-froid, c’est un billet pour l’hystérie et pour l’échec, c’est une forme de maltraitance.

La force des liens faibles

Les gens que vous ne connaissez pas ne vous apportent aucune information.

Les gens que vous connaissez trop bien ont les mêmes informations que vous, les mêmes cercles.

Ceux qui vous apportent des informations sont ceux avec qui vous avez des liens faibles : votre concierge, une connaissance du club de danse, un parent d'élève de la classe de votre fils ... parce qu'ils ont d'autres cercles, d'autres informations.

Cela été été prouvé dans les recherches d'emploi.

Mais en d'autres circonstances aussi.

Pourquoi l'arrestation de Rosa Parks a-t-elle déclenché un boycott des bus ségrégationnistes ? Parce que c'était une couturière à domicile investie dans la vie associative : elle avait beaucoup de liens faibles, professionnels et non-professionnels.

Mais comment créer des habitudes à partir de liens faibles ? Par le conformisme, par la pression des pairs. 

Les gauchistes excellent à ce jeu car la haine viscérale de la pensée autonome est leur psyché profonde.

Je n'hésite pas à dire ce que je pense des lubies covidistes ou des foutaises réchauffistes à mes amis ou à des inconnus, je le tais à ma boulangère ou à ma concierge.

Parce qu'avec mes amis, je peux discuter ; avec les inconnus, je me fous de ce qu'ils pensent de moi. Avec ma boulangère, je suis entre les deux : je ne peux pas discuter vraiment et je ne me fous pas complètement de ce qu'elle pense de moi, donc la position par défaut, c'est de faire comme tout le monde.

Dans le cas de Rosa Parks, c'est un journal suprémaciste blanc qui a créé le conformisme des noirs ! En effet, en voulant semer la panique chez les blancs, il a affirmé que tous les noirs suivaient  le boycott .. donc tous les noirs ont suivi le boycott, personne ne voulant être  vis-à-vis de son voisin le mouton .. noir.

Le libre arbitre

C’est plus ou moins difficile de changer ses habitudes mais le libre arbitre existe. Nul ne peut se dire complètement victime de ses habitudes.

Un alcoolique, un fumeur ou un obèse peuvent changer leurs habitudes.

Mon commentaire

Ce livre me gêne, parce que tout cela est bel et bon, mais ça n'explique pas les gens que je connais qui ont arrêté de fumer du jour au lendemain, ni même Lisa Allen.

Duhigg évoque Lisa Allen en introduction et, pfui, elle disparait. Ce n'est pas un hasard : Duhigg passe sous silence le mystère du déclic. Pourquoi certains ont le déclic et d'autres pas ?

Ca aurait été la partie la plus intéressante du livre. Elle manque.

 


vendredi, août 19, 2022

Atomic Tragedy: Henry L. Stimson and the Decision to Use the Bomb Against Japan (Sean L. Malloy )

J'ai survolé ce livre en 2008 pour comprendre son contenu.

Mais ce qui m'a donné envie de le lire vraiment est le flot de touits bien cons, bien anachroniques, et teintés d'anti-américanisme bien caricatural, pour le 77ème anniversaire du bombardement d'Hiroshima.

Stimson est le Secrétaire d'Etat à la guerre de 1940 à 1945.



Le contexte

Pour éviter l'anachronisme, péché suprême en histoire, il faut comprendre le contexte et la vision des gens de l'époque :

1) Jusqu'à ce que le retour d'expérience de la seconde guerre mondiale soit fait, à la fin des années 40, tous les belligérants surestiment l'efficacité stratégique des bombardements des villes.

2) Tant qu'une guerre n'est pas finie, elle continue et pèse très lourd sur l'esprit des dirigeants. A nous qui connaissons la date et les circonstances de la fin de la guerre, cette considération échappe souvent.

En août 1918, les dirigeants alliés envisagent la fin de la guerre au printemps 1919 et prennent les décisions en conséquence.

Au printemps 1945, les dirigeants américains savent bien que le Japon a perdu. Mais ils ne savent pas quand la guerre va finir ni combien de morts sont nécessaires pour que le Japon admette cette défaite et dépose les armes. Des estimations font état de centaines de milliers de morts américains probables.

Avant de décider des bombardements atomiques, Truman a fait des ouvertures de paix (hélas pas très nettes) que les Japonais ont refusé (ce qu'on oublie toujours de dire).

Sauf à mettre en jeu des vies de militaires américains pour épargner des civils japonais, Truman n'avait guère d'autres solutions.

Imaginez que Truman ait décidé de ne pas employer la bombe et que 20 000 Américains soient morts sur les plages nippones. Comment aurait réagi le peuple américain ? Dans l'esprit de Truman, l'opinion publique américaine a pesé lourd, probablement plus qu'elle aurait du.

Comme pour Dresde, et contrairement à ce qui a été dit après la guerre, les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki présentaient un intérêt militaire (assurément très faible).

3) Il y a bien sûr le contexte de la concurrence naissante avec les soviétiques. C'est d'ailleurs l'offensive soviétique en Mandchourie (l'Armée Rouge au sommet de son art : sur un théâtre de la taille de l'Europe, elle attaque dans les zones sans chemin de fer, où les Japonais croient l'approvisionnement d'une offensive impossible), plus que les bombardements atomiques qui vont décider le gouvernement japonais à se rendre (mais les Américains n'en ont pas conscience).

Le souci américain de conclure la guerre au plus vite est tout à fait compréhensible.

4) Plus particulièrement, Stimson a compris (Truman, c'est moins sûr) que la bombe atomique n'est pas une arme comme les autres. Il y a quelque chose dans son esprit qui ressemble à l'ébauche de la doctrine de la dissuasion. Nous sommes mal placés pour le critiquer : nous lui devons peut-être nos 80 ans de paix atomique.

Stimson s'est opposé au bombardement de Kyoto.

5) Sur le moment, bien peu ont protesté (Albert Camus dans Combat, par exemple). Cet état de fait freine les trop faciles « Il était évident que c'était un crime de guerre ».

6) Enfin, Stimson et Truman n'ont pas pris cette décision à la légère. Ils en étaient très angoissés (on le serait à moins).

Henry L. Stimson

Stimson (né en 1868) est un personnage intéressant : WASP rigoriste, qui considère que les non-Américains non-blancs sont des races inférieures, que la démocratie doit être guidée par les classes supérieures, est plusieurs fois Secrétaire d'Etat à la Guerre.

Il a horreur de la guerre moderne, il pense que la guerre industrielle est si destructrice que l'humanité ne peut plus se la permettre. Il le dit à sa manière : « La gloire de la guerre a disparu quand ils ont aboli le cheval ».

Il n'est pas pacifiste, au sens où il ne croit pas possible la disparition totale de la guerre. Mais il travaille dans l'entre-deux-guerres à encadrer les conflits par des lois, dans l'espoir de les empêcher de dégénérer en guerres. Il considère (ça ne vous rappelle rien ?) qu'il est vain d'apporter la démocratie à la pointe du fusil.

Il a été jusqu'à interdire d'espionner les ambassades étrangères à Washington. Ce qui était un peu naïf.

Tout cela pour dire que Stimson n'était ni Hitler ni Staline.

Significatif pour notre propos : en mars 1945, il proteste contre le bombardement de Dresde et exige des explications des militaires. Ceux-ci l'enfument en exagérant l'importance des objectifs militaires.

L'entonnoir

La décision de bombarder Hiroshima et Nagasaki est rationnelle mais résulte d'un effet d'entonnoir : de décision en décision, les responsables américains ont restreint les options à leur disposition.

Les politiques ne sont impliqués que très tard, trop tard, dans les questions d'usage pratique de la bombe A. Des décisions engageantes avaient déjà été prises par les militaires et les scientifiques.

Par exemple, un tir public de démonstration a été refusé au cours du programme Manhattan pour de bonnes raisons (risque d'échec, encourager les programmes nucléaires nazi et japonais, apparaître faible aux jusqu'au-boutistes) mais cette décision n'a pas remise en cause après la capitulation allemande.

La principale décision conduisant au ciblage des villes a totalement échappé au politique. Le programme Manhattan avait deux options : une bombe aérienne ou une torpille sous-marine.

La bombe aérienne conduisait au ciblage des villes : pour que l'avion tireur puisse s'échapper, il devait bombarder de très haut, donc sans précision, donc grosse cible, donc ville.

Inversement, la torpille sous-marine avait pour but d'attaquer les bases navales. Elle a été écartée pour des motifs de complexité technique.

Stimson comprend mieux que Truman les enjeux de la bombe atomique, il imagine quelque chose qui ressemble à la première doctrine de dissuasion.

Mais il est épuisé (77 ans, des problèmes cardiaques et 4 ans de ministère) et se laisse balader par les militaires (comme pour Dresde).

Mai 1945

Fin mai1945, éclate enfin la nécessaire polémique sur le ciblage de la bombe atomique dans le tout petit cercle des décideurs de Washington.

Malheureusement, les militaires et les scientifiques arrivent à biaiser les choses, notamment en restant très vagues sur les effets de la bombe, de manière à convaincre les politiques que le seul emploi démonstratif de la bombe est sur une ville.

Les solutions alternatives envisagées par Stimson, le communiqué d'avertissement et la démonstration dans le désert, sont rejetées. Stimson finit par se laisser convaincre, contre sa première intuition, que le meilleur moyen d'abréger la guerre est le bombardement atomique d'une ou deux villes.

Potsdam

Lors de la conférence de Potsdam en juillet 1945, Stimson en profite pour visiter les ruines de Berlin. Il est catastrophé « au-delà des mots ». Des signaux favorables venant du Japon, Truman et Stimson demandent au Département d'Etat d'étudier les conditions d'une reddition sans invasion.

Mais les dirigeants de ce ministère, opposés à cette solution, s'arrangent pour la faire échouer.

Une conclusion déprimante

La conclusion est particulièrement déprimante : si Hiroshima et Nagasaki ont été rasées par la bombe atomique, c'est parce que Truman, trop frais dans le poste, et Stimson, au bord de l'effondrement physique (qui viendra en septembre 1945), n'ont pas su remettre à leur place les militaires, les scientifiques et les diplomates.

Il n'y a pas, dans la tradition américaine, cette très saine (à mon avis) défiance européenne des politiques vis-à-vis des militaires (« La guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires »). Quand on lit ce que Clemenceau, Churchill ou de Gaulle écrivent des militaires, on se dit qu'ils auraient été à l'aise dans une manifestation sur le plateau du Larzac !

Mais c'est aussi que Truman et Stimson n'avaient pas des convictions assez fortes concernant l'usage de la bombe atomique pour s'opposer au fonctionnement inexorable de la machinerie militaire. Au fond, ils ont vraiment cru que les bombardements atomiques étaient le meilleur moyen d'abréger la guerre, dans un contexte de course de vitesse avec les Soviétiques.

Et aujourd'hui ?

Pour ma part, je ne peux pas affirmer que, dans la situation de Truman, j'aurais pris une décision différente de la sienne. Et je peux sans trop de risque dire la même chose de tous les gens qui critiquent les Américains rétrospectivement et sans retenue.

Alors oui, les bombardements atomiques, c'était mal, mais c'était peut-être le moindre mal, pour insatisfaisant qu'il fût. Le vrai mal, c'était la guerre, et elle n'a pas été déclenchée par les Etats-Unis.

Bref, après examen, face à « Ouh là là, les Américains sont des salauds de criminels contre l'humanité du fait des bombardements atomiques », on se retrouve avec un tableau bien plus nuancé.

Et, puisque nous leur devons peut-être nos 80 ans de paix atomique, nous sommes fort mal placés pour critiquer.

On peut en tout cas dire que Ségolène Royal traitant Truman et Stimson de « fous, impulsifs, immatures et bêtement virilistes » est au-delà du ridicule. Il faudrait inventer un mot spécifique rien que pour elle. Je pense que cela n'étonnera personne.

mardi, août 16, 2022

Les maîtres de la manipulation. Un siècle de persuasion de masse (D. Colon).

Connaitre la manipulation de masse : un devoir du citoyen du XXIème siècle

La manipulation, c'est vous entrainer sans votre consentement à adopter un comportement qui profite au manipulateur.

Le psychologue de génie Milton Erickson qui fait arrêter un étudiant de fumer en une heure ne le manipule pas, car il a bien pris le temps de vérifier que celui-ci voulait vraiment arrêter de fumer.

Inversement, la publicité qui vous fait acheter un objet qui restera au placard au bout d'une semaine d'usage vous manipule.

La manipulation de masse est si présente de nos jours que l'honnête homme du XXIème siècle doit connaître son existence (c'est vraiment le minimum) mais également avoir un peu de connaissances de ses techniques.

Le premier point à comprendre : la manipulation de masse n'est pas un sport d'amateurs, c'est un métier de professionnels avec ses techniques et sa doctrine. Ici est l'asymétrie fondamentale : ils sont payés à plein temps (souvent très cher) pour nous manipuler et, en gros, nous l'ignorons (qui est capable de citer le nom d'une seule firme de « relations publiques » ?).

Chaque fois que vous ouvrez la radio, la télévision ou le journal, vous devriez vous dire : « Bon, je vais me faire manipuler ».

Le délire covidiste n'est que cela : de la manipulation de masse du matin au soir depuis dix-huit mois.

Par exemple, je suis prêt à parier un an, ou même dix ans (je m'en fous, j'en suis sûr), de salaire que l'expression « épidémie de non-vaccinés » est sortie d'une de ces officines de « relations publiques » dont Volkoff décrivait déjà il y a vingt ans le rôle très actif dans la guerre du Kosovo.

Mais je n'ai jamais réussi à lire un traité de manipulation jusqu'au bout, ça me brouille vite l'écoute, ce n'est pas mon caractère.

C'est pourquoi j'ai choisi ce livre, plus historique et biographique que technique.

C'est une suite chronologique de portraits de manipulateurs professionnels.

20 portraits

Qu'on les appelle « conseiller en relations publiques », « communicant » ou « publicitaire » et même s'ils vont à la messe tous les dimanches et portent un noeud papillon, les manipulateurs professionnels sont obligatoirement d'immondes salauds, parce qu'ils ont choisi de faire de la tromperie et du mensonge leur métier (souvent très lucratif).

La plupart ont du sang sur les mains (par exemple, Edward Bernays, qui a mis le tabagisme féminin à la mode), bien plus que beaucoup de tyrans (manipulateurs professionnels et tyrans font d'ailleurs très bon  ménage).

On dit qu'il n'y a pas de sot métier. C'est possible, mais il y a des métiers déshonorants, publicitaire et communicant en font partie.

Nous voilà donc devant 20 portraits de manipulateurs (dont Walt Disney, Frank Capra et Mark Zuckerberg). On retrouve bien évidemment Bernays, Goebbels, Lin Biao.

D. Colon montre la généalogie et les liens logiques qui unissent ses monstres : la société fondée par Hill, qui a réussi a transformé des mineurs mitraillés lors d'une grève en coupables aux yeux de l'opinion en 1907, est choisie par la famille royale koweitienne pour « vendre » la première guerre du Golfe en 1990.

On peut voir Hollywood comme une gigantesque machine à biaiser les perceptions et donc à manipuler (en 1945, 70 % des Français estimaient que l'URSS était le principal contributeur de la victoire. En 2020, 70 % estiment que ce sont les Etats-Unis. Hollywood est passé par là (1)).

Il est à remarquer que l'auteur lui-même, professeur à Sciences-Po, est clairement de gauche sans jamais le dire. Manipule-t-il le lecteur ?

Je vous picore quelques portraits au hasard de la lecture.

George Creel

La commission Creel est un tournant très important de la manipulation d'opinion, en quelque sorte son industrialisation.

George Creel est un journaliste démocrate, dénonçant les techniques de manipulation de l'opinion qui devient, à la demande du président Wilson, manipulateur d'opinion.

Il est chargé de « vendre » l'entrée en guerre des Etats-Unis en 1917 à une opinion très réticente (quand je vous dis qu'ils ont du sang sur les mains).

Il développe à grande échelle une technique devenue classique (et bien connue de Big Pharma) : jouer sur la paresse des journalistes et leur fournir clés en mains des articles aux apparences factuelles, neutres, objectives, voire scientifiques.

La commission Creel fournira des milliers d'articles de cette sorte.

Il fait aussi feu de tous bois : affiches (la célèbre affiche I want you), chansons, films, conférences ...

Il invente les 4-minute men, 70 000 personnes entrainées à faire des discours de 4 minutes en n'importe quelles circonstances (réunion de boulistes, remise des prix à l'école etc.) pour vanter les mérites de la guerre.

C'est un succès : en moins de six mois, l'opinion américaine est complètement retournée.

Vous serez surpris (ou pas !) d'apprendre que Hitler et Goebbels se sont passionnés pour les travaux de la commission Creel.

Albert Lasker

Alors, lui, c'est un gratiné.

Il perfectionne les techniques de Creel.

Notamment, il invente la boucle publicitaire : sortir une publicité et faire des sondages pour mesurer comment elle est reçue.

En matière de sang sur les mains, il se pose un peu là : en tant que chef de la propagande républicaine, il est directement responsable de la non-ratification du traité de Versailles par l'Amérique, donc indirectement responsable de la seconde guerre mondiale.

Et il est le premier grand publicitaire de l'industrie du tabac.

Il est d'une particulière malhonnêteté, il n'hésite pas à répondre de purs mensonges.

On notera que, longtemps, ses adversaires démocrates ignorent même son existence.

Edward Bernays

Lui, c'est pourri de chez pourri.

Double neveu de Freud, par son père et par sa mère, il utilise les théories de son oncle pour faire du fric en manipulant le public. Celui-ci lui a écrit plusieurs fois qu'il désapprouvait son choix professionnel.

Exemple : il comprend que la cigarette est un symbole phallique. Pour faire fumer les femmes, il présente le tabagisme féminin comme une conquête sur les hommes. Il subventionne  les féministes, qui, incidemment, popularisent la cigarette. Succès total.

C'est un enculé de première grandeur : ils payent des médecins pour vanter les bienfaits de la cigarette (hé oui, les médecins sont corruptibles. Etonnant, non ?) et discréditer ceux qui parlent de cancer. Il prétendra toute sa vie qu'il n'était pas conscient des méfaits du tabac et, pourtant, il a très fortement découragé son épouse de fumer.

Sa spécialité, c'est l'indirect, l'association ou la société écran, l'argument d'autorité, faussement neutre, faussement scientifique. Il ne vante jamais le produit mais créée une mode qui va faire vendre le produit.

Commandité par une société de bacon, il embauche des médecins pour faire la pub du petit déjeuner copieux. Commandité par une société qui fabrique des filets pour cheveux, il fait une campagne sur la sécurité au travail.

D'ailleurs,  en nos temps de COVID, nous connaissons cette technique indirecte par coeur : qu'est-ce que l'OMS, si ce n'est une organisation écran, faussement neutre et faussement technique, qui justifie par son « expertise », le délire vaccinolâtre de nos gouvernants au service de Pfizer et compagnie ?

« Faut vous vacciner. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'OMS. » Je suis désolé que beaucoup de mes contemporains crédules tombent dans ce panneau. Les « complotistes » sont sensibles à d'autres manipulations, Style Qanon, mais, au moins, ils n'ont pas cette naïveté.

Bernays est un des pères de l'expression « la fabrique du consentement ».

David Ogilvy

Le pape de l'économétrie en publicité : sondages, panels, tests, etc.

Il introduit la technique A/B : 100 000 exemplaires d'un magazine avec une publicité A, 100 000 exemplaires avec une publicité B et on mesure laquelle fonctionne le mieux grâce à une petite différence dans le bon de commande.

Cette technique est omniprésente sur internet : quand nous nous connectons à un site, il est probable que nous n'avons pas exactement la même interface que notre voisin et qu'on mesure la différence de réactions entre nous deux.

Ogilvy a une particularité notable dans le monde des publicitaires : il utilise les produits de ses clients ! Et refuse les clients qui ne lui plaisent pas.

Autre chose : Ogilvy considérait que la télévision comme une menace pour la démocratie.

C'est le seul manipulateur presque honnête de tous ces portraits.

John Hill

Encore un enculé de niveau olympique.

C'est lui que les marchands de tabac embauchent en 1953 pour contrer les gens qui disent que le tabac provoque le cancer.

Il décide de la stratégie consistant à ne pas s'opposer frontalement, à tout embrouiller, à semer le doute, à l'aide de médecins corrompus (oh ! Quelle surprise ! Les médecins sont corruptibles !).

Il a des milliers de morts sur ce qui lui tient lieu de conscience.

Sa firme Hill & Knowlton existe toujours et est l'une des plus prospères. La crime paye.

Mark Zuckerberg

David Colon est sans aucune ambiguïté : Mark Zuckerberg est la plus grand manipulateur de l'histoire.

Pour plusieurs raisons :

1) sa manipulation est la plus cachée. Quelqu'un de pas trop bête peut avoir conscience d'être manipulé par Goebbels ou par un publicitaire, mais il est douteux que les utilisateurs de Facebook se connectent en se disant « Allons faire un tour dans les griffes du plus grand manipulateur de l'histoire ».

Comme Google, sa manipulation la plus puissante est totalement invisible : le tunnel relationnel, la bulle mentale, qui est une authentique prison. Facebook et Google ne nous font jamais des propositions neutres. Ils nous proposent toujours des choses adaptées à nos goûts.

Si mon copain facho et mon copain mélenchoniste recherchent « Zemmour » sur Google, ils n'obtiendront pas le même résultat, Facebook ne leur proposera pas les mêmes articles.

A cela, je mets un bémol : il y a beaucoup de gens qui n'ont pas Face de Bouc, parce que, sans faire un raisonnement aussi précis sur la manipulation, ils sentent que c'est un truc vicieux fait par des vicieux.

2) Ses outils sont les plus puissants jamais conçus. Une enquête sénatoriale a révélé que Facebook est capable de tracer certains de vos clics même quand vous n'y êtes pas connecté. Quand à tracer toutes vos allers-et-venues, c'est un jeu d'enfant.

La masse de données de Facebook est non seulement la plus étendue et la plus individualisée de l'histoire, mais les outils pour l'exploiter sont perfectionnés en permanence.

3) Sa cible est de très très loin la plus vaste de toute l'histoire.


Richard Thaler

C'est l'inventeur du nudge, le coup de pouce. Il a eu un prix Nobel d'économie pour cela.

Cela consiste à faire adopter un comportement aux gens en modifiant leur perception.

L'exemple typique, c'est de rapprocher les arbres au bord des routes à l'approche des intersections, pour donner une impression d'accélération et inciter les gens à ralentir.

L'ausweis sanitaire comme incitation à la vaccination est tellement grossier que ce n'est plus du nudge mais du bon vieux chantage.

Le nudge, comme toutes les techniques de manipulation est une grosse dégueulasserie.

Reprenons l'exemple des arbres resserrés aux carrefours. Qui peut être contre cette incitation indolore au ralentissement  bienvenu ?

Bin ... Moi.

C'est une atteinte au libre arbitre, à la liberté, un mépris subtil mais bien réelle des autorités pour le citoyen, traité comme un enfant. 100 nudges comme cela et nous ne sommes plus libres, 1 000 nudges comme cela et nous sommes des animaux.


Willy Muzenberg

Il n'est pas dans ce livre et c'est un gros manque. C'est pourquoi je l'ajoute.

Manipulateur en chef du Komintern, il a probablement été exécuté en France (suicide très très bizarre) par un agent soviétique (le procès instantané de 9 mm).

Voici ses 4 règles, (je vous laisse juger de leur actualité) :

 1) L'émotion l'emporte toujours sur la raison.

Il faut choisir des activités à forte charge émotionnelle comme le secours et des instruments qui font la part belle à l'image comme la photo et le cinéma. Le noyautage des milieux culturels est extrêmement efficace pour créer et diffuser des impressions et des sentiments utiles à la cause.

2) Le mensonge en communication est à égalité avec la vérité. Il ne faut pas hésiter à mentir et à décrire des situations rêvées qui n'ont aucune relation avec la réalité.

Pendant que la dékoulakisation et la collectivisation de l'agriculture entraînaient une famine épouvantable et des millions de morts, la propagande du Komintern relayée par la presse communiste, amie ou achetée décrivait un véritable paradis.

3) Mieux vaut faire parler des « compagnons de route » que des militants.

Des dizaines d'organisations faux-nez ou noyautées ou faussement indépendantes permettront de faire passer le message soviétique comme s'il s'imposait aux grandes consciences occidentales.

La pénétration des universités a été systématique, notamment au Royaume-Uni, permettant de se cacher toujours derrière l'avis d'un « grand scientifique ». Le faire à l'échelon mondial permet des jeux de miroirs et le renforcement de l'argument d'autorité.

Müzenberg organisait des comités, des congrès et des mouvements internationaux comme un prestidigitateur sort des lapins de son chapeau : Comité pour l'Aide aux Victimes du Fascisme, Comité de Vigilance, Congrès de la Jeunesse, que sais-je encore ?

4) Le débat est inefficace : il faut écraser la contestation. L'adversaire doit être vilipendé pour que sa parole voire sa personne soient déconsidérées.

On mobilise tous les milieux noyautés et les compagnons de route ainsi que toutes les sources d'influence pour saper la crédibilité d'un intellectuel ou d'un opposant. Jusqu'au renversement de perspectives de 1932, les socio-démocrates sont des socio-fascistes.

La parenté des techniques de Muzenberg avec celles des réchauffistes (le GIEC), des wokes et des covidistes (l'OMS) n'est absolument pas un hasard.

En conclusion ?

Si, simplement, quand vous ouvrez le journal, la radio, la télévision ou internet, vous vous dites « Attention, je vais me faire manipuler », c'est déjà bien.

Le mieux, c'est quand même de n'ouvrir ni le journal, ni la radio, ni la télévision, ni internet (pour ma part, j'ai bon sur les 3 premiers, mais je pèche sur le 4ème).

************

(1) : il n'y a pas photo : l'URSS a eu 60 (!!!!) fois plus de morts que les USA et a mis hors de combat 7 fois plus d'Allemands.

Alors, certes, la contribution américaine a été importante mais à la question relative « Quel est la plus gros contributeur ? », la réponse est évidente. Et ce n'est pas celle que donne Hollywood.

vendredi, août 12, 2022

Fossil future (Alex Epstein)

J'ai adoré l'intelligence du livre The bottomless well il y a quinze ans.

Je vous en rappelle la conclusion : les deux énergies de l'avenir sont le charbon et le nucléaire, sauf si les politiques s'en mêlent avec leurs gros doigts boudinés et prennent des décisions catastrophiques.

Ce livre-ci est moins subtil mais il fait la même analyse : nous ne manquerons jamais d'énergie et même jamais d'énergie dite fossile (1).  C'est dommage que le titre soit erroné (l'énergie n'est pas « fossile ». En tout cas, ce n'est pas si sûr qu'on le dit).

Malheureusement, l'auteur croit au réchauffisme carbophobe mais cela n'affecte pas trop son analyse.

Que dit-il (je note mes commentaires et ajouts entre crochets) ?

1) Les hydrocarbures sont une énergie si bon marché et si pratique qu'il est irrationnel de s'en passer volontairement.

Se passer des hydrocarbures est suicidaire, au sens littéral : si les politique Net Zero étaient appliquées, elles feraient des millions de morts, notamment parmi les pauvres, plus vulnérables [en réalité, c'est un des buts recherchés : l'écologisme, le veganisme et le réchauffisme sont des formes extrêmes de lutte des classes, justifiant la mise à mort de millions de pauvres].

Alex Epstein décrit la vie en Gambie, où les pénuries d'énergie font partie de la vie quotidienne. Notamment, une mortalité infantile catastrophique (il décrit un accouchement difficile dans une maternité sans électricité).

Je ne peux résister au plaisir de ce dessin sur Net Zero :



La limitation autoritaire de la consommation d'énergie hydrocarbure est juste une pulsion de mort, un suicide collectif. [La docilité avec laquelle les peuples occidentaux acceptent cette pulsion masochiste est révélatrice d'une faille psychologique majeure. Hypothèse : les humains ne sont peut-être pas faits pour vivre trop longtemps dans le confort, quand une société humaine a été trop prospère trop longtemps, elle s'auto-détruit.

Tous les récits malthusiens et déclinistes sont ancrés non dans la réalité mais dans un archétype très ancien : l'homme mauvais qui, par ses excès, suscite la colère de la Nature, bonne mais franchement soupe-au-lait].

2) La consommation d'hydrocarbures provoque un réchauffement climatique [c'est faux] mais elle offre aussi les moyens de combattre les effets de ce réchauffement. Cette énergie abondante, pratique et bon marché permet l'irrigation, la climatisation, la construction et toutes sortes de bienfaits.

Des experts en erreurs

L'auteur explique pourquoi lui, Alex Epstein simple particulier, est légitime à contester le (prétendu) consensus des experts. Son argumentaire est carré et rend encore plus terrifiante la lubie, qui traine dans l'air, du « gouvernement apolitique des experts » :

1) Dans l'histoire, le « consensus des experts » a toujours justifié toutes les saloperies du moment : esclavage, colonialisme, racisme, eugénisme, etc. Les nazis et les bolchéviques n'ont jamais manqué d'une majorité d'experts pour justifier scientifiquement leurs atrocités.

[2) Qu'est-ce qui fait un expert ? La validation de son expertise par d'autres experts.

Autrement dit, un expert est par nature conformiste, il doit plaire aux autres experts. Un anti-conformiste a beaucoup moins de chances d'être désigné par ses pairs.

Bien sûr, un expert estampillé peut virer à l'anti-conformiste au cours de sa carrière, c'est même ainsi que la science avance. Mais, comme les poissons-volants, ce n'est pas la majorité de l'espèce.

3) Un expert vit de son expertise. Pour lui, ce n'est donc pas une très bonne idée de froisser ses financeurs. « 97 % des chercheurs sont d'accord avec leurs financeurs » n'est pas seulement une plaisanterie, c'est une nécessité de la vie.

4) Un expert vit aussi, en nos temps télévisuels, indirectement mais de manière très substantielle, de sa popularité. Il a donc tout intérêt à dire les choses qui font passer à la télévision.

« Circulez, il n'y a rien à voir, tout se passe comme d'habitude, vous vous inquiétez pour rien » ne fait pas passer à la télévision.]

Alex Epstein, encore une fois timoré (même si je salue le courage de sa démarche), choisit de faire confiance aux experts et de commencer à ce qui est pour moi le point 5, d'où ma longue interpolation ci-dessus.

5) Quels que soient les avis des experts, honnêtes, biaisés, solides, fragiles, ils sont toujours multiples (en science, il n'y a jamais de consensus). Ceux-ci ne parviennent pas bruts au grand public (dans lequel il faut inclure les décideurs). Ils passent par des intermédiaires, des corps constitués (académies des sciences, CNRS, GIEC ...).

C'est un premier filtre : ces intermédiaires déforment. Encore plus quand ils sont politiquement contrôlés, ce qui est très souvent le cas, presque toujours en fait. Par exemple, le GIEC « oublie » toujours un chiffre très simple : en un siècle, le nombre de victimes d'événements météorologiques, les « victimes du climat » supposées, a diminué de 97 %.

6) Il y a un deuxième filtre : les médias.

Le très regretté Michael Crichton parle de l'effet Gell-Mann (du nom d'un de ses amis physiciens). Vous lisez un article sur un sujet que vous maitrisez : vous pestez, vous gueulez que c'est un tissu de conneries. Vous tournez la page du même journal et vous lisez un article sur la Palestine ou sur la bourse et là, vous croyez le journaliste sur parole.

7) En conclusion : l'état de la connaissance peut être à l'opposé total de l'image qu'en a le plus grand public à travers les différents filtres.

Alex Epstein pointe le fait que les experts sélectionnés par les medias ne sont pas contre les hydrocarbures mais contre toute forme d'énergie pratique et abondante, puisqu'ils sont aussi contre le nucléaire et contre les barrages hydro-électriques, ce qui signe qu'ils ont d'autres buts et d'autres motivations que ceux qu'ils affichent.

Le nécessaire filtre politique

L'avis des experts (réels ou supposés) ne doit en aucun cas s'imposer, parce que les sociétés humaines sont régies par des facteurs multiples qui ne sont pas tous techniques ou quantifiables ou réductibles à un seul angle d'analyse.

Les slogans « Croire la science » ou « Suivre la science » ou équivalents, sont, en plus d'être fondamentalement erronés (la vrai science n'est pas monolithique, elle ne délivre pas des avis définitifs telle un oracle), par essence totalitaires, car ils veulent réduire l'humain à un seul axe, à une seule perspective. Ils sont inhumains.

L'avis des experts doit être jugé en morale. Alex Epstein prend l'exemple facile (aujourd'hui) de l'eugénisme. Même si les experts avaient raison sur le fait que l'intelligence était héréditaire, la stérilisation forcée des bas QI était quand même immorale et devait être interdite.

Sur l'interdiction des hydrocarbures, la transposition est évidente : est-il moral de plonger des millions de gens dans une misère certaine et immédiate pour des avis d'experts portant sur un futur incertain ?

Anti-humains

Ce n'est pas la partie la plus longue mais celle où la formation philosophique d'Alex Epstein s'exprime le mieux.

Il prend l'exemple de l'expérimentation sur les animaux : ceux qui veulent interdire l'expérimentation sur les animaux à tout prix, y compris en se privant des bénéfices de cette expérimentation pour la santé humaine, sont anti-humains, ils font passer la santé des animaux avant celle des hommes, même s'ils dissimulent souvent cette hostilité derrière des arguments fallacieux.

De même, ceux qui nient les bénéfices des hydrocarbures (et, plus généralement, les bénéfices d'une énergie abondante) pour n'en voir que les inconvénients sont anti-humains, tant les bénéfices des hydrocarbures contribuent au bien-être des hommes.

Quel mythe profond activent-ils pour faire passer leur pulsion anti-humaine ?

Le mythe de « la nourricière fragile ».

La nature serait notre nourricière indispensable et dans un équilibre fragile, que la moindre activité humaine peut perturber.

Or, c'est un double mensonge. Ce n'est pas la nature qui nous nourrit mais l'activité et l'ingéniosité humaines. Et la nature est souvent notre ennemie et, en tout cas, elle est loin d'être fragile : c'est un système très complexe qui bénéficie de beaucoup de boucles d'adaptation.

La terre inhabitable à cause d'un réchauffement, ça n'existe pas, ça n'existera jamais, c'est un fantasme. Nous savons qu'il a déjà fait bien plus chaud par le passé et ça n'a pas empêché la vie.

Comme pour toutes les pulsions anti-humaines, le mensonge est consubstantiel à la carbophobie.

Les politiques décroissantes, carbophobes, véganes sont génocidaires par nature. On ne s'en aperçoit pas (ça se voit tout de même comme le nez au milieu de la figure, mais il ne faut pas trop demander à nos temps de bêtise universelle) tant qu'elles restent des lubies de bourgeois dépravés ridicules. Mais on a le précédent horrible du Grand Bond en Avant maoïste : entre 15 et 55 millions de morts en 4 ans.

Un long plaidoyer pour les hydrocarbures

S'en suit un long plaidoyer pour les hydrocarbures. C'est la partie la plus fouillée du livre, où j'ai appris le plus.

On fait souvent le raisonnement « La Terre est finie, la quantité d'hydrocarbures est finie ». Or, ce raisonnement n'a en réalité aucune utilité, puisqu'on ne sait pas si on a consommé 90 %, 50 % ou 1 % des hydrocarbures disponibles (même cette notion d'hydrocarbures disponibles est biaisée puisqu'elle évolue avec les progrès techniques). De plus, il y a toujours la solution de transformer le charbon, très abondant, en pétrole.

il est probable que nous ne manquerons jamais d'hydrocarbures, nous serons passés à d'autres formes d'énergie avant.

Les hydrocarbures, solution contre le réchauffement climatique

Chaleur, sècheresse, montée des eaux : une économie rendue rendue très efficace par les hydrocarbures peut faire face aux conséquences d'un éventuel réchauffement, pas une économie qui se prive volontairement des hydrocarbures.

Plus de gaz carbonique

Alex Epstein va jusqu'au bout de sa logique :

1) le gaz carbonique est bon pour les plantes

2) les hydrocarbures permettent de faire face aux conséquences d'un éventuel réchauffement

Il  faut donc produire plus de gaz carbonique.

[Dans quel but, la folie carbophobe ?

Mettre la rate des gens au court-bouillon pour un truc dans 100 ans est un moyen manipulatoire de les détourner des vrais problèmes d'aujourd'hui. C'est un truc de prestidigitateur qui détourne l'attention du public pendant qu'il fait son tour de magie.

Le tour de magie de la Caste, c'est « Vous n'aurez plus rien et vous serez heureux [et nous, les riches, continuerons à jouir sans entraves] ».

Se priver volontairement des hydrocarbures, c'est comme le Grand Bond en Avant maoïste : ça ne peut que semer la misère, la désolation et la mort pour des millions d'hommes. Sans hydrocarbures, nous sommes ramenés en 1800, avec certes bien des connaissances en plus mais qui ne changent pas grand'chose pour la vie quotidienne.

Et les connards écologistes sincères qui tombent dans ce panneau sont les petits soldats de gens qui n'en ont rien à foutre d'eux mais les utilisent pour notre plus grand malheur.]

Liberté et optimisme

Le point fondamental, c'est la liberté individuelle. Si vous laissez les gens faire ce qu'ils veulent, jamais ils ne se soumettront en masse aux délires carbophobes dans les décisions les concernant. Il n'y aura qu'une poignée de bourgeois-bolchéviques pour se faire chier à rouler en corbillards à batteries.

Les réchauffistes l'ont bien compris, qui tentent de mettre par tous les moyens la coercition étatique de leur côté.

Alex Epstein conseille aux climato-réalistes de ne pas se laisser embarquer dans des discussions techniques mais de préempter le terrain moral. La vie bonne pour le maximum de gens, c'est grâce aux hydrocarbures. De toute façon, le nucléaire offre une source d'énergie bon marché et infinie pour toutes les applications non-transport.

Il est optimiste parce qu'il pense que le bon sens prévaudra à mesure qu'on s'apercevra à quel point l'alarmisme climatique est dénué de fondement. Je pense exactement le contraire : chaque mensonge accepté sert de base au mensonge suivant.


Mon appréciation

Même si j'ai trouvé ce livre brouillon et mal écrit, je l'ai apprécié. Ca fait du bien quelqu'un qui remet de la rationalité et de l'intelligence dans ce délire collectif de plus en plus irrationnel et bête, mais bête ...

Cependant (Alex Epstein en a peu conscience, me semble-t-il), la carbophobie n'est qu'un des moyens que l'Occident a choisis pour son suicide.

Il serait bien que l'Occident se réveille de son hypnose avant qu'il soit trop tard.

Mais, le plus probable est que ce qui restera de l'Occident passera à autre chose après des millions de morts. Parce que c'est toujours ainsi que finissent les hallucinations collectives.





**************

(1) : l'origine fossile des hydrocarbures fait partie (comme le réchauffement climatique anthropique) de ces prétendues évidences qui sont en réalité très fragiles, voire carrément fausses. Or, cette origine fossile sert à justifier que le pétrole est en quantité limitée, rare et cher.

Dans le classement de Pareto (les affirmations vraies et utiles, les affirmations vraies et inutiles, les affirmations fausses et utiles, les affirmations fausses et inutiles), l'origine fossile des hydrocarbures pourrait bien appartenir à la troisième catégorie.

De plus en plus, l'Occident sécrète ces affirmations fausses mais utiles (utiles à ceux qui en tirent des fortunes colossales, mais catastrophiques pour les autres), signe évident de notre effondrement intellectuel collectif.

First Man (James R. Hansen)

 Voici ce que j'écrivais en 2018 à propos du film qui a été tiré de ce livre :

« J'ai un faible pour Neil Armstrong. C'était un taiseux à l'ancienne, loin du blabla obligatoire pour magazines féminins des hommes « sensibles ». C'était un homme de peu de mots. Bien que cela ne soit pas tout le thème du film, on pense à Milan Kundera : « les misogynes n'aiment pas la féminité. Les machistes aiment la féminité mais ne s'y soumettent pas ». Armstrong est un mec classe, le type du decent man, common man. Il ne ramène pas sa fraise, il fait son devoir, y compris quand il consiste à risquer sa vie.

C'était un pilote extraordinaire, d'un sang-froid à la limite de la distraction. Il n'a pas été choisi pour être le premier homme sur la Lune simplement parce qu'il avait une bonne tête. »

On surnommait Steve Mac Queen Mister Cool, mais le vrai Mister Cool, c'était Armstrong.

Trois moments de sa carrière où il montre un sang-froid hors du commun, comme s'il n'avait pas de nerfs : quand il pose son avion endommagé sur son porte-avions pendant la guerre de Corée, quand la capsule Agena se met à tournoyer sur elle-même de plus en plus vite et qu'il se dit « J'ai 3 minutes pour trouver la solution avant de m'évanouir » et, bien sûr, la descente vers la Lune (il se pose avec 10 secondes de carburant en réserve).

Bizarrement, il était jugé un peu nerveux par ses premiers instructeurs et il conduisait fort mal, très distrait. Il avait besoin d'un avion complexe pour mobiliser ses capacités.