vendredi, septembre 04, 2015

Souveraineté ou barbarie ?

Souveraineté ou barbarie ?

Je suis souvent circonspect vis-à-vis de Jacques Sapir, que je trouve trop peu libéral en économie et pas assez conservateur pour le reste. Mais ici, dans cet écrit de pure politique, rien à critiquer.

Vous connaissez mon opinion, je l'ai souvent répétée : pas de démocratie sans peuple, pas de peuple sans nation, pas de nation sans souveraineté, pas de souveraineté sans frontières.

Ce salopard apatride, vendu aux Américains, de Monnet savait ce qu'il faisait en détruisant les frontières.

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Etat, Nation, société.

La société française se défait. De ce constat terrible on peut tirer l’origine de la multiplication des revendications identitaires qui nous fait régresser du « nous » au « je ». Ce processus n’est possible que parce que l’Etat-Nation, cette vieille construction sociale, se défait elle aussi. La Nation, c’est ce qui nous protège de la « guerre de tous contre tous » pour reprendre la formule de Hobbes, ou de l’anomie pour citer Durkheim. Il arrive assurément que la loi opprime. Mais, la pire oppression découle toujours de l’absence de lois. Or, ces lois sont prises dans le cadre de la Nation, et la révolution de 1789 a institué le peuple souverain comme juge suprême de ces lois. La démocratie découle alors nécessairement de la souveraineté. Certes, il est des Nations souveraines qui ne sont pas démocratique, mais nulle démocratie n’a pu naître là ou l’on est privé de souveraineté. Toute tentative pour constituer un espace de démocratie institue en réalité un espace de souveraineté. Ces deux notions sont ici indissolublement liées.

Cette crise de la Nation, est aussi une crise de l’Etat. Elle laisse les citoyens démunis et sans pouvoir pour peser sur la situation. Il en est ainsi car ils sont privés du pouvoir de faire et de modifier les lois et par là même ils sont privés du pouvoir d’organiser collectivement leur propre futur. « Il n’y a d’irrémédiable que la perte de l’Etat » a dit un roi de France [Henri IV] en des temps anciens, mais qui semblent aujourd’hui étrangement, et tragiquement, proches. Le contexte était celui de la fin des guerres de Religions. Sous le couvert d’un affrontement confessionnel, entre Catholiques et Protestants, une puissance, l’Espagne, cherchait à dominer l’Europe. Seul le pays a changé car aujourd’hui c’est aussi de cela dont il est question. Or, de toutes les guerres civiles, le conflit inter-religieux est le plus inexpiable car il met en jeu des fins qui dépassent l’échelle humaine. Quand ce qui est en cause est la vie éternelle – pour qui y croit – alors tout devient possible et justifié dans ce que l’on considère alors comme la « vie terrestre » pour atteindre cette « vie éternelle ». Une finalité extrême peut engendrer une barbarie extrême. La guerre de religions est aussi le conflit qui déstructure le plus en profondeur une société, qui dresse les enfants contre les parents, les frères contre les frères. Aussi, quand Henri IV fit cette déclaration devant les juges de Rouen, car un Parlement à l’époque était une assemblée de juges, il voulait faire comprendre qu’un intérêt supérieur s’imposait aux intérêts particuliers et que la poursuite par les individus de leurs buts légitimes ne devait pas se faire au détriment du but commun de la vie en société. En redonnant le sens de la Nation, il mit fin à la guerre civile.

On mesure alors ce qu’il y a d’actuel dans des mots prononcés à la fin du XVIème siècle. Une crise économique peut nous appauvrir, des injustices sociales peuvent contribuer à dresser des barrières entre nous. Mais, la confiscation de la souveraineté nationale touche aux fondements mêmes de ce qui nous permet de vivre ensemble.
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Il se trouve, hasard des lectures, que la période des guerres de religions est une de celles que je connais bien.

A mes yeux, les Essais de Montaigne sont avant tout l'échappatoire d'un gentilhomme qui tente de survivre, de ne pas devenir fou,  dans le «le moyeu de nos guerres».

La phrase célèbre de Montaigne, scandaleuse à nos contemporains, «le bien public requiert qu'on mente et qu'on tue et qu'on massacre» ne peut se lire hors contexte. Comprenez bien qu'un homme qui a vécu sa jeunesse au temps de Wassy, de la michelade, de la Saint-Barthélémy,  n'écrit pas «et qu'on massacre» à la légère. Montaigne, lui, a vu des massacres autrement qu'à la télévision. Il sait de quoi il parle.

Pourtant, il écrit ce qu'il écrit.

La phrase d'Henri IV éclaire celle de Montaigne, elle en est l'explication : «Il n’y a d’irrémédiable que la perte de l’Etat». La perte de l'Etat dans ses fonctions régaliennes (on n'envisage que celles-ci, à cette époque), c'est la perte de tous les biens collectifs : paix et prospérité. Et cette perte est irréversible. Tout, y compris le massacre, vaut mieux que cela.

C'est pourquoi les abandons de souveraineté promus avec beaucoup de légèreté et de bêtise par nos politiciens, les Giscard, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande et consorts, et qui portent en eux la déliquescence de l'Etat souverain sont criminels au sens le plus fort du mot. Ils ouvrent la voie au massacre de milliers de Français, à la misère et à la souffrance pour les autres. Pas forcément demain, mais un jour : les actes ont des conséquences et la connerie n'est jamais une excuse, même si les conséquences mettent du temps à se manifester.

Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face. Pourtant, il le faut bien. Non, tout n'ira pas mieux en fermant les yeux et en pensant à autre chose. Les choses qui finissent par s'arranger sans qu'on n'y fasse rien, ce n'est que dans les mauvais films.

Nos rois savaient ce qu'il en était. On connaît l'image de Louis XIV (qui, enfant, vécut la Fronde) se présentant au Parlement de Paris, de retour de la chasse, le fouet à la main. Et son père, Louis XIII n'a pas plus toléré le désordre dans ses Etats. Quant à Henri IV, il lui ait arrivé de s'adresser au Parlement «avec les grosses dents» : «Je couperai la racine à toutes factions, à toutes prédications séditieuses, et je ferai accourcir tous ceux qui les susciteront. J'ai sauté sur des murailles de villes : je sauterai bien sur des barricades qui ne sont pas si hautes.» Il ne se serait pas laissé intimider par soixante Romanichels sur l'autoroute.

Et notre dernier roi, Charles De Gaulle, était obsédé, en 1944, par le rétablissement de l'ordre et par l'affirmation de la souveraineté, qui, bien entendu, vont de pair.

Souveraineté et barbarie ? Oui, il n'y a que ce choix binaire. Il n'y a pas cette troisième voie illusoire si chère aux procrastineurs compulsifs, aux biaiseurs obsessionnels, aux non-décideurs professionnels, aux éviteurs de conflits habituels, aux petits arrangeurs de ministère, aux lapins de coursive, à ceux qui préfèrent diner en ville.

Souveraineté ou barbarie ? Il falloir se battre pour la souveraineté ou se soumettre à la barbarie.





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