Je ne peux pas dire que ce livre soit une découverte totale. L'histoire du débarquement en Normandie, je maitrise déjà assez bien.
Mais ce livre est un pavé et j'ai appris quelques petites choses.
Pour ce billet, je pars du principe que tout le monde a vu le film
Le Jour le plus long (lu le livre, c'est mieux) et a quelques notions.
La préparation
L'entrainement
Il y a eu plus de morts à l'entraînement que pendant l'opération elle-même. Mais des morts étalées sur 4 ans puisque les premiers entrainements au débarquement datent de 1940.
L'entrainement s'est intensifié les six derniers mois. Il se faisait à balles réelles. D'où quelques victimes.
Il y a la catastrophe du 28 avril 1944 : des vedettes lance-torpilles allemandes font irruption dans une répétition de débarquement et coulent plusieurs navires. Plus de 700 morts. Dix officiers porteurs des plans d'Overlord sont parmi les victimes. Par miracle, les dix cadavres sont retrouvés avec les plans. Cet accident a été tenu secret jusqu'en 1974.
L'entrainement ne peut pas tout : il faut attendre le 9 juin pour constater que les plus gros navires de débarquement, les LST, peuvent s'échouer directement sur les plages normandes, sans pontons de transbordement, ce qui améliore considérablement la logistique (on pensait les plages normandes pas assez pentues pour permettre ce qui s'est fait en Sicile).
A l'issue de l'entrainement, l'optimisme est très prudent. Les généraux pensent que le débarquement réussira ... avec 50 % de pertes.
La Big Week
Six mois avant le débarquement, la supériorité aérienne n'est pas acquise.
En février 1944, la Big Week : l'USAAF et la RAF se relaient jour et nuit pour pilonner l'Allemagne pendant une semaine. Les pertes sont importantes mais la Luftwaffe est obligée de monter défendre ses villes. Elle subit des pertes matérielles et humaines qui sont pour elle irréparables.
Le déclin de la Luftwaffe commence. Pas trop tôt par rapport au débarquement.
Les bombardements sur la France
C'est un marronnier qui revient désormais tous les 6 juin : les larmes de crocodile des anti-Américains sur les victimes françaises des bombardements préparatoires au débarquement.
Je n'en discute plus sur Twitter, c'est inutile : ceux qui en parlent cherchent juste un prétexte pour exprimer leur anti-américanisme, pas une discussion historique honnête et sérieuse.
Faisons le point :
1) Beaucoup de bombardements ont tapé à côté des objectifs, sur des quartiers d'habitation, provoquant une fureur plus ou moins justifiée (Pierre Clostermann en parle).
2) Dans les conditions techniques de l'époque, il était possible de faire plus précis mais en prenant beaucoup plus de risques pour les équipages (en volant plus bas). Et pour un résultat marginalement meilleur : les groupes spécialisés dans le bombardement de précision étaient peu nombreux.
Même les unités françaises qui prenaient un soin tout particulier à essayer de réduire les victimes civiles n'ont pas réussi à les éviter.
3) Les Américains étaient moins préoccupés que les Anglais des victimes françaises. Churchill était très inquiet et a demandé l'arrêt de ces bombardements, c'est l'intervention de Roosevelt qui a fait qu'ils ont continué.
4) Il y a eu moins de 10 000 victimes civiles de la préparation du débarquement (sur 60 000 victimes de bombardement au total). C'est toujours trop mais on est très loin des craintes de Churchill.
5) Ces bombardements ont été efficaces : les mouvements de l'armée allemande ont été très gênés.
Bref, les morts civiles de bombardement sont le prix de la liberté. Les Alliés auraient pu mieux faire, mais très marginalement. La polémique a plus de raisons d'être pour Saint Lô et Caen, bombardements totalement inutiles d'un point de vue militaire.
Est-ce que les Américains considéraient les Français comme des sous-hommes vaguement sympathiques, des Indiens d'Europe ? Oui. C'est probablement le plus choquant.
La polémique sur les bombardements a donc un petit fond de vérité, mais elle est enflée au-delà de toutes proportions raisonnables.
Au sein des Alliés, il y a aussi une polémique sur l'utilisation des bombardiers lourds. Les azimuthés du bombardement stratégique, Spaatz et Harris, sont persuadés de pouvoir remporter la guerre à eux tout seuls et ils ne veulent pas lâcher un seul appareil pour la préparation du débarquement. A part leur petit entourage de courtisans, tout le monde sait que c'est absurde. Heureusement, la pression de Churchill et de Roosevelt règle le problème.
Le renseignement allemand
Aussi étrange que cela puisse paraitre, les renseignements allemands à la base ont assez bien deviné que le débarquement aurait lieu en Normandie. Mais l'organisation darwinienne (plusieurs service en compétition féroce sur le même sujet) de l'Etat nazi a empêché cette analyse de se transformer en décisions au sommet.
De plus, les Allemands ont commis une erreur d'analyse majeure sur la date : pensant que les Alliés débarqueraient à marée haute et plutôt par lune partielle, ils ont calculé des dates potentielles complètement erronées.
L'opération
La réussite des dragueurs de mines
C'est un aspect de l'opération pas très exaltant mais qui inquiétait beaucoup le commandement. Avec une telle densité de navires, les mines auraient pu faire des ravages. Les dragueurs de mines ont fait un excellent travail, mieux qu'espéré.
L'étonnant succès des Ruperts
Les Ruperts sont ces mannequins lâchés en deux points de l'arrière du front (en plus des vrais parachutages) accompagnés de 6 SAS chargés de diffuser des sons enregistrés.
Ils sont très mal représentés dans le film Le jour le plus long. Loin d'être des mannequins réalistes, ce sont des sacs de sable et d'explosifs dessinant vaguement une silhouette humaine. Surtout, ils explosent en arrivant au sol, laissant peu de traces interprétables.
Les Ruperts distraient jusqu'au soir du 6 juin, une division blindée et une division parachutiste. Excusez du peu. Les points de largage ont été bien choisis, rendant l'opération, si elle n'avait pas été factice, dangereuse, d'où la réaction allemande.
C'est sans doute une des opérations les plus rentables de l'histoire des guerres : quelques centaines de mannequins et six parachutistes pour deux divisions.
Utah Beach
C'est, du côté de Cherbourg, la plage stratégique. Sword, du côté de Caen, est son pendant. Les plages entre les deux bouchent l'intervalle.
Le débarquement à Utah n'a pas été la promenade de santé qu'on présente habituellement. Les parachutistes, qui ont beaucoup fait pour que cela se passe pas trop mal, ont eu la moitié de pertes.
Les Américains sont remarquablement commandés par Teddy Roosevelt, fils et cousin de présidents des Etats-Unis.
Omaha Beach
Le désastre d'Omaha a trois causes :
1) La défaillance des renseignements alliés, qui n'ont pas compris, malgré les informations de la Résistance, que la plage était bien fortifiée.
2) L'état de la mer. Beaucoup de soldats sont morts noyés à cause de rampes abaissées trop tôt (les pilotes de chalands ont plusieurs rotations à faire, ils craignent de s'échouer. L'entrainement ne les a pas préparés à des conditions si mauvaises). La plupart des radios sont perdues.
3) La décision de débarquer dans la première vague des blindés, qui se sont faits allumer comme à la fête foraine par l'artillerie allemande et n'ont servi à rien, mais ont perturbé le débarquement des fantassins.
Probablement que les Allemands auraient rejeté les Américains à la mer s'ils étaient sortis de leurs abris pour contre-attaquer.
Le général Cota (Robert Mitchum dans Le jour le plus long) et son adjoint Canham sauvent la journée. Cota se balade en première ligne en agitant son Colt 45. Il comprend qu'il faut oublier le plan et avancer coûte que coûte, quitte à se faire tuer en avançant, plutôt que de rester sur cette plage qui est un piège mortel.
Canham est blessé alors qu'il coupe lui-même des barbelés.
Les pertes d'officiers atteignent 50 %. Dans toutes les armées de toutes les guerres depuis l'âge des cavernes, les grosses pertes d'officiers indiquent que la situation n'est pas bonne.
Le capitaine Goranson (qui a inspiré en partie le rôle de Tom Hanks dans Le soldat Ryan) des Rangers prend une des ces initiatives qui renversent le cours d'une bataille. Débarqué au mauvais endroit, sur le mauvais objectif, il décide d'attaquer à revers la fortification qui se trouve devant lui. Or c'est le point d'appui allemand le plus meurtrier, celui qui bloque la plage. Il y passe la journée, perd les deux tiers de ses hommes, mais à 16h00, le complexe de fortifications est nettoyé. Il n'a pas fait de prisonniers.
Vers 9h00, comprenant que les choses se passent mal, les navires de bataille se rapprochent de la côte au risque de s'échouer, certains sont même mitraillés depuis les bunkers. Mais les fantassins ont raconté le réconfort de se faire survoler par des obus amis de 356 mm. L'USS Texas a vidé ses soutes, 200 obus de 356 mm. Je n'aurais pas aimé être dessous. Avec le recul, il apparait que des obus fumigène auraient été bien utiles (encore une chose que les répétitions n'avaient pas permis de voir).
La réussite des Canadiens Juno
Ce sont les plus méconnus. Il arrive qu'Hollywood montre des Anglais, jamais des Canadiens.
C'est dommage, car c'est le débarquement le plus réussi avec Utah : bon séquençage du débarquement, répartition des engins spéciaux judicieuse.
Caen, Gold et Sword
Caen se trouve à 12 km des plages les plus proches. Tous les acteurs, Alliés et Allemands, ont bien identifié cette ville comme le pivot d'une défense de la Normandie en provenance de l'est. D'autant plus que Caen ouvre aussi la Normandie sur la plaine de Falaise, qui libère les forces armées de l'enchevêtrement du bocage.
C'est donc un objectif majeur du débarquement, qui doit être atteint dès le jour J, ou J+1 au plus tard.
Les Anglo-canadiens parcourent les 6 premiers kilomètres vers Caen en 12 heures. Ils mettront 2 mois pile pour parcourir les 6 km suivants. A la guerre, les occasions perdues se rattrapent rarement (en septembre 1914, les Français ont peut-être perdu la « course à la mer » pour avoir démarré deux jours trop tard, à cause de l'épuisement des troupes).
La cause de cet échec majeur (c'est le gros échec du débarquement) n'est pas un mystère. Cet imbécile vaniteux de Montgomery n'a pas mis la priorité et les moyens qu'il fallait sur cet objectif. Eisenhower finit par lui retirer de fait le commandement des forces terrestres en septembre 1944 (il le conserve nominalement, mais, en pratique, c'est autre chose).
Il aurait fallu débarquer sur une plage à l'est de l'Orne, pour couper l'arrivée des renforts à Caen par l'est, ce que certains avaient envisagé (il faut toujours se méfier de l'anachronisme, de penser à des choses avec le savoir rétrospectif). C'était risqué, mais moins que les 80 000 victimes (dont 3000 morts civils français) de cette interminables bataille. A la guerre, l'incompétence des généraux est payée par le sang des soldats (l'inverse est vrai : les pertes de la 2ème DB diminuent quand elle est sous le commandement de Leclerc et non de de Lattre de Tassigny).
Certes, Montgomery était contraint par la logistique du débarquement sur les plages. La tempête du 19 juin a gêné. Mais cela n'explique pas tout.
Le gros talent de Montgomery a été de se faire une image de général très britannique à un moment où le moral flanchait, c'est bien mais pas suffisant. Comme on dit chez les modernes, il a atteint son seuil d'incompétence en Normandie.
Les débarquements anglais ont aussi été de gros bordels, mais comme il n'y avait pas Hollywood pour en faire tout un cinéma, on s'en fout.
Une réussite en demi-teinte
Les débarquements ont été une réussite, surtout à Utah Beach, puisque les Alliés n'ont pas été rejetés à la mer.
Tout de même, certains vétérans ont dit que cela leur rappelait la bataille de la Somme, avec des ordres de marche bien trop détaillés et contraignants et une préparation d'artillerie totalement inefficace, dont la seule fonction fut de laisser à l'ennemi le temps de se préparer.
Même erreur en septembre 1944 avec l'opération Market-Garden.
En revanche, quand ça merdé, il y a eu de très bonnes improvisations. Par exemple, quand les croiseurs ont fait de l'appui-feu rapproché, en observant ce que les quelques blindés sur la plage visaient. On imagine les dégâts si cela avait été préparé (distribuer aux troupes débarquées des fumigènes et leur dire « Les bateaux tireront là où vous mettrez les fumigènes »).
Célèbre photographie d'Omaha Beach In the jaws of death
En revanche, pour les Allemands, c'est une claire défaite.
Empêcher les Alliés de débarquer était impossible, du fait de l'appui-feu des croiseurs et de l'aviation, mais ils pouvaient espérer les tronçonner et les empêcher de se déployer.
Le général Marcks, pourtant considéré comme un des meilleurs généraux allemands, se rate complètement, comme un joueur de football en méforme. En se laissant distraire par les Ruperts, il manque l'occasion d'attaquer les Anglais à un moment critique. Il est tué à Saint-Lô le 12 juin.
Néanmoins, fidèle à sa réputation d'agressivité, la Wehrmacht réussit à couvrir Caen en réagissant plus vite que les Anglais. Le temps perdu ne se rattrape pas. Les historiens disent « Pour faire ce qu'a fait une section le jour J, il fallait un bataillon à J+1 et une division à J+2 ».
A partir de J+2, les aérodromes de fortune s'installent sur la tête de pont et la supériorité aérienne écrasante des Alliés fait qu'ils ne peuvent plus être battus.
A ce moment là, la première semaine de juin 1944, les généraux allemands savent que la guerre est perdue (à l'est, l'opération Bagration, qui démontre l'excellence opérationnelle de l'Armée Rouge, déclenchée le 22, va achever de les convaincre). En deux mois, les Allemands perdent un million d'hommes.
Pourtant, la guerre va encore durer un an. Mais c'est une autre histoire.