vendredi, août 19, 2022

Atomic Tragedy: Henry L. Stimson and the Decision to Use the Bomb Against Japan (Sean L. Malloy )

J'ai survolé ce livre en 2008 pour comprendre son contenu.

Mais ce qui m'a donné envie de le lire vraiment est le flot de touits bien cons, bien anachroniques, et teintés d'anti-américanisme bien caricatural, pour le 77ème anniversaire du bombardement d'Hiroshima.

Stimson est le Secrétaire d'Etat à la guerre de 1940 à 1945.



Le contexte

Pour éviter l'anachronisme, péché suprême en histoire, il faut comprendre le contexte et la vision des gens de l'époque :

1) Jusqu'à ce que le retour d'expérience de la seconde guerre mondiale soit fait, à la fin des années 40, tous les belligérants surestiment l'efficacité stratégique des bombardements des villes.

2) Tant qu'une guerre n'est pas finie, elle continue et pèse très lourd sur l'esprit des dirigeants. A nous qui connaissons la date et les circonstances de la fin de la guerre, cette considération échappe souvent.

En août 1918, les dirigeants alliés envisagent la fin de la guerre au printemps 1919 et prennent les décisions en conséquence.

Au printemps 1945, les dirigeants américains savent bien que le Japon a perdu. Mais ils ne savent pas quand la guerre va finir ni combien de morts sont nécessaires pour que le Japon admette cette défaite et dépose les armes. Des estimations font état de centaines de milliers de morts américains probables.

Avant de décider des bombardements atomiques, Truman a fait des ouvertures de paix (hélas pas très nettes) que les Japonais ont refusé (ce qu'on oublie toujours de dire).

Sauf à mettre en jeu des vies de militaires américains pour épargner des civils japonais, Truman n'avait guère d'autres solutions.

Imaginez que Truman ait décidé de ne pas employer la bombe et que 20 000 Américains soient morts sur les plages nippones. Comment aurait réagi le peuple américain ? Dans l'esprit de Truman, l'opinion publique américaine a pesé lourd, probablement plus qu'elle aurait du.

Comme pour Dresde, et contrairement à ce qui a été dit après la guerre, les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki présentaient un intérêt militaire (assurément très faible).

3) Il y a bien sûr le contexte de la concurrence naissante avec les soviétiques. C'est d'ailleurs l'offensive soviétique en Mandchourie (l'Armée Rouge au sommet de son art : sur un théâtre de la taille de l'Europe, elle attaque dans les zones sans chemin de fer, où les Japonais croient l'approvisionnement d'une offensive impossible), plus que les bombardements atomiques qui vont décider le gouvernement japonais à se rendre (mais les Américains n'en ont pas conscience).

Le souci américain de conclure la guerre au plus vite est tout à fait compréhensible.

4) Plus particulièrement, Stimson a compris (Truman, c'est moins sûr) que la bombe atomique n'est pas une arme comme les autres. Il y a quelque chose dans son esprit qui ressemble à l'ébauche de la doctrine de la dissuasion. Nous sommes mal placés pour le critiquer : nous lui devons peut-être nos 80 ans de paix atomique.

Stimson s'est opposé au bombardement de Kyoto.

5) Sur le moment, bien peu ont protesté (Albert Camus dans Combat, par exemple). Cet état de fait freine les trop faciles « Il était évident que c'était un crime de guerre ».

6) Enfin, Stimson et Truman n'ont pas pris cette décision à la légère. Ils en étaient très angoissés (on le serait à moins).

Henry L. Stimson

Stimson (né en 1868) est un personnage intéressant : WASP rigoriste, qui considère que les non-Américains non-blancs sont des races inférieures, que la démocratie doit être guidée par les classes supérieures, est plusieurs fois Secrétaire d'Etat à la Guerre.

Il a horreur de la guerre moderne, il pense que la guerre industrielle est si destructrice que l'humanité ne peut plus se la permettre. Il le dit à sa manière : « La gloire de la guerre a disparu quand ils ont aboli le cheval ».

Il n'est pas pacifiste, au sens où il ne croit pas possible la disparition totale de la guerre. Mais il travaille dans l'entre-deux-guerres à encadrer les conflits par des lois, dans l'espoir de les empêcher de dégénérer en guerres. Il considère (ça ne vous rappelle rien ?) qu'il est vain d'apporter la démocratie à la pointe du fusil.

Il a été jusqu'à interdire d'espionner les ambassades étrangères à Washington. Ce qui était un peu naïf.

Tout cela pour dire que Stimson n'était ni Hitler ni Staline.

Significatif pour notre propos : en mars 1945, il proteste contre le bombardement de Dresde et exige des explications des militaires. Ceux-ci l'enfument en exagérant l'importance des objectifs militaires.

L'entonnoir

La décision de bombarder Hiroshima et Nagasaki est rationnelle mais résulte d'un effet d'entonnoir : de décision en décision, les responsables américains ont restreint les options à leur disposition.

Les politiques ne sont impliqués que très tard, trop tard, dans les questions d'usage pratique de la bombe A. Des décisions engageantes avaient déjà été prises par les militaires et les scientifiques.

Par exemple, un tir public de démonstration a été refusé au cours du programme Manhattan pour de bonnes raisons (risque d'échec, encourager les programmes nucléaires nazi et japonais, apparaître faible aux jusqu'au-boutistes) mais cette décision n'a pas remise en cause après la capitulation allemande.

La principale décision conduisant au ciblage des villes a totalement échappé au politique. Le programme Manhattan avait deux options : une bombe aérienne ou une torpille sous-marine.

La bombe aérienne conduisait au ciblage des villes : pour que l'avion tireur puisse s'échapper, il devait bombarder de très haut, donc sans précision, donc grosse cible, donc ville.

Inversement, la torpille sous-marine avait pour but d'attaquer les bases navales. Elle a été écartée pour des motifs de complexité technique.

Stimson comprend mieux que Truman les enjeux de la bombe atomique, il imagine quelque chose qui ressemble à la première doctrine de dissuasion.

Mais il est épuisé (77 ans, des problèmes cardiaques et 4 ans de ministère) et se laisse balader par les militaires (comme pour Dresde).

Mai 1945

Fin mai1945, éclate enfin la nécessaire polémique sur le ciblage de la bombe atomique dans le tout petit cercle des décideurs de Washington.

Malheureusement, les militaires et les scientifiques arrivent à biaiser les choses, notamment en restant très vagues sur les effets de la bombe, de manière à convaincre les politiques que le seul emploi démonstratif de la bombe est sur une ville.

Les solutions alternatives envisagées par Stimson, le communiqué d'avertissement et la démonstration dans le désert, sont rejetées. Stimson finit par se laisser convaincre, contre sa première intuition, que le meilleur moyen d'abréger la guerre est le bombardement atomique d'une ou deux villes.

Potsdam

Lors de la conférence de Potsdam en juillet 1945, Stimson en profite pour visiter les ruines de Berlin. Il est catastrophé « au-delà des mots ». Des signaux favorables venant du Japon, Truman et Stimson demandent au Département d'Etat d'étudier les conditions d'une reddition sans invasion.

Mais les dirigeants de ce ministère, opposés à cette solution, s'arrangent pour la faire échouer.

Une conclusion déprimante

La conclusion est particulièrement déprimante : si Hiroshima et Nagasaki ont été rasées par la bombe atomique, c'est parce que Truman, trop frais dans le poste, et Stimson, au bord de l'effondrement physique (qui viendra en septembre 1945), n'ont pas su remettre à leur place les militaires, les scientifiques et les diplomates.

Il n'y a pas, dans la tradition américaine, cette très saine (à mon avis) défiance européenne des politiques vis-à-vis des militaires (« La guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux militaires »). Quand on lit ce que Clemenceau, Churchill ou de Gaulle écrivent des militaires, on se dit qu'ils auraient été à l'aise dans une manifestation sur le plateau du Larzac !

Mais c'est aussi que Truman et Stimson n'avaient pas des convictions assez fortes concernant l'usage de la bombe atomique pour s'opposer au fonctionnement inexorable de la machinerie militaire. Au fond, ils ont vraiment cru que les bombardements atomiques étaient le meilleur moyen d'abréger la guerre, dans un contexte de course de vitesse avec les Soviétiques.

Et aujourd'hui ?

Pour ma part, je ne peux pas affirmer que, dans la situation de Truman, j'aurais pris une décision différente de la sienne. Et je peux sans trop de risque dire la même chose de tous les gens qui critiquent les Américains rétrospectivement et sans retenue.

Alors oui, les bombardements atomiques, c'était mal, mais c'était peut-être le moindre mal, pour insatisfaisant qu'il fût. Le vrai mal, c'était la guerre, et elle n'a pas été déclenchée par les Etats-Unis.

Bref, après examen, face à « Ouh là là, les Américains sont des salauds de criminels contre l'humanité du fait des bombardements atomiques », on se retrouve avec un tableau bien plus nuancé.

Et, puisque nous leur devons peut-être nos 80 ans de paix atomique, nous sommes fort mal placés pour critiquer.

On peut en tout cas dire que Ségolène Royal traitant Truman et Stimson de « fous, impulsifs, immatures et bêtement virilistes » est au-delà du ridicule. Il faudrait inventer un mot spécifique rien que pour elle. Je pense que cela n'étonnera personne.

4 commentaires:

  1. "...les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki présentaient un intérêt militaire (assurément très faible)."
    Ces villes sont des ports, ce qui en faisait des cibles stratégiques. Que les bombarder ait présente un intérêt faible ou fort, je ne sais pas. Mais il était le même que le bombardement soit nucléaire ou classique. Et, dans ce dernier cas, on n'en parlerait plus.

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  2. Bonjour,

    Les deux bombes font oublier un peu facilement la campagne de bombardement classique qui a frappé le Japon en 1944-1945 et qui a culminé avec la destruction de Tokyo (février, mars et mai 1945). Le bilan n'a rien à envier à celui d'Hiroshima et Nagasaki (plus de 100 00 morts après celui du mois de mars).
    Il est, je crois, un peu facile et malheureusement à la mode en ce moment de décrier des choix faits il y plus de 80 ans. Le fait est qu'après les deux bombes, le Japon a capitulé et que cette capitulation a mis fin à un conflit terrible. On oublie également un peu trop facilement qu'il a fallu aux alliés frapper l'Allemagne sans répit pour l'amener à la reddition complète. Il n'y a qu'à voir l'état de Cologne en mai 1945. A cette aune, Dresde n'est qu'un terrible épiphénomène dans un océan d'horreur. Pouvait-il en être autrement ? Nous n'aurons jamais la réponse.

    Bonne journée

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  3. Désolé d'être cassant. Mais vous êtes TELLEMENT meilleur lorsque vous parlez de tout sujet lié à avant 1938 ou après 1948 que le excellent s'y compare au pathétique.

    Pour diverses raisons sur lesquelles ni vous ni moi n'avons prise, la seconde guerre mondiale est condamnée à n'être décrite que sous un seul prisme compatible aux fourches caudines de la Macronie. Celle qui assure que tout la France, bourgeoisie en tête, a résisté. Celle qui réduit 50 millions de morts aux seules victimes de l'holocauste, à l'exclusion de tous les autres innocents ayant perdu ou sacrifié leur vie.

    Quel puits sans fond de la pensée, quel champ aride pour y enterrer votre espoir et notre culture!

    OSEF. C'est fait, c'est passé, c'est jugé désormais à l'aune d'un seul prisme qu'il ferai passer Lyssenko pour le nouveau Descartes. Pourtant, la seule conclusion rationnelle à tirer des bombardements de Dresde et des délices de Kaboul, c'est que le nazisme a été extirpé d'Allemagne là où l'islam se vautre toujours en Afghanistan (ou en Seine-Saint-Denis).

    On peut reprocher aux yankees d'avoir été trop timorés, de n'avoir pas écouté Churchill. Oui les féliciter d'avoir estimé que suffisamment de sang avait coulé, y compris celui de Patton le trahi.

    Reste que juger 1945 à l'aune de la fenêtre d'Overton moderne est un infâme gâchis de votre temps et de votre intelligence.

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