mercredi, août 28, 2019

Etre de son temps, quand le temps est mauvais, une ambition idiote.

Ce que nous dit Hannah Arendt de notre temps

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C’est à Hannah Arendt que l’on doit l’expression : la « dégradante obligation d’être de son temps ». Beaucoup d’hommes politiques, d’acteurs du débat public, ou prétendus tels, devraient méditer cette citation.

En effet, dans notre société, rien n’est plus présent face à celui qui s’interroge, qui réfléchit, qui tente de comprendre que cette injonction à « être de son temps ». Face aux débats éthiques, aux enjeux législatifs, face à la question de la place de l’Homme dans la société et dans l’Histoire, chacun est désormais invité à « être de son temps ».

Or, rien n’est plus dégradant, au sens littéral du terme, que cette démarche d’esprit. Voici l’Homme de raison remplacé par l’Homme de mode. L’air du temps, c’est ce qui place le discours de comptoir, le dernier « buzz » médiatique ou la passion émotionnelle du moment au-dessus de la réflexion pérenne, des données établies, de la quête d’une réponse vraie et durable.
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La pensée classique doit souffler en Europe

Tout ce court texte est à lire, voici quand même des extraits :

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Le paradigme relativiste domine notre culture commune depuis trois siècles, mais n’a fait sentir que progressivement ses effets.

C’est l’idée qu’il n’y a pas de vérité objective en matière morale, politique et sociale, et que chacun se détermine donc comme il l’entend. Dès lors la seule notion du bien que doit reconnaître la société est le droit de chacun à définir comme il l’entend ses valeurs et références sous réserve du droit équivalent du voisin – ce qu’on trouve pour la première fois clairement exprimée dans la Déclaration des Droits de l’homme de 1789.

Il en résulte une lente dérive, qui ronge ces biens communs essentiels qu’à des degrés divers l’humanité avait repérés ou construits au cours de son histoire. Au stade actuel, cela se traduit par une radicalité et une emprise considérables, dont témoigne ce qu’on appelle le politiquement correct, une police de la pensée qui eût été impensable sous cette forme il y a cinquante ans.

Mais échapper à l’emprise d’un paradigme dominant n’est pas simple. Un paradigme est un cadre qui structure et oriente toute la pensée collective d’une époque. Comme l’a montré Kuhn en matière scientifique, un paradigme n’est dépassé que lorsqu’un autre émerge du fait que le premier rencontre des diffiultés insurmontables. Tant qu’on n’en est pas là, la pensée reste conditionnée par le paradigme précédent.

La pensée classique présente un cadre de pensée tout à fait différent et donc véritablement alternatif. Elle se fonde sur l’expérience des siècles, qui permet de dégager par la réflexion et l’usage une référence sûre pour la vie et l’action communes. Elle a été formalisée en politique notamment par Aristote, Cicéron puis [Saint] Thomas d’Aquin [raide à lire mais captivant]et est toujours vivante depuis, inspirant à des degrés divers des penseurs comme Burke [très anglais - c'est un compliment], MacIntyre ou Scruton [un Finkielkraut intelligent], voire Tocqueville.

Dans cette conception on trouve d’abord le sens de l’objectivité du bien et du vrai ; l’importance centrale de la personne, qui ne peut exister et se développer qu’au sein de communautés solidaires, grâce à une éducation humaniste, tournée vers le vrai et le bien. Un autre aspect important est la conscience que les sociétés sont des édifices complexes, construits au cours du temps et non à partir de théories édifiées a priori, impliquant l’interaction de très nombreuses personnes et qui se régit par des règles de vie dégagées au cours du temps et intériorisées. L’une des forces de la pensée classique, même dans un contexte hostile comme le nôtre, c’est qu’elle donne du recul. Ce qui aide à ne pas se perdre dans les méandres du débat politique au jour le jour, sans pour autant cesser d’espérer et d’agir.

[…]

Un débat qui ne pose pas la vérité, y compris la vérité morale, comme objectif commun n’est plus un débat, car il n’y a plus de critère commun ; c’est au mieux une négociation. […] Et si tout est négocié, alors les rapports de forces les plus brutaux finiront pas l’emporter, et finalement l’état de nature au sens violent de Hobbes. Au minimum une délinquance latente.
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Combien de fois ai-je entendu (en général, par des personnes pas très intelligentes, mais la bêtise grimpe à une vitesse foudroyante dans l'échelle sociale et même les classes prétendues supérieures sont décevantes) au cours d'un débat qui tourne court faute d'arguments : « C'est mon opinion (sous-entendu : et je la garde quoi que tu dises) » ?

Le sous-texte est « Puisqu'il n'y a pas de critère de vérité pour nous départager et que nous sommes égaux en dignité, nos opinions se valent, même si tu as dix arguments et moi aucun ».

Ce qui est évidemment la porte ouverte à la barbarie : si tout se vaut, le cannibalisme n'est qu'une simple question de goût.



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