dimanche, octobre 16, 2011

L'imposture de l'État-providence

TRIBUNE - La philosophe Chantal Delsol souligne la contradiction entre l'accoutumance des citoyens aux droits et l'incapacité de l'État à penser au long terme.

Pour «Le Figaro»


Au plan d'austérité, les Français réagissent déjà comme les Grecs. Pourtant, il est bien probable que nous devrons bientôt nous doter de plans d'austérité plus lourds que quelques économies sur les cigarettes et les boissons sucrées. On imagine la pétaudière que ce sera.

Les Grecs et les Français sont-ils de mauvais citoyens ? Il n'y a aucune raison de le penser. Mais ils s'imaginent que leurs droits acquis sont indispensables à leur dignité. Autrement dit, que celui qui voudrait les rogner est un sadique. La réalité est tout autre. Pourtant, ils ont quelques bonnes raisons de raisonner ainsi.

Serinez à un peuple à longueur de décennies qu'il a un droit naturel sur tout ce que la bonne fortune lui a acquis. Déclamez-lui des strophes morales sur son droit opposable au logement. Servez-lui la retraite à 60 ans en lui expliquant qu'il y va de sa dignité élémentaire (ce qui fait apparaître les partis adverses comme des barbares). Faites-le évoluer dans l'atmosphère de l'assurance généralisée. Laissez le citoyen se persuader qu'il vit avec les biens essentiels à un simple humain, et non avec les avantages d'un pays riche. Et ensuite allez lui parler d'austérité. Mais il fera la révolution ! Car il aura le sentiment (puisque vous le lui aurez mis dans la tête) qu'on lui confisque l'essentiel, qu'on porte donc atteinte à son humanité.

Un peuple nanti au fil du temps de droits importants s'y habitue comme à n'importe quel confort, et vite il les considère comme naturels et fondamentaux. Ce qui est très humain. Le rôle d'un gouvernement responsable serait cependant de ne pas le laisser croire.

On ne pense jamais que les droits sont relatifs à leur possible réalisation. Il serait aberrant de décréter le droit de tous à l'université dans un pays qui ne peut s'offrir aucune université. Et même si tous les hommes de la terre sont également dignes, leurs droits peuvent être revendiqués seulement au regard de chaque situation. C'est ainsi que dans des pays riches comme les nôtres, la réalisation des droits devrait être conditionnée par la capacité de l'État à garantir ces droits non seulement à court terme, mais à long terme.

Il y a une contradiction dramatique entre l'accoutumance des citoyens aux droits et l'incapacité congénitale d'un gouvernement démocratique à penser à long terme. Ainsi, les gouvernements démocratiques des pays riches sont criminels quand ils déversent la providence étatique à coups d'endettement ininterrompu. Non seulement parce qu'il est irresponsable de gérer un budget en ne comptant que sur l'emprunt, même si l'on est keynésien (la croissance n'est pas un pari que l'on peut faire si tranquillement). Mais surtout parce qu'il est criminel de déverser à longueur d'années des droits-créances payés par l'emprunt, sachant bien que lorsqu'il faudra rembourser, les citoyens jugeront absolument injuste de se voir privés de droits qu'on leur a servis comme immortels. Les gouvernements confèrent des droits dont ils connaissent le caractère temporaire, mais ils les donnent pour essentiels. C'est une supercherie honteuse. On donne un droit à la retraite à 60 ans au nom de la dignité humaine élémentaire, et on paye cela en ajoutant chaque matin un emprunt à l'autre. On multiplie les emplois aidés, toujours financés par la dette. Et cela en protestant que chacun a droit à un emploi, que c'est un droit inaliénable, etc. Alors que c'est un droit de pays riche, qui peut se permettre de prendre en compte la dignité de ses citoyens dans toutes ses dimensions. Naturellement, quand il faut rembourser la dette et par conséquent limiter ces droits, les citoyens estiment qu'on les traite comme des animaux en leur retirant l'essentiel - car c'est bien ce qu'on leur a répété depuis des décennies. Le ressentiment et la révolte deviennent donc les enfants légitimes de l'austérité. Alors que des gouvernements simplement honnêtes et prudents ne se seraient jamais avancés aussi loin, n'auraient pas suscité de vaines illusions.

On va prétendre qu'un gouvernement démocratique ne saurait faire autrement : on a tort. Les Suisses ont pu il y a quelques années supprimer une partie non négligeable du statut de la fonction publique sans déclencher aucune révolte. La France devant une telle réforme serait à feu et à sang, parce que ses gouvernements lui font croire que ces avantages sont nécessaires et immortels.

Ainsi a-t-on vu tout récemment, lors des primaires socialistes, une véritable surenchère de promesses de droits-créances : la retraite revue à 60 ans et même plus bas encore, les embauches de fonctionnaires et d'emplois aidés… Toutes annonces qui sonnent comme de vieilles litanies et qui rendent désormais leurs auteurs pathétiques, car tout le monde sait ce que cela vaut en termes d'austérité à venir, et par conséquent de révoltes à venir. Quelques naïfs pourtant vont encore y croire, laissant comprendre à quel populisme bas de gamme nous sommes désormais rendus.

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