Article des Echos de de P. Fabra :
Lien : le faux réalisme de Kofi Annan - Les Echos.fr
Résumé :
Un grand auteur du XIXe siècle, dont il va être question plus loin, a écrit des choses sans doute définitives pour expliquer rationnellement un phénomène qui, disait-il, « a si souvent passé pour un miracle ». Il parlait « de la grande rapidité avec laquelle les pays se relèvent d'une grande dévastation ; la disparition, en un temps très court, de toutes traces laissées par des tremblements de terre, des inondations, des cyclones, et par les ravages de la guerre ».
Hasardons cette prévision optimiste : il n'y a jamais eu tant de raisons pour faire crédit à des peuples qu'aux peuples d'Asie d'aujourd'hui. Sur les décombres laissés par le tsunami, et dans l'espace étroit d'un très petit nombre d'années, ils construiront un cadre de vie et de travail bien supérieur à celui qui existait avant que ne surgissent ces vagues de mort !
Notre vue est faussée par l'image d'un « capital » national (ici, l'ensemble des biens immobilisés - équipements et machines, bâtiments publics et privés, matériels de transports, etc., à la disposition de ses habitants) hérité d'un travail passé. Une illusion d'optique nous fait imaginer que le produit accumulé de ce travail passé nous a été physiquement « transmis ». Mais, dit J. S. Mill : « Le capital est maintenu en état de fonctionnement non par conservation mais par reproduction perpétuelle. » L'abbaye de Westminster existe depuis plusieurs siècles, mais, remarque notre auteur, il s'agit d'un bien non économique. A l'exception des ponts et des aqueducs, très rares sont les biens économiques qui durent longtemps !
Selon lui, la plus grande partie, en valeur, de la richesse existant en Angleterre a été produite, ou reproduite, au cours des douze derniers mois ; seulement une très petite portion de cet « agrégat » (dans le texte) existait dix ans auparavant. D'un pays qui serait entièrement dévasté par un ennemi ou par un tremblement de terre J. S. Mill va jusqu'à écrire : ce qui a été ainsi détruit l'aurait été dans un délai presque aussi bref par les habitants eux-mêmes et, par eux, reconstruit en un temps aussi court.
Particulièrement significatif et « moderne » - les modernes existeraient-ils sans ces vrais précurseurs, les « pré-modernes » du magnifique et lamentable XIXe siècle ! - apparaîtra l'argument décisif mis en avant : « La possibilité d'une prompte réparation dépendra de l'état où se trouvent les habitants. Si la population active n'a pas été en forte proportion amoindrie ou expulsée (« extirpated »), alors ayant toujours le même savoir-faire et les mêmes connaissances («the same skill and knowledge»), vivant sur la même terre dont les «améliorations permanentes» seront indemnes et où les bâtiments durables probablement ne seront que partiellement endommagés, presque toutes les conditions seront pour elle réunies pour qu'elle puisse par son travail produire autant qu'elle le faisait avant le désastre. »
En effet, la première condition posée n'a aucun motif, sauf disparition d'une portion importante de la population elle-même, d'avoir cessé d'être satisfaite. On a bien lu : il s'agit de rien de moins que des compétences techniques (« skill ») et des connaissances. La « knowledge economy » n'est pas un attribut de la prétendue nouvelle économie !
Faut-il mettre les points sur les « i » du capitalisme mécanique mais rédempteur ? La courte période pendant laquelle on n'aura pas encore reconstitué la capacité productive sera marquée par un niveau de vie abaissé pour les travailleurs et des profits accrus pour les « capitalistes ». Mais où, ailleurs qu'en Asie, la solidarité familiale joue-t-elle plus universellement ? N'est-ce pas une illusion que de croire que le capitalisme, fût-il de notre temps, puisse survivre dans son essence (chaque personne en âge de travailler est responsable de sa propre subsistance et de celle des êtres qui dépendent de lui ou d'elle) en l'absence de « valeurs » de ce genre ?
vendredi, janvier 07, 2005
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