Je reprends un commentaire de Curmudgeon que j'ai un peu remis en forme (le commentaire , pas Curmu !) :
********
Ces citations de Hollande me mettent mal à l'aise. Le spirituel, ou ce qu’il en subsiste, prend la forme d’un « humanisme » banal :
« Le collectif l’emporte sur l’individuel »
« le sens de l’Histoire est orienté vers le progrès de l’humanité »
« le seul culte à pratiquer doit être celui de l’humanité »
« le seul Dieu que nous devons servir, c’est celui de l’émancipation de l’individu».
Pour rendre justice à la pensée de François Hollande, il faudrait pouvoir lire tout l'article.
Je passe sur la difficulté à bien faire tenir ensemble l'idée que le collectif l'emporte sur l'individuel et l'idée que l'émancipation de l'individu serait un dieu. Mais je m'interroge sur la vision du monde que peut avoir quelqu'un qui adhère à cette conception. Est-il bien capable de saisir que des centaines de millions de nos semblables sont aux antipodes de ces vues ?
Je ne voudrais pas être "méchant" (bien que, parfois, il y ait comme du plaisir et, qui sait, de la vertu à l'être), reste que, au moins à en juger par ces bribes, la pensée philosophique de Hollande se réduit à un triste porridge, le genre de bouillie qu'on sert dans les "planches" des loges maçonniques. Si on pense que le monde tel qu'il est est radicalement mauvais et pourri jusqu'à la moelle, alors ça donne ce révolutionnarisme destructeur que nous avons bien connu, puisqu'il s'agit de tout abattre pour "régénérer" l'humanité.
Mais si on a la tête truffée des vagues sentiments chlorotiques qu'on attribue ci-dessus à notre actuel président, est-on en mesure de gouverner efficacement un grand pays ? Des songes de chaisière "laïque" y prédisposent-ils ?
J'exagère un peu. Soyons juste avec François Hollande. Il a bel et bien su définir ses ennemis. Mais ce sont : la finance, les riches. Si rêveuse que soit la chaisière, elle a ses aigreurs, on le sait.
En tout cas, si Bochenski avait connu Hollande, il l'aurait appelé superstitieux. Joseph Bochenski (1902-1995), que j'adore, et à qui je souhaite faire de la publicité, était un éminent dominicain polonais à l'esprit d'acier. Il est l'auteur d'un superbe petit traité de logique formelle, sec comme un coup de trique, d'une admirable histoire de la logique (où son érudition permet de faire une part à la logique indienne), de travaux sur le matérialisme dialectique (une niaiserie qu'il démonte avec délectation), d'un insolent Manuel de sagesse ordinaire (posthume, 2001), d'un livre d'interview étonnant. Bochenski était un provocateur bienveillant, de cette famille d'esprits secoueurs où je rangerais volontiers Milton Friedman.
********
Voici ce que Bochenski pense du progressisme :
********
Le Progrès
La croyance en un progrès permanent de l’humanité vers des états de plus en plus hauts, meilleurs, vers le paradis terrestre, vers « la lumière », et des réalités de ce style, est une des superstitions les plus nocives que nous ayons héritées du XIXe siècle. Elle règne encore aujourd’hui sur de grandes régions, surtout dans les pays arriérés et socialistes où le progrès est imposé par les partis communistes1. Son contenu est plus ou moins le suivant : l’homme est, par son essence, une créature progressive, c’est-à-dire que, comme espèce, il s’améliore, se perfectionne continuellement. Ce perfectionnement se manifeste dans tous les domaines. Sur le plan de la vision du monde, il passe de la superstition à la science. Dans la science, il évolue vers un savoir de plus en plus grand; en matière de technique, il maîtrise de mieux en mieux le monde. Pour la morale, il devient meilleur sans cesse. En politique, il invente les formes de gouvernement de plus en plus parfaites. Dans l’art, il crée les chef-d’œuvres de plus en plus achevés. Ce n’est que dans la religion qu’il n’y a point de progrès, car elle est une superstition que le progrès élimine de façon efficace. Et si le progrès donne de si splendides résultats, la première et la plus sainte obligation de chaque être sain est de servir ce progrès de l’humanité auquel il faut soumettre tout et tous.
Cette opinion, très répandue au XIXe siècle et encore avant la IIe guerre mondiale, est aujourd’hui rejetée par la majorité écrasante des gens éduqués dans les pays civilisés. Une meilleure connaissance des prémisses de la croyance dans le progrès, ainsi que les expériences vécues par l’humanité au cours du XXe siècle, ont démontré clairement qu’il s’agit d’une simple superstition.
Pour prendre le premier point, la croyance en un progrès qui nous vient du temps des Lumières (à une époque où elle était encore totalement sans fondement) a reçu un appui du côté de la théorie de l’évolution de Darwin ainsi que du développement des sciences modernes et de la technique. La zoologie a démontré qu’il y a un progrès permanent dans le règne animal. Cette constatation a été transposée sur le cours de l’histoire humaine. De même que les mammifères ont été un progrès par rapport aux oiseaux, l’homme moderne est un progrès par rapport à l’homme de l’Antiquité et du Moyen Âge. Mais cette transposition des catégories biologiques sur notre histoire est absolument sans fondement, ne serait-ce que parce que nous sommes ici confrontés à une période de temps très courte. Nous ne connaissons vraiment bien que trois mille ans, environ cent générations, et les cent générations ne font qu’une unité dans la mesure de l’évolution biologique. Parler de progrès dans les limites de cette seconde biologique est une superstition.
En même temps, une meilleure connaissance de l’histoire de la culture a permis de constater que le progrès est plutôt une exception en ce domaine, qu’il ne se manifeste que dans les périodes relativement courtes et seulement dans certaines composantes de la culture. Il est vrai, en effet, que nous avons eu, depuis le XVIIe siècle, un développement magnifique des sciences naturelles et de la technologie basée sur elles. Les résultats de ces dernières sont surtout imposants. Mais il n’y a pas eu dans l’histoire, pour autant qu’on sache, un progrès moral de l’humanité. Pour le dire plus précisément, on peut souvent noter un progrès dans les limites d’une période, d’une civilisation. Par exemple, le progrès dans l’Égypte antique depuis les temps de règne des Hyksos jusqu’à la XVIIIe dynastie est évident. Mais après le progrès moral vient d’habitude une régression. Pour s’en tenir à l’exemple de l’Égypte, la position de la femme dans le Nouvel Empire (XVIe – XIVe siècle av. J.-C.) fut meilleure qu’actuellement en Suisse. Or, dans la même Égypte règne aujourd’hui l’islam, selon lequel la femme, à ce qu’il paraît, n’a pas d’âme. Appeler cela un progrès serait une galéjade.
Par ailleurs, le XXe siècle a vécu des crimes sur une échelle démesurée, sous forme de meurtres massifs accomplis dans les cruels camps allemands et russes – de vrais génocides que nous n’avions pas connus en Europe depuis longtemps. Parler de progrès moral permanent de l’humanité est donc une superstition.
Il en est de même, semble-t-il, dans plusieurs autres domaines. Par exemple, il n’est pas du tout évident que les formes étatiques existant actuellement soient meilleures que celles du Moyen Âge, comme on le croit si souvent. C’est un fait qu’environ quatre cinquièmes des pays du monde sont gouvernés moins bien, par des caciques plus ou moins cruels, que ce ne fut le cas au temps des anciens pharaons ou des césars romains. On pourrait dire de même à propos de la science pure et de l’art.
Une chose est sûre : on a assisté ces derniers temps – depuis à peu près le XVIIe siècle – à un progrès considérable dans les techniques. Ainsi, on a découvert par exemple, une nouvelle méthode de la notation de la mélodie (d’où la possibilité de créer de grandes opéras, des oratorios – et tant d’autres choses – qui n’existaient pas avant). Dans la construction des bâtiments, de nouvelles techniques ont apparu (le béton), qui ont rendu possibles de nouvelles formes architecturales. Dans la logique elle-même, l’application de la technique formelle a facilité le progrès de façon considérable. Mais quand nous nous demandons si le peintre moderne, du fait qu’il dispose de meilleures techniques, est meilleur peintre que Michel-Ange, ou si Frege est un plus grand logicien que Diodoros de Cronos, la réponse est qu’on ne le sait pas. De toute façon, il n’est pas évident qu’il y ait eu – dans l’essentiel – un progrès quelconque relatif à ces choses-là.
Il en découle que l’affirmation consistant à poser un constant et général progrès de l’humanité est d’abord complètement imaginaire; et ensuite, une contradictoire avec les faits connus. Et comme il s’agit des choses appartenant au domaine de la science et à propos desquelles on veut trancher a priori, nous sommes ici en face d’une superstition typique. Il est vrai, en même temps, qu’un progrès restreint est possible aussi bien chez les individus qu’au sein des nations. Il faut donc solliciter un tel progrès. Mais la position « progressiste » décrite plus haut est une superstition.
********
Que peut-on en conclure pour les socialistes de gouvernement et pour François Hollande en particulier ?
Que ce ne sont pas des sages, qu'ils n'ont pas réfléchi, que ce sont, au sens le plus profond du terme, des incultes.
Ils ont une vision du monde erronée, en contradiction avec la réalité de ce monde.
Est-ce grave ? Oui et non.
Dans les décisions quotidiennes, probablement pas.
Mais, au bout de cinq ans, 1 826 jours de décisions quotidiennes, ce vide ne peut que donner une inclination dramatique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire