Ce petit livre de juin 2009 est ce que j'ai lu de plus clair sur la crise que nous venons de subir.
Voici le mécanisme infernal :
> comme Charles Gave, Marc de Scitivaux est convaincu que la crise actuelle trouve ses racines dans la crise asiatique de 1995.
> suite à la crise de 1995, les pays asiatiques ont changé de politique. Ils ont adopté une approche mercantiliste. Grâce à des excédents commerciaux et des changes bloqués (folie illibérale empêchant les mécanismes de marché d'ajustement monétaire), ils se sont retrouvés à la tête de masses colossales de capitaux. Cette prospérité asiatique a entrainé l'inflation des matières premières. Les pétro-monarchies se sont elles aussi retrouvés avec d'immenses capitaux.
> au lieu d'investir ces capitaux chez eux, les nouveaux riches les ont investis dans le pays qui offre à leurs yeux le meilleur équilibre rendement / risque / innovation / protection, à savoir les Etats-Unis. Comme l'a fait remarqué Ben Bernanke lui-même, le fait que la propriété privée soit considérée comme moins respectée en Europe a empêché la diversification.
> conséquence logique de cet afflux de capitaux, les taux d'intérêt se sont écroulés, à des plus bas historiques. Deux types d'acteurs en ont profité pour s'endetter au-delà du raisonnable dans tous les pays occidentaux. Greenspan, qui a régulièrement monté les taux courts (sans effet sur les taux longs : c'était le célèbre conondrum), n'est pas le coupable idéal qu'on croit. En revanche, Bernanke, qui a baissé les taux court trop tôt, a favorisé le dernier run de spéculation, la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Le reproche qu'on peut faire à Greenspen est d'avoir été trop optimiste sur la nature humaine : il a averti, mais avertir ne suffit pas, il fallait sanctionner. Les banques ont été conduites à prendre des risques inconsidérés par le fait que les managers ne sont pas les propriétaires et qu'elles espéraient qu'en cas de crise les Etats les sauveraient. Greenspan aurait du être plus directif sur ces deux sujets.
> les Etats, notamment Européens, ont aggravé leur tendance à offrir des services non-payés, c'est-à-dire financés par l'endettement. Scitivaux remarque au passage que la dette publique américaine n'est pas très élevée et que la plupart des commentateurs, avec une incompétence généralisée, confondent le plafond de dette voté par le Congrès, qui comprend les futures retraites, et la dette réelle.
> les particuliers ont nourri une bulle immobilière, notamment aux USA, où une loi absurde oblige les banques à prêter à ceux qui n'en ont pas les moyens . Ce sont les désormais fameux subprimes.
> pendant ce temps, la population vieillissait et les fonds de pension, handicapés par cette baisse des taux, avaient du mal à servir les pensions promises.
> C'est alors que les petits génies matheux des banques inventèrent les CDO. Cette tambouille diabolique de créances risquées et de créances saines étaient censée offrir les rendements des créances risquées et le faible risque des créances saines. Les gestionnaires de fonds de pension se sont jetés dessus. En réalité, le produit était tellement complexe que les vendeurs ne savaient pas vraiment ce qu'ils vendaient tandis que les acheteurs ne savaient pas vraiment ce qu'ils achetaient. Encore une folie.
> personne n'y comprenant rien, tout le monde s'est fié aux agences de notation. Mais on se méprend sur leur fonction : malheureusement, celles-ci ne prévoient pas l'avenir mais se basent sur l'historique. Pour les produits nouveaux, comme les CDO, qui n'ont par définition pas d'historique, leurs avis ne vaut rien. Mais ça n'arrangeait personne de comprendre ce défaut des agences de notation.
> les banques avaient avantage à alimenter la bulle. Pour tout le monde, y compris un économiste, mieux vaut dire comme la meute (se tromper quand tout le monde se trompe ne porte pas à conséquence) que de se distinguer et de prendre le risque d'avoir tort tout seul. Pour Scitivaux, la faillite des économistes à prédire la crise vient plus d'un manque de courage que d'un manque d'intelligence.
> les nouvelles régulations des banques (qui se réfèrent beaucoup aux agences de notation) et les nouvelles normes comptables, à la fois excessivement complexes et atrocement pro-cycliques, ont transformé une crise locale, les subprimes, en crise systémique, par le relais des faillites, avérées ou potentielles, des banques.
On remarquera à toutes les étapes les mécanismes illibéraux qui ont aggravé la crise.
On constate également que, à des degrés divers, nous sommes tous coupables de la crise, nous avons tous d'une manière où d'une autre essayé d'avoir des «repas gratuits», ne serait-ce qu'en profitant de la bulle immobilière ou de services publics financés par l'endettement. Cette crise est le fruit d'une faillite de la raison qui a touché tous les pays occidentaux.
Un des problèmes les plus graves, que, je pense, certains d'entre vous, lecteurs, subissent tous les jours, est la disjonction de plus en plus fréquente des intérêts des dirigeants et des intérêts de l'entité qu'ils dirigent. Un dirigeant qui sait qu'il ne sera plus à son poste dans deux ans ne peut avoir les mêmes intérêts qu'une société qui a vocation à exister encore dans vingt ans.
De Scitivaux propose la méthode Galliffet. Galliffet a réprimé la Commune. Il n'était vraiment de gauche ! Pourtant, il fut dreyfusard. Il s'en expliquait simplement : «Je ne connais pas Dreyfus. Je ne connais pas le dossier. Mais je connais mes collègues de l'état-major : si ils pensent tous que Dreyfus est coupable, c'est sûrement qu'il est innocent.»
Une telle méthode est bien adaptée à l'économie : elle est tellement complexe qu'une idée à la mode qui fait l'unanimité, donc qui est assez simple pour être comprise par les imbéciles, a de bonnes chances d'être fausse.
Au passage, Marc de Scitivaux n'a pas de mots assez durs pour fustiger la chasse aux boucs-émissaires à laquelle se livrent nos politiciens et dont Nicolas Sarkozy semble s'être fait une spécialité.
Il cite une déclaration de Nicolas Sarkozy terrifiante : le président y explique que ce n'est pas la peine de lire des livres d'économies car la crise est tellement nouvelle qu'on ne peut rien en apprendre du passé. En dehors du mépris des études dont ces mots témoignent, ils révèlent une erreur d'analyse radicale : au contraire, cette crise est au fond comme toutes les crises d'endettement, seule la surface des choses changent.
Cette citation de Tocqueville est tellement appropriée que cela devrait tirer des larmes de rage à tout citoyen un peu émotif : «Une idée fausse mais claire et précise aura toujours plus de puissance dans le monde qu'une idée vraie mais complexe».
Marc de Scitivaux, qui a passé quelques années dans des ministères, affirme qu'aucune crise ne coutera aussi cher aux Français que les plans pour «revitaliser» l'industrie.
Cette incompétence de nos politiciens à analyser correctement la crise met en danger la démocratie. D'autant plus que, si la crise mondiale est finie, la crise des dettes étatiques européennes continue.
Seule bonne nouvelle : la reprise mondiale permettra peut-être d'étaler les efforts européens et à la démocratie de survivre en Europe, car là est bien l'enjeu.
Marc de Scitivaux qui, dès 1990, avait écrit que les Etats-providence ne survivraient pas à la mondialisation n'a pas bougé d'un iota sur ce sujet.
samedi, janvier 29, 2011
Le père de famille, le trader et l'expert (M. de Scitivaux)
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«Une idée fausse mais claire et précise aura toujours plus de puissance dans le monde qu'une idée vraie mais complexe».
RépondreSupprimerVoilà un excellente définition du socialisme !
«Une idée fausse mais claire et précise aura toujours plus de puissance dans le monde qu'une idée vraie mais complexe».
RépondreSupprimerFidèle lectrice, je suis certaine d'avoir lu l'idée exactement inverse sur votre blog il y a quelques mois à propos du réchauffement climatique... Je me trompe?