D'où il découle inconsciemment que nos aïeux furent des fous.
Pour échapper à cette accusation inconsciente, nous préférons une autre accusation, moins infamante : nos aïeux furent des moutons, amenés à l'abattoir par des politiciens stupides et des militaires sanguinaires. Les politiciens et les militaires sont, au sens précis du terme, des boucs-émissaires : on les charge des péchés de la tribu entière. D'où les chromos à la Tardi, qui font plaisir à la génération actuelle mais sont de pures constructions idéologiques.
Pour nous débarrasser de l'accusation inconsciente envers nos aïeux d'avoir été soit des fous soit des moutons, nous devons d'abord l'exprimer : ce sont les quelques lignes qui précèdent. Maintenant, nous devons l'analyser.
Ce que nous savons ne nous raconte pas du tout la même histoire. On parle pudiquement de consentement à la guerre. Soyons plus nets : en 1914, pour autant qu'on puisse le savoir, avec toutes les nuances et les prudences d'usage, il y avait, majoritairement, une approbation de la guerre. Ils n'étaient pas des moutons, mais des citoyens en armes.
Alors, revient, consciemment cette fois, la question «Nos aïeux étaient-ils fous ?».
Non, ils n'étaient pas fous, ils étaient mal informés, ils commettaient une erreur d'analyse tragique.
La guerre de 14 fut une folie. C'est exact, mais ceci est une connaissance rétrospective. L'anachronisme, principal écueil de l'historien.
Nos aïeux n'étaient pas fous, tout simplement parce qu'ils ne savaient pas qu'ils s'engageaient dans une folie. C'est le sempiternel «les hommes font l'histoire mais ils ne savent pas l'histoire qu'ils font». Ils croyaient s'engager dans une guerre de 1870 nouvelle mouture. Même si cela nous dérange, quelques centaines de milliers de morts pour défendre sa patrie, sa terre et sa liberté ne leur semblait pas un prix excessif. Personne n'avait envisagé qu'on compterait les morts par millions.
Pour les Européens de 1914, la guerre n'étaient pas une expérience personnelle, 1870 était loin dans le temps. La guerre de Sécession, la guerre des Boers et la guerre des Balkans de 1912, qui auraient pu servir d'avertisseur, étaient loin dans l'espace.
Nos aïeux n'étaient ni des fous ni des moutons, ils étaient des hommes dans l'erreur. Nous, tout fiers de notre savoir rétrospectif, pouvons nous jurer que nous ne nous ne faisons jamais d'erreur ?
Bien sûr, mon attitude humble, partant du principe qu'il n'y a aucune raison que nos ancêtres fussent plus cons que nous, n'a aucune chance d'être entendue. Elle est si contraire à la pente de notre époque. Nous adorons rien tant que faire la leçon aux hommes du passé et nous complaire dans une supériorité factice.
On pourrait reporter l'accusation de folie aux quelques hommes, Guillaume II et Clemenceau entre autres, qui, une fois connue la nature folle de cette guerre, firent des offres de paix à des conditions qu'ils savaient inacceptables pour l'ennemi. Ceci est une autre histoire. Au lieu de porter sur des millions d'hommes, elle concerne une poignée. Nous en parlerons une autre fois.
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