mercredi, août 21, 2019

L'émeute du 6 février 1934 vue par William Shirer

Je continue ma lecture de The collapse of the third republic.

Comme correspondant du Herald Tribune, William Shirer a vécu l’émeute de 6 février 1934 en direct, d’abord au balcon du Crillon, où il a vu la victime d’une balle perdue tuée à côté de lui, puis dans les rues.

Rappelons que cette émeute oppose les ligues d'extrême-droite, massées place de la Concorde, échauffées par l'affaire Stavisky, à la police qui barre le pont de la Concorde pour les empêcher de prendre d'assaut le Palais Bourbon.

Les reproches faits par les ligueurs au régime sont loin d'être tous excessifs, puisque certains étaient très largement partagés dans tout le spectre politique. Ce qui n'empêchait pas le dit régime de repousser toute réforme.

Shirer fait plusieurs remarques intéressantes :

  • Les communistes ont manifesté aux cotés des fascistes pour renverser la république « bourgeoise ». Ils n’ont tiré aucune leçon du destin de la république de Weimar l’année d’avant en Allemagne. Ce n’est qu’au matin du 7 février qu’ils se sont dits qu’ils avaient peut-être fait une connerie et ont commencé la réflexion qui aboutit au Front Populaire.
  • Les politiciens ont été en-dessous de tout. Albert Lebrun sanglotait dans son bureau de l’Elysée, comme d’habitude (il avait la larme facile et recommencera en 1940). Certains parlementaires se sont déguisés pour ne pas se faire écharper. Ils ont été incapables, devant le péril, de surmonter leurs petites querelles. Même les conseillers de Daladier, chauds-bouillants, prêts à découdre, ont débandé dès qu’il a fallu passer à l’action. Tous les témoins de ces scènes, y compris d’éminents républicains, ont été écœurés.
  • Les policiers étaient fort mal commandés, sauf exception. Ils ont tiré dans le tas, 20 morts (dont des spectateurs) parmi les civils et 1 parmi les policiers. Shirer remarque l’orientation de la presse : elle en a fait des tonnes sur les morts de droite, beaucoup moins sur les morts d’une manifestation ouvrière quelques jours plus tard. L’orientation de la presse a bien changé, mais elle reste toujours très partisane.
  • L’échec de l’émeute ne vient pas de la force des défenseurs du régime mais de la faiblesse des chefs émeutiers. Les ligueurs ont manqué de coordination et d'impulsion venue d'en haut. Les Croix-de-Feu, les plus organisés et les plus habiles des manifestants (ils ont eu l’intelligence de ne pas passer par le pont de la Concorde où s’affrontaient la police et les émeutiers) sont arrivés à quelques centaines de mètres du Quai d’Orsay et du palais Bourbon, quasiment pas défendus, et ont alors reçu l’ordre de leur chef, le colonel La Rocque, de ne pas aller plus loin. Quant aux autres chefs, ils étaient aux abonnés absents. Maurras n’a appris les événements que le lendemain midi, il était occupé la nuit précédente à faire des vers (comme dirait Mangeclous). Bref, ces chefs nationalistes étaient braillards mais pas très sérieux dans leur volonté de renverser le régime : quand l’occasion s’est présentée, ils l’ont esquivée (comparez avec Hitler de l’autre côté du Rhin).




Mitterrand, qui est arrivé à Paris juste après cette émeute, a un jour engueulé Gaston Deferre, ministre de l’intérieur, parce que des manifestants étudiants avaient traversé le pont Alexandre III : : « Chacun sait depuis le 6 février 1934 que l'on ne doit jamais laisser les manifestants pénétrer dans le périmètre Palais Bourbon, Élysée, place Beauvau ».

J’ai mauvais esprit, mais je vois dans ces quelques constats de Shirer des rapprochements évidents avec notre crise des Gilets Jaunes.

Pour Shirer, les deux conséquences les plus néfastes à long terme de cette journée dramatique sont, d’une part, que Pétain, nommé dans le gouvernement Doumergue suite à l'émeute, s’est imaginé un destin politique (1) et, d’autre part, que Laval et lui, contre toute attente (le pacifiste exempté de guerre de 14 et le vainqueur de Verdun) se sont rapprochés.

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(1) : non, le Pétain de 1940 n’est pas un sauveur sans ambition qui se sacrifie pour le pays. C’est un vieillard qui ressasse depuis des années sa frustration de pouvoir.

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