De nombreux articles sortent dans la presse professionnelle anglo-saxonne s'interrogeant sur la formation des pilotes professionnels. La presse française est silencieuse par complaisance : elle est très dépendante d'un nombre réduit d'industriels et ne peut se permettre de mettre les pieds dans le plat.
Cette formation fait l'objet d'une pression économique bien connue : il faut faire vite et pas cher. Et les crétins d'y aller de l'habituel couplet anti-capitaliste.
Mais elle est victime d'une autre pression, tout aussi dangereuse, mais qui est passée sous silence car seuls les professionnels consciencieux (et peut-être quelques libéraux attentifs) ont intérêt à la dénoncer : la pression bureaucratique.
Pour la bureaucratie, une bonne formation, c'est une formation qui rentre dans les cases d'un formulaire : tant d'heures de simulateur, tant d'heures de vol, les petits croix indiquant que chaque ligne du plan de formation a été vue, et peu importe comment.
Cette logique effaçant l'humain aboutit à ce que les pilotes sont devenus des applicateurs de procédures standards (d'acronyme anglais SOPs).
On cite même le cas d'un pilote en séance de renouvellement sur simulateur qui s'est planté mais a argué que, bien que la situation qui l'a mis en échec fût réaliste, elle ne pouvait pas lui être opposée car elle ne figurait pas dans le recueil des scénarios de panne du manuel de formation.
Le pire est qu'il a eu gain de cause.
Les syndicats, qui ont horreur des distinctions entre salariés, concourent à cet état de fait : les mêmes petites croix dans les cases, le même salaire.
Pourtant, tous ceux qui connaissent des pilotes sentent que c'est faux. Il y a des pilotes qui ont plus de talent que d'autres. Ce petit quelque chose en plus qui fait la différence.
Tous ceux qui s'intéressent à l'accidentologie savent que justement, les problèmes commencent à se poser quand on sort du prévu, de ce qu'il y a dans les procédures.
Un pilote très bon applicateur de procédures peut se révéler assassin dans une situation imprévue.
Deux éléments jouent :
> le caractère. La résistance et la réaction au stress sont différents chez chacun. Mais ça se travaille (jusqu'à un certain point). Cependant, les simulateurs préparent très mal au stress. Non seulement on n'est pas correctement (ie de manière réaliste) stressé en simulateur, mais on peut en tirer des conclusions erronées sur son comportement en situation de stress.
> le fond de culture aéronautique, la sensibilité aux commandes et à la situation, les réflexes élémentaires. Ce qu'on appelle d'un terme global le «sens de l'air».
Par fond de culture aéronautique, j'entends quelque chose de très technique, pas la date de naissance de Mermoz, mais un échantillon suffisamment étendu de connaissances, d'accidentologie, de situations, pour que l'imprévu ne paraisse pas totalement une surprise (L'idéal est que de n'importe quelle situation, un pilote puisse dire «J'y avais pensé avant».). Pas des connaissances livresques, de bureau, mais le truc qui fait qu'on se méfie, qu'on est sur ses gardes. C'est une sorte de sixième sens.
Il y en a un exemple dans le rapport d'Air Caraïbes sur l'incident d'A330 en panne de sondes pitots. La procédure dans ce cas dit de tenir compte des alarmes de décrochage.
Il faut bien imaginer : le tableau de bord illuminé comme un arbre de Noël, les alarmes sonores qui déclenchent, les coups de gongs, les charges de cavalerie et le haut-parleur qui gueule «STALL STALL STALL» (1). Les pilotes, sans indication de vitesse, ont décidé que le décrochage ne correspondait pas à leur situation et que c'était la machine qui se fourvoyait, ils n'ont donc pas, heureusement, tenu compte des alarmes qui leur auraient fait faire des actions inappropriées. On aurait bien su le leur reprocher si ça s'était mal terminé.
On notera avec ironie que le commandant de bord d'Air Caraïbles est un instructeur Airbus dont certains élèves se sont plaints qu'il était trop exigeant (toujours la fameuse histoire : «il nous demande des choses qui ne sont pas dans le manuel / les procédures»). Trop exigeant, peut-être, en tout cas, lui, il est toujours vivant et ses passagers aussi.
Autre exemple : Sullenberger, qui a fini dans l'Hudson avec son A320 et tous ses passagers intacts, a commencé par rependre les commandes alors qu'il n'était pas le pilote en fonction. Avec le recul, ce n'est pas idiot, c'était lui le plus expérimenté, en avion comme en planeur (!).
Sauf que la procédure dit exactement le contraire : le pilote en fonction, c'est-à-dire à cet instant le copilote, au moment de la panne doit continuer à faire voler l'avion tandis que l'autre analyse la panne et les moyens de s'en sortir. Pourtant, Sullenberger était un consultant en sécurité aérienne et paf, son premier accident, il commence par faire le contraire de la procédure.
De plus, il n'y a pas une procédure qui dit que quand on risque de ne pas atteindre un terrain, il vaut mieux tenter une rivière.
Enfin, il y a sur les Airbus un bouton «ditching» pour les amerrissages, qui n'a pas été actionné.
Mais voilà, le monsieur aux commandes étaient un moustachu qui avait le sens de l'air (et de la chance).
De plus en plus, les jeunes pilotes sont des conducteurs de systèmes, avec les procédures associées. Le fait qu'ils conduisent des machines aériennes est finalement assez peu présent. Airbus s'en vante en disant qu'on peut facilement passer d'un Airbus à l'autre. C'est vrai mais seulement quand tout va bien, quand les systèmes effacent en bonne partie les caractéristiques physiques d'un appareil, qu'un A330 réagit presque comme un A320 deux fois moins lourd.
Seulement, quand ça merde, il faut revenir à des bases très physiques, «les ailes à plat, la bille au centre», «assiette, puissance», «la vitesse, c'est la vie» etc. Et là, les caractéristiques physiques d'un avion se font sentir très fort.
On a tous entendu des histoires de pilotes de ligne qui ont cassé un Stampe ou un Piper parce qu'ils ne savent plus piloter une machine qui réagit aux conditions aérologiques.
Il n'y a pas de recette miracle, mais je soupçonne qu'un peu de DC3 au fin fond de l'Afrique à la saison des pluies remplacerait avantageusement dans la formation quelques heures de simu.
(1) : bin oui, ça fait partie des alarmes sonores des avions modernes
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Je viens de penser a un autre cas de procedure inadaptee. Le crash du vol de la swiss air au large d'Halifax.
RépondreSupprimerQuand on commence à faire plus confiance en une machine qu'en un être humain, le début de la fin 'est pas loin...
RépondreSupprimerEt le pire, c'est que ce n'est pas limité à ce domaine particulier.
Dans tous les métiers, on essaye de remplacer la réflexion humaine par un soutient technologique exacerbé.
Et merci qui? Qui ne forme pas la jeunesse à la réflexion, à l'anticipation? Merci l'EN...
Des réflexions fort justes, merci.
RépondreSupprimerSans doute comme le calcul du vivant n'est jamais le vivant, de même la machine aussi systématique soit-elle et d'autant plus si elle est hypercomplexe, ne peut remplacer la perception et les réactions d'un pilote expérimenté, ici.
Problème général de l'homme machine quelque sorte, oubliant de cultiver ce qui, sixième sens, le sort in extrrémis du péril. L'erreur est alors effectivement de s'en remettre à un système comme à une bureaucratie, erreur de l'impensé, laquelle peut être fatale.
Freephil