Il y a naturellement des raisons à la régression politique que connaît ainsi la Russie. Shleifer et Treisman écrivent dans « Foreign Affairs » qu'elle n'est, comme le Mexique ou l'Argentine, qu'une « démocratie capitaliste à revenu moyen ». La médiocrité du revenu, poursuivent-ils, entraîne celles de la démocratie et du capitalisme. Vladimir Poutine s'en est tenu à une logique analogue devant les experts occidentaux qu'il a reçus à Novo-Ogarevo le 6 septembre dernier. La Russie, leur a-t-il confié, a la démocratie, les médias et le marché que lui permettent l'immaturité de ses citoyens, la dépendance de ses journalistes et son faible niveau de prospérité.
La thèse est sombre, mais se défend. Je doute simplement que le président russe ait décidé de tout niveler par le bas en vertu d'une quelconque philosophie du développement. On le sent plutôt guidé par la conception disciplinaire du patriotisme qu'il a acquise au service du « glaive et du bouclier ». Avec ce bagage, on orchestre les élections, on ne laisse pas les médias clabauder, on se méfie des patrons cosmopolites et on barricade le dernier carré de l'empire - le carré slave que Soljenitsyne avait déjà élu pour « réaménager notre Russie » - contre les débordements de l'Occident.
Le patriotisme de Poutine n'a pas que des inconvénients. Il est son côté vrai. C'est par là que le courant est passé avec la majorité de son peuple. En voilà un qui ne reproche manifestement pas à son président des tendances réactionnaires qu'il ressent lui-même, notamment en raison de promesses d'entrée dans le « monde civilisé » que la révolution libérale n'a pas bien tenues à ses yeux. Populaire hors du cercle de l'intelligentsia et de la presse écrite, le régime poutinien n'est donc pas une dictature. Il n'est pas non plus une Restauration. Poutine ne se bat pas pour la résurrection d'un système, il lutte pour le redressement d'un pays. Ce faisant, il oppose à ses interlocuteurs occidentaux des arguments d'intérêt national qu'ils peuvent comprendre. D'autant mieux, s'agissant des Américains, qu'ils ne sont pas pour rien dans l'absence de patriotisme reproché à Ioukos, comme dans les derniers craquements de l'espace communautaire russe. Les arguments du Kremlin passeraient mieux, cependant, s'ils n'invoquaient pas constamment l'inviolabilité du « chez soi » pour justifier l'arbitraire, la brutalité et les contre-vérités. La révolution civilisatrice lancée par Gorbatchev, et dont on fêtera les vingt ans le 11 mars prochain, montrait au contraire qu'il faut ouvrir grand sa porte aux principes qui gouvernent les grandes nations modernes.
vendredi, janvier 28, 2005
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