Antoine Argoud est un des putschistes d'Alger et dirigeant de l'OAS.
Le cynique qui profite de la décadence, c'est De Gaulle. L'imposteur, c'est De Gaulle. Et le salaud qui fait la tragédie, c'est De Gaulle.
La haine anti-gaullliste d'Argoud est si forte qu'on est un peu étonné qu'il n'écrive pas que le premier vagissement gaullien était destiné à tromper sa nourrice.
A notre époque où tout le monde se dit gaulliste, il n'est pas sans intérêt de lire ce pamphlet, d'autant plus qu'Argoud, avec ses excès, n'est pas un médiocre.
Sur la période que je connais le mieux, la seconde guerre mondiale, Argoud reprend l'habituel refrain de l'armistice qui sauve les meubles et pousse Hitler à l'erreur fatale qui consiste à ne pas envahir l'Afrique du Nord, future base d'attaque contre lui. Il nous rejoue le coup de de Gaulle ambitieux sans scrupules qui fait carrière comme diviseur-épurateur de la malheureuse France vaincue.
Ces arguments se heurtent aux objections suivantes : Hitler avait-il en 1940 l'intention d'envahir l'Afrique du Nord ? Non. En avait-il les moyens ? Non. Les signataires français de l'armistice avaient-ils conscience de faire commettre une faute (éventuelle) à Hitler ? Non. Est-ce que l'armistice a empêché Hitler de faire débarquer Rommel en Afrique quand il en a eu envie ? Non.
Argoud s'appuie sur certaines déclarations de Churchill en omettant de les mettre en perspective.
Il passe directement à la guerre d'Algérie. Saut étrange car la formation à la guerre contre-insurrectionnelle s'est faite en Indochine pour la plupart des officiers, il est vrai qu'Argoud n'y a pas participé. On ne comprend pas la guerre d'Algérie si l'on n'a pas en tête l'exemple indochinois.
Argoud est très clair : le but de la guerre contre-insurrectionnelle est la conquête de la population, afin que les terroristes s'y sentent étrangers. Pour lui, cela passe par le triptyque protéger, encadrer, contrôler. Protéger signifie contrer le chantage sur la population pratiqué par les terroristes. Pour Argoud, cela implique nécessairement à un moment ou à un autre l'usage de la torture pour extraire des renseignements sur les terroristes cachés dans la population (voir la video ci-dessous) :
Yacef Saadi vs Colonel Roger Trinquier 1970 par Ali_La_Pointe
Argoud était contre la «corvée de bois», l'exécution au cours d'une fausse évasion. Lui était pour la justice sommaire mais publique, qui s'assume, qui a valeur démonstrative.
Argoud différencie la morale publique, collective, de la morale privée, individuelle. Il comprend qu'un homme puisse avoir des scrupules à torturer, pas un pays (Jean Dutourd fait exactement la même distinction, l'humour en plus, dans Les taxis de la Marne). Pour lui, le refus collectif de la torture, qui fait passer la morale individuelle avant la morale collective, est une lâcheté qui révèle la décadence du pays (1). Il oppose aux dénonciateurs de la torture le même genre d'argument qu'on oppose habituellement aux pacifistes : ceux-ci sont irresponsables en préférant sacrifier l'avenir à leur confort d'âme immédiat.
Ne pas s'engager, ne pas se battre, ne pas torturer, c'est douillet. Mais, face à des ennemis qui n'ont pas ces scrupules (et l'homme étant ce qu'il est, il y a toujours des ennemis qui n'ont pas ces scrupules), cette attitude conduit à la perte de la société dans laquelle on vit et cette perte est à terme bien plus lourde de malheurs que les mesures violentes, refusées par les belles âmes. Si l'on fait dans la comptabilité macabre, que pèsent les quelques milliers de torturés par l'armée française face aux dizaines de milliers de harkis assassinés dans des conditions atroces par le FLN, certains ébouillantés vifs ?
On trouve sur internet une critique par Pierre Viansson-Ponté des méthodes d'Argoud. Cette critique manque d'élévation et d'intelligence : elle me paraît digne d'un adolescent point trop finaud … Ou d'un intellectuel germanopratin. En effet, le raisonnement «il a torturé donc c'est un salaud. Ouh là là, c'est mal la torture» évacue le problème avant même qu'il ne soit posé. Aucun de ceux qui ont approché Argoud ne l'a décrit comme un minable (2), et pourtant, après une réflexion et une analyse dont il s'explique clairement dans son livre, il a décidé de torturer et de pratiquer la justice sommaire publique. La posture purement moralisatrice passe à coté des difficultés de la vraie vie, celle où un homme de devoir est obligé de choisir entre trahir sa mission et torturer. Cette attitude de père-la-morale est d'autant plus ridicule que c'est dans ce même milieu des moralisateurs gauchistes qu'il s'est trouvé des «porteurs de valises» pour aider le FLN à préparer des attentats qui n'épargnaient ni les femmes ni les enfants (3).
Je comprends les arguments d'Argoud. Utiliser la morale individuelle pour juger la pertinence d'une politique est plus qu'une erreur, c'est un péril mortel. Je me félicite de ne pas être devant le choix de torturer ou de trahir. Pourtant, il se peut que notre génération ou la suivante ait à choisir le niveau de violence acceptable au cours de la guerre raciale qui s'annonce (4).
La force rétrospective de ce livre vient aussi que l'argument gaullien «Colombey les deux mosquées» (5) a perdu beaucoup de sa valeur : nous avons abandonné l'Algérie et cela à peine retardé la contre-colonisation de dix ans. Alors quoi ? Nous avons abandonné le pétrole et le gaz algériens mais nous sommes envahis comme si l'Algérie était encore française. Les défenseurs des limes retrouvent de la pertinence.
Pour l'anecdote, Argoud s'est reconverti dans la graphologie. Il a été expert dans l'affaire du petit Gregory avant d'être rapidement mis sur la touche. On ne s'étonnera pas que son analyse de l'écriture de De Gaulle révèle un caractère trompeur. La conclusion d'Argoud est terrible :
Vous pourrez aussi trouver un passionnant entretien avec Argoud par Jacques Chancel en 1974 (je note au passage que c'est un exemple que l'expression était plus libre à l'époque. On n'ose imaginer en 2011 une telle émission sur une radio publique. On entend déjà les Fouquier-Tinville du «dérapage» appeler au licenciement de l'animateur) :
Argoud - Radioscopie
A la fin, il y a un passage sur les intellectuels absolument savoureux encore aujourd'hui. Le passage sur les généraux est également très actuel : les généraux français sont promus en proportion de leur servilité. Ce sont des roseaux, éventuellement peints en fer, ce qui qui aggrave le problème. Cette souplesse d'échine des officiers supérieurs est une plaie de l'armée française, moins visible mais aussi dommageable que la proportion de maghrébins mal intégrés.
Alors ? Vous avez compris que je suis opposé à Argoud sur son analyse du pétainisme. Je suis plus proche de lui sur son analyse de la guerre d'Algérie. Cependant, c'est un bonheur d'être confronté avec un homme si droit en notre monde de mollusques.
Si je pense que la France est en pleine décadence, je ne suis pas désespéré. Je crois qu'il est dans l'essence de certains hommes d'être droits envers et contre tout, y compris contre leur époque. Je ne prends pas plaisir à ce que 99 % des Français soient des lavettes et je n'ai pas la réponse à la question «serais-je capable de me sacrifier ?», mais je sais qu'il y aura toujours quelques hommes dont la droiture et l'esprit de sacrifice rachèteront bien des crimes, des fautes et des lâchetés.
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(1) : remarquons qu'on peut lire presque tous nos problèmes à la lueur de cette confusion funeste. Q'un individu veuille accueillir un immigré à ses frais et sous sa responsabilité, pourquoi pas ? Mais qu'il en tire que la société doive l'imiter est une folie. Qu'un individu veuille se montrer solidaire avec les pauvres et leur donner de l'argent, pourquoi pas ? Mais qu'il oblige la société à faire de même, erreur fatale. Etc.
(2) : ce qui n'est pas le cas d'Aussaresses par exemple.
(3) : c'est ce genre de propos, à la Le Monde, qui me conforte dans l'idée que la posture moralisatrice est la facilitée des idiots.
(4) : parmi les déclarations du maire écologiste de Sevran qui ont fait sensation, on note : «D'ici quatre ou cinq ans, si le manque d'effectif policier persiste, les forces armées seront envoyées dans les banlieues.» Pour ma part, je crois que cela sera le cas quels que soient les effectifs policiers
(5) «C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu'on ne se raconte pas d'histoires ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leur djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l'intégration ont une cervelle de colibri, même s'ils sont très savants. Essayez d'intégrer de l'huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d'un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l'intégration, si tous les Arabes et Berbères d'Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées !»
Conversation entre De Gaulle et Alain Peyrefitte le 5 mars 1959 suite aux événements d'Algérie
C’était de Gaulle, tome 1, Alain Peyrefitte, éd. éditions de Fallois/Fayard, 1994 (ISBN 9782213028323), p. 52
samedi, juin 25, 2011
La décadence, l'imposture et la tragédie (A. Argoud)
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