Ce recueil commence très mal : dans la préface, Tresmontant dit s'inspirer de cet enculé de Voltaire. Je comprends ce qu'il veut dire : Voltaire avait un talent pédagogique certain, mais l'exemple est tout de même fort mal choisi.
Ce n'est pas la première fois que je fais cette réflexion sur Tresmontant : il écrit des choses très intelligentes et très justes et, de temps en temps, une imbécilité indigne, comme de se dire de gauche, antiraciste ou de prendre comme référence Voltaire. Dans ce que j'ai lu de lui (qui n'est qu'une petite partie de sa grande production), je n'ai pas trouvé trace qu'il ait réfléchi sérieusement à ces sujets sur lesquels il donne un avis stupidement conformiste.
Plus grave. En 1977, Tresmontant fait encore l'éloge des « innovateurs » de Vatican II contre les « fixistes ». Sachant que la fréquentation des églises françaises a baissé de moitié entre 1960 et 1977, ce jugement ne témoigne pas d'un grand sens de l'observation, pour dire le moins.
Mais il se rattrape en faisant l'éloge des philosophes médiévaux et en se foutant de la gueule de ses collègues philosophes qui passent directement de Platon à Descartes.
Bref, j'ai abordé ces chroniques avec appréhension, en me disant que Tresmontant est fantastique pour l'exégèse de l'église primitive et pour la philosophie. Mais que, dès qu'il s'agit d'être réaliste et de parler de l'actualité, c'est un intellectuel crétin comme les autres, lui qui se réclame du réalisme intégral. Un curé de campagne a toujours plus de réalisme qu'un philosophe. Mon mépris des intellectuels de profession ne diminue pas.
Problèmes de Tresmontant
Ca commence fort, par une chronique totalement stupide, défendant l'abolition de la peine de mort (1977) sous le prétexte de la pacification de la société.
D'un point de vue réaliste, on sait que la peine de mort appliquée pendant plusieurs générations pacifie la société en éliminant avant qu'ils aient eu le temps de se reproduire les psychopathes et les caractères les plus violents.
D'un point de vue philosophique, jusqu'à l'hérétique François Zéro, le magistère catholique défendait la légitimité de la peine de mort légale avec des arguments autrement plus forts que « c'est pô gentil ».
J'en tire un théorème : plus Tresmontant s'éloigne de son sujet (l'ontologie chrétienne), plus il est conformiste et donc stupide. Toutes les intelligences ne fonctionnent pas comme cela : Montaigne et Pascal étaient capables d'avoir des avis originaux sur tout.
Je comprends mieux sa publication par la Voix du Nord, elle est sans risques : sur les sujets que les gens comprennent, Tresmontant est conformiste, sans danger. Et les sujets où il est original, les lecteurs s'en foutent.
L'exécution de Heidegger (et de l'université française)
En 1977, quand Tresmontant écrit, Heidegger est à la mode dans l'université français et il y est bien vu de considérer que son nazisme fut superficiel, momentané et carriériste.
En quelques pages, Tresmontant explique que la philosophie de Heidegger est obsessionnellement opposée à la création du monde, telle que la voient les juifs et les chrétiens : sous-entendu, son nazisme n'a rien de superficiel, il est ancré dans sa philosophie. Et que la mode d'Heidegger à l'université française vient justement d'un antijudaïsme/antichristianisme partagé.
Pour Tresmontant, c’est sans ambiguïté : le nazisme vient du fin fond de la philosophie allemande.
« Il est bien naturel qu'Heidegger s'écrie "Heil Hitler !" à la fin de ses discours aux étudiants en philosophie. »
Allez, encore une citation :
« Le vieux fond du paganisme antique, du paganisme de toujours, c'est la pratique des sacrifices humains : les enfants des hommes offerts en sacrifice aux divinités sanguinaires. Il n'y a pas lieu de s'étonner que la résurgence du paganisme germanique avec l'hitlérisme ait abouti lui aussi aux sacrifices humains, cinquante millions de morts »
Très belle exécution.
La publication posthume des carnets d'Heidegger, savamment échelonnée, où les allusions ne laissent aucun doute, donnent raison à Tresmontant a posteriori (donc bravo Tresmontant). La réhabilitation du nazisme, discrète mais tenace, à laquelle nous assistons en Europe à l'occasion de la guerre en Ukraine vient de loin.
Je regrette que Tresmontant ne parle pas d'Hannah Arendt (je suppose que, pour lui, c'est un personnage sans importance philosophique). Son avis m'aurait intéressé.
Une juive étudiante, amante et, surtout, passeuse, légitimatrice, d'un philosophe nazi, ça me chiffonne.
L'idée de banalité du Mal d'Arendt est trompeuse. Certes, le Mal est banal mais tous les hommes ne sont pas également mauvais. Eichmann n'a rien de banal, il a fait carrière dans le Mal.
Gunther Anders, lui aussi juif et étudiant de Heidegger, et ex-mari d'Hannah Arendt (la philosophie est plus souvent une affaire de cul qu'on ne croit) combattait Heidegger sans ambiguïté.
On remarquera (Tresmontant y insiste) qu'Heidegger est, comme l'ignoble Emile Combes, un séminariste défroqué.
La Création
Dans la Bible en version originale hébreu, le verbe « créer » est réservé à Dieu. L'homme « fait », « fabrique », il ne « crée » pas.
Cette idée d'une création du monde et d'un aboutissement du monde (la parousie) est tout à fait singulière par rapport aux philosophes grecs, entre statisme (le monde a toujours été et sera toujours pareil) et cyclisme (l'histoire est faite de cycles éternellement répétés).
Or, toutes les visions statistes ou cycliques supposent nécessairement des sacrifices humains, pour empêcher le monde de s'effondrer ou le cycle de s'arrêter. Ce sont les Aztèques trucidant à la chaine par peur que le soleil arrête de se lever. Il n'y a pas d'exception.
Nous vivons exactement la même chose avec l'absurde et mortifère culte climatique de Gaïa. Pour l'instant, les sacrifices humains consistent à pourrir la vie des gueux avec des obligations, des interdictions et des taxes « climatiques », mais si quelques uns mourraient au passage, ça ne chagrinerait guère les cultistes du climat, qui ne cessent de répéter que « nous sommes trop nombreux sur Terre ». Je suppose que ces très consciencieux écologistes ne s'incluent pas dans le « nous », sinon ils se seraient déjà suicidés.
Quand je vois des crétins qui roulent en enclumes à roulettes électriques, trouvent les éoliennes très bien, font minutieusement leur « bilan carbone » et qui se croient très intelligents, très rationnels et très responsables, ça me fait bien marrer : quiconque a un peu de culture et un peu de recul reconnaît dans l'écologisme le culte primitif de Gaïa et les trouve grotesques (et nocifs). Mais, justement, de culture et de recul, ils n'en ont pas.
Tresmontant est tout à fait à l'aise avec la science actuelle (Big Bang, évolutionnisme, génétique) puisqu'il pense que la Création se fait en continu et que les coups de pouce bénéfiques que les athées appellent le hasard, c'est Dieu.
Un point qui a évolué depuis que Tresmontant écrivait dans les années 70. Aujourd'hui, on ne sait pas faire apparaitre la vie si les constantes de l'univers (constante de gravitation, force faible, force forte, masse de l'électron ...) différent de quelques dixièmes de pour-cents de notre monde. Peut-être est-ce l'insuffisance de nos connaissances. Mais les athées sont obligés de recourir à l'hypothèse (non prouvée) d'une infinité d'univers pour expliquer ce réglage fin qui nous a permis d'exister. Tresmontant s'en serait réjoui.
Pour Tresmontant, la différence fondamentale entre nous et Saint Augustin, Blaise Pascal, Bossuet ... est que nous savons par les découvertes scientifiques (cosmologie, génétique) que la Création n'est pas achevée, qu'elle est un processus qui continue aujourd'hui.
Corps et âme
La séparation platonicienne du corps et de l'âme est erronée. L'âme est ce qui fait qu'un corps est un corps et non un cadavre, un amas de matière sans vie.
Dans la Bible, cette notion de séparation de l'âme et du corps n'existe pas. Depuis que Dieu a donné la vie à Adam, il n'y a pas de corps sans âme.
Cette séparation est gnostique et elle mène à toutes les conneries actuelles (prostitution, tatouages, laideur, dépravation, irréalisme, etc).
Ceci a des conséquences très concrètes : si on peut séparer le corps et l'âme, si le corps n'est qu'une guenille, alors on peut mettre à mort les individus ayant une conscience altérée ou inexistante, plutôt que d'en prendre soin comme c'est en réalité notre devoir. C'est tout le débat autour de l'avortement et de l'euthanasie (dans « euthanasie », il y a « nazi », ce n'est pas qu'un calembour).
Le christianisme est une théorie générale du réel.
Ce que, depuis Descartes et Pascal, nous appelons « foi » au sens de croyance est une erreur gravissime : dans la Bible, le mot hébreu traduit en français par « foi » signifie « connaissance », c'est-à-dire l'exact inverse.
Tresmontant est inflexible. Le christianisme est rationnel, il est possible de démontrer que Dieu existe et que son comportement décrit par le christianisme est le plus rationnel pour expliquer l'expérience que nous avons du monde. C'est pourquoi, à la suite de Maurice Blondel, il appelle le christianisme « réalisme intégral ».
Ce sujet me tient particulièrement à cœur parce qu'il a des conséquences précises.
Depuis que l'Occident a cessé d'être chrétien, il sombre dans un irréalisme suicidaire : le climat peut et doit être fixé, une femme est un homme comme les autres, un étranger devient un autochtone du fait de poser le pied sur le sol de la patrie, les races n'existent pas, toutes les cultures, toutes les idées, toutes les opinions se valent, on peut changer de sexe, l'endettement n'est pas un problème, deux hommes ou deux femmes peuvent se marier, etc.
Les métaphysiques principales
Ca n'est pas faire injure aux lecteurs de la Voix du Nord de penser qu'ils ont un peu décroché.
Tresmontant pense (il en en a fait un livre intitulé Les métaphysiques principales) que toutes les métaphysiques peuvent se regrouper en 4 catégories :
Le matérialisme
Le monde n'est que matière, le surnaturel n'existe pas, nous n'avons pas d'âme et Dieu non plus n'existe pas. Tout ordre n'est du qu'au hasard.
Problème : le matérialisme est en contradiction avec l'expérience. En effet, puisqu'il n'y a rien en dehors de la matière pour la créer, la matière existe depuis l'éternité et pour l'éternité (tous les philosophes matérialistes en conviennent). Or, le Big Bang et l'expansion de l'univers rendent cette idée très douteuse.
Le monisme acosmique
L'Etre est un et s'instancie dans chaque être particulier. C'est par exemple, le brahmanisme.
Problème : une impossibilité de rendre compte totalement de la diversité des êtres.
Le panthéisme
Comme le matérialisme, tout est dans ce monde ci. Sauf que les choses sont divinisées. Mais toujours le même problème : Aristote pense que le monde est éternel et ne change jamais fondamentalement.
La métaphysique de la Création
C'est notre sujet dans ce billet : l'idée juive reprise par les chrétiens. C'est elle qui justifie l'expression « judéo-christianisme ».
Tous les intellectuels de bas étage (Soral, Hillard, Jovanovic, Durain etc.) qui se moquent de cette expression ont tout lu et rien compris. Rien n'est plus dangereux qu'un crétin besogneux, mieux valent, de très loin, les crétins fainéants.
La métaphysique ne m'intéresse pas
On peut aussi dire « La métaphysique ne m'intéresse pas ». C'est la majorité de la population (« Le drame de l'homme occidental, ce n'est pas qu'il ignore le sens de la vie. C'est qu'il ne se pose même plus la question » Vaclav Havel). Mais ce n'est pas parce que vous refusez de vous poser une question qu'elle cesse de se poser. Autrement dit, être un abruti complet ne fait pas disparaitre les questions que vous êtes incapable de vous poser.
Nos modernes nihilistes prennent le christianisme pour une religion de crédules et de péquenots. Contre-sens absolu : la séduction du christianisme est aussi (pas seulement) intellectuelle. A ses débuts, c'était flagrant.
Saint Ambroise, préfet et gouverneur de Milan, Saint Augustin, un des meilleurs rhéteurs de l'empire, et tant d'autres docteurs de l'Eglise, mangent des Macron, des BHL et des Onfray tous les matins au petit-déjeuner.
Jean-Sol Patre , les philosophes allemands, tout ça ...
Tresmontant fusille tous ces philosophes pour qui il ne s'est rien passé pendant les 2000 ans séparant la mort de Platon de la naissance d'Emmanuel Kant.
Or, pendant ces 2000 ans, il y a eu la philosophie chrétienne qui, contrairement aux lourds systèmes teutons qui vont suivre, s'efforçait de concilier la philosophie et la connaissance du monde (à la lumière de la Bonne Nouvelle, évidemment).
C'est flagrant quand on lit Saint Thomas d'Aquin. Le style est barbant mais il essaie d'être logique, carré, en partant de faits établis.
J'ai bien rigolé en lisant les satyres de la scolastique de Rabelais et de Montaigne, mais ils avaient tort sur le fond.
Antiracisme et antijudaïsme
Tresmontant se dit antiraciste, mais il a une définition très restrictive du racisme, loin de la définition étendue à l'infini utilisée de nos jours. Pour lui, est raciste qui considère que les non-blancs n'appartiennent pas à l'espèce humaine. Il reconnait sans problème qu'il existe des races humaines.
A cette aune, moi aussi, je suis antiraciste.
Tresmontant se moque de l'antijudaïsme (je préfère « judéophobie ») de certains chrétiens. Il ne les traite pas de crétins parce qu'il est poli, mais il dit qu'ils ne comprennent rien à la profonde communauté philosophique, de conception cosmologique et anthropologique, entre juifs et chrétiens.
« La philosophie grecque païenne va s'opposer violemment aux Judéens et aux chrétiens à cause de cela même : ils n'adorent pas pas l'Univers, la Nature divinisée.
Autrement dit, l'exécration que le Peuple hébreu suscite de la part du paganisme, ancien ou contemporain, tient précisément à l'origine du Peuple hébreu et au fait qu'il contient, qu'il porte, une information créatrice nouvelle, qui suscite une réaction d'horreur de la part du vieux paganisme, que l'on retrouve tout entier chez Ernest Renan, chez Nietzsche et bien d'autres.
[...]
Comme le disait un rabbi judéen, autour de l'année 29 de notre ère, à une femme de Samarie : le salut vient des Judéens. Hébreu : Ha-ieschoua min ha-iehoudim.
L'inconvénient d'un tel enseignement, nécessaire pour que les enfants comprennent le fond des choses, c'est qu'il ne serait pas tout à fait laïc. »
La norme, la certitude et la tolérance
Dans une chronique de novembre 1988, il explique que la norme est partout, découle de la nature des choses (un mouton à 4 pattes est normal, un mouton à 5 pattes est anormal). Refuser la norme, contester la notion même, est nihiliste, pathologique.
Il en profite pour glisser un mot sur la prévention du SIDA qui ne laisse aucun doute qu'il considère qu'il y a des pratiques sexuelles normales et des pratiques sexuelles anormales.
Il n'aurait pas été surpris par nos délires woke et transgenre, puisqu'ils découlent mécaniquement des errements philosophiques qu'il dénonçait déjà.
Tresmontant n'est pas pas du tout un relativiste. Toutes les opinions ne se valent pas, la Vérité existe et, non, nous ne vivons pas dans un monde d'incertitude totale.
Il se moque des philosophes à la Sartre Beauvoir. Pour lui, « On ne nait pas femme, on le devient » est un sommet de crétinisme.
La mort
Tresmontant ne s'aventure pas trop sur ce terrain.
Contrairement aux matérialistes, il pense que la mort n'est pas la fin de tout, mais il ne va guère plus loin.
Il a bien raison, parce que les paroles du Christ sur la mort et la vie après la mort sont les plus mystérieuses.
La crise (intellectuelle) de l'Eglise
Si Tresmontant erre à propos de l'esprit Vatican 2, il a bien compris un point important.
La crise de l'Eglise a de nombreux aspects, dont une faute intellectuelle.
Présenter la Foi comme un saut dans l'inconnu totalement irrationnel (position, en pratique, dans la pastorale contemporaine) est faux, et contre-productif face à des populations très rationalistes.
Au contraire, comme déjà évoqué, il est rationnel de croire le message chrétien. Les Pères et les Docteurs de l'Eglise ont toujours insisté sur ce point, même les mystiques. Saint Thomas d'Aquin y a consacré sa vie. Tresmontant aimerait que l'Eglise retrouvât ce chemin de la raison.
Bien sûr, à la fin des fins, la Foi ne vient qu'avec la Grâce. Mais pas en opposition de la raison, en complément.
Je suis d'accord avec lui : je suis toujours irrité par les effusions creuses à la mode.
Tout est simple.
Soit le monde est éternel, il n’a pas été créé, il est Dieu et il faut lui faire des sacrifices humains. C’est ce qui se dissimule derrière les mots bateaux « néo-paganisme » ou « écologisme ». C’est la position commune d’Alain de Benoist, de François Bousquet, de Marine Tondelier, de Sandrine Rousseau, des philosophes grecs, des communistes et des nazis.
Seul petit, minuscule, problème : cette position est infirmée par la cosmologie, le Big Bang et compagnie.
Sur les intertubes, traine souvent la question « Nos ancêtres les Gaulois pratiquaient-ils les sacrifices humains ? ». Je n'ai pas besoin de preuves archéologiques (qui, de toute façon, vont plutôt dans mon sens), je sais que oui, puisqu'ils étaient païens.
Soit le monde a été créé, il a commencé un jour, il n’est pas Dieu, il n’y a pas besoin de lui faire de sacrifices humains. C’est la position commune des juifs et des chrétiens.
Et la cosmologie va dans ce sens.
A la lumière de ce choix fondamental s’éclaire la phrase de Tresmontant que je cite souvent :
« Toutes les grandes catastrophes humaines commencent par une catastrophe dans l’ordre de la pensée. »
Et cette catastrophe dans l'ordre de la pensée, nous sommes en train de la vivre, en conséquence de la déchristianisation. Je redoute la catastrophe humaine qui vient (déjà bien démarrée).
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