dimanche, mars 12, 2006

Guerre de tranchées entre historiens : des dangers de l'anachronisme et de l'idéologisation

Voilà le problème : les soldats de la guerre de 14-18 sont-ils partis volontairement ou ont-ils été contraints par des méthodes, des institutions et des officiers cruels ?

La première thèse est celle qui domine chez les chercheurs. La deuxième est celle d'une poignée de "gauchistes historiques" et qui a la faveur du public.

De ce que j'ai pu lire, il me semble à peu près évident que l'immense majorité ne contestait pas la nécessité de la guerre et qu'il fallait y aller, même si les méthodes étaient elles de plus en plus contestées. Les mutins de 17 n'ont jamais refusé de défendre mais de monter à l'attaque.

C'est pourquoi un film comme Joyeux Noël est ridicule et un Long dimanche de fiançailles tendancieux. C'était un autre temps avec d'autres hommes et d'autres valeurs.

Nous transposons trop facilement à notre temps, c'est oublier que la vie des paysans étaient moins éloignée de la vie des tranchées, y compris dans sa dureté et sa brutalité hiérarchique, que la nôtre.

Mais cette réponse nuancée et circonstancielle ne pèse pas grand'chose face à l'équation si plaisante, qui donne tellement bonne conscience, "soldats = exploités = bons", "officiers = exploiteurs = mauvais". C'est d'ailleurs faire fi d'un fait simple : bien des soldats, dont Marc Bloch, sont devenus officiers.

Je me demande si cette incompréhension ne vient pas de l'oubli du patriotisme et de la dureté du monde, que, des fois, il faut ce qu'il faut. Je suis en train de lire Marc Bloch, qui n'a jamais nié ni les absurdités de guerre ni sa nécessité. Une telle droiture, de nos jours, met vaguement mal à l'aise.

C'est dérangeant de nos jours où nous tenons si fort à nos propres vies, sommes si fort réticents au risque, de penser que la plupart n'ont pas été forcés d'aller se faire tuer pour la patrie.

Guerre de tranchées entre historiens

9 commentaires:

  1. et toujours le manque de nuances de Franck !

    et toujours ses autoportraits inconscients, notamment dans les titres ("dangers de l'idéologisation").

    moi, quand il y a deux thèses, ça m'excite les neurones et si à la fin je me sens obligé de trancher sans nuances pour l'une, je crie : "remboursez !"

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  2. Mais on sait effectivement à quoi s'en tenir avec vous, si je puis me permettre.
    En attendant, il me semble bien que les soldats, en 1914, partaient "la fleur au fusil", et je ne me rappelle pas avoir entendu que les officiers faisaient la distribution obligatoire desdites fleurs.
    Comme le dit Franck, le patriotisme, à cette époque, était beaucoup plus partagé qu'ajourd'hui (du moins, en France). De même que sous Napoléon, des centaines de millers d'hommes sont allés se faire charcuter pour sauver la patrie. Ils le faisaient aussi avec courage et honneur, et peu nombreux étaient les récalcitrants.
    La lutte des classes n'est, somme toute, qu'une invention récente qui, à mon sens, n'a servi qu'à faire couler du sang, sans qu'aucun autre but valable n'ait pu être atteint.

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  3. Juste un rectificatif : la lutte des classes n'est pas en soi un concept récent, ni d'ailleurs sa réfutation.

    Ce qui est récent, c'est la grille de lecture type western où il faut des bons et des méchants et où les décisions devraient être prises et les analyses faites en fonction de leur "gentillesse" affichée. On peut au moins reconnaître aux marxistes qu'ils étaient capables de raisonnements plus complexes.

    Que la lutte des classes caricaturée serve à définir ces bons et ces méchants est fréquent, mais ce n'est pas le seul critère simpliste utilisé.

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  4. ***Mais on sait effectivement à quoi s'en tenir avec vous, si je puis me permettre.***

    pourriez-vous vous permettre d'expliciter ?

    merci

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  5. Tout d'abord, je vous présente mes excuses, car ma formulation a pu vous paraître un peu sèche.
    Pour répondre à votre légitime question, je dirais que ma remarque se basait sur le ton de la vôtre, à savoir cette façon de catégoriser le discours de Franck. S'il est vrai que, sur un sujet donné, il est aisé de pressentir l'opinion qu'il en aura, cela n'est pas moins vrai en ce qui vous concerne (et moi-même, par ailleurs).
    Autant ses opinions libérales sont constantes, autant vos penchants gauchistes ne cessent de se faire sentir. Et c'est là le fond de ma réflexion : Comme beaucoup, vous faite preuve -de ce que j'ai pu lire de vous- de partialité quasi systématique dans la plupart de vos écrits, qu'ils concerne l'histoire, l'économie, ou la politique.
    J'espère avoir ainsi explicité ma pensée.
    Cependant, en creusant un peu plus avant, je remarque que c'est là un penchant bien humain, qu'il s'agit de combattre régulièrement. En effet, on a tendance à admettre comme vrai les arguments tendant à prouver que sa propre opinion est exacte, tandis qu'on est beaucoup plus critique envers ceux qui la mettent en doute. Cette tentation naturelle au manque de rigueur explique, selon moi, beaucoup de divergences d'opinion, et notamment les différentes interprétations de l'histoire. Les moins aptes à être impartiaux sont les idéologues et leurs fidèles, ce qui inclue les religions. Car une idéologie exige une implication totale, ne laissant nulle place au doute.
    Or, à bien y regarder, la gauche, peu pragmatique, se bat pour une idéologie. Ce n'est pas le cas de la droite, qui se bat pour des idées. La différence? L'idéologie est un plan général, et a réponse à tout. Les idées s'adaptent aux besoins, disparaissent si elles sont inadaptées, tandis que de nouvelles naissent lorsque c'est nécessaire.

    C'est peut-être cela que je sous-entendais -inconsciemment sans doute- lorsque je disais "qu'on sait effectivement à quoi s'en tenir avec vous".

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  6. bonsoir !

    merci de ces précisions.


    je ne vais pas, en ce qui me concerne, sur le Net pour défendre des points de vue idéologiques mais pour participer à des débats.

    En l'occurrence, celui sur la motivation des poilus me semble particulièrement complexe, et la présente façon de le réduire à un choc de deux options à prendre ou à laisser est très abusive.

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  7. Dans son ouvrage "Le crime de Napoléon, Claude Ribbe, historien citoyen, s'interroge: "Comment les exactions de ce despote misogyne, homophobe, antisémite, raciste, fasciste, antirépublicain, qui détestait autant les Français du continent que les corses, ont-elles pu, jusqu’à présent, rester ignorées du grand public?"

    J'exige la création d'un "comité pour l'analyse de l'histoire de France avec criticité et objectivité". En plus d'historiens, il pourrait être constitué de sociologues de représentants d'associations, de politiques, de syndicalistes et de libres penseur. La première tâche du comité pourrait être, pour tous les personnages clés (ou considérés comme tels par nos maîtres à penser) de l'histoire de France,de répondre à toute une série de questions:

    -Cela l'aurait-il ennuyé que sa fille épouse un homme de couleur? D'une autre religion?
    -Etait-il choqué par l'esclavage?
    -Etait-il choqué par le colonialisme?
    -Défendait-il les valeurs des droits de l'homme?
    -Etait-il pour la démocratie?
    -Etait-il contre l'homosexualité?
    -Etait-il sexiste?
    -Etait-il nationaliste?
    -Etait-il laïque? Que pensait-il des autres religions?

    A partir des réponses apportées à ces questions, nous pourrons déterminer quels sont vraiment les grands hommes de l'histoire de France. Il est temps de cesser de bourrer le crâne des petits citoyens français (qu'ils aient ou pas la nationalité française) avec la vie de tel illustre personnage en oubliant un peu vite que pour lui l'homosexualité était anormale, le catholicisme la seule vraie religion, les africains des gens différents, la royauté un régime légitime, etc...

    216 ans après la révolution française nos livres d'histoire ne sont encore que des manuels d'apologie de gens dont les valeurs sont bien loin des nôtres.

    http://joelmonpere.blogspot.com/2005_12_01_joelmonpere_archive.html

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  8. Merci, Joël, de pousser jusqu'à l'absurde la démonstration de la théorie que je venais d'expliciter. Je n'en demandais pas tant.
    J'ose espérer que ce que vous dites l'est sur le ton de l'humour, et non dans le vain espoir de convaincre qui que ce soit de la véracité des affabulations de Claude Ribbe, obsédé qu'il est de sa couleur de peau et de l'importance qu'elle a dans sa vie.
    Nous savons tous, ou presque, que l'histoire, hors de son contexte, peut être manipulée par le premier idiot venu, ce que l'auteur en question a fait de façon remarquable.
    Quant à vous, si vous voulez savoir ce que Napoléon 1er pensait, rien de plus simple : Lisez dont le Mémorial de Sainte Hélène, dans lequel, justement, certains des sujets dont vous parlez sont traités... de la bouche même de l'empereur.

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  9. > J'avais bien compris ce que DoMP voulait dire à propos de François Delpla, mais c'était à lui de s'expliquer. Disons qu'il trouve FD lévogyre.

    > à propos des poilus : une véritable analyse devrait prendre en compte la guerre sur sa durée. Ceci étant dit, mon opinion peut se résumer ainsi : les soldats subissaient une rude discipline parfois absurde et sadique, il n'empêche qu'un patriotisme fataliste les soutenait (quand 'faut y aller 'faut y aller). Mais c'est en gros et sans les nuances chères à François Delpla.

    JL. Crémieux-Brilhac s'est intéressé au moral des soldats de 1940 et j'ai lu se livres. Par contre, tout ce que j'ai lu uniquement centré sur cette question pour 14-18 concerne les mutineries de 17.

    > Joël, j'espère effectivement qu'il s'agit d'humour. Dans le cas contraire, vous voudrez bien me pardonner de vous dire que votre réflexion souffre d'un grave défaut : elle ne prend pas en compte le temps, ce qui est tout de même très emmerdant s'agissant de sujets historiques. On ne vous demande pas si voteriez Napoléon si il se oprésentait en 2007 !

    Je vous fournis deux pistes :

    1) Différences entre histoire et mythe historique. Fonction collective du mythe historique.

    2) Des dangers de l'anachronisme.

    Vous pouvez lire "Le problème de l'incroyance au XVIème siècle : la religion de Rabelais" de Lucien Febvre, ou encore un (ou plusieurs !) des ouvrages de F. Delpla sur mai-juin 1940. Vous constaterez ainsi que la vision que nous avons communément de ces périodes est fortement entachée d'anachronisme, ce qui devrait vous amener indirectement à reconsidérer votre analyse de Napoléon.

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