dimanche, mars 05, 2006

La campagne de 1940



FF

C'est un recueil des contributions d'une conférence sur le sujet. Les contributions en question étaient de qualité inégale, voici ce que j'ai retenu :

> la défaite de 1940 est une défaite militaire et politique due à une défaillance intellectuelle des dirigeants comme l'ont bien montré M. Bloch et C. De Gaulle ("Nous n'avons pas reconnu la guerre. Les Allemands ne 'jouaient pas le jeu' " et "Ils (les généraux français) ont été vaincu dans leur doctrine.")

Ceux qui ont lu Sun Tsu me répondront que toute défaite miliataire est nécessairement aussi une défaite intellectuelle.

Cependant, dans le cas qui nous occupe, c'est d'autant plus flagrant que les rapports de force matériels étaient quantitativement équilibrés, sauf pour l'aviation, et que c'est avant tout l'excellente (de son point de vue) politique d'Hitler et l'innovation tactique des Allemands qui ont fait tomber en six semaines une grande armée, vainqueur de la Grande Guerre.

Churchill raconte que, lorsqu'il a demandé où était la réserve et qu'on lui a répondu qu'il n'y en avait pas, il a eu une des plus grandes surprises de sa vie.

Les Français ont bien ressenti une défaite intellectuelle, ce qui explique au moins en partie qu'ils aient suivi ceux qui leur disaient que le mal était en eux.

> le haut-commandement a été très tôt défaitiste et c'est le plus grand crime des généraux que d'avoir désespéré du pays qu'ils étaient en charge de défendre. Marc Bloch s'interroge sur ces généraux vieillards. Comment comprendre que Reynaud remplace Gamelin, vieux, par Weygand, encore plus vieux ? Alors qu'il avait sous la main De Gaulle, dont "le Comité de Salut Public eut fait un général en chef", mais aussi Juin, De Lattre, Béthouart.

> Le moral des Français a fluctué très brutalement, mais certaines unités se sont battues admirablement (les cadets de Saumur, par exemple.)

> Le ciel n'était pas vide, mais n'était pas aussi plein d'avions français qu'on l'a prétendu par la suite. L'Armée de l'Air a eu d'énormes pertes mais a surtout été épuisée par une logistique inadptée. La Royal Air Force s'est bien battue et a perdu autant d'hommes en France que durant la Bataille d'Angleterre.

> Les Allemands ont sur les bras de lourds massacres de troupes coloniales, des sous-hommes qui les terrifiaent. On a oublié comme on a préféré oublier tant de choses. Le téléfilm Trois jours en juin en rend compte. A noter que certains officiers blancs refusant d'abandonner leurs hommes ont aussi été exécutés.

> Enfin les conséquences à long terme de cette défaite sont importantes. L'image que les Français se font d'eux-mêmes en est durablement affectée, on remarque d'ailleurs une occultation symptomatique : autant on ressasse les crimes de Vichy, autant on oublie la période immédiatement précédente. On a l'impression que l'histoire s'est interrompue entre 1937 (fin du Front Populaire et de ses souvenirs émus de congés payés) et 1940.

Autre conséquence très présente aujourd'hui, qui, là, passe totalement inaperçue : la défaite de 1940 provoque la fin de 36 ans d'Entente Cordiale, c'est à partir de 1940 que les dirigeants anglais ont considéré que la France n'était pas fiable et qu'il valait mieux chercher du secours de l'autre coté de l'Atlantique. Dans les circonstances, avaient ils tort ? C'est dommage que le pli ait persisté.

Enfin, la conclusion est un parallèle entre la défaite de 1870, la presque défaite de 1914 et la déroute de 1940, l'auteur de la conclusion se demande qu'est ce qui fait, dans l'esprit français, qu'on a trois fois de suite été au bord du gouffre pour des fautes intellectuelles, pourquoi on systématise tant, avec tant d'abstraction, loin des faits, et pourquoi on aboutit à justifier même ses erreurs. Et il se demande si nous ne reproduisons pas aujourd'hui les mêmes erreurs.

A l'évidence, ce monsieur ne connaît pas le libéral Hayek. Celui-ci s'est justement posé cette question fort angoissante, vu ses conséquences et sa réponse est la suivante : il appelle ça "l'esprit de l'Ecole Polytechnique"

Si vous en voulez une analyse complète, vous la trouverez au lien suivant : La Source de l'orgueil scientiste : L'École polytechnique.

Voici un extrait :

Le type même de l'ingénieur avec sa conception, ses ambitions et ses limitations caractéristiques était créé.

Cet esprit de synthèse qui ne verrait aucun sens dans quelque chose qu'il n'aurait pas délibérément construit, cet amour de l'organisation qui émerge des sources jumelles des pratiques militaires et des pratiques d'ingénierie, la préférence esthétique pour tout ce qui a été consciemment construit sur tout ce qui s'est contenté de "pousser," fut un nouvel élément fort qui s'ajouta - et au cours du temps commença même à remplacer - l'ardeur révolutionnaire des jeunes polytechniciens. On constata rapidement les caractéristiques étranges de ce nouveau type qui, comme nous l'avons dit, "tiraient orgueil d'avoir des solutions plus précises et plus satisfaisantes que tout autre pour toutes les questions politiques, religieuses et sociales," et qui "se risquaient à créer une religion comme on apprend à créer un pont ou une route à l'École."

Cependant, à la guerre, on a un adversaire, qui ne joue pas forcément votre jeu, qui n'a pas la courtoisie d'entrer dans vos calculs, qui a la grossiéreté de ne pas entrer dans votre système, mais qui, par contre, entre très volontiers dans votre pays (1).

Il est facile de comprendre qu'un tel esprit systématique, pour peu qu'il oublie l'humilité, vienne vous dire que vous n'avez rien compris ni aux faits ni à la théorie, si, par audace, vous faisiez constater que les petis mais tenaces faits sont contradictoires avec la noble théorie.

Il est difficile de relire Le fil de l'épée ou Vers l'armée de métier sans s'interroger sur le peu de remises en question qu'ils ont provoqué.

J'affirme ma conviction qu'en matière économique, on nous fait aujourd'hui le même coup de l'abstraction détachée de la réalité. La solidarité, le patriotisme économique et la politique industrielle sont des fariboles néfastes.

Volez, c'est le pied

(1) : Marc Bloch s'était indigné qu'un officier polytechnicien lui explique que le fait que les Allemands aient envahi une partie du territoire français était sans importance pour la conduite des opérations car ça n'empêchait pas d'appliquer les méthodes prescrites par l'Ecole de Guerre, comme si les mines perdues, les récoltes non faites, l'acier réquisitionné, les populations opprimées, les villages occupés comptaient pour rien. Excès de l'esprit d'abstraction.

Comme quoi l'analyse de Hayek est pertinente : je doute que Bloch et Hayek se soient connus et, pourtant, ils mettent tout deux en cause l'esprit d'abstraction polytechnicien.

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