Ouvrage tout à fait remarquable, que je vous conseille. Recueil d'une cinquantaine de monographies qui forment un tout cohérent, avec cartes et photographies, accompagnées d'encadrés thématiques.
Pour bien comprendre l'histoire et la légende de l'armée allemande au XXème siècle, il faut avoir en tête, deux idées maîtresses :
1) L'Allemagne a déclenché les deux guerres mondiales en espérant les emporter par la force. L'armée allemande a perdu ces deux guerres mondiales dans des catastrophes gigantesques. Il y a donc fort peu de raisons objectives d'ériger cette armée doublement vaincue en modèle et en objet d'admiration.
Comme a dit un Italien courroucé contre Merkel, « il y a des peuples qui se battent jusqu'à la victoire. Les Allemands, eux, se battent jusqu'à la défaite ».
2) Après ces deux guerres mondiales, ce sont les vaincus qui ont écrit l'histoire. Après 1918, grâce à l'habileté de la propagande du « coup de poignard dans le dos » ; après 1945, à cause de l'anti-soviétisme des Américains, qui ont recyclé les généraux teutons vaincus et les ont laissés beaucoup écrire et parler.
L'efficacité de cette propagande a un effet comique : la recension de cet ouvrage par le Figaro a été abreuvée d'injures d'incompétence par les commentateurs, qui ne sont probablement pas tous des nazis nostalgiques. Seuls quelques courageux ont essayé de remettre un peu de faits dans les mythes, sans grand succès (1).
Non, l'armée allemande n'a pas été vaincue seulement par la supériorité démographique et matérielle de ses ennemis, mais par ses propres déficiences.
Non, les victoires n'ont pas été perdues (« Victoires perdues », titre des mémoires de Von Manstein) par la faute de l'incompétence d'Hitler (ayant le bon goût d'être mort, il ne pouvait plus se défendre).
Non, la Wehrmacht n'a pas été propre, elle a participé à de nombreux actes de barbarie.
Une doctrine inadaptée
Quel est le problème de fond de l'armée allemande (Lopez se concentre sur le deuxième guerre mondiale, mais beaucoup de ses analyses valent pour la première) ?
Avoir une doctrine du XVIIIème siècle pour les guerres du XXème.
Comme au temps du grand Frédéric, l'armée allemande cherche la bataille décisive, qui n'existe pas dans les guerres industrielles du XXème siècle, pour éviter la guerre longue à laquelle elle refuse de se préparer. L'Allemagne elle-même prouve qu'il n'y a pas de bataille décisive contre une nation moderne : elle enchaine les défaites catastrophiques à partir de 1943 et pourtant, aucune de ces batailles n'a été décisive comme a pu l'être Iena.
Les Russes et les Américains ont beaucoup mieux compris que la guerre industrielle ne se jouait pas sur une bataille décisive. La défaite française en 1940 est une anomalie, pas un modèle. D'ailleurs, on sait aujourd'hui que la France aurait pu poursuivre la guerre et l'Allemagne se serait retrouvée avec, sur les bras, la guerre longue qu'elle voulait éviter à tout prix (encore plus qu'avec la seule résistance de l'Angleterre).
Cette doctrine inadaptée a des effets ravageurs. Les Allemands sont excellents en tactique mais cons comme des buses en stratégie (voir la guerre sous-marine à outrance en 1917). Ils négligent le renseignement, la logistique et la gestion des arrières, ont une politique de matériel folle (un V2 porte 2 fois moins d'explosifs qu'un Lancaster pour 3 fois plus cher. Il a fallu 10 ans pour mettre au point le turboréacteur pour une guerre qui en a duré 6. L'Allemagne avait 252 modèles d'avions, 4 fois plus que les Américains).
Pour mesurer à quel point l'armée allemande est déficiente, il faut savoir que Ludendorff a écrit dans ses mémoires (donc au repos, avec le recul) que « la tactique doit prévaloir sur la stratégie pure » !
Prenons l'exemple de Barbarossa, l'invasion de l'URSS le 22 juin 1941.
Barbarossa
Comme lors des « offensives de la paix » au printemps 1918, à aucun moment, l'état-major allemand ne se donne un critère de réussite : « Pour que l'URSS soit vaincue, il faudra arriver à tel résultat ».
C'est pourquoi la guerre à venir n'est envisagée que comme une succession de batailles d'encerclement sans priorité claire. Halder, qui prépare les plans et qui sera recyclé par les Américains, est si optimiste qu'il veut déclencher l'offensive en septembre ! C'est Hitler (vous savez, celui qui fait perdre les victoires, d'après les généraux survivants) qui insiste pour l'avancer au printemps.
La Wehrmacht, qui n'a pas froid aux yeux, attaque un pays 14 fois plus grand que la France et 6 fois plus peuplé avec, en gros, la même armée et sans aucune priorité.
Elle attaque au nord (en direction de Leningrad), au centre (en direction de Moscou) et au sud (en direction de Stalingrad). Elle fait 3,8 millions de prisonniers, chiffre extraordinaire, mais pour quel résultat stratégique ? Pas grand'chose, comme le prouvera le suite.
Les matériels et les hommes s'usent énormément sans profit, alors qu'une offensive moins folle, plus structurée, auraient été plus efficace à long terme (mais justement, les généraux allemands refusaient par principe le long terme). Ca me rappelle un article passionnant du Fana de l'Aviation expliquant que les déplacements incessants avaient usé la Luftwaffe, indépendamment de toute opposition russe.
Et comme la logistique a été négligée (la logistique allemande marche au pas des chevaux jusqu'en 1945. Elle avait nettement moins de camions en 1940 que l'armée française. Les panzers ne doivent pas faire illusion), la Wehrmacht se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue.
Aussi bizarre que cela puisse nous paraître aujourd’hui, l’industrie automobile allemande était très insuffisante, d’où les exigences incessantes de camions auprès de Berliet et de Renault.
Les experts en logistique avaient bien averti les généraux, mais, comme ils considéraient cela comme une fonction subalterne, ils n'en ont pas tenu compte. On comparera avec Eisenhower : « Les amateurs parlent stratégie. Les professionnels parlent logistique ».
Une autre stratégie était-elle possible ? Oui, en partant de l'idée qu'on ne vainc pas une grande nation industrielle avec de la profondeur stratégique en un été et en établissant un plan sur deux ou trois ans avec des priorités claires.
Par exemple, saisir Leningrad pour avoir un port permanent afin de gérer la logistique permettant de s'enfoncer au-delà de l'Oural. Ou, autre priorité possible (mais, évidemment, exclusive des autres, quand tout est prioritaire, rien ne l'est), saisir les ressources minières et industrielles dans le sud pour alimenter l'effort de guerre. Mais Moscou n'était pas un objectif stratégique, comme Napoléon l'a prouvé à ses dépens.
Autre manquement de la pensée stratégique allemande : l'incapacité à rallier les populations conquises, comme en Ukraine. C'était inutile dans l'optique d'une guerre courte, mais, la guerre se prolongeant, cet aspect devient décisif.
De nombreuses occasions ont été ratées en 1941 et la Wehrmacht recommence en 1942 dans la même logique foireuse. Pas étonnant que ça se termine par le raclée de Stalingrad.
Et Hitler, cet imbécile (d'après les généraux vaincus) ? Hé bien, au printemps 1941, il est beaucoup plus inquiet que ses généraux et, dès novembre, il considère que la guerre ne peut plus être gagnée à l'est.
En face, les Russes accumulent les erreurs locales, mais ils ont la bonne approche : penser sur plusieurs années, travailler la logistique, avoir un objectif clair (l'invasion totale de l'Allemagne).
Enfin, on notera que, si, au nom de l'anti-communisme, les Américains ont fait la promotion des généraux allemands vaincus, ils se sont très peu laissés influencer par eux, ce qui témoigne d'un certain bon sens.
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(1) : l’historien militaire Bernd Wegner pouvait écrire en 1995 : « L’historiographie (ouest-)allemande sur la Seconde Guerre mondiale, et tout particulièrement sur la guerre germano-soviétique, pourrait avoir été pendant plus de deux décennies et même en partie jusqu’à nos jours, dans une bien plus forte mesure que nous n’en sommes généralement conscients, une historiographie des vaincus ».
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