lundi, février 06, 2012

«En France, la météo suscite le catastrophisme»

Cet article m'intéresse car on y voit autrement qu'au seul niveau financier les ravages de l'Etat-providence, sur les mentalités notamment.

Le Figaro

Pour Emmanuel Garnier, historien du climat, membre senior de l'Institut universitaire de France (université de Caen) et professeur invité à l'université de Cambridge, «nos concitoyens manifestent une «intolérance» à la météorologie non standard».

Le Figaro - Un coup de froid au cœur de l'hiver et cela devient le sujet de conversation numéro un des Français, pendant plus d'une semaine. Sommes-nous une exception ?

Emmanuel Garnier - En France, la météo n'existe que par ses manifestations extrêmes. On n'en parle que lors des grosses ruptures. Cela conduit le plus souvent à une sorte de dramatisation. Une forme de catastrophisme qui est typiquement française. Je me souviens l'été dernier d'avoir été sollicité sans cesse sur le manque de pluie. Alors qu'on ne parlait pas encore de sécheresse on projetait déjà l'effondrement des cours des céréales. On pourrait presque dire que nos concitoyens manifestent une «intolérance» à la météorologie non standard.

Qu'est-ce qu'une météorologie standard ?

Si l'on caricature un petit peu, les Français considèrent qu'un bon hiver est un hiver sans neige et sans verglas en ville ou sur les routes mais avec un parfait enneigement dans les stations de ski… Globalement, ils ne sont jamais contents du temps qu'il fait. La météo suscite très rarement un discours positif.

Les réactions sont-elles si différentes que cela dans les autres pays?

En Angleterre, par exemple qui subit à peu près les mêmes frimas que nous, l a réaction est effectivement assez différente. Il y a bien sûr des reportages à la télévision et les gens en parlent entre eux mais c'est une situation qui est jugée normale. Ce type de météo est simplement considéré comme faisant partie de l'hiver. C'est la même chose en Espagne où les populations font face sans se poser plus de questions.

Qu'est-ce que cela traduit?

Il y a clairement l'idée en France que l'on ne doit pas être affecté par la nature. Nous restons les héritiers de l'idée de progrès qui ne devrait plus permettre que l'on souffre du froid ou du chaud. Cela traduit en même temps une grande vulnérabilité et une grande attente envers l'Etat.

Vous considérez que ce n'est pas à l'État d'intervenir ?

Il ne faut pas tout attendre de l'État. On n'admet plus par exemple qu'il neige sur le périphérique parisien! Lors de la tempête de 1999, je me trouvais dans un petit village des Vosges. Dès que le temps s'est calmé, tous les habitants qui avaient une tronçonneuse sont sortis pour déblayer les troncs qui bloquaient les accès. Lorsque les services départementaux publics sont arrivés le lendemain le travail était en partie fait et il n'y avait aucune animosité. Par ailleurs, le maintien d'un réseau dense d'agents de l'Etat comme ceux de l'ONF (office national des forêts) connaissant très bien le terrain a rendu l'action des secours particulièrement efficace pour rétablir les lignes électriques implantées en forêt. Je ne crois pas que cela se passerait de la même manière aujourd'hui. Les crises plus récentes nous ont montré que l'on était de moins en moins tolérants et résilients.

Des Français qui attendent trop de l'Etat ?


Ce dernier est également responsable de cette situation. Notre classe politique ne cesse de dire qu'elle prend en main le risque en vertu de l'adage bien connu «dormez en paix bonnes gens...la République veille!». Jadis, on transmettait la mémoire des risques. Jusque dans les années 50, il y avait un peu partout en France des repères de sécheresse, de submersion ou d'inondation. Tout cela a disparu probablement à la faveur de l'exode rural puis de l'urbanisation et de la littoralisation galopantes.

Les autorités locales ou gouvernementales bien souvent refusent de tenir un discours sur le risque. Elles préfèrent assurer qu'elles feront face. Et quand ce n'est pas possible, on opte pour des solutions radicales telles que les zones noires. Pourtant, une prévention bien comprise et durablement assumée aurait été plus rationnelle à la fois sur les plans humain et financier. N'oublions pas que des décisions prises dans l'urgence coûtent généralement fort cher au contribuable.

Certains pays gèrent-ils mieux ces situations ?


La submersion de Hambourget d'une partie du Schleswig-Holstein en 1962 a donné naissance à une approche du risque littoral durable parce que fondée sur une transmission de la connaissance des zones dites «insubmersibles de mémoire d'homme» qui constituent aujourd'hui des refuges pour les populations et la création de repères visuels de plusieurs mètres sur lesquels sont reportés les hauteurs de vagues depuis le XVIIe siècle. Ces marques sont autant d'avertissements lancés aux promoteurs et à tous ceux qui seraient tentés d'y voir une opportunité immobilière. Bien entendu, ces témoignages matériels archivistiques et oraux existent dans notre pays mais les recommandations faites au lendemain du désastre de Xynthia semblent décidémment rester lettre morte.

L'idée de la toute puissance de l'État républicain est une posture par ailleurs dangereuse pour la Nation car elle peut faire renaître en cas d'échec des théories du complot. Lors des inondations de la Somme en 2001, les habitants de la région se sont persuadés qu'elles avaient été volontairement provoquées pour, disait-on, épargner la capitale. Il a fallu que Lionel Jospin, alors premier ministre, se déplace sur le terrain pour expliquer que les inondations étaient aussi le fruit de pluies très importantes. Mais il a eu de la peine à se faire entendre.

Que faut-il faire ?


On a abandonné la prudence pour l'Etat providence. Il faut se réadapter notamment en réintroduisant parmi les populations vulnérables une culture de la survie fondée sur des dispositifs très pratiques: reconnaissance de secteurs refuges, en villes comme à la campagne, réaménagement des territoires à l'aune de l'expérience historique, recréation de dispositifs collectifs à l'échelle du village ou du quartier. Ils permettraient aux communautés de limiter les effets d'une catastrophe naturelle dans ses premières heures avant même l'arrivée des secours.

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