mardi, mars 21, 2006

"Les Français ont peur d'être libres et c'est une maladie qui ne se guérit pas"

"Les Français ont peur d'être libres et c'est une maladie qui ne se guérit pas": c'est par cette phrase qu'un journal espagnol explique l'affaire du CPE.

Aujourd'hui, nous sommes clairement entrés dans les arguments irrationnels, même si il y a à n'en pas douter des gens très rationnels qui comptent profiter de ces histoires. Evoquer la peur comme explication est donc approprié.

Liquidons tout de suite la rationalité. Le CPE est un CDI avec trois nouveautés :

> une période d'essai de deux ans

> une indemnité en cas de licenciement au cours de la période d'essai (ce qui n'est pas le cas pour le CDI normal). Je suis plus réservé sur la nouveauté de la non-justification du licenciement : il me semble que c'est déjà le cas pour la période d'essai d'un CDI normal (à vérifier).

> il est réservé au moins de 26 ans

Le CPE est discriminatoire, il ne résoudra pas ou très partiellement le problème du chomage des jeunes et il n'introduit pas d'énormes bouleversements. Bref, il ne mérite ni excès d'honneur ni excès d'indignité. En tout cas, examiné à la lueur de ce qu'il est (et non de ce qu'on projette sur lui), le CPE n'a pas de quoi jeter des milliers de personnes dans les rues. Le CPE "pire que tout" ? C'est se foutre de la gueule du monde. L'étonnement, plus ou moins amusé, plus ou moins navré, des étrangers est tout à fait compréhensible.

Pour conclure dans la rationalité, rappelons qu'un contrat de travail, comme tous les contrats, est conclu parce que les deux parties y trouvent intérêt : le salarié un salaire, l'employeur le travail dont il a besoin. Si l'une des parties n'y a plus intérêt, le contrat doit pouvoir être rompu, sans quoi il n'y aura plus personne pour signer des contrats. Il est parfaitement logique du point de vue théorique et vérifié dans la pratique que des protections obligatoires déséquilibrées en faveur d'une des parties du contrat constitue une barrière et diminue le nombre de contrats signés. C'est vrai pour les contrats de travail, mais c'est aussi vrai par exemple pour les contrats de location.

Comme les deux signataires d'un contrat y ont intérêt, leur relation présente un certain équilibre : je trouve la période d'essai très utile car je l'ai renouvelée vis-à-vis d'un employeur qui ne m'inspirait pas confiance puis je suis allé travailler ailleurs à l'issue de celle-ci.

Voilà pour la rationalité, passons à l'irrationalité.

L'argument massue qui dévaste tout, qui fait peur, l'horrible "précarité". Pourquoi cet argument est-il irrationnel ? Parce que la précarité en France, c'est le chomage de longue durée et je ne vois pas en quoi le CPE l'augmenterait.

Mais il y a aussi le fond de cette peur qui justifie le commentaire du quotidien espagnol : la peur de la liberté, de devenir adulte et responsable. C'est tout de même étrange que personne n'ait insisté sur le fait que deux ans de période d'essai, c'est deux ans pour montrer ce qu'on vaut, deux ans pour se rendre aussi indispensable que possible.

En réclamant un statut protecteur pour eux-mêmes, les jeunes contribuent à entretenir le blocage de la société française, en statuts et en corporatismes, dont l'exemple hélas parfait est la répartition en corps de la fonction publique.

Ils feraient mieux de réclamer que la limite d'âge de 26 ans saute. Ils seraient nettement moins soutenus par les conservateurs professionels des syndicats.

Enfin, il y a les petites peurs annexes et les représentations fantasmatiques, par exemple, l'employeur comme un vampire qui vide de leur sang les employés puis qui les jettent ensuite à la poubelle ; l'emploi idéal, modèle, comme étant celui de fonctionnaire.

Je termine tout de même sur une note d'optimisme : les blocages des facs et autres actions de la "lutte sociale" sont effectués avec des méthodes dignes des démocraties populaires, qui, comme de juste, ne sont ni démocratiques ni populaires. Il se peut très bien que le mouvement anti-CPE ne soit pas si populaire qu'il s'affiche.

(Un militant de SUD est dans le coma, piétiné par une charge des CRS d'après ce que l'on a compris. J'espère qu'il se rétablira. Personne ne semble cependant se poser la question de savoir ce qu'il faisait sur la trajectoire d'une charge, sachant qu'on a, au soir de la manif, reproché aux CRS d'avoir temporisé. De plus, pour avoir déjà vu une charge de CRS, je pense qu'il est difficile de se trouver en face par hasard.)

Une crise bien française (Chronique de Favilla dans Les Echos)

Si un journal étranger - danois, par exemple - lançait un concours de caricatures sur la vie politique à la française, la crise du CPE offrirait aux concurrents un sujet idéal : elle concentre tous les défauts, les blocages et les effets pervers qui caractérisent le fonctionnement de notre belle République.

Effet pervers, d'abord, de l'élection présidentielle : c'est le quitte-ou-double d'un Premier ministre qui sort de sa manche une réforme audacieuse, positive sur le fond, mais décidée sans concertation préalable, et qui l'impose au Parlement par le coup de force de l'article 49-3.

Pourquoi cette hâte ? Parce qu'il est pressé par le calendrier de la course à la candidature, et par la bataille d'image qui l'oppose à son rival dans son propre camp.

Le même effet pervers frappe aussi à gauche : au lieu de présenter une contre-proposition issue d'une réflexion commune, les éléphants du PS ont effectué une danse bizarre dont la principale règle était de se différencier de tous les autres candidats socialistes potentiels. Chacun a fait plancher son équipe, et la liste des solutions nouvelles pour l'emploi des jeunes ressemble au catalogue de La Redoute.

On objectera, à la décharge du Premier ministre, que, s'il est toujours politiquement correct de regretter l'« absence de concertation », reste à savoir avec qui discuter. Ici intervient un autre effet pervers, celui de l'émiettement et de la faiblesse des syndicats, conséquence paradoxale de la « présomption de représentativité » accordée depuis quarante ans à cinq d'entre eux : les considérations tactiques dominent, chaque centrale se préoccupant davantage de son fonds de commerce que de l'intérêt général - voire de l'intérêt de ses mandants présumés. Une discussion préalable sur le projet de CPE avait-elle une chance de rallier l'approbation d'une des trois principales formations ? La CFDT, la plus encline au dialogue, se souvient avec amertume du tort que lui avait causé son attitude conciliante à propos du projet de Pare ou de la réforme des retraites. Bien sûr, dans une démocratie moderne, toute réforme devrait être précédée d'une concertation - mais il faut reconnaître qu'en France l'incertitude sur les tactiques syndicales et la fréquence des revirements de dernière minute (signera ? signera pas ?) exposent ce processus vertueux au risque de l'enlisement. Ce n'est qu'après coup, dans la rue, en participant au front du refus, que les syndicats se retrouvent enfin unis...

Troisième dérive, liée aux précédentes : cette « lutte de tous contre tous », dans la sphère politique comme dans le monde syndical, interdit tout véritable débat et entraîne une déformation du langage qui transforme les mots en slogans ou en projectiles. En manifestant au nom de la lutte contre la précarité, on s'est dispensé de se demander quelles étaient les principales victimes du chômage, et si le CPE pouvait leur être utile. Les jeunes sans qualification, auxquels ce type de contrat peut offrir une chance réelle de trouver un emploi, se taisent : ils ne sont pas le sujet du jour.

2 commentaires:

  1. Francois, dans ce post je donne une explication grace aux 5 dimensions de Hoofstede: le Francais a horreur de l'incertitude.

    Transmanches: Etrangetés du systeme politique francais

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  2. Si une loi est discriminatoire, est-ce un excès d'indignation que de réclamer son retrait? Oui selon vous, probablement grâce à l'argument classique qui veut que, de toute façon, ça existe déjà la discrimination, alors une de plus ou de moins... Belle rhétorique; monsieur. Je n'ai pas pris le temps de lire en entier votre lourd étalage de narcissisme, mais je suppose que pour consacrer autant de bavardage au libéralisme, vous devez en être. Encore un de ceux qui ne considèrent ce mouvement de pensée (effectivement louable selon toute raison)que sous un angle unilatéral: la liberté d'exploiter à loisir est une grande valeur pour ceux qui y trouvent un intérêt, mais n'est sûrement pas une valeur morale universelle.

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