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Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre.
Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre.
Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle.
Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles,
Couchés dessus le sol à la face de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu,Parmi tout l'appareil des grandes funérailles.
Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles.
Car elles sont le corps de la cité de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu,
Et les pauvres honneurs des maisons paternelles.
[...]
Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Vous les voyez couchés parmi les nations.
Que Dieu ménage un peu ces êtres débattus,
Ces coeurs pleins de tristesse et d'hésitations.
Et voici le gibier traqué dans les battues,
Les aigles abattus et les lièvres levés.
Que Dieu ménage un peu ces cœurs tant éprouvés,
Ces torses déviés, ces nuques rebattues.
Que Dieu ménage un peu ces êtres combattus,
Qu'il rappelle sa grâce et sa miséricorde.
Qu'il considère un peu ce sac et cette corde
Et ces poignets liés et ces reins courbatus.
Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu'ils ne soient pas pesés comme Dieu pèse un ange.
Que Dieu mette avec eux un peu de cette fange
Qu'ils étaient en principe et sont redevenus.
Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu'ils ne soient pas pesés comme on pèse un démon.
Que Dieu mette avec eux un peu de ce limon
Qu'ils étaient en principe et sont redevenus.
Mère voici vos fils qui se sont tant battus.
Qu'ils ne soient pas pesés comme on pèse un esprit.
Qu'ils soient plutôt jugés comme on juge un proscrit
Qui rentre en se cachant par des chemins perdus.
Mère voici vos fils et leur immense armée.
Qu'ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.
Que Dieu mette avec eux un peu de cette terre
Qui les a tant perdus et qu'ils ont tant aimée.
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Les commémorations officielles de la guerre de 14 m'inspirent les plus grandes craintes.
On va nous présenter ceux de 14 comme des victimes, victimes des industriels cupides, des politiciens idiots et des officiers sadiques. C'est une trahison. Qu'on se souvienne alors de Péguy :
Mère voici vos fils et leur immense armée.
Qu'ils ne soient pas jugés sur leur seule misère.
Qu'on ne verse pas dans le sentimentalisme de bas étage, qu'ils ne soient pas jugés sur leur seule misère, qu'on respecte ces soldats qui furent des hommes.
Péguy, Genevoix, étaient Normaliens. Combien de Normaliens et d'Enarques seraient aujourd'hui capables de commander une section d'infanterie au feu ? Cela devrait inciter à la modestie ceux qui les traitent avec commisération.
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(1) : le lieutenant Charles Péguy (officier de troupe, comme Maurice Genevoix, comme Alain-Fournier, comme Louis Pergaud), 41 ans, est mort à Villeroy, pendant la bataille de l'Ourcq, le 5 septembre 1914, d'une balle en plein front, parmi les blés.
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