mardi, juillet 17, 2018

La défaite française, un désastre évitable (J. Belle)

Il s’agit d’une relecture, mais il ne me semble pas en avoir déjà fait un compte-rendu.

Jacques Belle se pose deux questions, qui font chacune l’objet d’un tome.

1) Les alliés devaient-ils sortir de Belgique le 16 mai 1940 ?

2) La poursuite du combat outremer était-elle possible le 16 juin 1940 ?

Ce sont deux uchronies fouillées. Ce qui est plus important, basées sur des hypothèses qui ont été évoquées à l’époque, donc pas anachroniques.

Je ne m’attarderais pas sur la deuxième car il me semble que cette question est réglée après les travaux de Jacques Sapir et de son équipe, qui ont donné lieu à des livres et à des bandes dessinées : oui, l’opinion de De Gaulle était juste (en tant que sous-secrétaire d’Etat à la guerre et à la défense nationale, il était bien placé pour avoir un avis motivé), la France aurait pu poursuivre la guerre outremer.

Si cela vous intéresse, vous avez les hypothèses et les chiffres dans ce deuxième tome. Donc, la demande d’armistice était bien une décision politique (même si le haut commandement français a été tarte comme pas possible) motivée par une hypothèse dramatiquement erronée : l’Angleterre allait avoir le cou tordu comme un poulet.

La première question est plus originale. Classiquement, on pose, comme Bruno Chaix, la question de savoir s’il fallait entrer en Belgique le 10 mai 1940. Une fois avancées en Belgique, les armées françaises et anglaises ont été piégées par le « coup de faux » allemand à travers les Ardennes. Jacques Belle pose le problème de la décision quelques jours plus tard. Il considère qu’il n’y avait pas assez d’informations pour ne pas entrer en Belgique. En revanche, le 15 mai au soir, lors d’une conversation téléphonique avec le général Georges, Gamelin « suggère » une attaque des armées en Belgique du nord vers le sud de manière à couper la tête de pont allemande sortant des Ardennes, avec l’aide de la bordure sud de la brèche, style marteau et enclume.

Que se serait-il passé si cette « suggestion » vite oubliée avait été un ordre direct et exécuté ?




C’est ce qu’examine Jacques Belle.

Il finit par conclure que la possibilité existait, que ce n’était pas une idée irréaliste. Certes, très risquée, mais pas plus que de laisser les divisions blindées de Guderian et cie atteindre la mer. Il aurait fallu résister aux Allemands qui poussaient en Belgique, tout en attaquant la base de la percée ennemie. Mais, en cas de réussite, la situation était complètement retournée : la fantastique percée allemande devenait l’échec retentissant (car les Panzers seraient rapidement tombés en panne d’essence) d’une stratégie téméraire. Un second « miracle de la Marne », sur la Meuse cette fois.

Pourquoi cela n’a-t-il pas été tenté ? Manque de vista, d’énergie, le fatalisme ambiant, la résignation … Là encore, De Gaulle a raison : la défaite militaire, c’est avant tout des fautes de commandement. Bien sûr, ce commandement a une excuse : la surprise, qui a tétanisé les généraux « au point de les amener là où ils en sont ». Mais cette surprise n’aurait pas dû en être une : la campagne de Pologne a été analysée. Les pilotes le savent bien : sous pression et dans l’urgence, on ne fait bien que ce qu’on a mûri auparavant dans le calme. C’est le coup du pilote de Mirage qui perd un bidon au décollage, l’avion bascule sur le dos et qui, tout en finesse, sauve son zinc et sa peau en maniant le manche avec délicatesse. Quand on lui demande comment il a fait ce miracle, il répond « J’y avais pensé avant. Je n'ai jamais eu confiance dans ces saloperies de bidons ». Les généraux français ont singulièrement manqué d’imagination dans leur préparation.

Revenons à la stratégie.

La stratégie alliée, d’étranglement économique de l’Allemagne, « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts », était loin d’être idiote, comme l’ont prouvé Adam Tooze et David Edgerton (je vous invite à relire ce billet).




Mais il fallait en tirer toutes les conséquences. L’une d’elles était que les Allemands ne se laisseraient pas étouffer sans réagir et qu’il fallait donc s’attendre à « une attaque brusquée », comme on disait dans le vocabulaire d’époque.

Or, notre commandement a préparé la réponse à une attaque allemande à travers les plaines belges, et puis … Et puis rien.

Quand on a dit à Pétain que les Allemands pouvaient passer par les Ardennes, il a répondu qu’ « on les repincerait à la sortie ». Certes, mais qu’a-t-on fait pour se mettre en état de les « repincer à la sortie » ? Pétain, qui était tout puissant sur la défense nationale dans les années 30, a-t-il créé ce corps blindé de réserve réclamé par De Gaulle qui aurait permis de réagir aux surprises ennemies ? 

Là comme ailleurs, il s’agit bien de fautes de commandement. Comme le fait remarquer Michel Goya, il y a un réel problème de compétences dans le commandement : quand, le 16 mai 1940, Gamelin annonce à Churchill qu'il n'a plus de réserves, celui éprouve « la plus grande surprise de [sa] vie ». Et à raison. Jamais, entre 1914 et 1918, le commandement français n'a omis, même dans les moments les plus dramatiques, de garder des réserves. Cela parait élémentaire. De là date la perte de confiance précoce des Anglais dans les Français, aux conséquences politiques dramatiques.

Ce que Jacques Belle démontre, c’est qu’il aurait été malgré tout, avec les forces bancales en place, possible de contrer les Allemands, sans certitude de succès.

Ce risque était bien présent dans la tête des militaires allemands. Le coup de génie d’Hitler a été de comprendre l’état d’esprit des alliés, qu’il avait contribué à façonner au long des années 30. Le créneau temporel était étroit : entre le 14 mai au matin et 15 mai au soir. Il n’a pas été saisi. Dès le 16 mai, les Anglais ont commencé à perdre confiance dans les Français, Hitler a gagné cette bataille, atteint son objectif : séparer les alliés (ce que Guillaume II n'était jamais parvenu à faire).

La chance du 14-15 mai 1940 était très ténue. Mais, comme il s'en est offert une seconde autour 10-16 juin, la poursuite du combat outremer, qui n'a pas été saisie non plus, il faut bien reconnaître une faillite d'ensemble de la direction française. Il ne faut pas oublier que Marc Bloch et d'autres révèlent avoir entendu des propos défaitistes de la bouche de généraux dès la mi-mai. Pendant ce temps, 80 000 Français mouraient sur le champ de bataille et sur les routes.

L’intérêt d’une telle étude pour aujourd’hui ? Démontrer que les fautes étaient d’abord militaires puis politiques, que, contrairement au discours pétainiste qui fait la morale (« l’esprit de jouissance »), et rejette la défaite sur tous les Français, les coupables étaient dans les dirigeants et qu’il n’y a pas de culpabilité collective. Pour la rafle du Vel d’Hiv et la déportation des juifs, les Français étaient responsables d’une seule chose : avoir perdu la guerre. Et même ça, ce n’était pas entièrement leur faute.

Ce traitre de Pétain a beaucoup travaillé à dédouaner des généraux qui ont prouvé par la suite qu'ils étaient plus aptes à des carrières de chanoines hypocrites, de nonces onctueux et de diplomates vicieux que de chefs inflexibles d'armées en campagne. Ce faisant, il a culpabilisé des Français qui ne le méritaient guère.

Une fois de plus, De Gaulle avait raison : « Je dis que nous sommes raisonnables. En effet, nous avons choisi la voie la plus dure, mais aussi la plus habile : la voie droite » (Albert Hall, 18 juin 1942).

On peut dire avec Montesquieu qu'une telle défaite, qu'elles qu'en fussent les circonstances, révèle qu'il y avait quelque chose de pourri au royaume de France. Mais ensuite, il y a eu De Gaulle, Leclerc, Moulin, Brossolette ... Et, malgré tout, la victoire et sa récompense, qu'on a tendance à négliger de nos jours, un siège de membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU.

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