Evidemment, les gens qui pensent que parler d'argent, c'est ouvrir la boite à gros mots vont me reprocher d'avoir copié cet article de Paul Fabra dans Les Echos. Tant pis pour eux.
Dans un article récemment publié dans les éditions européennes du « Wall Street Journal », Milton Friedman attirait l'attention sur un paradoxe peu remarqué. Il a trait au décalage entre d'une part la croyance assez largement partagée aux Etats-Unis et dans le reste du monde que l'économie de marché a triomphé de l'intervention de l'Etat et, d'autre part, l'accroissement de la place effective occupée par le secteur public dans le PNB.
Le célèbre économiste a beaucoup contribué au retournement d'opinion qui s'est produit à partir de la fin des années 1960. La confiance dans l'action du gouvernement a fait progressivement place à l'engouement pour les marchés libéralisés et pour un Etat minimal. Notre auteur d'ajouter aussitôt : « Pendant la même période, le rôle effectif du «gouvernement» aux Etats-Unis a changé du tout au tout - mais précisément dans la direction opposée. » De 1945 à 1955, le pourcentage des dépenses publiques (engagées tant par l'Etat fédéral que par les Etats fédérés et les municipalités) de caractère civil absorbaient en moyenne 11,5 % du revenu national. En 1983, la proportion était montée à 30 % où en gros, elle se trouvait encore en 2003.
Vu le thème qu'il a choisi, le théoricien du néolibéralisme (au sens européen du terme) a tort de laisser de côté, dans ses évaluations, les dépenses militaires. Bush Jr les a considérablement augmentées. Faire dépendre des commandes militaires l'activité d'une fraction de plus en plus importante de l'industrie, c'est réduire le champ de l'économie régie par les lois du marché. La remarque vaut au moins autant pour la France.
Un autre trait commun aux deux pays ressort de la constatation rétrospective suivante : combien discrète était en France l'intrusion des pouvoirs publics dans la sphère du privé pendant les années réputées du dirigisme militant ! On pourrait illustrer ce point de mille façons.
Vous pouviez à l'époque rebâtir un corps de bâtiment délabré vous appartenant. On n'avait pas introduit cette perle de l'ingérence de l'autorité : l'autorisation administrative pour des travaux « exemptés de déclaration » ! Plus généralement, la première marque de non-intervention de la collectivité dans la gestion de la vie quotidienne est l'importance de la part disponible du revenu.
A la fin des années 1950, les dépenses publiques au sens large représentaient environ 32 % du PIB, à quoi correspondait un pourcentage équivalent de « prélèvements » (impôts et cotisations sociales). Les finances publiques venaient d'être remises à l'équilibre. La proportion est depuis lors montée pour les dépenses publiques à plus de 54 %, le total des prélèvements obligatoires (PO) s'élevant à près de 44 %. Cette différence de l'ordre de 10 % fait problème. Elle se compare au déficit dit de Maastricht évalué cette année à 3,5 % ! A quoi tient ce gros écart ?
Notre explication est qu'elle est surtout due à l'absence de prise en compte des dépenses dites fiscales, autrement dit des allègements d'impôt (ou de cotisations) accordés à telle ou telle catégorie d'assujettis sans abaissement concomitant des dépenses budgétaires (ou de la Sécu). On doit y voir une subvention budgétaire à travers laquelle le bénéficiaire transfère sur d'autres contributeurs, via le budget, la charge dont il est exempté. L'allégement ne s'est pas traduit par une baisse à due concurrence des prélèvements obligatoires. Ces derniers n'ont pas, globalement, été affectés par l'allégement reconnu à telle ou telle catégorie de contribuables ou de cotisants.
Par exemple, tel est le cas pour les entreprises qui sont « subventionnées » pour avoir à payer 39 heures de travail leurs salariés passés à 35 heures. La subvention est allouée sous forme d'un dégrèvement de charges. Conséquence, l'évaluation des prélèvements que le gouvernement se targue d'avoir abaissés devrait être révisée en hausse ! Tout semble fait pour brouiller la vision du public. Le mode de calcul des PO n'est pas le même que celui pour évaluer le déficit déclaré à Bruxelles. Celui-ci fait apparaître un taux de PO plus élevé.
Pour la raison évidente qu'elles doivent être réglées comme l'est n'importe quelle dépense, les dépenses déficitaires rendent nécessaire l'appel à des ressources au-delà des sommes fournies par les contribuables ou les cotisants. En termes pratiques, les épargnants souscrivent des contrats d'assurance-vie fiscalement avantageux. Les organismes placent en OAT les sommes recueillies. Les plus riches peuvent échapper légalement à l'impôt (non sans risque au moment de la succession).
Comme chaque contrat est une transaction voulue par l'épargnant, le transfert de pouvoir d'achat qui en résulte en faveur du Trésor public n'est pas compté comme prélèvement obligatoire. Cependant, l'afflux d'épargne opéré de cette façon vers les caisses publiques est aussi automatique et régulier, la loi des grands nombres jouant, que s'il était opéré par le procédé coercitif de l'imposition ! Un comble : le déficit public, qui est un facteur majeur de détournement de l'épargne, fait apparaître les prélèvements publics sur le revenu national comme inférieurs à ce qu'ils sont en réalité ! Autant de moins pour le financement en fonds propres des entreprises ! Personne ne voit que ce détournement par le déficit budgétaire est la cause principale du chômage !
La fiscalité ne peut être ni rationnelle ni juste dans un pays où les dépenses publiques atteignent plus de la moitié du PIB et où le cinquième des dépenses sont financées par l'emprunt. Deux anomalies fiscales énormes contribuent largement au malaise français. D'un côté, une fiscalité directe très progressive (IR, IS, ISF, etc.) pèse lourdement sur les revenus moyens et élevés. L'exode (minimisé systématiquement) serait encore plus saignant si des échappatoires n'étaient pas offertes à leur titulaires. D'un autre côté, la fiscalité indirecte obère dramatiquement les petits budgets, contribuant à l'appauvrissement de millions de foyers. Elle fausse complètement les prix... du marché, plus gravement qu'ils ne l'étaient par les contrôles d'antan (heureusement) abolis. On leur a substitué désormais des distorsions autrement plus destructrices.
vendredi, décembre 24, 2004
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