dimanche, décembre 09, 2018

Gilets jaunes : 3 textes éclairants

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« Ce pays crève de ne pas être réformé (par un bon gestionnaire) »

Les réformes, ça sert à s'adapter à un cadre. Ces réformes, pour faire court, elles donnent lieu à deux phénomènes : une concentration des revenus accrue et, surtout, une diminution du pouvoir d'achat. Le deal que l'on propose aux gens consiste à dire : vous aurez du travail mais moins bien payé. Si vous acceptez d'être moins payés, ou de percevoir moins de prestations sociales, dans un cas comme dans l'autre, que ce soit des revenus du travail moins importants ou un arrêt des transferts sociaux avec moins de remboursement obligeant au recours à des assurances privées, cela revient au même : votre pouvoir d'achat se verra réduit. Evidemment les gens réagissent en disant : « Non mais attendez le niveau de l'eau est juste sous nos narines, et vous nous expliquez qu'il faut encore qu'on s'enfonce ? On va vraiment mourir noyés ! ». Voilà l'interprétation que l'on peut donner à ces mouvements de colère : les gens ne sont pas idiots, ils voient bien ce qu'on leur propose sous la forme de réformes.

Les réformes gestionnaires ne peuvent s'appréhender qu'à l'intérieur d'un cadre orthonormé et ce cadre c'est celui des traités européens, et de l'ouverture des marchés à la concurrence telle qu'on la connait aujourd'hui. Dans ce cadre, logiquement, mathématiquement presque, la seule solution est de baisser le pouvoir d'achat, avec un espoir, qui est la dialectique libérale : que ce qui aujourd'hui baisse, demain va remonter. On croit qu'avec la concentration des revenus se produira le fameux effet de ruissellement : si on laisse les riches avoir plus d'argent, ils vont de toute façon le dépenser, et ce sera la marée qui fera monter tous les bateaux, comme disait le consensus de Washington. Sauf que les gens voient bien que le FMI, la Banque mondiale, ont renoncé eux-mêmes à cette théorie du ruissellement. La théorie du choc l'offre, de l'ajustement par les prix, du remboursement de la dette, et des privatisations, ça ne fonctionne pas. Si les économistes libéraux du FMI ou de la Banque mondiale eux-mêmes ont des doutes, on ne peut pas traiter les « Gilets jaunes » de populistes incultes, c'est un peu court. Cette théorie, à laquelle Macron croit si fortement est en fait une théorie des années 1970-1980. Or les gens qui la contestent sont renvoyés à leur analphabétisme économique, au fait qu'ils ne comprennent pas : c'est ce que croit le gouvernement, il le dit quand il affirme qu'il n'a pas fait assez de pédagogie. Mais les gens ont repéré que c'est le cadre qui pose problème, et qu'il est en train de sauter à travers sa remise en question.

Dans le programme des « Gilets jaunes », sans qu'il n'y ait bien sûr d'élaboration macro-économique (ils ne sont pas économistes !), si vous mettez bout à bout ces demandes, il est certain qu'à l'intérieur d'un cadre juridique qui est celui de l'UE d'un cadre macroéconomique libéral néoclassique, cela ne peut pas marcher. On ne va pas encore jusqu'à former une politique alternative, mais les demandes qui sont formulées, par exemple que l'État puisse réserver des aides uniquement aux entreprises françaises ou à celles qui créent de l'emploi, sont incompatibles avec le cadre. Le gouvernement n'est pas complètement franc du collier là-dessus, mais Aurélien Taché a vendu la mèche en disant : on veut transférer la souveraineté à l'échelle européenne. Si vous raisonnez à l'échelle européenne, avec cette idéologie, vous considérez que tout le monde doit aller trouver du boulot…en Allemagne, c'est le STO quoi !

« Les pauvres en France bénéficient du meilleur système de sécurité social au monde »

Les Français refont aujourd'hui l'analyse qui consiste à repérer un angle mort, ce que l'on appelle les trappes à pauvreté, ou les working poors dans le monde anglo-saxon. A force de dire à l'extérieur que le système français est formidable parce qu'il offre un matelas ou des filets de sécurité, on finit par ne plus voir que l'on peut être complètement asphyxié en bossant avec un salaire au SMIC et en étant quand même matraqué fiscalement. Si ce n'est pas direct, sous la forme de l'impôt sur le revenu, c'est un indirect. Cela, les « Gilets jaunes » le dénonce, mais c'est une analyse qui avait déjà été faite. Il est assez nouveau en revanche qu'on s'achemine vers une dénonciation généralisée de ce que l'on peut appeler le traitement social du chômage. La thérapie libérale européiste, celle qui consiste à rester dans l'ordo-libéralisme européen que propose Macron, ne résout pas économiquement le chômage, et par conséquent elle ne résorbe pas la pauvreté. Pour s'attaquer au chômage structurel, il faut 3 à 4% de croissance économique. A travers cela, est dénoncé le fait que le système social coûte extrêmement cher, c'est le problème de la fiscalité, et que plus on augmente les taxes pour essayer de financer un système social, plus on alourdit l'économie. Cela est dit très clairement aujourd'hui. Le mouvement des « Gilets jaunes » ne témoignent pas d'un anticapitalisme débile, comme on le dit parfois, bien que la France insoumise s'agite en vain pour le récupérer. On ne dit pas qu'il faut casser la fabrication des richesses et taxer à mort, pas du tout, on dit simplement qu'on ne peut pas faire vivre les gens péniblement de transferts sociaux, parce que ce n'est pas viable. Cela rejoint donc la question de la fiscalité et celle de l'endettement. Qu'est ce qu'il se passe ? Une double mécanique infernale est à l'oeuvre, qui est aussi une double contradiction dans le système : premièrement, en traitant socialement le chômage vous vous empêchez de le traiter économiquement et vous ralentissez la croissance ; mais de la même façon plus vous vous acharnez à rembourser la dette, plus vous augmentez les impôts, moins vous pouvez rembourser la dette et plus vous vous endettez… Il y là un cadre que ceux que l'on appelle nos élites favorisent aveuglément. Il faut juger un arbre à ses fruits. Si c'est pour mettre le France à genoux, en arriver à une telle paupérisation et autant de recul dans la part de l'économie mondiale, qui n'est qu'un critère parmi d'autre, on peut se demander si ce sont bien des champions.

Le traitement social du chômage par ponctions fiscales et transferts sociaux très élevés n'est pas viable, alors que les gens disent qu'ils sont à la limite de la survie. C'est spécialement vrai pour ceux qui sont obligés de travailler et ne bénéficient pas des allocations. Mais même ceux qui en bénéficient ne s'en sortent pas. Le discours vraiment scandaleux qui consiste à dire que les gens seraient des fainéants, contents de vivre grâce aux allocations, s'est banalisé. Non, on ne vit pas des minimas sociaux, on vivote, ce n'est pas la même chose. Aujourd'hui les Français ne disent pas qu'ils ne veulent pas travailler, ils estiment en revanche que le cadre macroéconomique actuel ne permet pas de propulser de la croissance, de créer de la richesse et de trouver du boulot, c'est très simple comme message.

« L'immigration est une chance pour l'économie et l'échange entre les cultures »

J'ai été très surpris de la clarté et du bon sens qui s'exprime dans le programme des « Gilets jaunes » tel qu'il a été transmis en début de semaine. Tous ces gens qui n'ont a priori pas fait d'études longues font remonter quand même un programme tout à fait ajusté. En matière d'immigration, la demande est très claire : ces Français ne veulent pas d'une fermeture totale, notamment à l'égard du droit d'asile auquel ils semblent attachés. Il n'y a pas chez eux de volonté de rejeter les principes universalistes. Ce n'est pas parce que ces valeurs sont caricaturées en laxisme relativiste par les classes dirigeantes depuis une quarantaine d'année qu'il faut jeter le bébé avec l'eau du bain. En revanche, ils appellent à reconduire en masse les déboutés du droit d'asile. Cela rompt avec l'idée paradigmatique que la reconduction massive des gens qui sont en situation irrégulière serait comparable à Auschwitz et aux rafles de Vichy. Les « Gilets jaunes » ont une approche du problème à la fois très pragmatique et dés-idéologisée : il y a toujours un droit d'asile pour protéger ceux qui sont persécutés, conformément aux valeurs de la République française, mais ceux qui ne correspondent pas à cela, il faut les reconduire, et les reconduire tous, à la frontière, sans parlotte.

Finalement, les élites partagent assez largement un point de vue communautariste sur la question migratoire, que ce soit le Rassemblement National, Laurent Wauquiez, ou l'option mainstream qu'incarne Macron. Dans un cas comme dans l'autre, on finit par considérer que les gens ont le droit de se déplacer chez nous en restant chez eux, qu'ils ont le droit de changer de géographie sans changer d'histoire. On considère que le travail seul suffit à permettre l'intégration, sans qu'il soit besoin de changer de culture. Et ensuite on débat pour savoir s'il y a « Grand Remplacement » ou non. Les « Gilets jaunes » ne tombent pas dans le panneau : ils acceptent que des gens viennent immigrer chez nous mais, dans ce cas, là il faut que ceux-là deviennent Français, qu'ils parlent Français, qu'ils respectent les moeurs et la culture française. C'est une position incroyablement réaliste, lucide, et mesurée. Par contraste ce qui apparait généralement comme la position raisonnable est dénoncé comme étant une gigantesque tartuferie et une mascarade ; tandis que les solutions extrêmes sont elles-aussi rejetées.

« Les élites politiques sont les garantes des principes républicains et du liberté égalité fraternité »

Les élites se sont auto-constituées comme les garants de l'état d'esprit républicain et des institutions démocratiques. S'en prendre à leur paradigme, c'est attaquer la démocratie. C'est en réalité l'inverse : les élites s'attaquent au marteau piqueur et de toute part au socle républicain. Elles l'ont attaqué sur le plan éducatif avec le pédagogisme ; avec des programmes d'histoire qui transforment les Français en Français malgré eux. Sous couvert d'avoir une distance critique, ce qui est tout à fait louable, à l'égard de ce que l'on appelle le roman national, on est passé d'un excès à un autre, d'une histoire d'Épinal où la France était « la madone aux fresques des murs » comme disait le général de Gaulle, à une espèce de putain qui torturait, lynchait les enfants juifs, etc. Un pays qui était considéré comme étant au centre du monde jusque dans les années 1960, est devenu un pays qui ne compte pour rien. A lire les manuels scolaires d'histoire et de géographie, les bras vous en tombent. Il ne reste plus que l'Europe et la mondialisation, et la France a totalement disparu. On n'en est même plus à dire du mal de la France : ce serait encore considérer qu'elle existe ! Les élites ont attaqué le socle républicain en développant une vision de l'Etat de droit contre l'expression de la volonté générale et du suffrage universel : que ce soit dans le domaine migratoire ou de la sécurité, et là ce n'est plus une affaire de droite ou de gauche, les demandes de maîtrise et de répression de la délinquance et des violences contre les personnes, demandes en croissance continue depuis les années 1990 ont constamment été ignorées. Tous les gouvernements, une fois arrivés au pouvoir, ont toujours renforcé les droits de la défense à travers une protection continue des minorités, tandis que les élus locaux profitent largement les communautarismes, comme le dénonce Malek Boutih. Sur le plan de l'indépendance nationale en matière militaire, il y a eu la réintégration malheureuse au commandement militaire intégré de l'OTAN. On constate aujourd'hui l'effet des coupes dans les effectifs des forces de l'ordre. Les exemples sont nombreux qui montrent que le poisson pourrit complètement par la tête.

Mais le fond de l'affaire c'est que la classe dirigeante française chercher à détacher les droits de l'homme du citoyen. On a voulu faire en sorte que les droits de l'homme soient l'apanage des juges européens, et que la protection relève des marchés et des technologies, et qu'en conséquence, tout ce qu'il y aurait à faire, ce sont des startups. On veut faire en sorte que l'homme soit détaché d'une nation, détaché d'un Etat et de la force publique, détaché de l'expression du suffrage universel, déraciné en somme, dans l'éther. Mais les droits de l'homme sont inconcevables sans les droits des citoyens. S'il n'y a pas d'État, il n'y a pas de droits de l'homme. La sûreté est le premier des droits de l'homme, le premier chronologiquement. Si la sûreté n'est pas assurée, aucun des droits de l'homme ne l’est.





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