mardi, juin 23, 2020

COVID-19 : une défaite française


COVID-19 : une défaite française 

Conclusions

L’épidémie de covid-19 n’a rien d’exceptionnelle contrairement à ce que les autorités et les médias n’ont cessé de répéter tout au long de la crise. La mortalité se situe entre le 9e et le 13e rang dans l’histoire sanitaire française des 70 dernières années. Quant aux « nouveaux » virus, depuis près de deux siècles, nos sociétés y ont été souvent confrontées et elles ont surmonté ces épidémies sans enfermer leurs citoyens, mettre à bas les libertés publiques ni ruiner le pays.

Le covid-19 aura tué entre 30 000 et 40 000 Français (suivant que l’on compte ou non le nombre probable de morts à domicile). C’est beaucoup comparé à la plupart des autres pays. Par exemple, proportionnellement à la population, il y a eu 4 à 5 fois plus de morts en France qu’en Allemagne alors que la population allemande est plus âgée, donc plus à risque et que, par tête d’habitant, les budgets de santé sont comparables. Avec le Portugal, le rapport est de un à trois ou quatre, avec une population âgée et un budget santé bien moindre. Le Japon, lui aussi nettement plus âgé et touché par l’épidémie avant la France, a pourtant eu cent fois moins de morts sans pratiquer le confinement obligatoire. Certes, il y a eu proportionnellement à la population, plus de morts en Belgique ou au Royaume-Uni et autant en Italie et en Espagne. Ces quatre pays ont des points communs avec la France : du fait de leur impréparation et de la crise des urgences, les autorités ont choisi un confinement dur et le pilotage administratif du système de soins. Manifestement cette voie n’était pas la bonne et l’autosatisfaction qui prévaut aujourd’hui chez les dirigeants français ne doit pas cacher des résultats très problématiques.

En 2015, personne n’a songé à déclarer : « virus inconnu : tous aux abris ». Les écoles, les entreprises, les salles de spectacles, les restaurants sont restés ouverts. Pourtant, la surmortalité finale a été équivalente à celle qui se profile avec le covid-19… La diffusion du virus a été limitée grâce à des précautions de routine dans le secteur hospitalier et surtout grâce au « confinement » des malades chez eux jusqu’à ce qu’ils ne soient plus contagieux. Pendant ce temps, la vie culturelle, sociale et économique continuait et les libertés civiles et publiques étaient préservées. Ces malades ont accepté de rester « confinés » chez eux parce qu’ils avaient confiance dans leur médecin et qu’ils étaient convaincus qu’on les soignait correctement. Dans cet équilibre difficile entre la lutte contre l’épidémie, le respect des libertés individuelles et les nécessités de la vie collective, le « médecin de famille » a joué le rôle principal, de manière assez efficace parce qu’il était investi de la confiance des malades sinon de celle des autorités sanitaires et des pouvoirs publics.

Ce fragile équilibre a été rompu en 2020. Les autorités publiques se sont emparées du dossier et elles ont ouvertement déclaré que le covid-19 était une chose trop sérieuse pour laisser les médecins de ville s’en occuper. On les a bombardés de directives inapplicables puis on les a carrément mis sur la touche en les menaçant des plus graves sanctions s’ils persistaient à vouloir soigner.

Dans son discours du 17 mars 2020, le président de la République a utilisé plusieurs fois le mot « guerre ». Avec son état-major « scientifique » et les autorités de santé, croyant sans doute faire le bien, il a désarmé la première ligne de défense, laissé l’ennemi se répandre librement dans la population française et s’emparer des endroits stratégiques où il n’aurait jamais dû pénétrer.

Cette débâcle interroge aussi une organisation sanitaire très centralisée, le mépris des autorités publiques pour les médecins généralistes, le manque de confiance de l’Etat dans la société civile mais aussi le modèle économique de l’industrie pharmaceutique, dont l’existence dépend du remplacement rapide des médicaments existants par de nouveaux produits17. Pour toute une série de raisons – d’emploi mais aussi de prestige national – les gouvernements sont évidemment sensibles aux demandes et aux découvertes de cette industrie. Les médicaments anciens, malgré leur efficacité, sont peu rentables pour leurs fabricants puisqu’ils sont tombés dans le domaine public. Ils sont donc régulièrement remplacés, voire retirés du marché. Cela peut désarmer les médecins lorsque l’efficacité des nouveaux médicaments reste douteuse, sans parler du coût qui se trouve démultiplié pour la Sécurité sociale, les mutuelles et les patients.

Enfin et surtout, cette politique, outre qu’elle n’a pas évité une surmortalité importante, a engendré une régression démocratique – privilégiant pendant plusieurs semaines une société de surveillance et de punition18. – puis la crise économique la plus grave depuis les années 1930 et la Seconde guerre mondiale19. Le nombre de chômeurs est en train d’augmenter dramatiquement tandis que le déficit de la Sécurité sociale – et plus largement de l’Etat social – est devenu abyssal, comme jamais auparavant.

Lors de son troisième voyage, Gulliver découvre Balnibarbes, pays dirigé selon les préceptes d’une académie pléthorique et richement dotée. Pourtant, sous ce gouvernement « éclairé », le pays est pauvre et misérable car les recommandations de l’académie sont toujours absurdes, à l’opposé de la logique et de l’expérience. Du coup, les champs sont stériles, les maisons délabrées, l’était sanitaire déplorable, rien ne fonctionne. Face au covid-19, la France aurait-elle ressemblé à Balnibarbes ?

 

Dominique Andolfatto, professeur de science politique, Credespo, Université de Bourgogne Franche-Comté (Dominique.Andolfatto@u-bourgogne.fr)

Dominique Labbé, chercheur associé en science politique, Pacte-CNRS, Université de Grenoble-Alpes (dominique.labbe@umrpacte.fr)



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