jeudi, février 02, 2006

Les champions nationaux contre la croissance

Cet article répète ce qu'avait écrit Jean-Pierre Gaudard dans Le mal industriel français : l'Etat français, énarchique, centralisateur, omnipotent, bureautique aime avoir peu d'interlocuteurs, d'où la faveur des grands groupes, mais économiquement, c'est une erreur stérilisante. Ce qu'avait dit aussi Alain Madelin sous la forme : "Il faut choisir : ou avoir un ministère de l'industrie, ou avoir une industrie."

A noter que les apparatchiks (ENA ou X-Mines) parachutés à la tête des grands groupes, étant à la fois inexpérimentés et incompétents dans le métier de leur société, sont condamnés à subir l'influence des modes de management, ce qui ne leur permet de se distinguer des concurrents, et à développer des stratégies abstraites passe-partout, qui, malgré les beaux discours, tiennent très peu compte des spécificités du métier, bref une recette assez sûre pour échouer (Alstom -ignorance du métier des turbines, par exemple)

Les acteurs publics naturels de l'industrie, si il en faut, sont les régions ; mais plus que partout ailleurs, le principe de subsidiarité (faire à l'échelon le plus bas possible) a du mal à vivre en France.

Là encore, nous ne faisons que payer des choix inégalitaires et conservateurs pour ne pas avoir voulu briser le mythe de l'Etat omnipotent et omniscient, ayant vocation à intervenir dans tous les domaines.

Les champions nationaux contre la croissance
AUGUSTIN LANDIER et DAVID THESMAR

Le Conseil d'analyse économique s'apprête à publier un rapport sur la compétitivité de l'économie française. Le constat est accablant : si quelques champions tirent leur épingle du jeu, la grande masse des PME françaises sont en perte de vitesse. Résultat : après près de deux décennies d'excédent commercial, la France renoue avec le déficit chronique. La perte de compétitivité de nos entreprises rappelle étrangement le début des années 1980, une époque de déroute économique que l'on croyait révolue. Selon les informations déjà publiées dans « Les Echos », les auteurs du rapport préconisent de privilégier le soutien public aux PME plutôt que de le concentrer sur quelques champions. On peut même aller plus loin : c'est parce que l'on dope nos champions que nos PME ne peuvent se développer. Parce que nous privilégions le statu quo, nous empêchons le tissu productif de se revitaliser.

Les champions nationaux sont un peu nos bijoux de famille : créés entre le XVIIIe siècle et les années 1960, nous les chérissons parce qu'ils font partie de la mythologie d'une prospérité économique perdue. Dans la grande tradition dirigiste française, l'un des axes de la politique gouvernementale consiste à apporter un soutien public sans faille à nos grandes entreprises. A première vue, ce dirigisme « new look » peut sembler prometteur : après tout, quel usage plus judicieux des fonds et des énergies publiques qu'aider nos grandes entreprises à innover, conquérir de nouveaux marchés et se protéger des prises de contrôle hostiles ? A y regarder de plus près, il y a pourtant des raisons de penser que cette politique de dopage des champions nationaux a des effets fortement toxiques sur notre économie.

Sous ses dehors patelins, ce type de patriotisme économique est en effet extrêmement coûteux pour les Français : il brise la dynamique de la croissance de long terme en rendant indirectement très difficile l'apparition de nouvelles grandes entreprises. En effet, les travaux récents confirment tous l'intuition initiale de Schumpeter : la croissance économique est un processus continuel de création destructrice. Quel que soit le pays, quel que soit le secteur considéré, les firmes existantes contribuent peu à la croissance. Celle-ci est dans sa majeure partie le fait des nouvelles entreprises, qui exploitent de nouvelles technologies, pour vendre de nouveaux produits.

Ainsi fonctionne le capitalisme. Impitoyablement, des entreprises nouvelles surpassent les anciennes, parce qu'elles servent à la fois mieux leurs clients, leurs employés et leurs investisseurs. Les capitaux, les talents et les consommateurs migrent alors des anciens champions vers ces jeunes champions qui peuvent ainsi se développer. Des emplois sont détruits, pour que d'autres soient créés.

En apportant un traitement de faveur aux champions en place, c'est le processus vital de régénération de l'économie qu'on ralentit, au risque de gripper la machine capitaliste et donc de bloquer la croissance. Artificiellement dopés par leur monopole de l'attention politique et donc des subventions à l'investissement, à la recherche ou à l'embauche, nos champions épuisent une large partie de nos réserves nationales de deux denrées qui font cruellement défaut à nos jeunes entreprises : les capitaux privés disponibles et les travailleurs qualifiés. De plus, lorsque de nouvelles entreprises cherchent à se mesurer au champion en place sur leur marché, le combat est déloyal si ce dernier est dopé par la protection publique. Le dopage du « tenant du titre » décourage les challengers potentiels. Dans certains secteurs, la puissance publique va même jusqu'à octroyer au champion en place un monopole de fait sur le consommateur. Cette politique anticoncurrentielle pèse sur l'ensemble des consommateurs et sur le niveau des créations d'emplois ; elle est aussi antiredistributive, puisqu'elle bénéficie aux actionnaires et aux salariés protégés.

Le bilan de cette politique de statu quo est accablant : les vingt-cinq plus grosses entreprises françaises actuelles existaient déjà toutes en 1960, alors que ce n'était le cas que de six d'entre elles aux Etats-Unis. Pourtant, en ce domaine, la richesse, c'est la jeunesse : la capitalisation boursière de jeunes entreprises comme Google, Microsoft, Amazon ou Yahoo! dépasse largement celle de General Motors ou Ford. C'est parce qu'on apporte aux champions actuels une aide démesurée que l'on empêche, dans notre pays, l'émergence des champions de demain.

Il s'agit évidemment de protéger l'emploi, la position stratégique de la France dans tel ou tel secteur, la fierté nationale. Mais, comme souvent en politique économique, c'est bien l'enfer qui est pavé de bonnes intentions.

AUGUSTIN LANDIER est maître de conférences à l'université de New York. DAVID THESMAR est professeur associé à HEC Paris.

2 commentaires:

  1. L'article est intéressant, mais votre introduction, pour une fois, laisse à désirer.
    J'ai la sensation que vous cédez à cette mode qui veut que les grands patrons soient non seulement surpayés, mais aussi incompétents. A se demander pourquoi les conseils d'administration des grandes sociétés ne s'en aperçoivent pas.
    Ou peut-être n'est-ce qu'un leurre, ou une exagération bien sentie?
    Le cas d'Alsthom que vous citez est emblématique. Ces fameuses turbines dont le futur était bien évidemment prévu par les syndicats (du moins dès qu'il fut advenu), n'étaient, ne vous en déplaise, pas mauvaises lors de leur achats. C'est un vice caché, absolument indétectable, qui fut à l'origine de la crise. Les attaques incessantes organisées contre le PDG d'Alsthom à l'époque (Pierre Bilger), l'ont contraint à quitter la direction de l'entreprise.
    Ce salaud de patron a tout de même eu la prestance de restituer les 4 (quatre!) millions d'euros que son contrat lui garantissait, afin de se donner la crédibilité nécessaire pour expliquer de quoi il en retournait. Je vous conseille donc la lecture de son livre "4 millions d'euros – Le prix de ma liberté", édifiant sur ce phénomène à la fois particulier à Alsthom dans ses caractéristiques spécifiques, et général, dans ce sens qu'il fait partie de la mode anti patrons dont je vous parlais plus haut.

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  2. Vous sentez bien que je vise un certain type de patron "politique" : je n'ai rien contre Carlos Goshn qui a fait toute sa carrière dans l'industrie.

    Les CAs des grands groupes sont trop souvent le dernier refuge de la République des copains, avec un jeu de "Tu me tiens, je te tiens, ...'

    Le vice caché des turbines ABB n'était pas si caché, disons qu'il y avait de sérieux doutes, mais les ingénieurs n'ont pas été écoutés.

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