mercredi, juillet 16, 2025

Une Eglise qui se trompe de siècle (Maurice Druon).

Livre de 1972. Période charnière : le Camp des Saints est publié en 1973. Entre ses deux livres, il y a tous nos malheurs et leur explication.

C'est toujours un plaisir de lire Druon. Son style est académique mais point trop pesant.

Baïrou regnante, rappelons au passage sa polémique avec le melon de Pau :

Retour sur la polémique Druon-Bayrou

Le présent ouvrage est un recueil de réponses à un article de Druon intitulé Une Eglise qui se trompe de siècle.

Mais le plus plus important est la longue introduction de Druon.

Notons qu'à l'époque, le mouvement de vidange des églises n'en était qu'à ses débuts. Le temps écoulé nous permet de mieux juger la prescience de Druon et la légèreté de ses contradicteurs.

Laissons parler Druon :

« À constater l’ampleur de la crise – elle n’est pas seulement française et bien d’autres pays la subissent – qui sévit à la fois dans l’Université et dans l’Église, qui atteint et la langue maternelle et la religion maternelle, on ne peut pas ne pas se demander si l’on ne se trouve pas devant une vaste entreprise, concertée par certains, inconsciemment servie par l’aveuglement de certains autres, favorisée par l’insatisfaction de beaucoup, et qui aurait pour fin de couper les nouvelles générations des acquis ancestraux.

Les conditions d’une révolution n’étant pas réunies, et les chances semblant maigres, à ceux qui souhaitent une subversion radicale des sociétés, de se saisir du pouvoir soit par l’effet d’un conflit international, soit par le jeu des institutions en place, le seul moyen de transformer le monde consisterait alors à ne pas transmettre l’héritage culturel, en tout cas pas dans sa totalité. Ainsi, travaillant à échéance, formerait-on des générations qui ne pourraient plus penser l’homme, ni le monde, ni Dieu, selon les schémas ancestraux, et dès lors n’offriraient plus aucune résistance à basculer dans un nouveau type de société.

Pour inconscients qu’en soient la plupart de ceux qui y participent, cette conspiration du rejet n’en est pas moins perceptible et inquiétante. Elle pèse sur l’Université où les réformateurs préconisent de donner priorité à la langue parlée sur la langue écrite, donc au tâtonnant et au malléable sur le réfléchi et le durable ; où l’accent est mis sur la libération des facultés de l’enfant – de quoi faut-il donc le libérer avant qu’il ait été opprimé, sinon du patrimoine et des moyens d’en prendre possession ? où l’étude des langues anciennes est décrétée d’inutilité, et la part faite aux œuvres datant de plus d’un siècle constamment réduite, comme si tout cela ne devait plus constituer qu’une sorte de paléontologie de la pensée humaine.

Or l’Église, elle aussi, est enseignante par nature. Elle est héritière, dépositrice, d’un patrimoine culturel qui est antérieur même au message évangélique. Elle transmet une certaine conception du monde d’où découle une certaine morale. Et c’est à partir de cette morale que se fait le droit et que se font les lois. L’Église est donc l’autre pilier qu’il faut faire céder, l’autre racine maîtresse, et la plus ancienne et la plus profonde, qu’il faut, rite par rite, tradition par tradition, dogme par dogme, saper ou scier. Ainsi l’arbre pourra s’abattre à la première tornade, ou simplement se coucher, d’épuisement. Ainsi l’on pourra fabriquer un homme nouveau pour un monde nouveau. »

Chapeau l'artiste !

Comme quoi « Qui aurait pu prévoir ? » n'est qu'un leurre pour demeurés. En réalité, tous les hommes intelligents avaient prévu ce qui nous arrive.

J'ai souvent ce dialogue, soit directement soit après quelques circonvolutions :

_ Tu trouves que la France va mal ?

_ Oui.

_ Tu veux faire quelque chose pour la France, simple et efficace, que tes ancêtres faisaient ?

_ Ah bah oui alors !

_ Va à la messe tous les dimanches.

_ Ah bah nan alors ! J'ai piscine ...

_ Alors, de quoi te plains tu exactement ?

Druon, lui, aurait compris ce que je disais et pourquoi je le disais.

Quelle étrange inconséquence. Voilà des gens qui se plaignent, sincèrement je suppose, de la chute de la France, mais ne font pas la relation avec leur propre responsabilité, avec le fait qu'eux-mêmes rejettent ce qui a fait l'âme de la France pendant vingt siècles.

Et je ne leur demande pas de se mentir, de raconter des histoires. Je leur demande de se soumettre à la Vérité. Dans le Christ, il y a le Chemin,  la Vérité et la Vie, c'est le réalisme intégral. La quête de la vérité est est une démarche individuelle.

Mais, bénéfice secondaire, dans l'Eglise, il y a la paroisse. C'est le dernier lieu de sociabilité naturelle des Français, maintenant que le bistro et l'usine ont à peu près disparu. Je suis désolé, mais les autres lieux de sociabilité, comme le club de randonnée des boumeurs, n'ont pas la même charge intemporelle, intellectuelle et spirituelle.

Je crois que le nœud de ce paradoxe est l'orgueil. Le refus orgueilleux de se soumettre à Dieu, le reste est du baratin. Et une soumission réelle, à travers une organisation humaine faillible, qui dit et fait pas mal de conneries.

Druon partage cette faiblesse puisqu'il se dit plus proche de Marc Aurèle que de l'Eglise. C'est ridicule : il fulmine, très justement, contre l'évolution d'une Eglise qu'il ne fréquente pas.

Encore Druon :

« La condition humaine est en vérité intolérable ... à moins, à moins qu'on ne la pense inscrite dans un ordre divin ; à moins que l'homme ne se considère pas comme étant à lui-même sa propre fin, à moins que chacun de nous envisage son existence comme un concours à un concert universel, mystérieux mais indéniable. Alors tout change d'aspect, tout se remet en place, tout devient acceptable ; et même apparaissent dans notre destinée de grandes plages de bonheur. Alors vivre reprend un sens, et notre situation d'êtres conscients redevient un privilège, une dignité. Alors les choses retrouvent saveur ; alors les autres redeviennent des semblables. Alors les actions acquièrent un objet et revêtent une signification, le problème à nous posé étant de reconnaître celles qu'il nous faut accomplir pour nous conduire conformément à l'ordre universel.

Quelle que soit la vision, obscure ou illuminante, que nous nous fassions de la Divinité, que notre pensée l'imagine transcendante au monde, ou immanente, ou à la fois transcendante et immanente, que nous lui prêtions ou non des traits et des attributs extrapolés de nos propres caractéristiques, que nous la concevions organisée en de multiples forces ou enfin que nous la pensions unique et rassemblée dans un seul vouloir, l'important est que nous ne l'ignorions pas.

Et il faut bien parler de « Révélation » pour désigner cette connaissance intuitive donnée à l'homme, en même temps que la conscience des choses, d'un Dieu qui les gouverne.

Le « contentus sua sorte » [content de son sort] du sage antique suppose le principe d'un ordre divin. L'acceptation de l'existence de Dieu est le préalable à l'acceptation de nous-mêmes. C'est la seule attitude à partir de laquelle la vie peut être ressentie comme un bienfait et non comme une succession d'inadmissibles malheurs, la seule aussi à partir de laquelle nous sommes en mesure de porter aux autres un secours réel. Tout le reste est errance de l'orgueil, tout le reste est démence tournant à vide dans la nuit. 

Les religions, par leurs dogmes et leurs rites, les Eglises, par leurs structures, leurs liturgies, leurs règles, sont la représentation de l'ordonnance universelle, les médiatrices qui permettent à l'homme de s'intégrer en esprit à cette ordonnance, de se sentir relié à l'essence divine. Et à partir de là, d'observer une morale. L'homme irréligieux est un homme perdu. Une Eglise qui se désorganise, qui étale ses doutes, qui conteste ses rites, qui néglige le permanent au profit du temporel, qui perd son ordonnance et se désacralise, une telle Eglise ne peut pas aider l'homme à se sauver ; mais elle peut l'aider à se perdre. »

Druon est pusillanime en en fréquentant l'Eglise dont il comprend l'importance, mais que dire de ses contradicteurs, amis du désastre, docteurs Tant Mieux du naufrage ? Entre le moment où ils écrivent (1971-1972) et aujourd'hui, la fréquentation des églises de France a été divisée par 20. Par 20 ! Et on peut écrire tous les branlotages d'intello qu'on veut : pas de fréquentation des églises, pas de sacrements, pas d'âmes sauvées.

La seule réponse qui tient l'épreuve du temps, est celle de Jacques Villeminot (je ne sais pas qui c'est, je n'ai trouvé qu'un explorateur de ce nom et je doute que ce soit le bon Villeminot), parce qu'il la construit avec des arguments théologiques, et il va plutôt dans le sens de Druon.

L'esprit de Vatican 2 (j'emploie cette expression pour ne pas restreindre le problème au concile lui-même)  n'est pas une réforme comme il y  en a déjà eu, mais une révolution parce qu'il introduit une hérésie : le subjectivisme, la « protestantisation » de l'Eglise, dans l'esprit du temps. « L'Eglise a cru ouvrir ses bras au monde, elle lui a ouvert les cuisses ».

Une fois qu'on a compris cela, le « malaise » de l'Eglise s'éclaire. Ce n'est pas un malaise, c'est un renoncement à soi-même, à sa mission. Une perdition satanique.

Mais je crois et j'espère que le pire est derrière nous, que François Zéro était le point bas du modernisme. Nous verrons bien. Ca n'empêche pas de prier et d'aller à la messe.

lundi, juillet 07, 2025

Castelnau, le maréchal escamoté (Jean-Louis Thériot)

 

On connait l'histoire mesquine : Castelnau méritait autant que Foch et Joffre d'être élevé à la dignité de maréchal de France mais comme il était catholique, il a été privé du bâton par la raie publique.

La gueuse étant basse et rancunière, les élèves de Saint-Cyr ont eu du mal à donner à une promotion le nom de cet homme qui a perdu ses trois fils à la guerre (et un petit-fils et deux neveux à la guerre suivante).

L'anecdote est célèbre : apprenant la mort d'un de ses fils en conférence d'état-major, il se retourne quelques secondes pour prier, puis « Messieurs, reprenons ».

Avec Lanrezac à Charleroi et Gallieni à Paris, Castelnau fait partie du trio qui sauve l'armée française par des décisions judicieuses, a contrario des absurdités de Joffre, lors du désastre d'août 14. On notera que, mesquin comme à son habitude (en cela, c'est un excellent raie-publicain) Joffre occulte la victoire de la trouée de Charmes, qui a évité à l'armée française en déroute d'être prise à revers.

Autre particularité de Castelnau : il a refusé d'écrire ses mémoires en disant « Je n'ai rien à me reprocher ». Ca n'aide pas à devenir une vedette.

L'enfance

Hobereau méridional désargenté, il a une enfance heureuse. Son père lui donne le culte du travail ... en plus du culte catholique !

L'année terrible

Saint-Cyrien en 1871, il participe aux combats de l'armée de la Loire. Seuls des grands chefs de la guerre de 14, il a combattu en métropole. Et, on dira ce qu'on voudra, combattre les Prussiens, c'est autre chose que combattre les Malgaches.

Il participe à la répression de la Commune, ce qui fournit prétexte aux gauchistes à profaner régulièrement sa tombe (quand on pense qu'il a un arrière-petit-fils communiste militant !). Thiers avait raison, il fallait réprimer cette racaille, mais les bourgeois comme Flaubert ont eu tort de s'en réjouir ignominieusement.

Il fait un mariage d'amour qui lui donnera 12 enfants. Son épouse est un appui constant. C'est elle qui l'incite à ne pas démissionner dans les moments de découragement. Il dit qu'il est plus fier d'avoir été un bon père que de tous ses exploits guerriers.

N'ayant pas de portrait de Marie de Castelnau, je me suis amusé à en faire faire un par une machine à partir de sa description.

Adjoint au chef d'état-major

Avant guerre, il se fait beaucoup d'ennemis parmi les politiciens, notamment à gauche, en pointant sans ménagement l'absurdité de certaines décisions dans le domaine militaire.

Clemenceau (décidément, plus je le connais, moins je l'aime) mène une campagne insidieuse pour saboter sa carrière. C'est lui qui invente « le capucin botté » et « le général de jésuitière ».

La défaite de Morhange

La défaite de Morhange est entièrement due aux ordres d'attaque criminels du GQG (« Foncez, vous n'avez rien devant vous ») et à l'attaque prématurée de Foch (alors subordonné de Castelnau).

Foch n'aura de cesse de faire porter à Castelnau le chapeau de ses conneries (« Foch est complètement fou » disait Clemenceau), allant même jusqu'à dire « On ne donne pas le bâton de maréchal au vaincu de Morhange », ce qui est absolument scandaleux, sans aucun doute possible, vu tout ce qu'on sait aujourd'hui avec les archives des deux camps.

Mais il faut dire les choses comme elles sont : Joffre, Pétain et Foch étaient des personnages peu ragoûtants. On peut être grand guerrier et très petit homme.

Si Castelnau n'a pas été maréchal, c'est à cause de la coalition des médiocres. Nous y reviendrons.

La défaite de Morhange est suivie la semaine d'après par la victoire de la trouée de Charmes.

La bataille de la trouée de Charmes

Situation générale août 14. L'armée française devrait prendre une position défensive comme l'ont montré les exercices d'avant-guerre, mais cet âne de Joffre (Joffre est un âne, il n'y a pas d'autre mot, mais la gueuse a eu peur de nommer un général plus talentueux) passe à l'offensive. Erreur rendue catastrophique par une évaluation erronée des réserves allemandes.

Les Allemands débordent par la Belgique, Lanrezac ordonne la retraite générale contre les ordres de Joffre, Gallieni à Paris prépare une contre-attaque de flanc dont Joffre ne veut pas. 22 août 14, journée la plus meurtrière de l'histoire de l'armée française : 27 000 morts.

Plus au sud-est, en Lorraine, les troupes de Dubail et de Castelnau se font hacher par l'artillerie allemande et se retirent en désordre (défaite de Morhange). Les Allemands commettent l'erreur de croire à une déroute et poursuivent imprudemment l'offensive.

La trouée entre Nancy et les Vosges a été laissée libre de fortifications pour constituer un piège pour l'ennemi (tous les militaires français ne sont pas idiots). Les collines environnantes sont de bonnes plateformes d'artillerie. De plus, Castelnau connait très bien la région.

Il tire intelligemment les leçons des premières batailles et décide qu'attaquer de front est trop dangereux. L'aviation française (vive la modernité) repère bien l'avance ennemie. Les Allemands commencent déjà à avoir des problèmes logistiques, qui culmineront pendant la bataille de la Marne, deux semaines plus tard.

A Gerbéviller, le 24 août, 60 chasseurs commandés par un adjudant qui connait la région par cœur arrêtent une brigade avant de disparaitre dans les bois. Comme à leur habitude, les Allemands se vengent de leur frustration en massacrant des civils (voir la thèse de Jean Lopez que la doctrine de l'armée allemande la rend génocidaire).

Castelnau laisse les Allemands s'engager dans la trouée (« Quand vous voyez l'ennemi commettre une erreur, ne l'interrompez pas. » Bonaparte). Dans la nuit, aidés par les habitants, cinq groupes d'artillerie français (60 canons) s'installent sur les collines environnantes.

Les Allemands attaquent, les Français reculent. La situation devient confuse, les ordres arrivent mal, quelques officiers subalternes prennent la situation en main et contre-attaquent les Allemands étrillés par l'artillerie. Un aviateur essaie de guider les fantassins par signes (bonjour la communication), la poursuite s'engage.

L'infanterie française descend des collines, les Allemands subissent des pertes terribles, notamment d'officiers (à la guerre, quand les pertes d'officiers augmentent, c'est toujours signe que la situation est critique).

Castelnau donne l'ordre « En avant partout, à fond ! », espérant transformer cette victoire tactique en décision stratégique (stratégie-fiction : si Castelnau avait réussi à remonter vers le nord, les troupes allemandes qui couraient vers Paris auraient été en très fâcheuse posture, Sedan inversé). Mais les hommes sont épuisés et l'artillerie, décisive, a du mal à suivre l'offensive. La situation se fige.

Les Allemands ont environ 20 000 morts, les Français un peu moins (pour une fois).

Cette bataille aboutit à une décision très controversée en Allemagne après la guerre : Moltke prélève des troupes en Belgique, plutôt qu'en Lorraine, pour les envoyer à l'est, assurant ainsi sans le savoir le succès français sur la Marne.

Bizarrement (il faut y avoir l'influence maléfique de Joffre), cette victoire de Castelnau est plus connue en Allemagne qu'en France.

Toujours est-il que cette victoire fait couple avec celle de la Marne, la seconde aurait été impossible sans la première.

En une semaine, il perd trois enfants : deux tués, un disparu (dont on apprendra qu'il est prisonnier). Un quatrième, son préféré, le rebelle, sera tué l'année suivante.

La méthode Castelnau

C'est probablement le meilleur général français de l'époque, c'est en tout cas l'avis des Allemands. Le moins farfelu, le plus professionnel. Il reproche à ses collègues de ne pas être carrés, méthodiques.

A l'époque où Foch dit « L'avion, militairement, c'est zéro, c'est du sport », Castelnau fait des expérimentations d'observations aériennes, il s'intéresse à la TSF et au téléphone.

Marcheur infatigable, il va beaucoup voir par lui-même.

Il est adoré de ses hommes, parce qu'ils le voient souvent près des lignes, mais, surtout, pour la seule raison qui fait vraiment adorer un général par ses hommes : parce qu'ils savent qu'ils ne seront pas sacrifiés inutilement.

Il est l'un des rares (avec Pétain, il faut le reconnaitre), à avoir compris.

Quelques semaines avant la guerre, alors qu'il a un mauvais pressentiment, pendant une manœuvre, il tient un discours qui marque ses subordonnés et qu'ils appellent « l'homélie sur la mort ».

Il demande à un colonel interloqué où il veut être tué et le colonel lui répond qu'il ne veut pas être tué : « C'est très bien, vous ne voulez pas être tué, vous voulez vaincre. Mais il y a un point où un officier ne peut plus reculer et, une fois qu'il a choisi ce point et que des circonstances malheureuses le lui ont fait atteindre, il doit être prêt à y être tué. La mort sauve l'honneur de l'officier, mais c'est la victoire qui sauve le pays. Un officier ne doit pas mourir pour rien, mais parce qu'il défend un point stratégique où il ne doit plus reculer. »

On est loin de l'offensive à outrance.

C’est un des rares généraux qui ont compris qu’on ne traite pas des citoyens-soldats comme de la chair à canon. Un jour, il explose devant la mauvaise organisation du service de santé aux armées, il n’admet pas que des blessés (devenus militairement inutiles) soient « traités comme des chiens » et laissés agoniser sans soins (le témoignage de Genevoix sur sa propre blessure est édifiant). Cette colère, remontant jusqu’au ministère, aura des effets positifs.

Au bon endroit, au bon moment

Au GQG, il est le seul parmi la bande d'ânes de Joffre à s'inquiéter pour Verdun. Dès le début de l'offensive allemande, il prend les mesures décisives : s'accrocher aux deux rives de la Meuse et remplacer son ami Dubail (qui en gardera de l'amertume) par Pétain.

Ensuite, il est expédié à Salonique, où il réorganise l'armée.

Notons que Castelnau a été insulté par Joffre, Foch et leurs entourages, pendant et après la guerre, parce que la stratégie qu'il préconisait était la défensive en France et l'offensive dans les Balkans contre l'Autriche. Ils l'ont traité de mou. Joffre a écrit perfidement que son courage était inférieur à son intelligence (rappelons que c'est le seul général à avoir combattu personnellement des Prussiens).

Or, nous savons aujourd'hui que c'est la défaite de l'Autriche à l'automne 1918, ouvrant la route vers Berlin par le sud (Budapest, Vienne, Prague) qui a forcé les Allemands à demander l'armistice. Certes, la déroute de l'armée allemande sur le front français a joué son rôle, mais il faut avouer que c'était très bien vu de la part de Castelnau.

La pétaudière raie-publicaine

Pendant 3 ans, jusqu'à l'avénement de Clemenceau, le gouvernement de la république française n'a qu'un but et un seul : maintenir au pouvoir le gouvernement de la république française.

D'où des décisions criminelles qui ont coûté des centaines de milliers de vies françaises pour ne pas se dédire ou pour se donner le beau rôle.

Par exemple, Joffre aurait dû être limogé fin aout 14 ou fusillé en décembre. Au lieu de cela, il est laissé libre de faire ses dégâts jusqu'en décembre 1916.

Autre exemple : le général Sarrail. Imprévoyant, brutal, n'ayant aucun coup d'œil, vivant en satrape (on se demande même si sa maitresse n'est pas une espionne), il est toujours surpris par l'ennemi. Mais voilà, franc-maçon, il a des relations à Paris et c'est un « bon républicain ». Dès qu'il est question de le limoger, il trouve des défenseurs à l'aile gauche du gouvernement et ça ne se fait pas.

Il est donc nommé à l'armée d'Orient, théâtre stratégique. Une fois de plus, son incapacité éclate. Mais le gouvernement, biaise, tergiverse. Il faut attendre décembre 1917 pour voir limoger un général dont on savait depuis août 14 qu'il était mauvais comme un cochon.

Il continuera ses conneries en Syrie après la guerre, c'est l'anti-Lyautey. Ca vaut le coup de citer Wikipedia, peu connue pour être une antre de droitards  :

« Ami du vénérable maître de la Grande Loge de France, sa désignation, dont se félicite le Grand Orient de France auprès des loges locales est un signal important pour l'essor de la franc-maçonnerie en Syrie. 

Néanmoins, ce laïc militant débute mal avec les chrétiens du Liban, pourtant francophiles. L'opposition venait surtout des Druzes, exaspérés par les méthodes du général Sarrail, un jacobin laïciste et intransigeant qui pratiquait une administration directe sans discernement ou égard envers les élites et les coutumes locales.

Il est limogé à cause de sa manière violente de redresser la situation lors de la révolte des Druzes. Il est reconnu responsable de la mort de 10 000 Syriens, surtout des civils, et de 2 500 à 6 000 soldats français. ».

Comme tous ceux qui voient de près les politiciens travailler (les témoignages abondent), Castelnau est épouvanté. « Ces gens là travaillent peu et travaillent mal ». Habitués des intrigues parlementaires, ils sont incapables de s'élever aux exigences d'une guerre mondiale.

Certes, il y a toujours des gens au-dessus du lot, comme Paul Doumer, mais ils sont broyés par la machine à mesquineries.

Les mutineries de 17, dont Pétain a l'intelligence de comprendre qu'elles ont des causes militaires, ne sortent pas de nulle part. Les soldats, qui sont devenus par la force des choses des vétérans, sont mal commandés et ils le savent.

La première règle, presque la seule, de promotion d'un général par la gueuse est la docilité, le fait qu'il ne présente aucun danger politique. Aptitude, inaptitude, peu importe. Il y a des généraux grande gueule qui font semblant d'avoir du caractère, mais quand il faut courber l'échine, ils s'arrangent toujours pour le faire.

La limite de Castelnau

Catstelnau ne courtise pas les politiques. Il refuse la brigue et l'intrigue. Il refuse aussi de désobéir pour se mettre en avant. 

C'est d'autant plus dommage qu'il ne s'entend pas si mal avec son vieil adversaire Clemenceau.

A son niveau, c'est une faute : Castelnau commandant suprême aurait épargné des centaines de milliers de vies françaises.

Le non-maréchal et la politique

La loi devant le faire maréchal échoue par des magouilles parlementaires. Un député avait 73 procurations ! Député puis dirigeant de la Fédération National Catholique, il est modéré (même un peu trop à mon goût).

S'il est plutôt franquiste (il n'a pas l'intuition de Bernanos), il déteste immédiatement Hitler et le nazisme.

Il est très proche d'André Pironneau, directeur de L'écho de Paris, qui publie les articles d'un certain Charles de Gaulle.

La fin

De sa retraite toulousaine, il voit venir la défaite. Le positionnement des troupes et l'absence de réserves l'inquiètent terriblement. Il a connu Gamelin quand il était à l'état-major de Joffre et, le moins qu'on puisse dire, est qu'il n'a pas été ébloui.

Mais la raie-publique a, une fois de plus, une fois de trop, choisi un général en chef non pour ses qualités militaires mais parce qu'il était « politiquement correct ».

Castelnau a des analyses très gaulliennes : il envisage que la France pourrait poursuivre la guerre outre-Méditerranée et que, de toute façon, c'est une guerre mondiale qui ne sera pas soldé par la campagne de France. Notamment, il ne condamne pas l'attaque anglaise de Mers El Kebir.

Point intéressant, Castelnau juge que la défaite est avant tout militaire, que l'armée doit capituler et le gouvernement refuser tout armistice. Solution à laquelle cet imbécile et ce traitre de Weygand s'est farouchement opposé (adjoint de Foch que Castelnau ne portait non plus dans cœur).

Connaissant bien Pétain, Castelnau n'est pas du tout tenté par le pétainisme. Déjà, en 1916, il est gêné par son goût pour la « réclame ». Comme tous ceux qui connaissent Pétain, le « don de sa personne à la France », chez ce vieil ambitieux aigri, le fait rire.

Il n'aime pas non plus De Gaulle, qu'il compare ... à son mentor Pétain, hautain, cassant, solitaire et avide gloire personnelle. Il lui reproche aussi de ne pas prendre soin de ses hommes. Il trouve l'exaltation de l'escarmouche de Montcornet à la limite de l'indécent (Castelnau sait que De Gaulle n'a pas brillé à Abbeville).

N'oublions pas que lorsque Castelnau parle de Pétain et de De Gaulle, ce sont des gens qu'il connait personnellement et sur lequel il a des informations fréquentes. Il est même remarquablement informé pour un retraité.

N'aimant pas De Gaulle, Castelnau a d'autant plus de mérite à tenir une ligne politique strictement gaulliste. Il aide la Résistance en stockant des armes. Il pousse ses petits-enfants et ses neveux à rejoindre la France Libre. Son petit-fils préféré, Urbain de la Croix, le paye de sa vie par un geste digne de l'antique : gravement t blessé lors de la traversée du Rhin, il continue à diriger les tirs d'artillerie jusqu'à ce que mort s'en suive. Il meurt sur le sol allemand, en vainqueur.

En 1942, à un prêtre venu lui apporter un message du cardinal Pierre Gerlier lui demandant de modérer ses critiques vis-à-vis du maréchal, Castelnau réplique : « Votre cardinal a donc une langue ? Je croyais qu’il l’avait usée à lécher le cul de Pétain ».

Castelnau décède le 18 mars 1944, sans avoir vu la Libération qu'il souhaitait tant. Monseigneur Saliège, futur cardinal et seul évêque Compagnon de la Libération, rendu impotent et quasi muet par une attaque cérébrale, demande à assister à ses obsèques. Il fait lire par un jeune prêtre un message aux sous-entendus transparents.

Dans les conditions difficiles de l'époque, beaucoup d'anciens subordonnés et de simples soldats ont fait le déplacement. C'est tout ce qu'il y a à en dire.

lundi, juin 23, 2025

Ces chefs de maquis qui gênaient (Raymond Ruffin)

C'est un livre de 1980. On sent bien que l'auteur est de la gauche anti-communiste, très à la mode à l'époque, mais ça ne nuit pas à son propos.

Il s'intéresse à 4 chefs de maquis qui ont eu des ennuis après la guerre.

Georges Guingouin

Le premier de la liste est l'immense Georges Guingouin (c'est un communiste et un franc-maçon avec lequel je ne partage guère d'idées, pour dire le moins, mais il faut reconnaitre les hommes de qualité).

Instituteur communiste limousin né en 1913, il est en froid avec « le Parti » (rien que que cette désignation montre que ce n'est pas un parti politique normal mais une secte) depuis le pacte germano-soviétique.

Organisateur né, il diffuse de la propagande dès 1940. En 1941, il plonge dans la clandestinité et organise un maquis.

Son coup de génie est de comprendre qu'il ne faut pas se mettre les paysans à dos mais, au contraire, leur rendre des services.
Ainsi, il faut sauter les botteleuses pour envoyer le fourrage en Allemagne. Les paysans sont donc forcés de garder leur fourrage.

Il émet des bons de réquisitions en signant Le préfet du maquis, ce qui permet aux paysans de se justifier vis-à-vis des autorités de Vichy.

Début 1944, il met au point un modus vivendi avec les gendarmes : ils font semblant de le poursuivre et il fait semblant de leur échapper.

Il s'intègre à l'organisation de la Résistance par le gouvernement d'Alger, les MUR (Mouvements Unis de Résistance).

Toutes ces initiatives sont très mal vues de la direction du parti communiste, qui n'aime ni les paysans ni le gouvernement d'Alger.

En 1944, les efforts d'organisation portent leurs fruits : le maquis limousin est un des plus efficaces.

Guingouin a très bien compris, contrairement aux chefs du Vercors, le principe de la guerilla : beaucoup se déplacer, frapper, disparaitre. Pris à partie au mont Gargan par une colonne allemande épaulée par la milice, il préfère se retirer plutôt que d'insister inutilement. On considère que les Allemands ont eu plus de pertes, qu'ils n'ont pas pu manœuvrer comme ils voulaient et que c'est donc une victoire de la Résistance (on comparera à la bataille du mont Mouchet, en Haute-Loire, où le résultat est inverse).

On a beaucoup débattu de l'utilité militaire des maquis, soit pour l'exagérer soit pour la minimiser.

Malraux, dans son discours pour Jean Moulin, prétend que le maquis limousin a retardé la division Das Reich. Aujourd'hui, on pense plutôt que cette division avait l'ordre (visite d'Himmler à Montauban en avril 1944) de prendre son temps pour terrifier la population française.

Mais, rien que l'obsession allemande des maquis est une victoire : elle mobilise de gros moyens qui pourraient être mieux employés ailleurs. Et puis les maquis pouvaient commander des bombardements ciblés redoutablement efficaces (deux heures montre en main pour faire sauter un dépôt d'essence de la division Das Reich à Chatellerault), rien à voir avec le travail d'ivrognes, l'expression est d'un Résistant, des Américains.

En juin, Guingouin reçoit l'ordre du PCF de s'emparer de la ville de Limoges, il refuse catégoriquement, arguant des massacres d'Oradour et de Tullle. La direction communiste, qui n'en a strictement rien à foutre de la vie des innocents, et qui trouve même cela mieux s'il y a des martyrs, lui en voudra beaucoup.

Après la guerre, Guingouin ne cesse d'être emmerdé par le parti communiste : il en est exclu en 1952 (pour avoir demandé des comptes à la direction sur son attitude pro-allemande entre 1939 et 1941) et un procès se tient entre 1952 et 1954 l'accusant d'exécutions sommaires sur la base de faux témoignages communistes et avec la complicité d'un juge pétainiste, il est même tabassé jusqu'au coma en prison par les gardiens !

Heureusement, des Résistants non-communistes se mobilisent et tout finit bien.

Il est acquitté en 1959 et le substitut déclare qu'il ne comprend même pas comment des poursuites ont pu être engagées.

Les communistes ne feront amende honorable qu'en 1998,  quatre ans avant la mort de Guingouin, qui les enverra poliment se faire cuire un œuf.

J'ai écrit à Georges Guingouin à la fin de sa vie, mais un assistant m'a répondu qu'il était trop faible pour rencontrer qui que ce soit.

Robert Leblanc

Robert Leblanc est un cafetier normand, né en 1910. Son parcours est très similaire à celui de Guingouin.

Le maquis Surcouf ressemble au maquis limousin en ceci qu'il est organisé avec une grande rigueur et tient les militaires de carrière dans une position subordonnée. Le drame du Vercors est d'avoir filé le manche à des ganaches qui voulaient jouer aux soldats de plomb. Je n'ai guère d'estime pour les officiers de la raie-publique et j'ai de très solides raisons historiques pour cela (mais ce n'est pas le sujet).

Disons juste qu'il y a les soldats et les guerriers et que, dans les maquis, il y avait peu de soldats et beaucoup de guerriers (je détourne une citation à propos de Marc Bloch, universitaire à lunettes . Un jour, quelqu'un lui a dit « Il y a des soldats qui ne seront jamais des guerriers. Vous, vous êtes un guerrier plus que beaucoup de soldats »). Allez, au passage, une pensée pour Jehan Alain, frêle organiste et compositeur à lunettes, père de trois enfants, qui, en 1940, retarde, seul derrière sa mitrailleuse, une section allemande avant d'être abattu. Si nos généraux avaient été de cette trempe, les choses se seraient passées autrement.

En 1948, Leblanc est accusé d'exécutions sommaires de prisonniers allemands évadés. Même cinéma : policier et juge pétainistes qui se vengent, presse qui propage les calomnies, intervention des amicales de Résistants, acquittement.

Il meurt en 1956 dans un accident de la route.

Roger Landes


De nationalité franco-britannique, Roger Landes, pseudonyme Aristide, est officier du SOE (Special Operations Executive).

Sans lui et sans son activité inlassable, les maquis du sud-ouest auraient eu bien du mal à s'organiser.

Quand il est présenté à de Gaulle en visite à Bordeaux en septembre 1944, celui-ci lui dit « Vous êtes anglais ? Votre place n'est pas ici » et lui donne quarante-huit heures pour quitter la France. Le garde du corps français d'Aristide lève sa carabine et menace d'abattre le ministre André Dietlhem qui répète l'ordre de de Gaulle (Dietlhem racontera plus tard qu'il a vraiment cru qu'il allait tirer. On a le sang chaud dans le sud !). George Starr, à qui de Gaulle a tenu le même discours la veille à Toulouse lui a répondu : « Vous êtes le chef provisoire d'un gouvernement provisoire et je vous emmerde ! ».

Les raisons politiques ne justifient pas tout. Il y a la manière : les officiers subalternes du SOE avaient beaucoup donné à la France (104 noms sur le monument aux morts de Valençay). Des formes polies pour aboutir au même résultat auraient été judicieuses.

L'ingratitude est un défaut constant chez de Gaulle qui lui a mis à dos plus d'un homme de bonne volonté, lui a attiré des mépris et des haines dont il aurait pu se dispenser.

Heureusement, Jacques Chaban-Delmas, plus humain que son maitre, organise en 1950 une réception de Roger Landes à Bordeaux pour la remise de ses décorations françaises, qui tourne à la marche triomphale.

Landes se marie avec une Française, qui n'est autre que son agent de liaison.

Henri Romans-Petit


Henri Petit (Romans est son pseudonyme) est un capitaine aviateur de réserve qui s'est déjà illustré pendant la guerre précédente. Il forme et dirige le maquis de l'Ain.

C'est le maquisard qui pousse le plus loin la logique de la guerilla, en formant ses chefs de groupe à frapper et à se retirer (et en se fâchant avec les militaires de carrière qui veulent jouer aux soldats de plomb).

Après des accrochages sanglants avec les Allemands au printemps 1943, il prend une décision simple mais cruciale : les camps n'auront plus de réserves de vivres, ils se fourniront autant que de besoin auprès des civils par des bons de réquisition (tous honorés après la guerre). Ainsi, les camps peuvent déménager en quelques minutes.

Il décide aussi qu'il n'y aura pas de camps dans la partie plane de l'Ain, exclusivement utilisée pour les parachutages. Et comprend que, pour des raisons politiques et militaires, la liaison avec Londres est très importante.

La confiance régnant, beaucoup d'armes tombent du ciel. La Trappe des Dombes a caché des dizaines de tonnes d'armes et de matériel de sabotage !

Le maquis de l'Ain est terriblement efficace, les armées alliées remontent la vallée du Rhône avec un mois d'avance sur les plans. Les Allemands, à leur habitude, se vengent en massacrant des civils.

A la Libération, Romans-Petit est emprisonné quelques semaines par le commissaire de la république Yves Farge, autre Compagnon de la Libération, qui l'accuse d'abus de pouvoir (le site de l'ordre omet de signaler cet emprisonnement).

Yves Farge n'ayant pas eu l'élégance d'expliquer son erreur de jugement (Romans-Petit ne pouvait même pas être soupçonné de représenter une menace pour le pouvoir gaulliste), on en est réduit aux conjectures ; les tenants et aboutissants de cette incarcération restent mystérieux. Peut-être l'influence néfaste de certains RMS (Résistants du Mois de Septembre). Comme disait Aragon, c'était un temps déraisonnable.

Intéressant : un des subordonnés et ami de Romans-Petit lui a écrit quelques années plus tard pour lui présenter ses excuses. Il explique qu'il a hésité à venir le délivrer avec un groupe de combat (dans les circonstances du lieu et de l'époque, ça n'aurait pas fait un pli) mais qu'il a décidé contre pour ne pas donner une mauvaise image de la France aux Américains qui occupaient la ville. Avec le recul des années, il le regrettait, concluant que la modération est souvent mauvaise conseillère, une fausse bonne idée.

Je suis d'accord : la vie humaine est tragique et la modération est inadaptée à la plupart des circonstances de la vie.

Conclusion

Tous ces Résistants d'exception ont retrouvé des professions banales (instituteur, entrepreneur en camionnage, publicitaire ; pour Roger Landes, je ne sais pas) et n'ont pas fait de politique (sauf Guingouin deux ans maire de Limoges).

La plaie du monde, ce sont les toqués qui veulent du pouvoir sur les autres.

dimanche, juin 15, 2025

Le Basculement religieux de Paris au XVIIIe siècle : Essai d'histoire politique et religieuse (Pierre Chaunu, Madeleine Foisil, Françoise de Noirfontaine)

C'est assez mal écrit, pénible à lire. Le style de Pierre Chaunu est heurté,  elliptique, souvent obscur.

Mais cette disgrâce physique, ce pied-bot de l'écriture, ne doit pas vous décourager. Le sujet est passionnant.

Deux grandes périodes d'accélération de la déchristianisation de la France : 1760-1770 à Paris et 1970-1980 dans toute la France.

Notre sujet du jour est la première de ces deux périodes.

Pierre Chaunu pense que le motif psychologique de la Réforme (il y a des motifs politiques, sociologiques, ecclésiaux, etc.) est que le clergé a trop insisté sur les tourments de l'Enfer, rendant la crainte du Jugement Dernier insoutenable. La foi seule des Protestants soulage en partie cette peur, puisqu'il « suffit » de croire pour être sauvé.

Le ver est dans le fruit.

« Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie. »

Cette citation de Blaise Pascal est des plus célèbres. Elle dit bien l'angoisse de son époque.

Le bouleversement du monde ne vient pas du système de Copernic mais de la lunette de Galilée.

Depuis les Grecs, l'univers était ordonné à l'échelle humaine, approximativement. Un homme, les pieds sur Terre ou pas loin, pouvait espérer un jour atteindre le ciel et, pourquoi pas ?, les étoiles. Avec la lunette astronomique, la sphère céleste croît en quelques années de plusieurs ordres de grandeur.

Pour simplifier, le dieu des juifs est le dieu du temps, de l'histoire, et le(s) dieu(x) des Grecs est le dieu de l'espace, des lieux. Le christianisme a réconcilié tout cela tant bien que mal mais, au XVIIème siècle, ce compromis craque aux entournures.

Comme Edward Feser, alors que le sujet, le contexte et l'auteur sont différents, Pierre Chaunu regrette l'effondrement de la scholastique.

Il fait remarquer que le XVIème siècle est théologiquement très pauvre. Sous la pression des Réformés, on est revenu à des interprétations littérales des textes bibliques, méthode depuis longtemps marginalisée par la scholastique. L'hypothèse protestante, à savoir que chacun peut lire et comprendre les textes bibliques sans intermédiation, est tout simplement fausse.

La catastrophique querelle janséniste

La théologie de la querelle janséniste, entre la grâce efficace et la grâce suffisante, est absconse, mais son fond socio-politique est très clair : dispute entre la piété populaire volontiers laxiste des jésuites et le rigorisme des jansénistes (ils ont une attirance sado-masochiste pour l'Enfer) . 

Pour vous la faire courte, le janséniste Antoine Arnauld voulait éloigner le peuple des sacrements (De la fréquente communion, 1643).

Les jansénistes ont une soif de distinction par le masochisme qui m'évoque les connards de bobos qui se déplacent à l'aide du très inconfortable et très dangereux vélocipède pour « sauver la Planète ». Je note qu'ils ont la même pulsion de régenter et de pourrir la vie du petit peuple qu'ils méprisent et qu'ils détestent à un point difficilement imaginable (enfin si, vous pouvez l'imaginer si vous connaissez des bobos) au nom d'un Bien supérieur qu'eux seuls se pensent suffisamment intelligents pour connaitre.

Il me plait de penser que Blaise Pascal, qui fut le plus talentueux, ô combien, propagandiste des jansénistes mais qui avait le souci concret des petites gens, fut rattrapé par la mort avant que de s'éloigner d'eux, lassé par leur intransigeance (certains signes permettent de le supposer).

Leurs héritiers en seront les très fumeuses Lumières, dont Chaunu, qui les déteste, dit que leur légèreté doctrinale n'avait d'égale que leur habileté médiatique (pour l'exprimer avec un mot anachronique). Nos modernes bourgeois détruisant les écoles occidentales pour se préserver de la concurrence des enfants d'ouvriers n'ont rien inventé : Voltaire écrivait déjà qu'il ne fallait pas apprendre à lire et à écrire au bas peuple, afin qu'il se tienne tranquille. « Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas qu’il soit instruit ; il n’est pas digne de l’être… ».

Comme les querelles autour du manichéisme et du pélagianisme (en plus de la violence musulmane habituelle) ont favorisé l'islamisation de l'Afrique du Nord, il ne fait aucun doute que l'interminable querelle janséniste a largement contribué à détacher des Parisiens de la Foi.

Le roi, Louis XIV, prend parti contre les jansénistes. Et de plus en plus violemment à mesure que ceux-ci lui résistent. Le jeune roi a été marquée par la Fronde et il ne tolère pas ce qu'il considère comme une agitation séditieuse.

Une crise gallicane

La plupart des évêques n'en ont absolument rien à foutre des histoires de grâce, qui ne passionnent qu'une poignée de fanatiques. La querelle janséniste intéresse nos mitrés parce qu'elle leur fournit un prétexte pour désobéir à Rome et flinguer les jésuites (je n'apprécie pas les jésuites, mais cette phobie des jésuites, très exagérée, est dévastatrice pour la crédibilité de l'Eglise. Les enculés dans le style de Voltaire en feront leurs gorges chaudes).

L'Eglise gallicane (au passage : « gallicane » vient du mot latin qui signifie « gaulois ». Je dis ça pour les crétins qui croient qu'il n'y a pas équivalence entre français et gaulois) est une sorte de mafia qui protège son impunité.

Puis il y eut l'affaire de la régale, une histoire d'impôts sur les évêchés vacants. Un embrouillamini.

Le pape Innocent XI, un homme pas mauvais mais obtus et peu intelligent (bêtement canonisé), fort mal conseillé (les mauvais papes ne datent pas de 2013), prend le parti des jansénistes. On se retrouve donc dans cette situation absurde et très dommageable où les gallicans, dont l'essence est de désobéir à Rome, sont soutenus par le pape contre le roi de France.

A la mort d'Innocent XI, en 1689, les choses s'apaisent partiellement. Mais la querelle janséniste traine depuis 40 ans et n'est pas finie.

La faiblesse du roi

Certes, en 1710, la fermeture et la démolition de l'abbaye de Port Royal sont ordonnées et, en 1713, c'est chose faite : les bâtiments sont rasés et les tombes labourées. Mais il est bien tard et le roi vieillissant.

Le jansénisme (beaucoup de points communs avec l'écologisme) est une fascination morbide pour l'Enfer, qui nie la bonté divine. C'est aussi une contestation politique des bourgeois de la ville contre le roi allié aux classes populaires (ce n'est pas un hasard si nous retrouverons ce schéma lors de notre sanguinaire révolution).

Le plus frappant de ce jansénisme finissant est que le roi et Rome ont été impuissants, malgré des décisions parfois violentes, à ramener à la raison des évêques et un parlement parisien exaltés de fanatisme irresponsable. La magistrature parisienne a été égale à elle-même : bête, nocive et imbue de ses privilèges.

Avec le recul, il nous est plus facile qu'aux contemporains de voir ici l'émergence de l'opinion publique urbaine d'une part et des bureaucraties (versaillaise, parisienne et romaine) d'autre part. Le pouvoir du roi, pourtant légitime (la légitimité, c'est de faire le bien du pays. Ca n'est le cas ni de l'opinion publique ni des bureaucraties. C'est le cas du roi) est érodé.

De nombreux jansénistes ou héritiers du jansénisme se trouveront parmi les partisans de la constitution civile du clergé.

Interminable

Avec la mort du roi (1er septembre 1715) et la régence, le jansénisme est relancé (second jansénisme). Cette querelle interminable nous parait ridicule, et elle l'est. Elle est même lamentable.

On ne comprend pas l'âpreté et la durée de cette querelle si on ignore la méchanceté foncière de la doctrine janséniste. Par exemple, les jansénistes soutenaient sans sourciller que les enfants morts-nés étaient voués à l'Enfer.

Cela rappelle encore une fois nos écolos et leur méchanceté foncière. Ils nous expliquent en permanence que nous sommes trop nombreux pour  le bien de « la Planète » (que ne donnent-ils pas l'exemple en se suicidant ? Ah non, ce sont toujours les autres, les gueux, les pue-des-pieds, qui sont « trop nombreux », pas leurs majestés urbaines bolchéviques).

Et que fait-on quand des gens sont trop nombreux ? Quand on est « gentil », on les encourage à ne pas se reproduire. Mais l'histoire nous a prouvé qu'il y a des solutions plus radicales pour se débarrasser des gens « trop nombreux ». Et ça a déjà commencé : si la coupure d'électricité en Espagne, provoquée par les énergies loufoques des écolos, n'avait pas duré 12 heures mais 36, il y aurait eu des morts par centaines de milliers (zéro police, zéro pompier, zéro hôpitaux, zéro ravitaillement etc).

Ce détour par nos modernes écolos vous aide à comprendre pourquoi les opposants aux jansénistes refusent de rendre les armes : cette doctrine les révulse, à raison. Et réciproquement, pourquoi mon opposition aux écolos n'est pas de circonstance mais fondamentale.

On peut dire que le jansénisme ne disparait pas vraiment, que notre très sanguinaire révolution en est l'héritière directe.

Le concile Vatican 1 (1870-1871) mettra un terme définitif aux querelles théologiques dont les jansénistes prenaient prétexte.

... et dommageable

Il y un fanatisme du masochisme janséniste très destructeur (pensez au gros connard qui va à vélo au boulot l'hiver pour bien étaler sa supériorité morale de « sauveur de Planète ». Comment ne pas le détester ?).

Les jansénistes inventent les billets de confession : les sacrements ne sont donnés qu'à des gens qui peuvent prouver qu'ils ont été confessés par un janséniste.

On assiste à des scènes hallucinantes : des interrogatoires théologiques avant l'extrême-onction ou la communion.

Les anti-jansénistes retournent l'instrument contre les jansénistes.

Dans les années 1750, l'archevêque de Paris exige des billets de confession par un non-janséniste et le parlement de Paris (des magistrats) condamne, au nom de l'ordre public, à la prison les curés parisiens qui refusent les sacrements pour défaut de billet de confession. Les curés parisiens se trouvent  donc pris entre deux feux, entre leur hiérarchie et le parlement. Leur recours est la fuite en province pour échapper au ressort du parlement de Paris.

Les jansénistes implantent délibérément des fidèles dans certaines paroisses, par exemple Saint Etienne du Mont, pour provoquer des incidents : soit le curé demande des billets de confession et il est dénoncé au parlement, soit il donne les sacrements aux jansénistes sans demander de billets de confession et il est dénoncé à son archevêque. Nos modernes gauchistes, avec leur moderne testing, n'ont rien inventé : c'est la même engeance de vipères à l'esprit délateur.

Chaque partie envenime la situation, surtout le parlement. Les magistrats y apportent leur esprit méchant, buté et verbeux.

Les magistrats français ont toujours été un danger public parce qu'ils cumulent l'esprit petit-bourgeois (juriste n'est pas le profession la plus déliée d'esprit, pour le dire gentiment) et l'irresponsabilité. Voltaire disait d'eux : « Les bœufs-tigres : stupides comme des bœufs, féroces comme des tigres ».

Etonnez vous ensuite que la pratique religieuse des Parisiens vacille.

Pré-romantisme ?

Le jansénisme des années 1750 n'a plus grand'chose à voir avec celui du siècle précédent, mis à part le fanatisme.

Il tombe dans un sentimentalisme sirupeux qui cherche à faire pleurer dans les chaumières sur les pauvres jansénistes persécutés. On est à mille lieues de l'intelligence d'acier de Blaise Pascal.

Les curés parisiens

Les curés parisiens restent très longtemps en poste dans leur paroisse (30, 40 ans) et sont plutôt bien vus. Exemplaire, Jean-Denis Cochin, curé de Saint Jacques du Haut Pas pendant 26 ans, fonde l'hôpital qui porte son nom.

Par contre, il traine à Paris tout un tas de prêtres (environ 800), aux missions mal définies, plus ou moins oisifs, qui donne une fort mauvaise image de l'Eglise.

Le roi Voltaire

Le roi de Paris au XVIIIème siècle est évidemment Voltaire.

Hyper-parisien, il a un grand talent (ses contes sont un délice), mais il est bas : méchant, persifleur, moqueur, superficiel, affabulateur, rancunier, vaniteux ...

Il hait son père qui se décarcasse pour lui donner la meilleure éducation et les meilleures conditions de vie. Il va jusqu'à s'inventer une naissance adultère rocambolesque pour renier son père. Cette plus qu'ingratitude vous juge déjà le personnage.

Une fois dépouillé de ses grâces mondaines et de ses pirouettes langagières, M. François-Marie Arouet, dit Voltaire, est un très très petit homme.

On a les grands hommes qu'on peut.

Il n'en reste pas moins qu'il exerce son magistère malfaisant sur Paris. Son anti-christianisme obsessionnel (il faudrait un mot plus fort que « fanatique » pour le décrire) est célèbre. Pas besoin d'être un psychologue de renommée mondiale pour le relier à la haine du père, chez cet homme sans enfants.

Evidemment, beaucoup de contemporains estiment ce triste sire à sa juste valeur. Mais que faire contre la faveur publique d'une foule de crétins ? Il aurait fallu un Bossuet pour le remettre à sa place, on imagine son compte réglé en quelques mots par Blaise Pascal (la réputation de Descartes ne s'est jamais remise de « Descartes, inutile et incertain »), mais l'époque n'en produisait plus.

Pierre Chaunu trouve du style pour cingler ce prototype d'égoïste individualiste moderne, sans ascendance, sans descendance, sans famille, sans amis (juste des faire-valoir), juste Moi, Moi Moi.

Mais Chaunu conclut tout de même que le plus dommageable ne fut pas Voltaire, mais le gallicanisme : l'Eglise de France, obsédée de ses particularismes et de ses querelles minables (tout cela sera balayé en 1789 et tout ce qui paraissait important la veille remis à sa juste place) n'avait pas la puissance intellectuelle pour répondre aux enjeux de l'époque.

Il n'est donc pas étonnant que de nombreux parisiens s'en soient détachés.

L'athéisme et la pulsion de mort

L'athéisme, selon, Chaunu, « est la somme totale de toutes les monstruosités de l'esprit humain : il y entre de l'orgueil, du fanatisme, de l'ignorance, de l'audace et une manie destructrice qui font un désert du brillant spectacle du monde et qui avoisinent beaucoup la démence ».

Louis-Sébastien Mercier, chroniqueur parisien, est un cas intéressant. Proche des « philosophes », il n'en est pas moins mal à l'aise avec leur esprit fanatique borné. Il s'intéresse aux femmes célibataires et se scandalise qu'il y ait si peu d'enfants (dans les années 1800), lui qui a eu trois filles.

Au fond, il partage le diagnostic de Rémi Brague. La question existentielle n'est pas « La vie vaut-elle la peine d'être vécue ? » mais « La vie vaut-elle la peine d'être donnée ? ». L'homme est le seul animal qui a besoin de raisons pour se reproduire.

Or, il semble à Mercier, à Chaunu et à Brague qu'il y a une relation directe, même si elle n'est pas flagrante, entre le désir de donner la vie et la croyance que la vie, qui est pourtant tragique, est bonne en soi parce que donnée par Dieu, parce qu'il y a un au-delà paradisiaque.

Bref, l'athéisme est la raison fondamentale de la dénatalité.

Puis, en 1789, vint la catastrophe.

En octobre, à son frère qui se lamentait « Que faire ? », Madame Elisabeth, le seul homme de la famille, répondit abruptement « Et si vous faisiez le roi ? ».

On n'imagine pas Saint Louis, Charles V ou Louis XIII  hésitant une seconde à faire emprisonner ou exécuter tous les séditieux bavasseurs de café.

Mais Louis XVI (comme Nicolas II) avait perdu foi en sa mission divine et il est mort en chrétien mais comme un con.

dimanche, juin 08, 2025

300 jours pour en finir avec Hitler . 13 juillet 1944, 9 mai 1945 (Eric Branca)

Eric Branca choisit ses sujets,L'ami américainLe roman des damnésL'aigle et le léopardLa république des imposteurs, avec un soin à la limite du sadisme.

En juillet 1944, la situation de l'Allemagne nazie, hitlérienne, est sans ambiguïté : elle a perdu la guerre, définitivement, sans espoir d'échapper à une reddition sans conditions.

A l'est, l'opération Bagration (complètement ignorée par Hollywood) a tronçonné l'armée allemande. L'estimation de 400 000 pertes est un minimum. C'est l'une des plus éclatantes réussites de l'histoire militaire. La Wehrmacht est dominée non seulement matériellement mais intellectuellement. La doctrine soviétique est meilleure, son efficacité opérationnelle remarquable. L'offensive a été parfaitement échelonnée. Les conséquences sont cataclysmiques pour l'armée allemande.

A l'ouest, le blocage dans le bocage se poursuit, mais l'issue ne fait de doutes pour personne ayant une once de réalisme.

Sur les plans industriel et humain, les choses sont consommées : Les Alliés produisent, suivant les matériels, entre 3 et 10 fois plus que les Allemands, leurs troupes sont beaucoup plus nombreuses et, désormais, mieux formées.

Les villes du Reich subissent des bombardements incessants, nuit et jour.

En 1918, l'Allemagne avait cherché la paix pour moins que cela.

Alors, pourquoi 300 jours ont-ils été nécessaires pour transformer la défaite virtuelle en réalité ?

Les conjurés du 20 juillet 1944

Il faut commencer par dire qu'Hitler a une chance du diable.

Il échappe le 8 novembre 1939 à l'attentat qui était peut-être le mieux préparé, celui de l'ébéniste communiste Georg Elser. Parce que la météo étant mauvaise, Hitler doit écourter son discours pour prendre le train au lieu de l'avion. Il échappe à quelques minutes près à la bombe.

Hitler tue ceux qui ont essayé de le tuer, quelquefois après les avoir conservés au frais longtemps. Elser est assassiné à Dachau en avril 1945.

Quand on lit la prose des conjurés du 20 juillet 1944, on réalise qu'ils étaient des suprémacistes allemands, ils voulaient faire la politique d'Hitler, sans Hitler et sans exterminer les juifs. Compréhensible que les Alliés, contactés, ne les aient guère pris au sérieux.

Un moyen presque infaillible de tuer une personnalité, c'est l'attentat suicide. Stauffenberg serait resté avec sa bombe, Hitler serait mort. Les volontaires ne se bousculent pas. Voir la scène, prémonitoire et désopilante, de l'excellentissime Dictateur, (Charlot qui ramasse discrètement les pièces à la fin de la scène, le génie comique de Chaplin) qui ne fut pas jugé à sa juste valeur à sa sortie et qu'Hitler, grand amateur de cinéma américain, a vu (sa réaction n'a hélas pas été rapportée).

Dommage que Branca prenne au sérieux la thèse du suicide de von Kluge.

Branca fait remarquer avec malice que beaucoup de militaires allemands ont argué après la guerre de tentatives d'assassinat ratées sans aucun début de preuves, donc probablement imaginaires, et que ce phénomène étrange pourrait bien être une manière de dédouaner de leurs accointances nazies les galonnés récupérés par les Américains, guerre froide oblige.

Le bilan de l'attentat raté du 20 juillet 1944 est catastrophique :

1) il vient beaucoup trop tard. C'est l'ébéniste qui avait raison, et non les généraux prussiens.

2) politiquement, il permet d'achever la nazification de l'Etat et de l'armée. Le salut nazi remplace le salut militaire. Pour le dernier acte du drame, Hitler a un pouvoir absolu.

L'échec de Market Garden

Le maréchal Montgomery est un pompeux crétin (« Un psychopathe » dira Eisenhower en privé).

Il n'a remporté qu'une seule vraie victoire : El Alamein, contre une Afrikakorps affaiblie par les prélèvements pour le front de l'est. Il a échoué dans tout le reste (notamment en Normandie, Les Cannais s'en souviennent douloureusement).

Il ne doit sa carrière qu'à deux facteurs :

> le jugement défaillant de Churchill (c'est bien connu que Winston a plus d'énergie que de jugeote. Il recommencera avec Tito).

> une propension à se mettre en scène et à faire sa propre publicité jamais prise en défaut, qui finit par le rendre intouchable aux yeux du public.

Alors que l'opération stratégique prioritaire est la sécurisation du port Anvers, Montgomery ne trouve rien de mieux que de monter l'opération Market-Garden, mal préparée et mal exécutée, destinée à traverser le Rhin par la Hollande. Pour montrer que la Grande-Bretagne n'est pas un junior partner (bin si, elle l'est).

Le parfait catalogue des erreurs à ne pas commettre. : négligence, pire - ignorance volontaire, des renseignements, sous-estimation de l'ennemi, de la logistique, du terrain et de la météo, matériel inadapté.

Comme il est traditionnel à la guerre, la stupidité des chefs est payée du sang des hommes.  Et de la famine aux Pays-Bas.

Montgomery, avec sa mauvaise foi habituelle, qualifiera ce lamentable échec de « victoire à 90 % ».

Il y a une grosse responsabilité d'Eisenhower de ne pas avoir interrompu cette opération qu'il ne sentait pas. Ménager les susceptibilités est une nécessité de la guerre en coalition, mais celle-ci a été poussée trop loin à cette occasion.

Au lieu de virer Montgomery comme il aurait dû, le gouvernement britannique a, pour sa honte éternelle, accusé le général polonais (donc sans grande puissance derrière lui) qui avait vu clair.

La Finlande

La gestion parfaite de la guerre par la Finlande mérite qu'on y réfléchisse.

Elle a su défendre sa souveraineté contre l'URSS et contre l'Allemagne, tour à tour alliée aux uns et aux autres, sans se mettre à dos ni les uns ni les autres. C'est un véritable exploit d'intelligence, essentiellement dû au maréchal Mannerheim.

Il y a eu un jeu de bascule très habile entre les dirigeants finlandais, les pro-Russes et les pro-Allemands se mettant plus ou moins en avant suivant les circonstances.

Explosion nucléaire allemande en 1945 ?

Je suis déçu par ce passage car il me fait douter de l’ensemble de l’ouvrage (de même que quelques erreurs typographiques ou orthographiques, qui ne sont jamais bon signe).

Eric Branca accorde foi aux rumeurs disant que les Allemands auraient réussi une explosion atomique en 1945. Heureusement, il reste flou sur la nature de cette explosion, ce qui le sauve de la faute inexcusable. Mais je ne suis pas sûr que cette ambiguïté soit volontaire.

Il y a deux sortes d’explosions nucléaires :

> La vraie explosion nucléaire par une bombe à fission (ou à fusion). Elle nécessite une quantité de matière fissile (U235 ou Pu239) et une grosse organisation industrielle.

> La fausse explosion nucléaire, qui est une bombe chimique traditionnelle qui disperse des matières radioactives, la bombe radiologique, la « bombe sale ». Ou une bombe sous-critique.

Il est impossible que l’Allemagne ait pu procéder en 1945 à une vraie explosion nucléaire, pour deux raisons :

> il est bien documenté que les savants allemands étaient dans une impasse théorique, n’ayant pas compris l’importance de la distinction neutrons rapides/neutrons lents. Il se trouve que beaucoup des meilleurs savants atomistes allemands étaient juifs et en train de travailler à Los Alamos.

> l’Allemagne n’avaient pas les capacités industrielles de produire une bombe à fission, mais alors pas du tout. L’URSS, qui n’avait aucun problème de conception puisque 100 % issue de l’espionnage, et qui était désormais en paix, a mis 4 ans à faire la bombe A. Si l'Allemagne avait abandonné le développement des V2, du char Tigre et des Me 262, peut-être aurait-elle eu ces moyens industriels, mais ce ne fut pas le cas.

Que les Allemands aient fait péter une bombe radiologique, pourquoi pas ? Mais ça n'avait aucun intérêt. Une bombe à fission ? Impossible. C'est dommage qu'Eric Branca soit ambigu.

L'armée d'occupation américaine en France

L'attitude des Américains était méprisante vis-à-vis des Français, pour dire le moins. Ils se comportaient en terrain conquis.

Les Américains considéraient les Français comme des Indiens plus ou moins sympathiques mais, assurément, des inférieurs.

La douloureuse question des bombardements revient toujours. A raison.

Il n'y a pas d'ambigüité sur le principe : il était légitime de bombarder des objectifs industriels et militaires en France.

Mais la mise en œuvre est révélatrice. On ne compte pas les cas où les Américains ont raté leur cible mais pas les civils français autour (ne serait-ce que chez moi).

Techniquement, c'est très simple à expliquer : à l'époque, plus on vole haut, plus on est en sécurité et moins on est précis. En volant haut, les Américains choisissaient leur sécurité au détriment des civils français. Autrement dit, il ne fallait pas risquer la vie d'Américains pour épargner des Français.

D'ailleurs, on confiait les missions délicates aux Anglais ou aux Français.

Cela dit tout ce qu'il y a à savoir sur ce sujet des bombardements américains en France.

L'affaire des milliers de viols est aujourd'hui bien connue. Il y a aussi eu quelques civils normands kidnappés pour les interroger en Angleterre !

Propagande hollywoodienne

Branca conclut sur ce fait orwellien que les 3/4 des Occidentaux donnent les Etats-Unis comme principal contributeur à la victoire sur l'Allemagne nazie.

Au regard des faits, c'est tout simplement absurde, idiot. Le lavage de cerveau hollywoodien.

Rappelons juste quelques chiffres :

Morts en Europe :

USA : 140 000        URSS : 27 millions

Pertes de l'armée allemandes :
 
A l'ouest 1,5 millions   A l'est : 5 millions


En bref

J'ai été gêné par la mauvaise qualité éditoriale de l'ouvrage, nombreuses fautes d'orthographe ou erreurs diverses (Grandville pour Granville, Belgrade à la place de Bucarest, etc).

Un livre en dessous des précédents, bâclé.

lundi, juin 02, 2025

Sur ordre d'Hitler. Crimes passés inaperçus 1939-1945 (François Delpla)

Néo-nazisme

Avec le Système extrême-centriste mondialiste, nous vivons un néo-nazisme :

1) sans Hitler.

2) où la haine génocidaire des juifs a été remplacée par la haine génocidaire des blancs, avec la même prétention à la scientificité (les études « décoloniales »).

3) où le niveau de violence physique est bien moindre (mais pas nul : voyez les Gilets Jaunes éborgnés) et le niveau de manipulation des masses bien plus élevé (les moyens techniques de manipulation des masses - écrans partout et techniques de nudge- étant bien plusieurs ordres de grandeurs supérieurs aux pauvres moyens, journaux, radio et cinéma, à la disposition d'Hitler).

Voici ce que j'écrivais en 2020, je n'en changerais pas un mot  :

Il y a donc deux sortes de centrismes : le centrisme qui allie les extrêmes et le centrisme qui refuse les extrêmes. On a longtemps cru (c'est moi qui commente) que le centrisme français à la Giscard-Bayrou-Macron était du second type. Mais le centrisme actuel montre un tel fanatisme nihiliste qu'il pourrait bien être, comme le nazisme, du premier type. Bien sûr, on ne le reconnaît pas comme tel parce qu'il manque la composante anti-juive, mais l'empressement avide avec lequel notre gouvernement a profité du COVID pour étendre l'avortement et pour ordonner (circulaire du 19 mars) de tuer les vieux malades aurait été applaudi par les nazis.

Autres points communs fondamentaux entre le nazisme et le macronisme : le culte du chef, le scientisme, l'anti-catholicisme, l'idée qu'il y a des êtres supérieurs (« les premiers de cordée »), l'obsession raciale (inversée par rapport à Hitler), l'hygiénisme, l'écologie, l'européisme, la primauté de l'Allemagne. Avec le confinement généralisé et la surveillance panoptique du COVID, nous avons encore franchi une étape du rapprochement avec le nazisme. Ca commence à faire beaucoup plus que de fâcheuses coïncidences (bien sûr, il y a des différences, mais je ne suis pas sûr qu'elles soient très significatives). Et c'est très simple à expliquer, pas besoin de se faire de noeuds au cerveau : tous les auteurs du XXème siècle traitant du sujet (de Chesterton à Pie XI en passant par Huxley, et puis, tout simplement, Hitler lui-même dans Mein Kampf) avaient prévu, les uns pour le souhaiter, les autres pour le déplorer, que le recul du christianisme, spécialement sous sa forme catholique, amènerait ce type de sociétés. L'inversion de l'idéologie hitlérienne (racisme anti-blancs et anti-national) nous cache que nous vivons dans un monde qui ressemble très fort aux uchronies imaginant qu'Hitler a gagné la guerre et qu'il est mort de vieillesse dans son lit.

Bien sûr, c'est une analogie, qui a ses limites comme toute nalogie. Mais il n'en demeure pas moins qu'elle est pertinente. Comme Hitler, Macron veut abolir le commandement « Tu ne commettras point de meurtre » et se prend pour l'anti-Christ.

La profusion, l'obsession, des lois de mise à mort (Rivotril, avortement, euthanasie) n'est pas un accident,  la pulsion de mort est le cœur du macronisme comme de l'hitlérisme. (Je vous conseille cette excellente lecture : le socialisme comme pulsion de mort.)

Etant donné que je pense qu'on vit un nazisme sans Hitler, les agissements d'Hitler ont pour moi un intérêt purement historique. Je ne les crois pas transposables à notre époque.

Ce long préliminaire fini, nous pouvons attaquer les crimes individuels d'Hitler.

Le meurtre comme outil politique

Dans une lettre de 1919, donc précoce (il a 31 ans), Hitler écrit à un ami qu'il faut tuer les juifs non par sentiment, par colère, mais par calcul.

Calcul délirant mais qui a sa logique.

On se focalise sur les tueries de masse, à cause de leur caractère spectaculaire, mais les meurtres individuels obéissent aussi à la logique hitlérienne.

Hitler calcule : il tue ni trop ni trop peu (de son point de vue). Pas trop : ne pas provoquer une révolte ou solidifier l'opposition. Suffisamment : de quoi terrifier les opposants, « faire passer un message » comme on dirait dans la mafia.

Par exemple, le faux suicide de von Kluge est une manière de mettre un point final à l'après attenta du 20 juillet1944.

François Deplpla a fouillé son sujet, mais cela reste frustrant parce qu'il n'y a guère de preuves (le « bilan carbone » de l'Allemagne nazie est vraiment très mauvais : beaucoup d'archives brulées).

Ce travail est innovant parce qu'il montre la finesse et l'intelligence d'Hitler dans le Mal. Ses meurtres sont calibrés avec une précision d'horloger, ou d'entomologiste. C'est terrifiant. On est loin du pantin de Chaplin.

mardi, avril 29, 2025

La dernière superstition : Une réfutation du nouvel athéisme (Edward Feser)

Le nouvel athéisme est idiot. Les athées à l'ancienne avaient un minimum d'intelligence et de culture, mais nous n'en sommes plus là.

Le nouvel athéisme tient en deux affirmations fausses et une fable :

1) La science est la seule forme de connaissance. Le monde est matériel, et seulement cela.

2) La science prouve que Dieu n'existe pas (variante : la science se passe de l'hypothèse « Dieu »).

3) La modernité est l'histoire de libération de l'humanité de l'obscurantisme médiéval par la science. Les héros en sont Galilée, Newton et Darwin.

80 % des gens que je connais croient dur comme fer ces billevesées (je ne peux, hélas, pas fréquenter que des êtres d'élite). Les cons ont toujours l'opinion conformiste, le problème est que, depuis Voltaire, celle-ci est fausse.

99 % de ce que j’entends sur ce sujet est d’une grande pauvreté intellectuelle (« pauvreté intellectuelle » est mon vocabulaire gentil pour « stupidité totale »), les sempiternels « Faut marier les curés », « Faut ordonner des femmes ». Mamma Mia ! Ca ne sait rien sur rien et ça donne son avis.

Que l'époque qui considère que c'est un droit fondamental et inaliénable de Maurice de se mettre une plume dans le cul et d'exiger qu'on l'appelle Mauricette ou qui croit qu'un bout de papier vaut quelque chose parce qu'il y a marqué « one dollar » dessus se montre méprisante pour l'époque de Saint Louis, de Saint Thomas d'Aquin, de Saint François d'Assise, de Chrétien de Troyes, des croisades, des cathédrales, du Mont Saint Michel et du chant grégorien n'est pas seulement crétin, c'est saugrenu.

L'hypothèse de Rémi Brague est plus pertinente : le moyen-âge a chargé l'Occident d'une énergie spirituelle et intellectuelle que la modernité a dilapidée et, au bout de 600 ans, nous arrivons presque au bout du processus de décadence.

Feser est choqué à quel point le moderne est malléable, est un sous-homme, à quel point on peut lui faire croire n'importe quoi, vraiment n'importe quoi. Et il écrivait cela avant le délire covidiste !

A l'origine de notre drame

Feser commence par une remarque préliminaire qui occupera la fin du livre : athéisme ou déisme est une question philosophique, certes, mais qui a des conséquences très concrètes.

Feser n'hésite pas à dire que l'erreur athée est la cause première de la décadence de l'Occident. Car une conséquence directe de l'athéisme est qu'il ne peut fonder une morale commune, et même en justifie le mépris. Si Dieu n'existe pas, tout est permis (je pense que c'est l'attrait psychologique de l'athéisme : la toute-puissance infantile, ne devoir rendre de compte à personne).

L'erreur fondamentale de l'Occident est d'avoir abandonné le réalisme (les choses ont leur existence propre) pour le nominalisme (seul existe le discours sur les choses). Feser veut démontrer que tous nos problèmes découlent de cette prémisse fausse. Antienne bien connue de mes lecteurs.

C'est juste une autre manière de poser le débat athéisme contre déisme. Feser entend démontrer que Dieu existe et que croire en Dieu est réaliste. Et que l'athéisme n'est que le mensonge nominaliste que se racontent ceux qui veulent se délivrer des contraintes divines.

Saint Bernard de Clairvaux a écrabouillé Abélard, tenant d'une forme de nominalisme, au cours d'une polémique célèbre. Il a ainsi donné deux ou trois siècles de répit à l'Occident. Comme on avait oublié d'être con, les acteurs de ce drame avaient parfaitement conscience de l'enjeu.

Hélas, le nominalisme a redressé la tête inexorablement depuis le XIVème siècle. Il fut véritablement lancé par la Réforme et atteint son plein potentiel nocif sous nos très sombres Lumières.

Pour Feser, les lourds systèmes philosophiques modernes, notamment teutons, sont lourds ... et faux.

Il faut beaucoup de temps, 6 siècles !, à une erreur aussi profonde pour faire sentir tous ses effets.

Démontrer

Comme Claude Tresmontant, Feser soutient que l'existence de Dieu n'est pas une question de foi ou de croyance ou de conviction mais de démonstration, une question qu'on peut résoudre rationnellement.

C'est un point d'accord avec les nouveaux athées, qui pensent avoir démontré que Dieu n'existe pas.

Feser insiste que c'est un sujet technique : « Discuter de l'existence de Dieu avec un athée qui n'a pas lu Saint Thomas d'Aquin, c'est comme discuter du Titien avec un enfant de trois ans qui croit que peindre se fait en étalant la peinture avec les doigts » (Feser a un franc-parler assez réjouissant).

Comme Feser est malicieux, il parle d'un philosophe athée célèbre, Anthony Flew, qui, à 84 ans, a changé de position en alléguant que les arguments philosophiques en faveur de l'existence de Dieu étaient justes.

Pas d'attaques ad hominem

Les attaques ad hominem des athées (« Tu as besoin de croire en Dieu, d'avoir "un ami dans le ciel", parce que tu as peur de la mort ») sont faciles à retourner (« Tu as besoin de croire qu'il n'y a pas de dieu parce tu crains son jugement sur toi »).

Donc, pas d'attaques ad hominem.

La dernière superstition

Feser montre en quoi l'athéisme a les caractéristiques d'une superstition.

Il commence par se moquer des croyances annexes idiotes des athées, non directement reliées à leur athéisme mais qu'ils se trouvent tous partager : superstition carbophobe, superstition écologiste, superstition féministe, superstition woke etc. Feser n'est pas du style à prendre des précautions oratoires pour ménager l'esprit du temps.

Il en vient au sujet. Il montre que l'athéisme a toutes les caractéristiques de la superstition, notamment le biais de confirmation. C'est une pensée magique qui croit qu'en professant certaines choses, on fait advenir une réalité.

Feser n'hésite pas à traiter Nietszche de menteur (il fait du christianisme un homme de paille). Condoléances pour les midwits droitards à la Rochedy qui se prennent pour des surhommes parce qu'ils ont réussi à lire le Teuton cinglé (Nietzsche a fini à l'asile).

Le monde platonicien des Idées

Il existe un monde des Idées (Feser parle des « Formes », pour éviter les connotations du mot « idée »), bien réel, indépendant (peut-être) du monde matériel.

L'Idée du triangle, avec sa définition et ses propriétés (théorème de Pythagore, par exemple) existe, indépendamment de toutes ses représentations matérielles. 

Tout triangle matériel peut être jugé en fonction de l'Idée Triangle.

C'est évidemment l'opposée brutale du relativisme. Toute chose a un étalon de jugement dans le domaine des Idées. Cela ne signifie pas que le jugement est toujours facile.

Socrate et Platon ne sont pas vraiment intéressés par le Triangle mais par le Bien.

S'en suit une discussion compliquée pour savoir si les Idées ont une existence indépendante ou sont seulement dans nos têtes. Je vous donne la réponse : existence indépendante ... jusqu'à Aristote. Même si l'humanité disparaissait, l'idée du triangle continuerait à exister dans son monde des Idées.

Et Aristote vint ...

Une autre manière de formuler la thèse de Feser « Tous les malheurs de l'Occident viennent qu'il a abandonné le réalisme pour le nominalisme » est « Tous les malheurs de l'Occident viennent qu'il a abandonné Aristote pour Kant ».

Avant d'attaquer la philosophie d'Aristote, j'attire votre attention et vos prières sur Sylvain Gouguenheim, dont la carrière universitaire fut brisée pour avoir dit dans Aristote au Mont Saint Michel une vérité qui dérangeait la gauche : le savoir grec nous vient des Byzantins et non des arabes, envers lesquels nous n'avons aucune dette.

Il est amusant d'ajouter que la thèse désormais officielle et exclusive (le savoir grec nous vient des arabes) est récente (1960) et  émise par une nazie (Sigrid Hunke) dont la repentance n'a pas fait la une des journaux. Quand je vous dis que la post-modernité est une longue et furtive réhabilitation du nazisme ...

Aristote conteste la vision platonicienne d’un monde des Idées séparé. Venons en à la causalité aristotélicienne :

Pour chaque chose, il y a, selon Aristote, quatre causes (prenons le moteur Rolls Royce Merlin) :

> la cause matérielle. Le Merlin est en acier avec quelques éléments en caoutchouc.

> la cause formelle. Le Merlin a une forme en V avec 12 cylindres.

> la cause effective. Les ouvriers anglais qui ont coulé et usiné le Merlin.

> la cause finale (au sens de but, « arriver à ses fins »). Les Anglais avaient besoin d’un moteur pour leurs avions de chasse.

Chaque chose a son actualité (ce qu’il est) et ses potentialités (ce qu’il pourrait être). La cause est cette chose extérieure qui transforme une potentialité en actualité (la chaleur qui transforme le glaçon en eau liquide).

Vous pouvez vous amuser à chercher les quatre causes de n’importe quoi, un nuage, le vélo Solex, Emmanuel Macron, votre concierge … Pas toujours facile.

Nos modernes philosophes sont vent debout contre les quatre causes aristotéliciennes, d’ailleurs la notion même de causalité les hérisse. Ainsi, dans leur monde, rien n’a vraiment de cause et ils se heurtent à des contradictions insurmontables.

C'est, bien entendu, la cause finale qui les tracasse le plus. Alors, ils l'ont caricaturée pour s'en débarrasser. Est-ce que la Lune veut tourner autour de la Terre ? Nous avons chassé toute idée de cause finale. L'invoquer est considéré, à la suite de Descartes, comme une erreur méthodologique grave.

La cause finale

Le monde philosophique moderne, qui réfute catégoriquement toute idée de cause finale, est bien étrange.

Pour Aristote et Saint Thomas d'Aquin, la cause finale du chêne est de donner des glands, qui donneront d'autres chênes.

Mais le moderne est embarrassé pour répondre à la question « Pourquoi le chêne ne donne-t-il pas des pommes ou des tomates ? », puisqu'il réfute l'idée que les choses ont une cause finale et une nature.

Vous me direz « Et l'ADN ? ». Bin, justement, l'ADN est assez embarrassant pour le moderne : il prouve que les êtres vivants ont une nature orientée dans un certains sens. Mais bon, parait-il que c'est le hasard total.

Fesser est farouchement opposé à l'avortement et à l'euthanasie, parce que, dès qu'un amas de cellules a son ADN propre et tant qu'il est vivant, il possède sa nature d'être humain, quel que soit son état physique.

Les preuves de l'existence de Dieu

Feser refuse les preuves basées sur l'étude la nature parce qu'elles sont probabilistes, donc faibles. Par exemple, le réglage fin des constantes universelles permet la vie, quelques % de différence et il n'y aurait pas de vie, ce constat augmente la probabilité de l'existence de Dieu.

Feser cherche des preuves fortes, comme une démonstration mathématique ou géométrique.

Des cinq voies pour accéder à l'existence de Dieu de Saint Thomas d'Aquin, Feser en étudie trois.

1) Le Moteur Immuable

Certaines choses en mouvement ont des causes (Saint Thomas d'Aquin ne dit pas, comme on l'a caricaturé, « Toute chose a une cause »), en remontant la chaine des causes, on finit par tomber sur la cause qui n'est pas causée et qui cause toutes les autres (la régression doit s'arrêter parce qu'elle n'est qu'un jeu de l'esprit. La manière dont les choses se passent réellement, c'est que la cascade de causes coule vers l'aval, donc il y a nécessairement un point de départ), le Moteur Immuable.

Saint Thomas d'Aquin ne s'y attarde pas trop. Il vit dans un monde où l'athéisme est une incongruité, où il est inutile de perdre du temps à prouver ce que tout le monde sait.

Ce qui l'intéresse vraiment, c'est de prouver que le Moteur Immuable a toutes les caractéristiques du Dieu des chrétiens (et des juifs) :

> unique
> omniscient
> tout-puissant
> hors du temps et de l'espace
> bon (pas au sens de « il est gentil » mais au sens de « il est parfait donc il a la bonté parmi ses attributs mais je ne suis pas bien sûr de savoir ce que cela veut dire »)

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Digression néo-paganisme : le néo-paganisme est à la mode chez les crétins (je connais un couple qui a refusé l'église mais a fait une espèce de prière tout à fait pénible et malaisante autour d'un arbre. On est vraiment à une époque de débiles) poussés par quelques intellectuels pourris (n'importe quelle foutaise plutôt que de se soumettre au Père).

Chez les philosophes de la fin de l'antiquité classique, l'idée qu'il y avait une divinité unique existait. La question était « A-t-elle besoin de dieux intermédiaires incarnés dans la Nature ou peut-elle communiquer directement avec les hommes ? ». Le dieu des juifs et des chrétiens a définitivement réglé la question en établissant une relation personnelle avec les hommes.

Militer pour le néo-paganisme aujourd'hui est aussi farfelu que de militer pour le géocentrisme (certains le font).

Le néo-paganisme ne peut être qu'une parodie.  D'ailleurs, les néo-païens ne s'aventurent jamais sur le terrain métaphysique, où ils seraient immédiatement ridicules. Ils insistent sur les avantages sociaux et politiques du néo-paganisme mais un tel discours, basé sur une connerie, est forcément une impasse. C'est pourquoi il ne séduit que les crétins. Les autres, sans être de grands métaphysiciens, sentent bien qu'il y a un loup.
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2) La Première Cause

Bon. Celle là, je n'y ai rien compris. Pour moi, ce n'est qu'un assemblage de mots creux. Je ne vois pas en quoi elle se différencie de la précédente. Je passe mon tour.

3) L'Intelligence Suprême

Feser récuse les arguments probabilistes « Le monde est complexe donc il a probablement un architecte ».

Il renvoie dos à dos darwinisme (qui essaie de prouver par les probabilités que Dieu n'existe pas) et Dessein Intelligent (qui essaie de prouver par les probabilités que Dieu existe).

Ils ont en commun selon lui le rejet moderniste de la notion aristotélicienne de cause finale.

Une fois qu'on admet la notion de cause finale, les régularités du monde (complexe ou non) prouvent qu'il y a une cause finale, donc qu'il y a une conscience qui ordonne cette cause finale (ça, cause finale => conscience, c'est facile à prouver).

L'âme

Autant je peux comprendre qu'on ne tienne pas l'existence de Dieu pour évidente, autant il me semble que, pour nier l'existence de l'âme, il faut un putain de lavage de cerveau matérialiste.

Tout en l'homme, pour peu qu'on l'observe, montre qu'il a quelque chose en plus que le corps. Toutes les cultures en ont tenu ainsi, je ne ne vais pas user le soleil sur cette question.

C'est d'autant plus évident en nos temps d'« intelligence artificielle » (en réalité , de machines apprenantes). La pièta de Michel-Ange est volontairement mal proportionnée afin de s'adapter à la perspective de l'observateur. Jamais une machine, quelle que soit sa puissance, n'imaginera une chose pareille sans l'avoir apprise d'abord d'un humain.

Pour la faire courte, l'âme est ce qui fait la différence entre un être humain et un cadavre. Entre un ordinateur et un homme (en plus de bien d'autres choses).

Le seul point intéressant est que, contrairement à Platon, Aristote (cohérent avec les juifs) ne sépare pas strictement l'âme du corps, sauf après l'épisode violent de la mort.

La loi naturelle

La loi naturelle est celle qui découle de la nature des choses, par exemple que l'homme est un animal rationnel qui a une âme.

Nous avons la loi naturelle câblée en nous. En général, nous jugeons d'instinct les comportements suivant la loi naturelle.

Mais la modernité est un long et tenace lavage de cerveau pour nous faire réprimer cet instinct, parce qu'elle nie que les choses aient une nature. Donc tout est permis, il ne faut pas juger (ah, le fameux et horrible « Je ne juge pas », bien différent du « Ne jugez pas » de Jésus : ne pas juger les hommes n'exclut pas de juger leurs actions).

Ainsi, le philosophe David Hume, ayant rejeté Aristote et nié la loi naturelle, peut écrire, de manière cohérente mais fausse, que les passions gouvernent la raison. Et on aboutit en 2025 au « philosophe » Peter Singer (il a une tête de malade mental. Pourquoi les gens n'écoutent-ils pas leur intuition ? Pourquoi écoutent-ils à la place les sales types qui ont des têtes de malades mentaux ?) qui dit sans trop déranger que l'infanticide doit être permis et qu'il est dans beaucoup de cas préférable de tuer un humain plutôt qu'un animal. Les mauvaises idées finissent par avoir de mauvaises conséquences.

La loi naturelle est la loi de l'Eglise (normal, elle est aristotélicienne). Par exemple, sa condamnation de l'homosexualité comme un désordre intrinsèque est limpide suivant la loi naturelle (malgré la mafia homosexuelle dans le clergé). Il est dans la nature de l'homme (à la fois comme animal et comme sujet rationnel) de faire l'effort (pas toujours facile) de s'unir au sexe opposé.

Causes finales, nature des choses, loi naturelle, tout se tient.

Si chaque chose a une cause finale, elle a une nature et la loi naturelle est justifiée.

Si la cause finale de l'homme, c'est de faire son salut, sa nature est alors d'être un animal rationnel, doté d'une âme, sa raison et son âme lui permettant d'approcher Dieu. Ca colle.

Seulement voilà, les choses ont-elles une cause finale ? Aristote et Feser l'affirment et prétendent le démontrer, la modernité le nie absolument (j'ai envie de dire « hystériquement »).

Tout que ce je peux dire (qui irriterait probablement Feser), c'est qu'admettre les causes finales fait rentrer un tas de choses dans l'ordre, le monde retrouve son harmonie. Le cerveau humain fait appel aux causes finales instinctivement. Les modernes, notamment les biologistes, doivent énormément se surveiller pour ne pas commettre par inadvertance cette faute inexpiable, à leurs yeux, d'expliquer les choses par les causes finales.

Il est vrai que l'existence de Dieu résout le problème : si Dieu existe, il a des intentions, donc il y a des causes finales, même si je peine à les prouver.

Mais alors je tombe dans un cercle logique qui ne prouve rien : l'existence de Dieu prouve les causes finales, les causes finales prouvent l'existence de Dieu. Ca me fait une belle jambe. Je tourne en rond.

Mais bon, comme d'un autre côté, j'ai la certitude de l'existence de Dieu, même si je ne peux pas le « prouver » au sens de Feser, je ne suis pas tant gêné. Et l'acceptation de la notion de cause finale coule de source.

Mais, pour Feser, le fait que le chêne ne se transforme pas magiquement en pommier devrait établir la vérité de la notion de cause finale, même si on ne croit pas en Dieu (et même si, logiquement,  ces deux idées Dieu et la cause finale, vont de pair).

D'ailleurs, un philosophe nominaliste (donc qui refuse les causes finales et la nature des choses) écrit qu'il n'a aucune raison de penser qu'un jour, toutes émeraudes ne deviendront pas bleues. Mais lui, cela ne le gêne pas.

L'étude scientifique du cerveau

Un des passages les plus intéressants.

Pour Feser, l'étude scientifique du cerveau humain est vouée à l'échec parce qu'elle se trouve au nœud des contradictions insurmontables de la modernité.

La science est matérialiste, alors que la pensée est spirituelle.

La science nie la cause finale, alors que le cerveau est une usine à intentions, donc à causes finales.

Il faut bien constater que, comme la physique quantique, la théorie de la pensée (comment se forme une pensée dans le cerveau ?) stagne. Les moyens d'investigation toujours plus performants impressionnent mais ne font pas bouger la théorie d'un millimètre.

Pour l'instant, Feser a raison.

La science

Feser conteste que le combat contre la notion de cause finale ait lancé l'essor scientifique moderne.

Il a en partie raison. La fable de la lumière de la modernité qui combat l'obscurantisme du moyen-âge est entièrement fausse. La mentalité scientifique trouve incontestablement sa genèse dans le moyen-âge, dans la curiosité de moines pour le monde fait par Dieu.

Mais la contestation de la cause finale a tout même été une libération méthodologique.

La métaphysique d'Aristote est peut-être vraie (c'est ce que Feser s'efforce de démontrer) mais sa physique est fausse, et ce n'est pas par hasard.

Molière se moquait de l'opium qui faisait dormir parce qu'il avait une « vertu dormitive ». Mais Feser fait remarquer que décomposer l'opium en ses différentes caractéristiques, c'est déjà un début d'analyse. 

Seulement (c'est le sujet qu'esquive Feser), il faut explorer plus avant, et l'idée de cause finale est intellectuellement paralysante « Bon, j'ai trouvé la cause finale de l'opium, c'est la vertu dormitive. Je peux aller me recoucher ».

Ceci étant dit, au bout du bout, la question de la science moderne se pose brutalement : est-ce que ça serait si abominable de ne pas avoir découvert la bombe atomique, les écrans qui transforment les humains en légumes et les opérations de changement de sexe ? Les Amish ne semblent pas particulièrement malheureux.

Il n'y a pas plus moderne que Lénine, Hitler, Mao et Pol Pot. Que la destruction industrielle des juifs. Que de piquer les vieux au RIVOTRIL parce qu'une bureaucratie impersonnelle a décrété que c'était la chose à faire. Que le gouvernement Macron obsédé de tuer les bébés, les malades et les vieux.

La personne, le libre arbitre, la morale, tout ça, tout ça

Comment expliquer qu'un être humain soit une seule personne de la naissance à la mort, alors qu'à sa mort il n'y a peut-être plus un seul atome de sa naissance présent dans son corps ?

Quand on est matérialiste, on répond classiquement « la conscience », sans trop chercher à définir ce que sait. Ceci explique que ces gens considèrent que les malades à la conscience altérée puissent être mis à mort comme des animaux. Mais quand je dors, je suis inconscient, et-ce que je cesse d'être moi ?

Quant au libre-arbitre, c'est la cabane sur le chien. Déjà qu'Aristote et Saint Thomas d'Aquin rament un peu. Mais, pour un matérialiste, l'univers est déterministe. Et le libre arbitre, quelle horreur !

Il est très facile de comprendre que, dans un paysage mental nominaliste et matérialiste, où les choses n'ont plus de nature, plus de cause finale, où tout n'est qu'un assemblage d'atomes, aucune morale commune n'est possible, tout n'est qu'affaire d'opinion individuelle.

Quelquefois la bonne volonté des athées qui essaient de construire une morale commune se manifeste, ils ne peuvent qu'échouer, puisque leur morale est bâtie sur du sable.

Dans l'Occident de 2025, la parole de Leo Strauss est pleinement accomplie : le cannibalisme n'est qu'affaire de goût.

La scholastique, le caillou dans la chaussure des modernes

Les modernes ne contestent pas scholastique dans sa logique, mais dans sa conclusion (démarche qui les met en position de faiblesse).

En effet, si les causes finales et Dieu existent, la nature de l'homme est de faire son salut pour l'autre monde. C'est très emmerdant pour les modernes, qui sont définis par la conviction que le but de la vie est d'accumuler les biens matériels dans ce monde.

Donc descente en flèche de la scholastique, non sur le fond (c'est très difficile) mais sur la forme, pour en ridiculiser la conclusion, qui est déplaisante à certains. Et l'on comprend alors les moqueries de Rabelais.

Je connais plein de divorcés. Je suis sûr qu'ils ne seraient pas ravis d'apprendre que, si la scolastique a raison, ils sont bien partis pour quelques années de purgatoire. Je comprends donc qu'ils préfèrent penser que tout ça, ce sont des conneries moyenâgeuses (on avait dit « Pas d'attaques ad hominem »).

Si on suit Aristote, Saint Thomas d'Aquin et Feser, la modernité est bâtie sur une erreur métaphysique, sa conception du monde, de la vie et de l'homme est fausse et cela explique qu'elle aboutisse à notre décadence actuelle.

Le monde des hommes diminués

La modernité est basée sur un mensonge ou, au moins, sur une grosse erreur : le rejet des causes finales et de la nature humaine (pas un hasard si l'expression « condition humaine » est devenue prépondérante).

La modernité ne peut donc donner que de mauvais fruits. Nous avons le frigo, la voiture, l'avion, la télé. L'aspirine et la pénicilline. Et alors ? Sommes nous des humains plus accomplis ?

Les modernes de 2025 continuent à penser que c'est un bien en soi qu'on vive en moyenne jusqu'à 90 ans plutôt que jusqu'à 60. Mais ils n'en sont plus si assurés. La société de consommation leur a donné le frigo, la voiture et la télé et ils ne sont toujours pas heureux (voir le bonheur comme le but de la vie est très moderne).

La conclusion de Feser

La conclusion de Feser est logique.

La modernité est bâtie sur l'erreur. Dante aurait fait figurer beaucoup des contemporains que nous croisons tous les jours dans la rue parmi les démons de son Enfer. Un Enfer physiquement douillet, mais qui nie absolument les besoins non physiques de l'homme et le dégrade.

Un compte Twitter, Visages de France, publie des portraits de nos ancêtres. La différence avec les modernes est frappante, même en prenant en compte que les sujets posent. Dans un cas, on sent qu'on a à faire à des hommes, dans l'autre ...

Les réalistes/aristotéliciens/déistes et les nominalistes/kantiens/athées sont de plus en plus séparés, parce que nous vivons les conséquences dévastatrices du nominalisme.

Dévastation qui touche principalement les domaines humains et spirituels, qui, pour les nominalistes, n’existent même pas.

Pour un nominaliste/kantien/athée, il n’y a pas de différence de nature entre un homme et un robot. Un homme n’est qu’un robot très perfectionné (par le hasard de la sélection naturelle) et, un jour, les robots atteindront cette perfection et même la dépasseront. Ce sont toutes les discussions autour du transhumanisme, de l’« intelligence artificielle » et aussi de l’homme, danger pour « la Planète ».

Ils n’ont aucune raison de ne pas remplacer les hommes par des robots, de ne pas exterminer les hommes surnuméraires ou, au moins, de ne pas les empêcher de se reproduire (si vous avez reconnu le programme nazi, c’est normal : c’est la même logique).

Ce fossé s'étend à tous les domaines : entre ceux qui ont compris que l'écologisme est une pulsion de mort, la « transition énergétique » l'escroquerie du millénaire et les « petits gestes » une manipulation et ceux qui ne l'ont pas compris, il n'y a pas de dialogue possible.

Les Français « oui mais non »

Les Français sont-ils capables de comprendre que leurs problèmes viennent qu'ils sont athées (c'est-à-dire nominalistes sans le savoir) et que le mieux qu'ils aient à faire, c'est de retourner à l'église tous les dimanches (c'est la manière de redevenir aristotéliciens sans se faire de nœuds au cerveau. Même si l'Eglise modernisée peine parfois à être aristotélicienne) ? Non, évidemment. A part quelques individus au dessus du lot.

Je suis frappé par l'emprise du « oui mais non » : des gens qui croient être d'accord avec l'analyse de ce billet mais qui ne mettront pas un pied dans une église pour autant. Ou des gens qui refusent d'aller jusqu'au bout de cette analyse, bien que partageant la critique de la modernité, à cause de la conséquence qu'elle implique.

Il y a des cons partout, on est cerné :

_ Il faut absolument recréer du « lien social » entre Français.

_ Facile : allez à la paroisse près de chez vous. Ou, si vous trouvez celle-ci trop colorée, à la communauté traditionaliste la plus proche.

_ Ah bah nan alors ! Pas ce « lien social » là !

_ Alors, de quoi vous plaignez vous, exactement ?

Et l'objection « L'Eglise mondialiste immigrationniste » ? Oui, c'est un problème, mais qu'il ne faut pas exagérer : les églises seraient pleines de Français de droite, l'Eglise de France serait  droite.

Nous vivons une époque d'âmes faibles. A un moment, va falloir songer à arrêter de me casser les couilles avec les geignardises alors que la solution est à portée de main et que vous la refusez (si vous voulez vraiement retourner à l'Eglise, allez voir le curé du coin. Il sera ravi de vous recevoir. S'il ne vous plait pas -ça peut arriver- allez voir celui d'à côté).

Quand je vois la violence avec laquelle la plupart des Français (pas que de gauche) rejettent la religion de leurs ancêtres (au nom de  « la science »), je sais qu'ils sont prêts à être soumis à l'islam (leur refus d'intérioriser la religion chrétienne les soumettra à une religion toute extérieure, qui ne demande que d'obéir à des règles idiotes. Ils sont mûrs pour cela).

Les peuples occidentaux, le français au premier rang, flottent dans un monde imaginaire, ils rejettent comme une faute de goût, obstinément, tout sens des réalités et cela les mène à la mort aussi sûrement que s'ils étaient allongés sur les rails devant un train.

L'Occident est une secte géante. Merci Hume, Voltaire, Kant, Nietzsche et compagnie. 

Le goût perdu de la vérité

Je suis convaincu qu'il est rationnel de penser que Dieu existe, mais toutes ces démonstrations métaphysiques me paraissent bien fumeuses, très verbeuses.

Feser n'aime pas les arguments probabilistes. ll les trouve même faux : si le monde était moins complexe, cela signifierait-il qu'il est moins probable que Dieu existe ?

Mais les preuves qu'il donne sont trop compliquées pour moi. Au bout d'une page, ce ne sont plus qu'un brouillard de mots.

Cependant, j'ai un tel respect pour Saint Thomas d'Aquin (un type qui redresse des erreurs de traduction par des raisonnements théologiques a oublié d'être con) que je respecte aussi son travail. Mais, lui non plus ne paraissait pas très intéressé par les preuves de l'existence de Dieu, qui était une évidence. Il a consacré beaucoup plus de temps et d'énergie aux caractéristiques de Dieu.

Je suis un peu (toutes proportions gardées !) dans la même position. 

Enfin, méditez sur le fait que l'œuvre de Saint Thomas d'Aquin est restée volontairement inachevée. Devenu mystique  la fin de sa vie, il disait qu'il découvrait plus de Dieu par la prière que tout ce qu'il avait pu écrire par la raison.

Thomas écoutait la voix qui disait à Pilate :

« Je suis suis né et je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la Vérité. Quiconque appartient à la Vérité écoute ma voix. »