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La France se prépare à des lendemains de fête qui ne chanteront guère. Les finalistes du second tour racontent finalement à peu près la même chose sans convaincre personne. Non, hélas ! L’équilibre des finances publiques de la France ne sera pas rétabli aux dates promises.
La France se prépare à des lendemains de fête qui ne chanteront guère. Les finalistes du second tour racontent finalement à peu près la même chose sans convaincre personne. Non, hélas ! L’équilibre des finances publiques de la France ne sera pas rétabli aux dates promises.
Les citoyens ont le pressentiment qu’on leur cache quelque chose et qu’ils découvriront le pot aux roses – un euphémisme – aux lendemains du 6 mai. En fait, ils ont été trompés. Français si vous saviez…
Au départ, en effet, le diagnostic a été mensonger.
L’origine de la crise de 2008 était à trouver non dans des « défaillances d’un marché dérégulé », comme l’ont dit et répété les politiques et les médias, mais dans les excès de la Puissance publique. Dès lors, l’État dont on célébrait le « Grand Retour » sur la scène économique (qu’il n’avait en vérité jamais quittée) ne pouvait qu’enfoncer les pays malades dans leur propre maladie. Crise dans la crise, l’agitation au chevet de l’euro a poussé l’interventionnisme étatique, par le truchement de la Banque Centrale Européenne, jusqu’à la caricature et en violation flagrante des Traités – avec la complicité honteuse de « Merkozy ». Le fantôme de Keynes, le célèbre économiste britannique, a de nouveau été sorti de la tombe où l’on croyait l’avoir enfermé.
De deux choses l’une : ou bien les gouvernements prennent des mesures pour réduire le fardeau d’une dette qui n’est pas soutenable quand les taux d’intérêt sont supérieurs au taux de croissance de l’économie, et ces mesures briseront la « relance » annoncée. Ou bien les États poursuivent leur fuite en avant, les taux d’intérêt remonteront, le poids de la dette s’alourdira un peu plus, et la relance sera tout aussi molle. La Grèce a été le premier exemple de cette course à l’abîme. Aujourd’hui, l’Espagne s’engouffre dans cette voie calamiteuse quand elle doit payer pour sa dette des taux d’intérêt qui sont de nouveau en hausse. L’Italie est derechef entraînée par la spirale, et on ne voit pas comment la France pourrait lui échapper. Le « spread » – écart de taux entre les emprunts de Berlin et de Paris – est remonté à son plus haut niveau depuis deux mois. La rumeur d’une nouvelle dégradation de la note de crédit de la France s’est d’ailleurs propagée la semaine dernière, par le biais d’une note de la banque américaine Citigroup.
Voilà maintenant que les Pays-Bas sont entrés dans cette danse infernale après la chute du gouvernement Rutte. L’agence de notation Moody’s se tient prête, si le besoin s’en fait sentir, à dégrader la note néerlandaise. « Si nous venions à observer un engagement plus faible dans la discipline fiscale ou une abrogation répétée des règles fiscales du pays, cela pourrait exercer une pression négative sur la note du pays », explique l’agence. Cet avertissement vaut autant sinon plus pour la France, beaucoup moins vertueuse que les Pays-Bas.
Il s’agit bien d’une spirale infernale. Ce n’est pas la dette en valeur absolue qui compte mais le rapport entre produit national brut et dette, intérêts compris. La capacité de remboursement d’un État n’est rien d’autre que son économie, sa richesse, sa croissance. La spirale infernale commence lorsque, pour rembourser la dette, les gouvernements augmentent les impôts et diminuent les dépenses, ce qui impacte la croissance… Pour s’en sortir, notre Napoléon comptait sur le Grouchy de la croissance économique. C’est le Blücher de la stagnation qui est arrivé – avec un chômage record qui – sauf un miracle de dernière minute – le condamne à perdre l’élection présidentielle. Du côté Hollande, ce n’est pas en travestissant les récents propos du président de la Banque Centrale Européenne que l’on sortira la France de cette ornière.
Plus grave, si l’on ose dire, mais ni Hollande ni Sarkozy n’en parlent – pas même une allusion du bout des lèvres -, la crise actuelle est, en fait, l’ultime accès d’une fièvre qui s’est emparé du système monétaire international depuis qu’a été fermée la fenêtre d’or (golden window) le 15 août 1971 par Richard Nixon, alors président des États-Unis. La mémoire des politiciens et des économistes à leur service ou au service des banques qui les paient grassement est si courte qu’on est obligé de leur rappeler que, ce jour-là, le dernier lien qui existait entre le métal jaune et une monnaie (et pas n’importe laquelle puisqu’il s’agissait du dollar) a été rompu.
À gauche comme à droite, on parle beaucoup, pas toujours à bon escient et non sans démagogie, d’une coupure voire d’une opposition entre l’économie réelle et l’économie financière. S’il fallait trouver un sens contemporain à ces expressions, on le trouverait dans le renoncement des États-Unis à respecter leur propre engagement de fonder leur monnaie sur l’or, générant du même coup le « non système » des changes flottants, de la balkanisation monétaire et du mercantilisme déguisé des politiques monétaires nationales. Les banques et les entreprises ont dû alors inventer tout un système de couverture, toute une ingénierie financière très compliquée avec un système d’assurances complexes, qui font le bonheur des traders.
Le peuple a raison de se révolter. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont les vecteurs de cette colère légitime.
Sont soupçonnées à juste titre les banques de profiter de ce faux-monnayage généralisé. A l’abri de banques centrales qui jouent le rôle de prêteur en dernier ressort, elles produisent de la monnaie dite fiduciaire, créée ex nihilo. Autrement dit, des titres de propriété sont créés qui ne correspondent à aucune richesse réelle et perçus comme des propriétés alors qu’ils ne sont que des titres en papier. De rien ne peut rien sortir. Aucun bout de papier ne peut créer de la richesse. Il faut le rappeler sans cesse tant cela est méconnu ou nié – récemment encore par un célèbre Nobel américain. La monnaie de banque, dans ces conditions, est une fausse monnaie validée par la banque centrale et imposée par l’État, qu’elle soit libellée en dollar, en euro ou en yuan, et elle finance de faux investissements.
Evidemment, le premier bénéficiaire de cette fraude est le créateur de la monnaie fiduciaire, c’est-à-dire le banquier lui-même. D’où des privilèges éhontés, dignes de l’Ancien Régime : les institutions proches du pouvoir de l’État comme la haute fonction publique, le Trésor, la banque centrale, l’aristocratie bancaire et les petits malins du trading s’en mettent plein les poches. Les grandes banques s’enrichissent d’autant plus aisément qu’elles seront toujours sauvées de la faillite par les banques centrales ou l’État. Loin d’être dérégulées comme on l’a tant dit, les banques restent en général corporatistes, hyper-réglementées, cartellisées ; elles refusent instinctivement toute authentique concurrence et essaient de conserver cette rente. C’est particulièrement le cas dans notre pays qui pousse l’art du concubinage entre l’État et la finance à un haut niveau de baroquisme.
D’où, aussi, des inégalités de revenu et de patrimoine de plus en plus criantes, au profit des protagonistes de la sphère financière et au détriment des autres acteurs de l’économie – inégalités qui rendent impossibles des réformes pourtant indispensables.
Ainsi, grâce à nos néo-keynésiens patentés, bien en cour au gouvernement comme dans les médias, l’État a plongé mains jointes dans le piège que lui tendaient ceux qui tiennent la « pompe à Phynance ». Sous prétexte de risque systémique, la banque centrale à sa dévotion, aux États-Unis comme en Europe, a sauvé de la faillite des banques et des institutions financières qui ne méritaient pas de survivre à leurs erreurs et à leurs fautes, et il a permis aux cavaliers de la finance de faire un tour de piste supplémentaire. Ubu n’aurait pas fait mieux. Quel banquier peut rester vertueux quand le vice est systématiquement récompensé et oublié ?
De cette socialisation des pertes, correspondant à une privatisation de super-profits scandaleux de monopole, le contribuable est invité maintenant à solder les frais. Le peuple a raison de se révolter. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont les vecteurs de cette colère légitime.
La seule manière de sortir de cette gigantesque ornière est de mettre fin au faux monnayage issu de la coucherie incestueuse de la banque et de l’État et de rétablir une monnaie ancrée dans la réalité économique. L’obstacle est seulement politique : les princes qui nous gouvernent aujourd’hui n’y ont pas intérêt.
Philippe Simonnot, docteur ès sciences économiques, a été professeur d’économie du droit à l’Université de Paris-Dauphine Il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la monnaie et aux banques. En collaboration avec Charles Le Lien, il publie, le 31 mai prochain, "La monnaie, Histoire d’une imposture", aux Éditions Perrin. La version originale de ce texte a été mis en ligne sur le site Nouvelles de France, en date du 25 avril 2012.
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