vendredi, mars 24, 2006

Vers la sociétal-démocratie ?

BERNARD SPITZ

Apaiser d'abord la frustration du corps social face au chômage, aux inégalités et à la crise des systèmes de protection sociale, quand s'impose le besoin d'une gestion plus efficace de l'argent public. Apaiser aussi l'anxiété générale devant la compétition économique et culturelle qui alimente l'antimondialisation, alors même que notre croissance dépend de notre ouverture sur le monde extérieur.

L'échec du référendum a renvoyé cette responsabilité aux Etats. Partout, le courant social-démocrate s'y efforce et souvent ouvre la voie... mais moins en France qu'ailleurs. En Espagne, le gouvernement Zapatero a poursuivi la modernisation héritée des conservateurs, avec des bons résultats sur la croissance et l'emploi. En Allemagne le chancelier Schröder a échoué au poteau ; mais en anticipant les réformes, il a préservé son parti, permis la grande coalition et lancé le redressement économique. La Suède sociale-démocrate gouverne avec des finances en équilibre et des investissements massifs dans l'éducation et la recherche. Au Royaume-Uni, le Labour a payé le prix de la crise irakienne mais conserve un bilan économique enviable. En Italie, la coalition organisée autour de Romano Prodi adhère au réalisme économique.

Reste la France, où le PS paraît en peine d'assumer la social-démocratie. L'archaïsme y frappe de manière virale, à l'approche des élections. Rien d'étonnant à ce que les lendemains qui chantent de sa frange gauchiste soient ceux d'un monde empaillé. Mais quand on entend prôner la nationalisation provisoire des PME en difficulté, demander la renationalisation d'EDF, et les éléphants barrir contre celle d'entre eux qui ose observer les réussites britanniques, on comprend que le réformisme n'est pas bienvenu.

C'est ainsi : tant que le PS, parti d'élus, restera verrouillé par le poids d'enseignants frappés du syndrome Attac [quand je vous le dis] et de fédérations clientélisées, la rénovation réformiste n'y passera pas par la seule force de la raison. Reste une autre voie : celle de la société civile... En d'autre termes, pour qu'en France émerge la social-démocratie, il faudrait passer par la sociétal-démocratie.
La logique des trente dernières années plaide en ce sens. Celle d'une rénovation humble fondée sur les réalités de la vie quotidienne, plus que sur la théorisation politique. Qu'était la seconde gauche rocardienne, sinon un mouvement profondément culturel reposant sur la confiance dans la société et l'autonomie des acteurs sociaux face au jacobinisme étatique ? Comment DSK a-t-il percé, sinon par son effort à concilier justice sociale et modernité économique ? Quel secret a permis à Jack Lang de conserver le lien avec les jeunes, sinon sa capacité d'assimilation des nouveaux courants culturels ? Quelle question a permis à François Hollande de s'imposer comme premier secrétaire, hormis l'Europe ? Où Bernard Kouchner a-t-il puisé son indéfectible popularité, sinon dans le feu de l'action des « french doctors » et dans l'éthique du droit d'ingérence ? Quant à Ségolène Royal, elle doit largement son avènement à ses prises de position sur les questions de société... Autant de talents qui auront besoin de s'unir demain pour une réforme en profondeur de l'action publique.

En choisissant de parler autant à la société civile qu'aux élus, aux élèves et à leurs parents qu'aux enseignants, aux populations précarisées et au mouvement social qu'aux syndicats de fonctionnaires, aux jeunes qu'aux retraités des Trente Glorieuses, le PS retrouverait le sens de la dynamique. En retenant le principe énoncé par John Rawls [qui est libéral, mais ce genre de considération ...] selon lequel, pour qu'un projet soit bon, il faut et il suffit qu'il soit bon pour les plus faibles, il actionnerait le levier de la justice sociale. En changeant de génération et de discours, il rendrait à la politique la crédibilité qui lui manque. Bref, il redonnerait confiance à la société française, à sa jeunesse et à ses forces vives comme à ses couches populaires...

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