jeudi, décembre 22, 2005
Et vos enfants ne sauront pas lire ... ni compter (M. Le Bris)
FFFF
Ce livre est écrit par un instituteur, passé de la méthode globale à la méthode syllabique tout simplement parce que son collègue plus âgé obtenait de bien meilleurs résultats que lui avec la méthode syllabique. Cette démarche est un bel exemple de modestie.
Toujours le même constat de dévastation de l'école par les cuistres "pédagogistes". Quelques points remarquables :
> beaucoup d'enfants sont "sauvés" par des parents qui leur apprennent à lire par la méthode syllabique (la méthode syllabique Boscher est un "best-seller", vendu en supermarchés, chez les parents d'élèves, et tabou en IUFM).C'est un grave facteur d'inégalité des chances entièrement créé par le dogmatisme des "pédagogistes" de l'Education Nationale.
L'auteur cite une anecdote comique : à l'époque encore attaché à la méthode globale, il est très fier d'Arnaud et Julien qu'ils croient être des réussites exemplaires de cette méthode. Un jour, il donne un exemplaire de la méthode Boscher, achetée par curiosité, à couvrir à la mère d'Arnaud. Celle-ci réagit : "Je connais cette méthode : j'ai appris à lire à Arnaud avec. Je ne l'ai plus, je l'ai prêtée à la mère de Julien." Notre gentil instituteur globaliste en a eu les jambes coupées ! Mais il s'est remis en question. Extrait :
Nos deux derniers cracks en lecture, issus de la méthode globale-naturelle-phonétique-à-hypothèses de notre école avaient en fait appris à lire avec la méthode Boscher ! Ce qui leur a donné un an d'avance ou la tête de classe jusqu'aux premiers prix du concours général ... De retour chez moi, je me suis assis, j'ai bu un whisky et j'ai reconsidéré calmement bien des choses.
L'auteur fait aussi la publicité de Lire avec Léo et Léa (http://www.leolea.org), édité à compte d'auteur par deux orthophonistes fatigués de soigner les dyslexies provoquées par les méthodes globales, dyslexies totalement inexplicables d'après ce qu'on lit dans certains journaux de gauche bien-pensants.
> la méthode globale a été inventée pour les sourds. C'est un curieux dérapage intellectuel que d'en conclure qu'elle est bonne pour les entendants. Mais quand une institutrice, qui voulait monter d'un échelon, a remarqué, lors de sa soutenance, que cette méthode pour sourds serait peut-être adaptée aux élèves dont le Français n'est pas la langue maternelle, elle a été interrompue et retoquée par un inspecteur furieux qui y voyait du racisme ! O bêtise du conformisme !
> La méthode globale est une voie sûre vers le contre-sens. En effet, un enfant formé à la méthode globale a tendance à ignorer la dernière syllabe des mots parce qu'il reconnaît le mot "globalement". Il pourra lire "Elle entre dans la maison" quand il y a écrit "Elles entrent dans la maison" ou "Leonard de Vinci est il le seul peintre ?" quand il y a écrit "Leonard de Vinci est-il seulement peintre ?" Le contexte détrompe souvent mais pas toujours.
> les méthodes dites "naturelle" ou "semi-globale" ou "phonétique", actuellement officiellement préconisées, sont des méthodes globales déguisées ; d'où j'en conclus que non seulement Gilles de Robien ne mène en rien en combat anachronique, contrairement à ce que prétendent certains syndicats, mais que son combat est urgent et important. La connaissance de ce fait permet de comprendre les réactions véhémentes des apparatchiks, véhémence qui ne s'expliquerait pas si il s'agissait vraiment d'une polémique dépassée, comme ils l'affirment pourtant.
> La loi Jospin a entérinée et amplifiée ces ravages. Pour cette raison, il est juste que M. Jospin n'ait pas été élu Président de la République. De plus, la dite loi Jospin institue un contrôle idéologique intolérable (Le Bris cite des rapports d'inspection le concernant pas piqués des vers : "Il n'adhère pas à la méthode officielle [...] Il obtient des résultats mais pas avec la méthode préconisée." Mauvaise note. Le Bris rappelle à juste titre que lors des inspections de l'école "archaïque", l'inspecteur s'occupait assez peu de méthode et interrogeait les élèves pour voir ce qu'ils savaient et que l'instituteur était noté en fonction de cela. La loi Jospin doit être abrogée.
> le vrai signe de la maîtrise de la lecture chez l'enfant est la lecture abondante de romans (même idée que Daniel Pennac dans Comme un roman). Car elle nécessite une lecture fluide, sans efforts, et une bonne compréhension. La lecture d'ouvrages techniques (sur le Moyen-Age, sur les dinosaures, etc.) ou de BD n'est pas suffisante car elle ne met pas en jeu l'aisance. L'auteur classe les enfants lecteurs en plusieurs catégories :
>> le vrai lecteur, qui lit des dizaines de romans par simple plaisir et sans effort (à l'âge de vint ans, j'ai compté un petit millier de livres dans ma bibliothèque, autrement dit, j'ai tenu une moyenne d'une quarantaine de livres par an pendant toute ma scolarité). C'est la situation normale de l'enfant maîtrisant la lecture : la soif d'apprendre le pousse naturellement à lire. L'âge venant, les centre d'intérêts peuvent changer.
>> le lecteur efficace, capable de trouver le renseignement qu'il lui faut dans un texte.
>> le lecteur déchiffrant, il bute mais comprend.
>> le non-lecteur, qui ne lit rien sauf à grand-peine.
Même un vrai lecteur, si il a appris avec une méthode globale, peut être nul en orthographe et, de plus, les "lecteurs globaux" ont une tendance, facilement explicable, au manque de rigueur intellectuelle.
> Même motif, même punition pour les maths : il faut plonger les élèves dans un problème sans apprentissage préalable et les laisser discuter pour décider qui a raison si ils ont en déaccord sur la solution. "Ils construisent eux-mêmes leurs savoirs." Fantastique ! On croit rêver ! (Voir http://michel.delord.free.fr)
Une élève de sixième a essayé de diviser 367 234 par 60 par soustractions successives (méthode officielle) : 367 234 - 60 - 60 -60 etc. Au bout d'une heure (c'est déjà beau qu'elle ait persévéré une heure), elle s'est effondrée en larmes (avec la méthode archaïque et bourgeoise que j'utilise et qui était connue en 1960 de tout élève de CE1, il m'a fallu quarante secondes).
> L'auteur insiste sur l'importance du calcul mental "bête" parce que c'est ce qui permet d'être à l'aise avec les nombres.
Ca me rappelle le prix Nobel Richard Feynman qui posait régulièrement à ses étudiants des problèmes à résoudre mentalement du genre "Combien y-a-t-il d'accordeurs de pianos à New-York ?" Bien sûr, tout était dans la démarche intellectuelle qui permet en quelques minutes d'avoir une estimation pas trop délirante. Ces exercices mentaux sont peut-être bêtes (en quoi d'ailleurs ?) mais utiles. Par exemple, hier soir j'ai vu une statististique sur les accidents de voitures chez les jeunes, morts ou blessés, j'en ai conclu qu'il y avait 5 blessés pour 1 mort, comme je connais le nombre de morts total toutes catégories (8 000/an), j'en ai conclu qu'il devait y avoir autour de 40 000 blessés par an sur les routes. C'est une estimation qui m'a pris 10 secondes. Et des pêtits calculs comme cela, j'en fais vraiment tous les jours.
> Marc Le Bris explique qu'il a reçu une leçon d'autorité d'un gendarme venu faire de la prévention routière : celui-ci a refusé de donner les mini-permis de conduire aux élèves qui avaient grillé des stops sur son parcours fictif, et ce, malgré leurs trépignements et leurs colères. Pourquoi refuser de leur faire plaisir en leur donnant un bout de papier sans valeur ? Pour que la leçon porte. De même pour les notes. Donner la même à tout le monde pour ne pas "traumatiser", c'est faire perdre les repères à tout le monde, c'est maintenir les élèves dans le flou sur la qualité de leurs savoirs. C'est déstabilisant.
> Dans la même veine, Marc Le Bris pense, et je l'approuve entièrement, que considérer des enfants comme des adultes en réduction est un manque de respect des enfants et une fuite de leurs responsabilités par les parents. Les enfants ont leurs besoins propres dont celui d'être guidé et dirigé est primordial. Il décrit le cas d'une mère qui négocie tous les matins pour que son fils aille à l'école :
"Mon chéri, hier soir, tu avais promis que tu irais à l'école."
"J'ai changé d'avis."
Et commence une séance de chantage payée en bonbons et sorties. Il arrive même que la mère remmène l'enfant à la maison. Marc Le Bris fait deux remarques frappées au coin du bon sens : c'est mauvais pour la scolarité de l'enfant et l'enfant se met en danger physique : la tension de la mère "compréhensive" est extrême et il se pourrait qu'un jour où toute cette comédie la met en retard pour le travail, la marmite explose en une taloche disproportionnée.
> Les enfants en groupe, c'est la loi du plus fort, ils ne sont pas du tout gentils et compréhensifs. Comme les profs n'ont plus le droit, ni les moyens, de faire la discipline dans la cour, ce sont les filles et les "polars" qui sont les souffre-douleurs. Le Bris décrit le cas où un garçon a soulevé la jupe d'une fille. Il considère intolérable qu'il n'ait pas demandé "S'il te plaît" avant. Normalement, ça devrait se régler par une punition magistrale, mais pas dans notre enseignement "moderne" : dans notre enseignement "moderne", le maître n'intervient pas mais les tuteurs de la fille portent plainte, avec tout ce que ça suppose. Conclusion : par refus de l'autorité de l'intituteur, on a ruiné la scolarité d'un gosse.
> Le Bris a ce tic intellectuel (je dis tic car il n'est étayé par aucun argument) que vous connaissez si vous avez lu La fabrique du crétin : il met une bonne part des problèmes sur le dos du libéralisme. Visiblement, il ne semble pas avoir réagi au fait que Condorcet qu'il cite en exemple était un libéral. Passons, si vous voulez connaître l'explication de ce réflexe, il suffit de lire Pourquoi les intellectuels n'aiment pas le libéralisme de Raymond Boudon. C'est simplement dommage de voir des intellectuels méconnaître le libéralisme qui a pourtant, pour qui se donne la peine de se renseigner, un puissant attrait intellectuel. Par contre, il fait une remarque (qui invalide d'ailleurs son propos univoque sur le libéralisme) que je trouve beaucoup plus intéressante mais que malheureusement il ne développe pas : les patrons d'entreprises techniques et industrielles sont plutôt partisans des méthodes traditionnelles tandis que les patrons d'entreprises de service sont plutôt partisans des méthodes "pédagogistes".
> Enfin, Le Bris pense que "L'apprenant doit construire lui-même son savoir" des méthodes modernes, qui, au fond, nie l'utilité du maître et de l'école, est très mauvais pour la démocratie. Là, sans le savoir, il rejoint le libéralisme ! Hayek, penseur du libéralisme si il en est, justifie le libéralisme par le fait que chaque individu est limité, qu'il n'y a aucun individu, même Président, ayant une capacité d'action illimitée, qui pourrait modeler la société et que c'est cette nécessité d'interactions libres d'individus limités qui s'oppose à la dictature (mais je ne pense pas que Le Bris envisage le libéralisme à ce niveau philosophique mais il songe plutôt à ce fourre-tout de lâchetés étatiques, qui a autant à voir avec le libéralisme que le Mac Do avec la gastronomie). Or, des individus pleinement conscients de leurs limites mais travaillant de manière méthodique à les repousser dans certains domaines, c'est bien là l'idéal de l'école "archaïque" de la IIIème République et comme, par hasard, c'est aussi une grand moment de libéralisme politique et économique.
Un livre que tous les parents d'élèves devraient lire.
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(sauf erreur de mémoire, il me semble que c'était E. Fermi et pas Feynman qui proposait le problème du nombre d'accordeurs de piano à Chicago - mais je me trompe peut-être)
RépondreSupprimerJe vérifierai si je peux.
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