mercredi, juillet 24, 2024

De sable et d'acier. Nouvelle histoire du débarquement (Peter Caddick-Adams).

Je ne peux pas dire que ce livre soit une découverte totale. L'histoire du débarquement en Normandie, je maitrise déjà assez bien.

Mais ce livre est un pavé et j'ai appris quelques petites choses.

Pour ce billet, je pars du principe que tout le monde a vu le film Le Jour le plus long (lu le livre, c'est mieux) et a quelques notions.

La préparation

L'entrainement

Il y a eu plus de morts à l'entraînement que pendant l'opération elle-même. Mais des morts étalées sur 4 ans puisque les premiers entrainements au débarquement datent de 1940.

L'entrainement s'est intensifié les six derniers mois. Il se faisait à balles réelles. D'où quelques victimes.

Il y a la catastrophe du 28 avril 1944 : des vedettes lance-torpilles allemandes font irruption dans une répétition de débarquement et coulent plusieurs navires. Plus de 700 morts. Dix officiers porteurs des plans d'Overlord sont parmi les victimes. Par miracle, les dix cadavres sont retrouvés avec les plans. Cet accident a été tenu secret jusqu'en 1974.

L'entrainement ne peut pas tout : il faut attendre le 9 juin pour constater que les plus gros navires de débarquement, les LST, peuvent s'échouer directement sur les plages normandes, sans pontons de transbordement, ce qui améliore considérablement la logistique (on pensait les plages normandes pas assez pentues pour permettre ce qui s'est fait en Sicile).

A l'issue de l'entrainement, l'optimisme est très prudent. Les généraux pensent que le débarquement réussira ... avec 50 % de pertes.

La Big Week

Six mois avant le débarquement, la supériorité aérienne n'est pas acquise.

En février 1944, la Big Week : l'USAAF et la RAF se relaient jour et nuit pour pilonner l'Allemagne pendant une semaine. Les pertes sont importantes mais la Luftwaffe est obligée de monter défendre ses villes. Elle subit des pertes matérielles et humaines qui sont pour elle irréparables.

Le déclin de la Luftwaffe commence. Pas trop tôt par rapport au débarquement.

Les bombardements sur la France

C'est un marronnier qui revient désormais tous les 6 juin : les larmes de crocodile des anti-Américains sur les victimes françaises des bombardements préparatoires au débarquement.

Je n'en discute plus sur Twitter, c'est inutile : ceux qui en parlent cherchent juste un prétexte pour exprimer leur anti-américanisme, pas une discussion historique honnête et sérieuse.

Faisons le point :

1) Beaucoup de bombardements ont tapé à côté des objectifs, sur des quartiers d'habitation, provoquant une fureur plus ou moins justifiée (Pierre Clostermann en parle).

2) Dans les conditions techniques de l'époque, il était possible de faire plus précis mais en prenant beaucoup plus de risques pour les équipages (en volant plus bas). Et pour un résultat marginalement meilleur : les groupes spécialisés dans le bombardement de précision étaient peu nombreux.

Même les unités françaises qui prenaient un soin tout particulier à essayer de réduire les victimes civiles n'ont pas réussi à les éviter.

3) Les Américains étaient moins préoccupés que les Anglais des victimes françaises. Churchill était très inquiet et a demandé l'arrêt de ces bombardements, c'est l'intervention de Roosevelt qui a fait qu'ils ont continué.

4) Il y a eu moins de 10 000 victimes civiles de la préparation du débarquement (sur 60 000 victimes de bombardement au total). C'est toujours trop mais on est très loin des craintes de Churchill.

5) Ces bombardements ont été efficaces : les mouvements de l'armée allemande ont été très gênés.

Bref, les morts civiles de bombardement sont le prix de la liberté. Les Alliés auraient pu mieux faire, mais très marginalement. La polémique a plus de raisons d'être pour Saint Lô et Caen, bombardements totalement inutiles d'un point de vue militaire.

Est-ce que les Américains considéraient les Français comme des sous-hommes vaguement sympathiques, des Indiens d'Europe ? Oui. C'est probablement le plus choquant.

La polémique sur les bombardements a donc un petit fond de vérité, mais elle est enflée au-delà de toutes proportions raisonnables.

Au sein des Alliés, il y a aussi une polémique sur l'utilisation des bombardiers lourds. Les azimuthés du bombardement stratégique, Spaatz et Harris, sont persuadés de pouvoir remporter la guerre à eux tout seuls et ils ne veulent pas lâcher un seul appareil pour la préparation du débarquement. A part leur petit entourage de courtisans, tout le monde sait que c'est absurde. Heureusement, la pression de Churchill et de Roosevelt règle le problème.


Le renseignement allemand

Aussi étrange que cela puisse paraitre, les renseignements allemands à la base ont assez bien deviné que le débarquement aurait lieu en Normandie. Mais l'organisation darwinienne (plusieurs service en compétition féroce sur le même sujet) de l'Etat nazi a empêché cette analyse de se transformer en décisions au sommet.

De plus, les Allemands ont commis une erreur d'analyse majeure sur la date : pensant que les Alliés débarqueraient à marée haute et plutôt par lune partielle, ils ont calculé des dates potentielles complètement erronées.

L'opération

La réussite des dragueurs de mines

C'est un aspect de l'opération pas très exaltant mais qui inquiétait beaucoup le commandement. Avec une telle densité de navires, les mines auraient pu faire des ravages. Les dragueurs de mines ont fait un excellent travail, mieux qu'espéré.

L'étonnant succès des Ruperts

Les Ruperts sont ces mannequins lâchés en deux points de l'arrière du front (en plus des vrais parachutages) accompagnés de 6 SAS chargés de diffuser des sons enregistrés.

Ils sont très mal représentés dans le film Le jour le plus long. Loin d'être des mannequins réalistes, ce sont des sacs de sable et d'explosifs dessinant vaguement une silhouette humaine. Surtout, ils explosent en arrivant au sol, laissant peu de traces interprétables.





Les Ruperts distraient jusqu'au soir du 6 juin, une division blindée et une division parachutiste. Excusez du peu. Les points de largage ont été bien choisis, rendant l'opération, si elle n'avait pas été factice, dangereuse, d'où la réaction allemande.

C'est sans doute une des opérations les plus rentables de l'histoire des guerres : quelques centaines de mannequins et six parachutistes pour deux divisions.


Utah Beach

C'est, du côté de Cherbourg, la plage stratégique. Sword, du côté de Caen, est son pendant. Les plages entre les deux bouchent l'intervalle.

Le débarquement à Utah n'a pas été la promenade de santé qu'on présente habituellement. Les parachutistes, qui ont beaucoup fait pour que cela se passe pas trop mal, ont eu la moitié de pertes.

Les Américains sont remarquablement commandés par Teddy Roosevelt, fils et cousin de présidents des Etats-Unis.




Omaha Beach

Le désastre d'Omaha a trois causes :

1) La défaillance des renseignements alliés, qui n'ont pas compris, malgré les informations de la Résistance, que la plage était bien fortifiée.

2) L'état de la mer. Beaucoup de soldats sont morts noyés à cause de rampes abaissées trop tôt (les pilotes de chalands ont plusieurs rotations à faire, ils craignent de s'échouer. L'entrainement ne les a pas préparés à des conditions si mauvaises). La plupart des radios sont perdues.

3) La décision de débarquer dans la première vague des blindés, qui se sont faits allumer comme à la fête foraine par l'artillerie allemande et n'ont servi à rien, mais ont perturbé le débarquement des fantassins.

Probablement que les Allemands auraient rejeté les Américains à la mer s'ils étaient sortis de leurs abris pour contre-attaquer.

Le général Cota (Robert Mitchum dans Le jour le plus long) et son adjoint Canham sauvent la journée. Cota se balade en première ligne en agitant son Colt 45. Il comprend qu'il faut oublier le plan et avancer coûte que coûte, quitte à se faire tuer en avançant, plutôt que de rester sur cette plage qui est un piège mortel.

Canham est blessé alors qu'il coupe lui-même des barbelés.

Les pertes d'officiers atteignent 50 %. Dans toutes les armées de toutes les guerres depuis l'âge des cavernes, les grosses pertes d'officiers indiquent que la situation n'est pas bonne.

Le capitaine Goranson (qui a inspiré en partie le rôle de Tom Hanks dans Le soldat Ryan) des Rangers prend une des ces initiatives qui renversent le cours d'une bataille. Débarqué au mauvais endroit, sur le mauvais objectif, il décide d'attaquer à revers la fortification qui se trouve devant lui. Or c'est le point d'appui allemand le plus meurtrier, celui qui bloque la plage. Il y passe la journée, perd les deux tiers de ses hommes, mais à 16h00, le complexe de fortifications est nettoyé. Il n'a pas fait de prisonniers.

Vers 9h00, comprenant que les choses se passent mal, les navires de bataille se rapprochent de la côte au risque de s'échouer, certains sont même mitraillés depuis les bunkers. Mais les fantassins ont raconté le réconfort de se faire survoler par des obus amis de 356 mm. L'USS Texas a vidé ses soutes, 200 obus de 356 mm. Je n'aurais pas aimé être dessous. Avec le recul, il apparait que des obus fumigène auraient été bien utiles (encore une chose que les répétitions n'avaient pas permis de voir).

La réussite des Canadiens Juno    

Ce sont les plus méconnus. Il arrive qu'Hollywood montre des Anglais, jamais des Canadiens.

C'est dommage, car c'est le débarquement le plus réussi avec Utah : bon séquençage du débarquement, répartition des engins spéciaux judicieuse.

Caen, Gold et Sword

Caen se trouve à 12 km des plages les plus proches. Tous les acteurs, Alliés et Allemands, ont bien identifié cette ville comme le pivot d'une défense de la Normandie en provenance de l'est. D'autant plus que Caen ouvre aussi la Normandie sur la plaine de Falaise, qui libère les forces armées de l'enchevêtrement du bocage.

C'est donc un objectif majeur du débarquement, qui doit être atteint dès le jour J, ou J+1 au plus tard.

Les Anglo-canadiens parcourent les 6 premiers kilomètres vers Caen en 12 heures. Ils mettront 2 mois pile pour parcourir les 6 km suivants. A la guerre, les occasions perdues se rattrapent rarement (en septembre 1914, les Français ont peut-être perdu la « course à la mer » pour avoir démarré deux jours trop tard, à cause de l'épuisement des troupes).

La cause de cet échec majeur (c'est le gros échec du débarquement) n'est pas un mystère. Cet imbécile vaniteux de Montgomery n'a pas mis la priorité et les moyens qu'il fallait sur cet objectif. Eisenhower finit par lui retirer de fait le commandement des forces terrestres en septembre 1944 (il le conserve nominalement, mais, en pratique, c'est autre chose).

Il aurait fallu débarquer sur une plage à l'est de l'Orne, pour couper l'arrivée des renforts à Caen par l'est, ce que certains avaient envisagé (il faut toujours se méfier de l'anachronisme, de penser à des choses avec le savoir rétrospectif). C'était risqué, mais moins que les 80 000 victimes (dont 3000 morts civils français) de cette interminables bataille. A la guerre, l'incompétence des généraux est payée par le sang des soldats  (l'inverse est vrai : les pertes de la 2ème DB diminuent quand elle est sous le commandement de Leclerc et non de de Lattre de Tassigny).

Certes, Montgomery était contraint par la logistique du débarquement sur les plages. La tempête du 19 juin a gêné. Mais cela n'explique pas tout.

Le gros talent de Montgomery a été de se faire une image de général très britannique à un moment où le moral flanchait, c'est bien mais pas suffisant. Comme on dit chez les modernes, il a atteint son seuil d'incompétence en Normandie.

Les débarquements anglais ont aussi été de gros bordels, mais comme il n'y avait pas Hollywood pour en faire tout un cinéma, on s'en fout.

Une réussite en demi-teinte

Les débarquements ont été une réussite, surtout à Utah Beach, puisque les Alliés n'ont pas été rejetés à la mer.

Tout de même, certains vétérans ont dit que cela leur rappelait la bataille de la Somme, avec des ordres de marche bien trop détaillés et contraignants et une préparation d'artillerie totalement inefficace, dont la seule fonction fut de laisser à l'ennemi le temps de se préparer.

Même erreur en septembre 1944 avec l'opération Market-Garden.

En revanche, quand ça merdé, il y a eu de très bonnes improvisations. Par exemple, quand les croiseurs ont fait de l'appui-feu rapproché, en observant ce que les quelques blindés sur la plage visaient. On imagine les dégâts si cela avait été préparé (distribuer aux troupes débarquées des fumigènes et leur dire « Les bateaux tireront là où vous mettrez les fumigènes »).



Célèbre photographie d'Omaha Beach In the jaws of death

En revanche, pour les Allemands, c'est une claire défaite.

Empêcher les Alliés de débarquer était impossible, du fait de l'appui-feu des croiseurs et de l'aviation, mais ils pouvaient espérer les tronçonner et les empêcher de se déployer.

Le général Marcks, pourtant considéré comme un des meilleurs généraux allemands, se rate complètement, comme un joueur de football en méforme. En se laissant distraire par les Ruperts, il manque l'occasion d'attaquer les Anglais à un moment critique. Il est tué à Saint-Lô le 12 juin.

Néanmoins, fidèle à sa réputation d'agressivité, la Wehrmacht réussit à couvrir Caen en réagissant plus vite que les Anglais. Le temps perdu ne se rattrape pas. Les historiens disent « Pour faire ce qu'a fait une section le jour J, il fallait un bataillon à J+1 et une division à J+2 ».

A partir de J+2, les aérodromes de fortune s'installent sur la tête de pont et la supériorité aérienne écrasante des Alliés fait qu'ils ne peuvent plus être battus.

A ce moment là, la première semaine de juin 1944, les généraux allemands savent que la guerre est perdue (à l'est, l'opération Bagration, qui démontre l'excellence opérationnelle de l'Armée Rouge, déclenchée le 22, va achever de les convaincre). En deux mois, les Allemands perdent un million d'hommes.

Pourtant, la guerre va encore durer un an. Mais c'est une autre histoire.

samedi, juillet 13, 2024

Un p'tit truc en plus

 Comme je dois être un des très rares en France qui n'avaient pas encore vu ce film, je ne vais pas m'éterniser.

Deux braqueurs, père et fils, se réfugient dans une colonie de vacances pour handicapés, afin d'échapper à la police.

C'est bien fait, sans mièvrerie. C'est marrant, on passe un bon moment.

Les fins observateurs auront remarqué la plaque « Simone Veil » à la fin du film. Il est très douteux que ce soit un hommage.

On notera, phénomène désormais habituel, que ce film est boudé par Paris dans les mêmes proportions qu'il est plébiscité par la province (« si l'on examine les chiffres relayés par le site CBO Box-office, les entrées parisiennes du film représentent moins de 10% du total. A la date du 29 mai, les entrées représentaient 345 000 entrées à Paris sur un total de 4,5 millions »). Les Parisiens sont vraiment des connards, des handicapés mentaux dans leur genre, mais ce n'est pas une découverte.

samedi, juillet 06, 2024

Sidney Cotton: The last plane out of Berlin (Jeffrey Watson)

Sidney Cotton illustre parfaitement l'idée (de bon sens, mais que si peu comprennent) qu'il est vain d'attendre des hommes extraordinaires qu'ils agissent comme des gens ordinaires.

Beaucoup de crétins se sont moqué, pendant le délire covidiste, des excentricités de Raoult. Mais, sans ses excentricités, il n'aurait été qu'un petit prof de médecine de merde, qui aurait pensé toute sa vie comme tout le monde et n'aurait jamais rien découvert.

D'Astier de la Vigerie disait avec coquetterie des premiers Résistants : « Nous étions des ratés ».

Australien né en 1894, Sidney Cotton est l'inventeur de la reconnaissance stratégique moderne, homme à femmes, cycliquement riche et sur la paille, il a inspiré en partie Ian Fleming pour James Bond.

Il est aviateur naval pendant la première guerre mondiale, mais c'est ensuite que sa vie prend un tour intéressant.

En 1938, il se fait payer, en tant que civil, un Lockheed Electra (alors la pointe de la technique) conjointement par le Deuxième Bureau et par le MI6.

L'authentique Electra de Cotton 

Il se balade au-dessus au dessus de l'Allemagne comme homme d'affaires, avec des caméras dernier cri qu'il a installées lui-même, prenant en photos toutes les installations d'intérêt militaire. Son assistante, Pat Martin, est une superbe jeune femme (affectée d'un pied bot, mais parait-il que cela nuisait peu à sa beauté) de 27 ans sa cadette. Inutile de faire le calcul : elle avait 17 ans. Il la libérera ensuite en lui disant d'aller faire sa vie avec un homme de son âge. Elle en gardait un souvenir ému (ça se comprend : faire l'espionne à 17 ans en compagnie d'un homme riche, séduisant et sympathique, une vie de rêve).


Bien sûr, il a fait les premiers voyages à vide, pour laisser aux Allemands le loisir d'inspecter son appareil sous toutes les coutures. Les Allemands ne sont peut-être pas totalement dupes, mais comme ils ont un intérêt politique à faire peur aux Britanniques, ça passe.

Il s'acoquine avec l'entourage de Goering. Comme il ne manque pas de toupet, Cotton emmène des nazis voler en même temps qu'il prend des photos (les appareils sont vraiment bien dissimulés, c'est du travail d'artiste).

En août 1939, Cotton a l'idée saugrenue, qui donne des sueurs froides à ses commanditaires (toute sa vie, il sera un électron libre) de sauver la paix lui-même par l'intermédiaire de Goering. Bien sûr, cela échoue. Mais il a le douteux privilège d'être le dernier pilote étranger à quitter Berlin juste avant le début de la guerre, il a eu chaud aux fesses.

La reconnaissance stratégique

Incorporé dans la Royal Air Force pour des raisons administratives, il est toujours aussi peu militaire.

Il installe son équipe de pirates dans un coin isolé d'un aérodrome civil (Heston).

Il réclame deux Spitfires, à l'époque où ils valent leur poids en or massif. On les lui refuse. Pas grave, il s'arrange avec Supermarine pour aller les chercher à l'usine. Gros bordel administratif et susceptibilités froissées.

Ils les dépouillent de tout leur équipement militaire (blindage, mitrailleuses etc) et les truffent de caméras et de réservoirs. Le RAE (Royal Aircraft Establishment) de Farnborough (la sépulture de Napoléon III est à Farnborough), l'équivalent de notre STAé, lui dit que ça ne marchera jamais, à cause des problèmes de centrage.

Les Spits de Cotton volent plus haut, plus vite et beaucoup plus loin (distance franchissable multipliée par 3) que les Spits ordinaires. Nouvelles susceptibilités froissées.

Il recrute des pilotes un peu particuliers. Le dicton est « Un pilote de grande reconnaissance, c'est un pilote de chasse avec un cerveau », en fait il préfère les pilotes de bombardier, plus posés, plus réfléchis.

Il professionnalise toute la chaine jusqu'à l'interprétation. Il remplace les bonnes vieilles loupes par de l'optique dernier cri.

Il va lui-même présenter ses albums de photos à Churchill, à l'époque premier Lord de l'Amirauté (la Navy aide Cotton pour des questions de rivalités avec la RAF, c'est comme ça que Ian Fleming, officier de marine, a fait sa connaissance). Nouvelles susceptibilités froissées, rengaine connue.

Ah oui, et Cotton se balade dans Londres en respectant très approximativement le code de la route, dans une Hotchkiss rouge, un peu l'équivalent d'une Ferrari. Le truc discret.

Beaucoup de susceptibilités froissées, certes. Mais il est soutenu par quelques pontes, tout simplement à cause de son efficacité. Avec 10 fois moins d'avions que les unités de reconnaissance classiques, il rapporte plus de photos, et meilleures.

Ses Spitfires ont vu la colonne blindée allemande qui traversait les Ardennes.

Un des problèmes de ces reconnaissance à haute altitude est que les vols sont détectables par les trainées de condensation (hello, les crétins qui croient aux chemtrails).

La bureaucratie fait la peau de Cotton

Comment vient à Cotton l'idée, objectivement idiote, d'aller repêcher contre rémunération Marcel Boussac en pleine débâcle de 40 ? Finalement, cela ne s'est pas fait, mais cette histoire a entachée la réputation de Cotton comme si cela s'était fait.

Bien entendu, ses ennemis s'en donnent à cœur joie, mais bon, il a un peu cherché. On lui reproche aussi d'avoir généreusement distribué l'argent de la RAF à des amis. C'est vrai, mais ils avaient des compétences que la RAF n'avait pas. Qu'est-ce qui coûte le plus ? De l'argent jeté par les fenêtres pour un truc qui marche ou entretenir, en comptant chaque shilling conformément aux procédures, une escadrille totalement inefficace ? La réponse des bureaucrates, ces sous-hommes, vous la devinez.

Mais il est vrai qu'il y avait des accusations plus sérieuses : le mélange militaire/civil missions/affaires laisse un goût désagréable, on n'est jamais loin de la concussion. Et puis, il vend des armes américaines pour son propre compte aux Français.

Les Français le détestent. Son côté mythomane nuit à sa crédibilité. Et sa manière de se balader avec une escorte de jolies femmes fait bien peu militaire, et les militaires français sont assez coincés (même si une rumeur, infondée, bien sûr infondée, dit qu'il est allé au bordel avec Vuillemin, le chef d'état-major de l'armée de l'air).

Bref, le proverbial vase et la non moins proverbiale goutte d'eau ...

Il est privé de son unité et restera conseiller technique. Mais les bureaucrates de la RAF ont quand même été assez avisés pour se débarrasser de lui quand son unité était sur les rails. La Bataille d'Angleterre n'est même pas commencée que la carrière de Cotton comme aviateur est finie.

Puis il est emmerdé pour avoir travaillé avec une puissance étrangère ... les Etats-Unis. La bêtise bureaucratique à front de taureau. A l'époque, la politique britannique était de tout faire pour attirer les Américains dans la guerre (on est à quatre mois de Pearl Harbour).

Probablement une dénonciation de la RAF : pour des raisons que j'ai expliquées dans un autre billet, la hiérarchie de la RAF des années 40 était, à quelques brillantes exceptions près qui ont sauvé les meubles, un ramassis de sales cons. La RAF, eu égard aux moyens énormes qui lui étaient alloués, fut plutôt un échec. Les villes allemandes ont été rasées, et alors ? Pour quel impact militaire, économique et politique ? Plus d'officiers aviateurs britanniques sont morts pendant la deuxième guerre mondiale que d'officiers d'infanterie pendant la première guerre mondiale.

On ne sait pas bien ce que Cotton a fait entre 1940 et 1945. Probablement pas grand'chose.

Trafiquant d'armes

Après la deuxième guerre mondiale, il y a : des guerres de décolonisation, des armes et des avions bradés, des pilotes au chômage.

Cotton n'est pas le seul à avoir l'idée d'additionner tout cela. Il gagne des fortunes, qu'il dépense aussitôt en prostituées et en drogue.

Les prostituées, c'est affaire de goût. Mais la drogue à 50 ans, ça fait vraiment minable (à tous les âges, d'ailleurs).

Dans les années 50, alors qu'il aurait pu profiter des quelques millions qu'il lui restait, il s'embarque dans une histoire d'achat de concession de pétrole. Il se fait rouler dans la farine par les Saoudiens (il est bien trop brouillon et impulsif pour l'emporter face à des arabes patients et retors) et sort ruiné de cette aventure.

Une triste fin

Il se remarie en 1951 avec sa secrétaire de trente ans sa cadette (une de ses ex-épouses a fait remarquer qu'il n'aurait pas supporté le choc d'une femme qu'il n'aurait pas dominée). Ils ont deux enfants. La misère après l'affaire saoudienne (qui n'arrête pas les folles dépense de Sidney) détruit le mariage.

Son épouse, aigrie avec quelque raison, dira toute sa vie qu'un seul mois du temps de leur splendeur leur aurait permis de finir leur vie tranquilles au lieu de quoi Sidney Cotton a fini sa vie en tapant les uns et les autres et n'a laissé que des dettes.

Il meurt en 1969.

Une reconnaissance (!) tardive

Aujourd'hui, Sidney Cotton est considéré comme le père de la reconnaissance stratégique : avions spécialement adaptés, matériel photographique de pointe, notamment la prise de photos déroulante, équipe d'interprétation professionnelle.

Ces éléments existaient plus ou moins dans d'autres forces aériennes, mais jamais systématisés ainsi (Saint-Exupéry était un pilote de « grande reconnaissance », mais c'était le moyen-âge par rapport à ce que faisait Cotton).

C'est avec Cotton qu'ont lieu les reconnaissances systématiques en profondeur, en territoire ennemi.