La chronique d'Yves de Kerdrel
Chacun a un jour appris ce poème de Victor Hugo écrit en hommage à Théophile Gautier où figurent ces deux vers illustres: «Oh ! quel farouche bruit font dans le crépuscule les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule!» Deux vers qui sont d'autant plus célèbres que Malraux s'en servit pour illustrer ses derniers entretiens avec le général de Gaulle.
Pourquoi parler aujourd'hui de «ces chênes qu'on abat»? Parce que le poison distillé par certains parangons de vertu, dans le cadre de ce qu'il est désormais convenu d'appeler «l'affaire Bettencourt», se répand petit à petit dans le capitalisme français, comme la lotion mortelle imbibée dans la Tunique de Nessus, finit par empoisonner Hercule (ou Héraclès selon que l'on se trouve à Rome ou à Athènes), au point que celui-ci préféra s'immoler sur ce fameux bûcher.
Bien sûr, tout le monde a compris que cette affaire vise à éclabousser un ministre dont la réforme des retraites est unanimement considérée comme un sans-faute. Bien sûr, tous ceux qui aimeraient y voir «une affaire d'État» trouvent là une occasion de plus pour s'en prendre à la personne du président de la République. Bien sûr, pour une opposition qui n'a ni argument, ni idée, ni leadership, ce remue-ménage autour de la première fortune de France, bénéficiaire du bouclier fiscal, constitue une aubaine politique!
Mais l'irresponsabilité de tous ceux qui font d'un amalgame d'anecdotes fiscales et mondaines une «affaire» se transforme en une forme de venin qui se répand petit à petit dans les veines de la société française. Un venin constitué des postulats suivants: entreprise prospère = richesse mal acquise, dividendes versés = vol au détriment des salariés, fortune familiale = fraude fiscale… j'en passe et des bien pires !
La seule personne qui a parlé de l'essentiel dans cette histoire, c'est Liliane Bettencourt, elle-même, interrogée par Claire Chazal dans le cadre du journal de 20 heures. Cette femme de 87 ans, qui a passé ses étés de jeunesse à travailler à la chaîne, a fait référence aux salariés de L'Oréal, au sort de cette entreprise extraordinaire et à son développement exponentiel à l'international.
Si l'anticapitalisme viscéral des Français, leur mépris de la richesse et leur volonté égalitariste s'accroît à l'occasion de cette affaire, qu'est-ce qui pourrait empêcher la fille de Liliane Bettencourt de céder ses parts à Nestlé, le jour où la nue-propriété et l'usufruit des actions seront de nouveau réunis? Quel masochisme pourrait l'amener à faire en sorte que L'Oréal reste un fleuron français, si elle-même se trouve traînée dans la boue, parce qu'elle est bénéficiaire du bouclier fiscal, qui n'est que le remboursement d'un trop-perçu par les impôts.
Et ce qui est vrai pour L'Oréal l'est aussi pour les Peugeot, dont le nom s'est retrouvé cité en marge de cette affaire. Il faut une sacrée abnégation -sans doute due, à leur origine protestante- pour rester français, alors que la Suisse est à un jet de pierres de leurs forêts belfortines. Et que dire des Michelin, dont le nom a été également jeté en pâture, alors qu'ils s'échinent à rendre certaines de leurs usines françaises aussi compétitives que les implantations chinoises? Un chantier digne des douze travaux d'Hercule. Encore lui !
Lorsque tous ces «chênes» du capitalisme familial auront été, petit à petit, taillés en pièces par cette «haine des riches», par cette «jalousie gauloise», par une insécurité fiscale permanente et par ce «tir aux fléchettes» qui consiste à s'en prendre successivement à tous les fleurons du CAC 40, les Français pourront aller verser, sur le bûcher d'Hercule, des larmes de crocodile. Ils pourront s'étonner que la France sorte plus vite que prévu de la première division des pays industrialisés. Ils pourront se demander pourquoi cette cinquième puissance économique mondiale se retrouvera, d'ici à 2020, loin derrière le Mexique et la Corée du Sud et même l'Autriche. Ils pourront s'interroger sur cette France devenue un musée pour la classe moyenne brésilienne ou un supermarché de luxe pour les millionnaires chinois.
Qui aurait l'idée, outre-Atlantique, de se gausser de Bill Gates parce qu'il a fait fortune? Qui n'a pas envie d'être le nouvel inventeur de Google ou de Facebook et de créer des milliards de dollars en moins d'une décennie ? Comment se fait-il que les assemblées générales de Warren Buffett, deuxième fortune américaine, réunissent plus de 30 000 personnes chaque année ? Rien de particulier, sinon un état d'esprit qui exclut la jalousie, qui sanctuarise la réussite et qui bannit la spoliation fiscale. C'est une chose utile que de lutter contre la déforestation en Amazonie. Mais peut-être avons-nous tous aussi à faire quelque chose pour que ces superbes chênes du capitalisme familial restent le fleuron de la France industrieuse, innovatrice et conquérante?
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"la réforme des retraites est unanimement considérée comme un sans-faute."
RépondreSupprimerSi ce n'est que c'est une reformette qui ne fait que repousser le problème au lieu de le régler. Je suis d'autant plus déçu par Woerth à ce niveau qu'il aurait pu faire passer la retraite à 65 ans en en profitant pour faire des concessions toute à fait légitimes sur la pénibilité du travail ou ceux qui ont commencés à travailler très tôt.
(Pour la retraite par capitalisation, inutile de rêver.)
Soyons sérieux, cette réforme, c'est du bidon! Elle est juste là pour donner le change en faisant croire que le gouvernement a fait quelque chose d'important et a sauvé les meubles comme l'on dit...
RépondreSupprimerLa réalité est toute autre : le système par répartition est agonisant et va se crasher ; et tous ceux qui y ont cotisé se retrouveront avec juste leurs yeux pour pleurer. Quel pied!