On a entendu tellement de conneries ces derniers temps que cela en devenait insupportable et faisait perdre patience (comme ce journaliste , repéré par Ingrid Riocreux, qui croyait que Mgr Aupetit était fétichiste, qu'il priait la cathédrale elle-même !).
Voilà des propositions qui paraissent pas trop connes, notamment faire du chantier de la reconstruction à l'identique une attraction touristique. Mais les mégalos Narcisse-Jupiter 1er et Annie Dingo sont-ils capables d’entendre quoi que ce soit ?
Rappelons que les chantiers du Batavia en Hollande, de l’Hermione et de Guédelon en France furent d’immenses succès populaires.
Au passage, on découvre (on découvre peut-être -après tout, nul n'est obligé d'être aussi inculte qu'un journaliste ou qu'un ministre) que nos ancêtres, obscurantistes, forcément obscurantistes, savaient parfaitement gérer des forêts et construire rapidement des charpentes. Avec toutes nos procédures super-méga intelligentes, nous sommes incapables d’aller au tiers de leur vitesse. C’est beau le progrès.
La charpente de Notre-Dame de Paris : état des connaissances et réflexions diverses autour de sa reconstruction.
Par Frédéric Epaud, chercheur CNRS (LAT CITERES, UMR 7324, Tours)
Suite à l’émotion suscitée par l’incendie de Notre-Dame, de nombreux commentaires contradictoires voire ubuesques ont circulé à propos de la charpente disparue, des bois qu’il fallait sécher plusieurs années pour être utilisés et des forêts entières qu’il fallait raser pour la construire ou la reconstruire.
Cathédrale de Paris, charpente de la nef, Cl. F. Epaud
Il est donc utile de faire un état des connaissances sur la charpente et les bois utilisés à Notre-Dame au XIIIe siècle ainsi que sur les possibilités de reconstruire une charpente en bois selon les techniques en vigueur au Moyen Âge.
Quels sont les études faites sur la charpente gothique de Notre-Dame ?
Fort heureusement, des relevés architecturaux précis des structures médiévales avaient été réalisés en 2015 par R. Fromont et C. Trentesaux, dont une courte synthèse a été publiée en 2016 dans la revue Monumental, en complément de ceux faits en 1915 par H. Deneux et d’un mémoire de DEA réalisé en 1995 par V. Chevrier portant sur la dendrochronologie.
De plus, un scanner de la charpente a été effectué en 2014 par l’entreprise Art Graphique et Patrimoine (150 scans). Le relevé complet et précis de la charpente a donc bien été réalisé.
La disparition de cette charpente représente néanmoins une immense perte scientifique pour la connaissance des constructions en bois du XIIIe siècle car son analyse archéologique, tracéologique et dendrologique restait à faire.
De nombreuses études complémentaires auraient méritées d’être faites pour comprendre le fonctionnement des structures, les procédés de mise en œuvre et de levage, les types d’assemblage, les phases de construction et de reprises, l’organisation du chantier et sa progression.
Les datations dendrochronologiques effectuées en 1995 restent imprécises et devaient être affinées pour dater à l’année près les différentes campagnes du chantier et les restaurations.
L’étude dendrologique méritait aussi d’être réalisée pour connaître la provenance des bois, le profil des chênes abattus (morphologie, âge, croissance…) et par là même l’état des forêts exploitées au XIIIe siècle.
Cette étude reste donc à faire à partir des documents existants et des restes calcinés.
Cette perte est d’autant plus grande que ce n’est pas une mais trois charpentes gothiques qui ont disparu :
-celle construite sur le chœur vers 1220,
-celle qui appartenait à la première charpente des années 1160-1170 dont les bois furent réemployés,
et
-celle de la nef (1230-1240 ?) qui était bien plus perfectionnée que celle du chœur.
Celles des deux bras du transept, de la flèche et les travées du vaisseau central limitrophes à la flèche dataient des travaux de Lassus et Viollet-le-Duc au milieu du XIXe siècle. Le bois d’œuvre et la forêt exploitée au XIIIe siècle Les documents à notre disposition et les études des autres grandes charpentes du XIIIe siècle permettent de répondre à certaines questions.
Les bois utilisés dans les charpentes médiévales ne furent jamais séchés pendant des années avant d’être utilisés mais taillés verts et mis en place peu après leur abattage.
Il s’agissait de chênes provenant des forêts les plus proches appartenant vraisemblablement à l’évêché.
Chaque poutre est un chêne équarri (tronc taillé en section rectangulaire) à la hache en conservant le cœur du bois au centre de la pièce.
La scie n’était pas utilisée au XIIIe siècle pour la taille des poutres. Les chênes abattus correspondaient précisément aux sections recherchées par les charpentiers et leur équarrissage se faisait a minima au plus près de la surface du tronc avec peu de perte de bois. Les bois ainsi taillés ont une meilleure tenue que les bois sciés qui se déforment en séchant.
Les courbures naturelles du tronc étaient donc conservées à la taille ce qui n’était en rien un handicap pour les charpentiers du XIIIe siècle.
On estime que la construction de la charpente gothique de la nef, du chœur et du transept de Notre-Dame a consommé autour de 1000 chênes. Environ 97 % d’entre eux étaient taillés dans des fûts d’arbres de 25-30 cm de diamètre et de 12 m de long maximum. Le reste, soit 3 % seulement, correspondait à des fûts de 50 cm de diamètre et de 15 m maximum pour les pièces maîtresses (entraits).
Ces proportions sont similaires à celles mesurées dans les charpentes du XIIIe siècle des cathédrales de Lisieux, Rouen, Bourges, Bayeux.
Outre leur faible diamètre, la majorité de ces chênes étaient jeunes, âgés en moyenne de 60 ans avec des croissances rapides d’après les études dendrochronologiques menées sur la plupart des charpentes du XIIIe siècle du Bassin parisien.
On est donc bien loin de l’image d’Epinal des énormes chênes au tronc épais et vieux de plusieurs siècles.
Ces arbres jeunes, fins et élancés provenaient de hautes futaies où la densité du peuplement était maximale et où la forte concurrence entre les chênes les a contraints à pousser très rapidement vers la lumière en hauteur, non en épaisseur.
Ces futaies médiévales, gérées selon une sylviculture spécifique qui était basée sur une régénération par coupe à blanc et recépage, et sur l’absence d’éclaircie pour conserver l’hyperdensité du peuplement, produisaient massivement et rapidement des chênes parfaitement adaptés à la construction en bois et aux techniques de taille à la hache.
Pour ces raisons, les surfaces forestières sollicitées par ces grands chantiers ne représentaient que quelques hectares seulement : à peine 3 hectares pour les 1200 chênes de la charpente de la cathédrale de Bourges.
On est donc là encore bien loin des légendaires défrichements de forêts entières pour la construction des cathédrales gothiques… La structure de la charpente Au début du XIIIe siècle, les maîtres charpentiers étaient confrontés à des difficultés jusqu’alors inédites, liées au gigantisme des cathédrales gothiques et surtout aux difficultés d’adapter la charpente à des murs minces percés de grandes verrières et à la forte poussée des vents sur des toitures de plus en plus hautes et pentues.
Ce défi était d’autant plus ardu que les charpentes dites à chevrons-formant-fermes de l’époque généraient d’importantes poussées latérales sur les murs et que les bois utilisés étaient fins et donc flexibles.
Le maître charpentier de NotreDame a su relever ce défi avec brio en concevant une structure complexe mais équilibrée, stable pour elle-même et pour les murs, avec de nombreux dispositifs de raidissement au sein des fermes, des renforcements des entraits, un doublement de la triangulation, des systèmes de moises pour soulager les bois lourds, des travées courtes pour réduire les poussées latérales des fermes secondaires sur les murs, des reports de charges de ces dernières sur les principales par des liernes latérales et axiales, une pente forte et d’autres techniques pour rendre la structure stable et répartir de façon homogène les charges sur les murs.
Il n’a pas hésité à charger la structure de tous les dispositifs nécessaires avec des centaines de pièces secondaires, la rendant bien plus dense que la plupart des charpentes de son temps ce qui lui a donné sur surnom de « forêt ».
Le maître d’œuvre a su faire une parfaite synthèse de toutes les expérimentations réalisées sur les grands chantiers en cours de son époque.
Il fut certainement l’un des plus grands et des plus audacieux maîtres charpentiers de son temps. La charpente du XIIIe siècle de ND figurait parmi les plus grands chefs d’œuvre de la charpenterie gothique française par sa complexité technique et son exceptionnel état de conservation.
Le temps nécessaire à la réalisation d’une charpente à chevrons-formant-fermes est connu et n’est pas si important que l’on imaginerait. La construction de la charpente du XIIIe siècle de la cathédrale de Bourges aurait réclamé seulement 19 mois de travail pour une équipe de 15-20 charpentiers, de l’équarrissage des 925 chênes au levage des fermes.
Quid des vestiges ?
A l’heure actuelle, un collectif de chercheurs regroupant spécialistes des charpentes, anthracologues, dendrologues, écologues, climatologues, biogéochimistes s’est attelé à la mise en place d’un projet de recherche destiné à collecter et étudier les restes calcinés de la charpente, le jour où ceux-ci seront accessibles. Il est d’ores-et-déjà dans l’esprit de tous, services patrimoniaux, architectes, élus et chercheurs que les vestiges de la charpente seront préservés après étude à des fins conservatoires.
Reconstruire aujourd’hui une charpente du XIIIe siècle ?
S’il est indécent aujourd’hui de parler de reconstruction alors même que le cadavre calciné de la charpente gît encore sur les voûtes, il nous semble toutefois nécessaire de présenter quelques faits et suggestions qui serviront peut-être au débat plus tard.
Cette question revêt trois aspects :
les bois, la structure et les techniques.
Avec quels bois ?
Concernant le bois d’œuvre nécessaire. Comme dit plus haut, les bois utilisés au XIIIe siècle à ND sont pour 97 % de faible diamètre (25-30 cm) et de 12 m de long maximum ce qui correspond à des « petits » chênes, facile à trouver.
L’abattage de 1000 chênes ne représente pas un inconvénient puisque le pays dispose de la plus grande forêt d’Europe avec 17 millions d’ha de forêts dont 6 millions en chênaies, en constante augmentation depuis des années.
Le prélèvement ne se ferait certainement pas par coupe rase comme on l’avait souvent répété puisque les futaies actuelles sont différentes de celles du XIIIe siècle (dont 3 ha suffisaient) et que ces « petits » chênes sont dispersés dans les peuplements actuels.
Leur abattage se ferait donc par furetage avec des coupes individuelles ciblées au sein des futaies, limitant ainsi l’impact écologique sur les écosystèmes forestiers.
Rappelons que la fabrication du bateau L’Hermione a prélevé par furetage 2000 chênes, soit le double que pour Notre-Dame, sans que cela n’ait causé le moindre souci environnemental.
La reconstruction d’une charpente en chêne permettrait de valoriser la filière forestière française qui connaît aujourd’hui des difficultés en raison de la sous-exploitation des futaies et de l’exportation massive du bois brut notamment vers la Chine.
Aujourd’hui, l’emploi d’un matériau naturel, travaillé selon des techniques traditionnelles, serait un signe fort de notre époque dans le choix d’une gestion raisonnée et écologique de nos ressources naturelles et d’une économie verte tournée vers le savoir-faire artisanal. Quelle charpente restituer ?
Avant de proposer une reproduction à l’identique, il est nécessaire de savoir si les maçonneries peuvent supporter à nouveau une charpente de poids identique avec les mêmes modalités de répartition des charges sur les murs.
Par le passé, la reconstruction des charpentes incendiées sur les cathédrales a souvent reproduit à l’identique l’originale du XIIIe siècle comme sur les cathédrales de Meaux en 1498, de Rouen en 1529 puis en 1683, de Lisieux en 1559 ou au XIXe siècle sur de nombreux monuments historiques.
Certes, il existe tout autant des charpentes refaites à neuf sans tenir compte de l’originale pour des raisons économiques. La restitution de la « forêt » gothique est possible puisque le relevé complet et précis de la charpente existe même s’il reste encore à définir les rajouts ultérieurs pour restituer son aspect originel.
La structure de la flèche est également connue grâce à une maquette des compagnons charpentiers. Techniquement, la possibilité est donc offerte. Le choix d’apposer l’empreinte de notre temps sur Notre-Dame est aussi légitime comme le rappelle l’article 9 de la Charte de Venise tant qu’elle respecte l’harmonie et la composition de l’ouvrage.
Si l’ambition des maîtres d’œuvre a toujours été de magnifier la cathédrale par des réalisations remarquables, il faut reconnaître que pour les charpentes l’exercice ne fut pas toujours une réussite. Les charpentes récentes utilisent des bois sciés dans des structures pragmatiques, économiques et sans aucune réelle beauté comparée à celles du XIIIe siècle.
Les charpentes en métal de la cathédrale de Chartres et en béton de celle de Reims peuvent être considérées comme de beaux ouvrages mais la question de leur pérennité reste à prouver et celle de la transmission du savoir-faire technique des « bâtisseurs » des cathédrales se pose encore plus, sachant que d’autres monuments contemporains peuvent y répondre sans poser de problème éthique, comme les gares ou les aéroports.
Outre le matériau et la forme, le débat doit surtout prendre en compte les techniques à utiliser.
Quelles techniques mettre en œuvre aujourd’hui ?
Si les formes des charpentes ont évolué de siècle en siècle, les techniques de taille manuelle à la hache, dites traditionnelles, sont restées quant à elles identiques du Moyen Âge jusqu’au début du XXe siècle.
Contrairement à une idée largement répandue, ces techniques ne sont quasiment plus utilisées aujourd’hui dans les grandes entreprises de charpenterie du fait de la modernisation nécessaire et de l’amélioration des outils d’usinage numériques et des machines outils électriques.
Les entreprises des Monuments Historiques et les compagnons charpentiers n’équarrissent plus les bois à la hache et s’approvisionnent directement en scierie.
Seules quelques rares entreprises artisanales pratiquent encore la taille à la doloire, cherchant à maintenir la transmission d’un savoir-faire pluriséculaire et l’essence même de leur métier par la maîtrise de toute la chaîne opératoire : de la sélection de l’arbre en forêt, sa taille manuelle, à sa pose.
Ces techniques traditionnelles sont pourtant économiquement viables et rentables pour ces petites entreprises. La différence entre un ouvrage fait selon la tradition et les techniques industrielles est pourtant sans équivoque puisque les bois équarris à la hache sont plus solides et de meilleure tenue que ceux sciés, ils se déforment bien moins au séchage, les bois courbes sont employés, les pertes sont minimes, l’ouvrage est plus beau en respectant les formes naturelles du tronc et, surtout, les charpentiers y retrouvent l’amour de leur métier.
Ceci explique le succès des chantiers traditionnels comme Guédelon ou ceux des « charpentiers sans frontières » qui réunissent jusqu’à 60 charpentiers professionnels venus du monde entier pour restaurer un ouvrage.
Depuis peu, des conservateurs des Monuments Historiques et des architectes réclament que les bois soient travaillés selon les techniques traditionnelles à la doloire pour la restauration de charpentes anciennes comme pour l’Aître Saint-Maclou à Rouen mais peu d’entreprises peuvent encore y répondre.
Elles ont besoin de formation pour réapprendre ces techniques, ce qui est justement proposé par le projet de loi du gouvernement pour la restauration de Notre-Dame.
Dans l’hypothèse où les choix de restauration se porteraient sur une charpente en bois, on peut imaginer un chantier-école de ce type sur le parvis de Notre-Dame, avec des dizaines de charpentiers équarrissant à la hache des grumes et taillant les bois manuellement selon les règles ancestrales du métier, qui permettrait aux entreprises de renouer le lien avec un savoir-faire pluriséculaire, dans l’esprit et la continuité des chantiers des cathédrales.
Un tel chantier serait sans nul doute spectaculaire et très émouvant auprès du grand public car il témoignerait du respect de notre époque pour un patrimoine gestuel et technique qui se doit d’être préservé comme élément de notre identité culturelle et encore plus sur l’un des monuments les plus chers à la nation.
Quant au type de charpente, un compromis entre une structure en bois d’inspiration médiévale et contemporaine, employant les techniques de la charpenterie traditionnelle héritée du XIIIe siècle mérite réflexion, ce qui permettrait en même temps de valoriser nos ressources forestières selon une éthique écologique très ancrée dans le XXIe siècle.
Bibliographie :
Chevrier V., La charpente de la cathédrale Notre-Dame de Paris à travers la dendrochronologie, mémoire de DEA, Université de Paris-Sorbonne, Paris IV, 1995.
C.R.M.H., Charpentes XIIIe siècle, vol. 2, Ministère de la Culture, Direction du Patrimoine, Paris, 1982.
Deneux H., 1927, « L’évolution des charpentes du XIe au XVIIIe siècle » dans L’Architecte, p. 49-53, 57-60, 65-68, 73-75 et 81-89.
Epaud F. (A paraître 2019) « Les forêts et le bois d’œuvre au Moyen Âge dans le Bassin parisien » dans La forêt au Moyen Âge, Les Belles Lettres, Paris.
Epaud F., La charpente de la cathédrale de Bourges. De la forêt au chantier, PUFR, Coll. Perspectives historiques », Tours, 2017.
Epaud F., De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie, Publications du CRAHM, Caen, 2007.
Fromont R. et Trenteseaux C., « Le relevé des charpentes médiévales de la cathédrale NotreDame de Paris : approches pour une nouvelle étude » dans Monumental, Semestriel 1, Editions du patrimoine, Paris, 2016, p. 70-77.
Hoffsummer P. (dir.), Les charpentes du XIe au XIXe siècle, typologie et évolution en France du Nord et en Belgique, Cahiers du Patrimoine n° 62, 2002.
Le Port M., « Évolution historique de la charpente en France » dans Encyclopédie des métiers, La charpente et la construction en bois, t. 1, Librairie du Compagnonnage, Paris, 1977, p. 379- 610.
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