jeudi, février 09, 2006

Les relents nauséabonds du "patriotisme économique"

par Vincent Bénart

La classe médiatico-politique française cèderait elle à la tentation de l'incantation xénophobe afin d'exorciser les peurs irrationnelles nées de son incapacité à faire face à nos crises ?

Voilà qu'après avoir brandi la menace terrifiante de l'invasion des plombiers polonais pour s'opposer à la libéralisation du marché des services, après avoir hurlé au loup yankee à l'annonce de l'hypothétique rachat de notre grand yaourtier multinational d'origine française par un grand limonadier multinational d'origine satanique -pardon, américaine-, politiciens de droite et de gauche se succèdent sur les ondes pour vitupérer l'OPA "hostile" de l'entreprise d'un milliardaire Indien, Laksmi Mittal, contre le sidérurgiste multinational aux racines françaises Arcelor.

Dernier en date, notre premeir ministre, qui a souhaité ce dimanche sur les ondes que "(les entreprises françaises) soient mieux armées pour résister aux attaques du type de l'OPA lancée par Mittal sur Arcelor. Il est important que nos entreprises puissent se battre à armes égales avec les entreprises étrangères", et d'évoquer la possibilité d'une intervention gouvernementale.

Aucun poncif ne nous aura été épargné. A commencer par celui de l'OPA "hostile": il faudra m'expliquer en quoi proposer à un actionnaire de lui payer ses actions à 20 ou 40% au dessus du cours habituel constitue un acte hostile envers sa propriété. L'actionnaire peut décider s'il préfère réaliser une plus value tout de suite, ou s'il croit que l'actuelle direction du groupe peut faire grimper le cours de l'action plus haut que le niveau de l'OPA dans un délai raisonnable: une OPA n'est donc jamais hostile aux propriétaires actuels d'une entreprise.On me rétorquera que L'OPA pourrait mener à des restructurations, "défavorables à l'emploi".

C'est oublier un peu vite qu' Usinor, Sacilor, Arbed, Aceralia et autres composantes originelles d'Arcelor ont connu par le passé des vagues de restructurations massives, et que pour la filière acier en France, l'interventionisme étatique, sanctionné par deux quasi faillites en 1978 et 1983, a engendré 200 milliards de francs de l'époque de charges de restructuration supportées par le contribuable Français. A cet égard, la position de certains portes-parole PS, qui parle de réintroduire l'état dans le capital d'Arcelor pour « protéger l'emploi », alors qu'il fut acteur privilégié de la débâcle de la sidérurgie Française nationalisée, est d'une hypocrisie sans nom.Or l'arrivée de M. Mittal dans le capital d'Arcelor ne recèle pas les mêmes risques que ceux naguère encourus par ces sociétés sous tutelle publique, loin s'en faut.

Il est en effet totalement inconséquent de tenter d'effrayer l'opinion publique en faisant croire, comme certains s'y essaient, que Mittal Steel paierait Arcelor 19 Milliards d'Euros uniquement pour en liquider les actifs: certes, il est tout à fait possible que des recherches d'économies aboutissent à rationaliser certains sites de production, ou les structures dirigeantes du nouveau groupe: en quoi cette situation est elle différente de celle connue par tous les autres groupes internationaux présents en France ou ailleurs, qu'ils soient ou non OP-ables ? Le problème qui en découle ne réside pas dans la destruction des emplois établis mais dans notre capacité insuffisante d'en créer de nouveaux.

D'une façon générale, une OPA permet aux actionnaires actuels soit d'échanger leurs actions actuelles contre celles du groupe futur selon des termes avantageux puisque l'offre qui leur est faite incorpore une surcote, soit de se retrouver avec des liquidités qu'ils peuvent à loisir réinvestir. Soit ces actionnaires actuels sont étrangers, et alors, eux ou Mittal, quelle importance, soit ils sont résidents français et désireux d'investir en France, et alors cela est tout bénéfice pour notre économie et notre balance des paiements. Le problème est de savoir si le territoire français est suffisamment compétitif pour permettre que ce réinvestissement nous profite, et c'est sans doute là que le bât blesse.

Les seules personnes qui peuvent sentir une pointe d'hostilité dans l'Offre de Mittal sont l'actuel PDG, Guy Dollé, et ses proches, qui seraient peut-être amenés à devoir céder leurs place à de nouveaux dirigeants si l'OPA réussissait. Et alors ? Les dirigeants d'entreprise sont les premiers à réclamer, à juste titre, plus de flexibilité du marché de l'emploi, ils doivent eux aussi être en mesure d'effectuer quelques efforts d'adaptation aux changements du monde qui nous entoure, et, de vous à moi, je ne suis pas trop inquiet pour eux.

Certains propos de M. Dollé pourraient en d'autres occasions passer pour xénophobes: Selon l'Express, "Guy Dollé, le patron d'Arcelor, s'était même montré particulièrement dur dans ses propos, estimant que Mittal était une "société d'Indiens" qui avait fait une offre "ridicule" consistant à payer les actionnaires "en monnaie de singe". Le gouvernement indien s'est dit choqué par de telles réactions, en rappelant que lorsque le groupe français de construction Lafarge a repris une bonne partie de son industrie du ciment, il lui avait été fait bon accueil".Que M. Dollé se sente menacé par l'OPA de Mittal, passe encore. Qu'il tente d'utiliser comme argument de défense le complexe de supériorité encore nourri par de nombreux européens face aux entrepreneurs des pays émergents est certes discutable et ne le grandit pas, mais j'admets que l'ineptie de tels propos ne regarde que lui.

Toutefois, que des officiels français, ou ceux qui espèrent occuper à terme leur fauteuil, tombent dans le panneau et agitent pour justifier une éventuelle intervention étatique la grande peur du milliardaire Indien qui va détruire un fleuron de l'industrie belgo-luxemburgo-hispano-française, voilà qui est regrettable, et qui ne contribuera certes pas à grandir l'image déjà passablement dégradée de la France dans le monde.

Je ne me souviens pas d'avoir entendu des officiels canadiens protester contre le rachat très récent de Dofasco par... Arcelor, justement.Thierry Breton, après avoir mal débuté cette affaire, s'était justement ressaisi, en précisant que "les actionnaires du groupe resteraient les seuls décisionnaires", ce qui semblait signifier que le gouvernement Français ne se mêlerait pas de leur choix.

Malheureusement, la dernière sortie audiophonique de D. de Villepin est venue contredire les propos de son ministre des finances. Encore une preuve, si besoin en était, que l'actuelle droite n'a pas de principes politiques et économiques arrêtés et conduit son action gouvernementale à vue en fonction des réactions présupposées de l'opinion. Navrant.

Il serait temps que nos dirigeants, tout comme l'opposition, arrêtent de gouverner par l'exploitation des peurs et de brandir le spectre de l'envahisseur étranger à chaque fois qu'ils croient servir leur intérêt politicien à court terme. La répétition de ce type de discours à la limite de la xénophobie ne pourra que produire des dégâts inestimables sur le long terme dans l'inconscient collectif des Français.

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