LA CHRONIQUE DE FAVILLA 10/10/2008
Spéculations et hallucinations
Comme les habitants d'un pays tropical qui apprennent par la radio qu'un cyclone va bientôt arriver chez eux, les opinions publiques occidentales apprennent que la crise économique, dont ils ne voient pas encore les manifestations concrètes, est proche et inéluctable. Le signe annonciateur, leur dit-on, ce sont les craquements de la Bourse. Mais la différence entre la météorologie et l'économie tient au rôle de l'information. Dans le premier cas, elle avertit les populations d'un danger certain. Dans le second, elle ne se contente pas de signaler le péril : elle contribue à l'aggraver, voire à le créer. L'annonce de la crise pousse aux comportements de précaution - blocage du crédit et de l'investissement, montée de l'épargne - et la précaution généralisée précipite la crise.
On devrait pourtant s'interroger sur la pertinence du message émis par les places boursières. Partout fleurissent les discours savants sur la mécanique implacable de la crise, la propagation « systémique » de l'insolvabilité et de la méfiance. On reste pourtant perplexe quand on apprend que la faillite de Lehman Brothers pourrait être due surtout aux manoeuvres d'une banque concurrente - une plainte a été déposée à ce sujet auprès d'un tribunal de New York - ou que la paradoxale envolée de l'action Volkswagen pourrait s'expliquer par cette même faillite - Lehman Brothers ayant, avant de sombrer, organisé le torpillage en Bourse de la firme allemande pour en tirer un profit spéculatif... On sait depuis longtemps que le baromètre boursier est manipulable. La spéculation entretient l'instabilité parce qu'elle s'en nourrit : peu importe que les indices tanguent à la hausse ou à la baisse, pourvu qu'ils tanguent. Ce qu'on ignore, c'est jusqu'où va cette manipulation : dans les transes des places financières, comme dans les vaticinations de la pythie de Delphes, comment discerner la frontière entre la vérité, le mensonge et l'hallucination ? C'est à ces réactions fiévreuses, pourtant, qu'on mesure au jour le jour la crédibilité des politiques qui s'efforcent de circonscrire la crise.
Facteur aggravant, le souvenir des traumatismes s'inscrit plus profondément dans la mémoire collective que celui des guérisons. Les augures affirment - et le Premier ministre confirme - que la crise actuelle est aussi grave que celle de 1929. C'est exactement ce qu'on disait... il y a vingt et un ans : le 19 octobre 1987, en une seule séance, la Bourse de New York plongeait de 22,6 %. Au cours du même mois, Londres perdait plus de 26 %, Paris 34 %, Hong Kong 45 %... Un tel krach, pensait-on, présageait le pire pour l'économie « réelle ». Fin 1987, les prévisionnistes annonçaient pour 1988 une stagnation, voire une récession aux Etats-Unis comme en Europe. Au fil des mois, ils ont dû reconnaître qu'ils s'étaient trompés : 1988 fut une des années de croissance les plus brillantes de la décennie. On ne peut évidemment pas prétendre que ce scénario va se reproduire. Mais seulement se dire qu'il est hasardeux de se fier à un oracle dont le message peut être délirant ou délibérément trompeur.
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A quand la chronique de favela ?
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